Questions et débats sur le droit

Pour parler de tout et de rien : ça ratisse très large, tous les sujets qui ne vont pas dans les autres forums vont là.

Re: Questions et débats sur le droit

Messagepar Supaman le Sam Fév 17, 2018 12:28

Donc on a maintenant un multi récidiviste qui a hébergé des terroristes relaxé.

Wow
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Re: Questions et débats sur le droit

Messagepar Lalilalo le Sam Fév 17, 2018 12:35

C'est vrai que c'est assez rassurant sur l'état de la justice.

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Re: Questions et débats sur le droit

Messagepar Supaman le Sam Fév 17, 2018 20:15

Dans quel sens ?
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Re: Questions et débats sur le droit

Messagepar Monsieur Panda le Sam Fév 17, 2018 21:21

Lalilalo a écrit:C'est vrai que c'est assez rassurant sur l'état de la justice.


Je plussoie, mais peut être pas dans ton sens ! C'est rassurant de voir que des Magistrats n"obeissent pas encore aux hystéries médiatiques commandés et au "il y a qu'a condamner les méchants". Il y a sans doute de quoi saucer le Jawad sur pas mal de choses, mais si on lui met une qualification à la con qui partait du principe qu'ils savaient que c'étaient des terros, faut pas s'étonner quand le parquet arrive à moitié à poil dans le tribunal à se gratter la tête sur comment ils vont défendre ça !

Surtout que je fais un rappel élémentaire, mais en général les relaxes en procès pénal c'est rare, ce qui est en question est rarement la culpabilité, c'est plutôt les peines à appliquer.
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Re: Questions et débats sur le droit

Messagepar Lalilalo le Dim Fév 18, 2018 2:57

C'est bien l'idée que je voulais faire passer Monsieur Panda. :wink:

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Re: Questions et débats sur le droit

Messagepar Supaman le Dim Fév 18, 2018 8:27

Bah c'est aussi ce que j'avais compris, mais je voulais être sûr de l'ironie.

Donc je maintiens qu'il y a un problème. Et je pense que la justice sous-estime ce mec parce qu'il a l'air de ne pas avoir de cerveau.
Bendaoud a tué un jeune de 16 ans en 2008 en lui mettant un coup de couteau dans le thorax. Ce jeune a voulu protéger un autre jeune auquel Bendaoud s'en prenait.
Normalement, l'homicide volontaire, c'est 30 ans de réclusion.
Mais comme il a été choisi de prendre le parti qu'il n'avait pas l'intention de donner la mort, ce n'est pas la peine qui a été demandé.
Personnellement, je sais qu'en utilisant un couteau, je peux tuer. Donc si je sors un couteau, c'est pour signifier mon intention de tuer ou tout simplement pour tuer, que l'on m'agresse ou pire si j'agresse. C'est un message fort que l'on envoie.
Je sais aussi qu'en plantant un couteau dans le thorax d'une personne, bah la conséquence la plus plausible est la mort.
Mais même en admettant qu'il n'y avait pas intention de donner la mort, la violence ayant entrainé la mort sans l'intention de la donner, c'est 15 ans de réclusion dans le code pénal. 20 si le meurtre a été commis avec une arme. Avec donc une peine de sûreté de 10 ans. Le code pénal est clair.
Bendaoud a pris 8 ans, et n'en a fait que 5.
Wow

Déjà, de base, il y a un problème.

Ensuite, d'après les médias, en 2014, condamnation à 6 mois de prison pour violences en réunion avec une arme.
Je regarde de nouveau le code pénal qui explique que, la violence n'entrainant pas d'ITT donc, à plusieurs avec une arme, c'est 5 ans de prison (je ne parle pas de l'amende, je m'en fous) et
3 ans sans arme.
Et ça, dans le cadre donc d'une récidive de violence au minimum (ayant entrainé la mort), donc le maximum des pei es aurait dû être doublé, donc a minima 6 ans si on part du principe qu 'on ne retient que la violence en réunion sans arme et la perpétuité si l'on retient les 20 ans de réclusion pour violence avec arme ayant entraînée la mort sans intention de la donner.
Je ne parle pas des autres condamnations, ces deux-là sont suffisantes.

Donc oui, le mec qui sort libre après tout ça, alors qu'il a hébergé des terroristes parce que c'est un marchand de sommeil, ça fait un peu mal derche.
Alors oui, je suspecte aussi que les mecs ont mal bossés et sont arrivés à poil pour faire enfermer ce gars. Mais on en est aussi là parce qu'il y a eu de multiples deconnades avant.
Supaman
 

Re: Questions et débats sur le droit

Messagepar Lalilalo le Dim Fév 18, 2018 10:05

Argumentation HS. On ne jugeait pas ses antécédents.

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Re: Questions et débats sur le droit

Messagepar Supaman le Dim Fév 18, 2018 13:18

Mon intervention et étonnement englobait l'ensemble du cas Bendaoud.
Mais même sur le procès en lui-même, il y a un problème.
Soumah a été condamné selon l'article 434-6 que tu as cité.
On pourra d'ailleurs revenir sur la peine.
Donc cela signifie qu'il savait qu'il fournissait aux auteurs d'actes de terrorisme, ou tout du moins à la complice, un lieu de retraite.
Ceci implique que les terroristes pouvaient recommencer des actes terroristes et l'article 421-2-1 s'applique pleinement, selon moi.

Rappel de l'article 421-2-1 du code pénal :
"Constitue également un acte de terrorisme le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents."
Ce qui est donc le cas de Bendaoud puisqu'il est l'associé de Soumah qui est bien celui qui a dirigé cette entente établie avec Hasna Boulahcen.
L'article 421-5 distingue d'ailleurs le chef de cette entente du/des autres :
"Le fait de diriger ou d'organiser le groupement ou l'entente défini à l'article 421-2-1 est puni de trente ans de réclusion criminelle et de 500 000 euros d'amende."
Supaman
 

Re: Questions et débats sur le droit

Messagepar Lalilalo le Dim Fév 18, 2018 14:30

Alors non.

L'infraction reprochée à Messieurs Soumah et Bendaoud n'est pas d'avoir participé à la préparation des attentats mais d'avoir aidé les terroristes après la réalisation de leurs noirs projets.

Et l'infraction visée par 434-6 CP colle bien mieux à ces faits que celles visées dans les articles que tu cites.

Ajoutons à cela que cacher des terroristes est différent du fait de participer à l'élaboration d'un nouvel attentat.

Enfin, le dossier était manifestement insuffisant pour condamner M. Bendaoud pour recel de malfaiteurs et tu veux en faire un chef d'organisation terroriste ? Soyons sérieux.

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Re: Questions et débats sur le droit

Messagepar Supaman le Dim Fév 18, 2018 15:41

Lalilalo a écrit:L'infraction reprochée à Messieurs Soumah et Bendaoud n'est pas d'avoir participé à la préparation des attentats mais d'avoir aidé les terroristes après la réalisation de leurs noirs projets.

L'un n'empêche pas l'autre, à mon avis.
On pouvait tout à fait reprocher les 2 infractions. Et cela aurait été plus malin, à mon avis.


Lalilalo a écrit:Et l'infraction visée par 434-6 CP colle bien mieux à ces faits que celles visées dans les articles que tu cites.

Eh bien, je ne suis pas d'accord. Surtout à partir du moment où Soumah est reconnu coupable d'avoir hébergé des terroristes.
Concrètement, s'il est reconnu coupable, c'est qu'il savait donc (d'après la justice) qu'il avait affaire à un criminel ou son complice (ou directement un terroriste).
Donc toujours d'après ce même raisonnement, Soumah a donc identifié le crime commis. En l'occurence, il s'agissait de terrorisme.
C'est un reproche qui correspond bien à ce qu'il s'est passé. Par contre, une fois coupable de cette infraction, la question se pose concernant l'article 421-2-1 et 421-5 du CP.
Soit Soumah n'est pas au courant des plans précis des terroristes et il ne sait donc pas s'il y aura encore ou pas des actes terroristes. Il est obligé de se dire que la possibilité d'autres actes existe. Et le fait de ne pas aider les autorités correspond donc à une entente implicite avec les terroristes.
Soit Soumah est au courant des plans et cela correspond à une entente de fait avec les terroristes.

Et si cette infraction de Soumah relève de l'article 421-2-1 ET de l'article 421-5 (en tant que dirigeant de cette entente), alors l’infraction de Bendaoud relève bien de l'article 421-2-1 en tant qu'associé de Soumah puisqu’il participe à cette entente par le biais de son association avec Soumah.
Après, je ne suis pas au courant de tous les détails puisque je n’y ai pas accès et je me méfie des propos rapportés par les journalistes. Donc sa culpabilité concernant l’infraction du 421-2-1 doit sûrement être sujet à débat, mais il me paraît évident qu’il est concerné à partir du moment où Soumah est condamné pour le 434-6. (j'y revient après en le soulignant)
Ajoutons à cela que cacher des terroristes est différent du fait de participer à l'élaboration d'un nouvel attentat.

Bah ça dépend. Pour rappel, le 421-2-1 c’est 10 ans de prison, le 421-5 c’est 30 ans.
De plus, si tu relis attentivement le 421-1 :
" Constituent des actes de terrorisme, lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, les infractions suivantes :
[…]3° Les infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous définies par les articles 431-13 à 431-17 et les infractions définies par les articles 434-6 et 441-2 à 441-5 ; […]"

Donc même si Soumah ne relève pas du 421-2-1 et du 421-5, on en revient alors au 421-1.
Enfin, le dossier était manifestement insuffisant pour condamner M. Bendaoud pour recel de malfaiteurs et tu veux en faire un chef d'organisation terroriste ?

Eh bien si Bendaoud est associé et complice de Soumah, il relève dans tous les cas du 421-2-1 du CP.
Ca me paraît complètement logique, juridiquement et intellectuellement parlant.
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Re: Questions et débats sur le droit

Messagepar Monsieur Panda le Dim Fév 18, 2018 20:06

Je vais faire l'argument d'autorité, mais si les magistrats pénales et le parquet avait eu de quoi le saucer du point de vue du droit, ils l'auraient fait, vraiment. Je suis pas rentré dans le détail de tes articles excuse moi, je suis en pleine révision du droit des oblig donc je peux pas trop reprendre ça. Mais prend le en compte, et je vais ajouter quelque chose : contrairement à la pensée populaire, les magistrats en pénal sont tous sauf laxiste, la Cour de cassation et sa chambre criminelle par exemple ont une sacré réputation dans le milieu d'être capable de couvrir les erreurs commises par les magistrats et la police judiciaire en dessous d'eux.

Si tu veux plus tard je tenterai de reprendre point par point en tentant de pousser un peu, mais pour te répondre de façon bien dév, j'aurai besoin de check des cours et de la doctrine sur le sujet. Donc pour l'heure je me contenterai juste de l'argument d'autorité, je m'en excuse d'ailleurs !
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Re: Questions et débats sur le droit

Messagepar Lalilalo le Dim Fév 18, 2018 21:09

Je suis pas sûr que ce soit un argument d'autorité. A un moment, faut reconnaitre qu'on a pas accès au dossier et que on est pas les mieux placés pour qualifier juridiquement les faits de cette affaire.

En revanche, l'argument qui consiste à dire: "j'ai pas accès au dossier qui doit faire des dizaines de tomes mais je suis certain que les policiers, le parquet et les juges ont merdé parce que ça correspond pas ma perception du droit", bof... Je trouve pas ça super convainquant.

Supaman a écrit:
Concrètement, s'il est reconnu coupable, c'est qu'il savait donc (d'après la justice) qu'il avait affaire à un criminel ou son complice (ou directement un terroriste).
Donc toujours d'après ce même raisonnement, Soumah a donc identifié le crime commis. En l'occurence, il s'agissait de terrorisme.
C'est un reproche qui correspond bien à ce qu'il s'est passé. Par contre, une fois coupable de cette infraction, la question se pose concernant l'article 421-2-1 et 421-5 du CP.


Manifestement non puisque Soumah et Bendaoud sont intervenus après les attentats.

Supaman a écrit:Soit Soumah n'est pas au courant des plans précis des terroristes et il ne sait donc pas s'il y aura encore ou pas des actes terroristes. Il est obligé de se dire que la possibilité d'autres actes existe. Et le fait de ne pas aider les autorités correspond donc à une entente implicite avec les terroristes.


Non.

Si je donne de l'argent à un ami qui va ensuite commettre un acte terroriste grâce à ce financement, je savais bien qu'il avait (théoriquement) la possibilité de commettre un acte terroriste, peu importe qu'il en ait commis avant ou non, ça ne fait pas de moi son complice pour autant.

Ici, Soumah pouvait tout à fait penser que les gens logés souhaitaient surtout se barrer pour échapper à la police et n'avaient plus aucun projet terroriste dans l'immédiat.

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Re: Questions et débats sur le droit

Messagepar Monsieur Panda le Dim Fév 18, 2018 21:20

De base je suis d'accord Lalilalo, mais il y a un fond dans ce qu'il dit. Si tu aides quelqu'un après coup en sachant qu'il a commis un crime, tu peux être considéré comme son complice. Le problème de fond étant que Jawad lui ne savait pas. C'est pour ça que j'aurai besoin de retrouvé de la doctrine ou cette affaire chroniqué par un mec sur Dalloz histoire de.
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Re: Questions et débats sur le droit

Messagepar Lalilalo le Dim Fév 18, 2018 21:31

Et tu ne penses pas que l'infraction spéciale (434-6) déroge à l'infraction générale de complicité ?

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Re: Questions et débats sur le droit

Messagepar Monsieur Panda le Dim Fév 18, 2018 22:09

Sincèrement, je suis très mauvais en droit Pénal, je ne peux que vous donnez des indications générales, je vais prendre le temps de vous link ce que j'ai trouvé, mais j'ai pas encore de chronique commentant la relaxe en elle même.

Voici l'argument des avocats :

Spoiler
Résumé
Mardi et mercredi, devant la 16e chambre du tribunal correctionnel, les avocats des trois prévenus, Jawad Bendaoud, Youssef Aït-Boulahcen et Mohamaed Soumah, ont demandé la relaxe pour chacun d'entre eux.


Me Florian Lastelle, qui paraît sidéré, est l'avocat du prévenu « inquiétant » (v. Dalloz actualité, 7 févr. 2018, art. J. Mucchielli ). Il soliloque à propos de ses propres pensées qui l'effraient, puis, à son tour, pose une question : « Est-ce que la détention de fichiers suppose une intention criminelle ? ». La veille, le procureur a demandé cinq ans d'emprisonnement contre Youssef Aït-Boulahcen, pour « s'être abstenu d'informer les autorités […] d'un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, avec cette circonstance que le crime consiste en un acte de terrorisme », soit la peine maximum. Pour justifier la sévérité de la peine requise, il a dressé le portrait d'un homme sombre et radicalisé, qui « adhère à l'idéologie de Daech », en se fondant sur des fichiers à caractère djihadiste retrouvés dans l'ordinateur du mis en cause, sur des propos et opinions émis, dans un cadre privé, qui expriment une haine envers les homosexuels et un désarroi farouche à l'égard du « pays de Charlie ».

Me Lastelle rappelle opportunément que le Conseil constitutionnel a censuré, le 10 février 2017, le délit de consultation habituelle de sites terroristes, pour la raison notamment qu'on ne censure par la « simple démarche intellectuelle ». Puis il cite la plaidoirie 1 de l'avocat François Sureau, qui avait manifestement convaincu le Conseil. Contre son client, dit-il, il n'y a pas la moindre preuve de prosélytisme (ce qui est vrai), ni même le moindre élément établissant qu'il a un contact avec les zones de combat (ce qui est vrai aussi).

Il en vient aux faits, à propos desquels, il le répète, il ne « veut rien éluder ». 15 novembre 2015, 20h24, Hasna et Youssef Aït-Boulahcen sont en contact téléphonique. « À ce moment, dit Florian Lastelle, Hasna elle-même ne savait pas qu'elle devait récupérer Abaaoud ». Mohamed Belkaïd, qui l'a contacté de Belgique, ne lui a pas dit de qui il s'agissait – elle croyait (comme tout le monde) Abaaoud en Syrie. « C'est Soraya, la colocataire, qui assiste à la scène, et le dit très clairement aux enquêteurs », plaide-t-il. C'est vers 21h45 qu'Hasna voit pour la première fois son cousin, qu'il lui confie ses crimes et lui expose ses projets d'attentats à La Défense. Elle écrit à Youssef « un message très flou, qui ne veut rien dire » (le message dit : « Hamid, il est dans »), puis elle lui transmet l'adresse. À 22h36, il la bloque, « c'est fini », dit l'avocat.

Il se rend au squat avec une brique de lait et des biscuits au chocolat, des victuailles qui font jaser les avocats des parties civiles et inquiètent l'accusation. Me Lastelle s'étonne : « Est-ce que du lait et du chocolat, ça va aider des terroristes ? » Il pense que c'est pour sa sœur, droguée, mal en point, que Youssef apporte ces maigres ressources. Il est en bas de l'immeuble, vers 00h20, tout près de la planque de la rue de la bergerie. Il tente de la joindre, en vain. Il lui laisse un message : « Tu t'es bien foutue de ma gueule, va te faire foutre ! » La preuve selon l'avocat que Youssef « abandonne » sa sœur et ses desseins.

Me Lastelle répète au tribunal qu'après avoir bloqué sa sœur, il n'a pu prendre connaissance des SMS (explicites) évoquant Abaaoud et les projets d'attentats. L'accusation ne le croit pas sur ce point, c'est même le principal élément matériel retenu contre le prévenu. Alors l'avocat, enfin, conteste la caractérisation du délit reproché : « De quel crime parle-t-on ? Il faut une connaissance précise du crime et pas de simples rumeurs. C'est bien le crime qu'il faut dénoncer et non le refuge ou l'identité des auteurs. Factuellement, il est impossible que Youssef Aït-Boulahcen ait eu connaissance du projet [d'attaque] de La Défense [d'Albdelhamid Abaaoud] après le 13 novembre. » Il demande la relaxe. En dernier mot, Youssef Aït-Boulahcen dit : « Hasna a fait un choix, celui d'aider un terroriste, ce choix l'a amené à sa propre destruction. Je n'ai pas à payer pour ça. Je n'ai jamais épousé cette idéologie de mort ».

« T'es grave belle Hasna mashallah »

La preuve éclatante de l'innocence de Mohamed Soumah, contre qui il fut requis quatre ans de prison, est résumée dans un SMS qu'il adresse à Hasna Aït-Boulahcen : « T'es grave belle Hasna mashallah, viens on va se poser dans un hôtel oklm ». Il y a aussi ce message qu'il envoie à Jawad Bendaoud, au matin de l'intervention du Raid : « « C'est une dinguerie, y se passe quoi poto-là ? ». « Vous pensez que c'est le SMS de quelqu'un qui sait ? », intervient Me Anne-Hélène Ricaud, l'avocate de Soumah. Elle s'en amuse, et campe son client en pion, qui a voulu aider une jolie fille , venue en « jean moulant » lui acheter de la cocaïne et lui demande un service. Il est dans son petit quotidien de dealer de cité, loin de l'effroi qui bouleverse « l'opinion publique ». Pour ses avocats, qui sont trois à se succéder au micro pour demander la relaxe, Mohamed Soumah n'a aucune conscience non seulement de la qualité de terroriste des personnes à héberger (le procureur l'admet), mais en plus, il ignore qu'ils sont des criminels. « Je suis désolé pour les victimes, je m'en veux d'avoir mis Jawad et Hasna en relation », seront les derniers mots de ce prévenu.

« Souvenez-vous que je suis à l'isolement, que je ne vois pas le ciel »

Avant de plaider pour son client, Me Xavier Nogueras situe le contexte dans lequel la France entière l'a découvert : « Jawad Bendaoud est arrivé alors que le sentiment commun qui règne, c'est l'inhumanité, et nous nous sommes rassemblés, nous, Français, autour de Jawad Bendaoud, et c'était comme une catharsis. Nous avons ri, nous nous sommes moqués de Jawad Bendaoud. » Puis, il raconte les conditions dans lesquelles lui, avocat, l'a découvert : « Il pleurait dans le couloir du juge des libertés et de la détention, la tête entre les jambes, et les gendarmes prenaient des photos. » Voici la tragédie médiatique du « logeur de Daech », prononce-t-il avec une voix excédée.

Xavier Nogueras a décidé de répondre aux avocats des parties civiles, qui tout au long de l'audience, ont ostensiblement distillé des éléments à charge, des éléments apparemment « accablants », qui pourtant avaient été discutés et purgés au cours de l'instruction. « On se doit tous en tant qu'auxiliaires de justice de se forger une conviction en fonction des éléments de preuve », rappelle-t-il.

Il y a ce coup de fil provenant de Belgique, sur lesquelles toutes les investigations ont été menées, et qui a été écarté. L'ADN sur le scotch qui fixe le détonateur d'Abaaoud sur la ceinture d'explosif, dont il a été prouvé qu'il s'agissait vraisemblablement d'un « ADN de transfert ». Comment peut-on, une seconde, valider l'hypothèse selon laquelle en 8 minutes Abdelhamid Abaaoud va lui dire : « Jawad tu peux pas me mettre un bout de scotch sur le détonateur-là ? ».

À propos des conversations avec Hasna, notamment celle de 3 minutes et 31 secondes, qui alimentent l'accusation : « J'ai vérifié dans les fadettes, il y a 10 appels référencés qui ont exactement cette durée. » Cela crédibilise l'explication de dernière minute, qui a émergé à l'audience dans l'esprit du prévenu : « Je ne raccroche jamais le téléphone, ce n'est qu'au bout d'un certain temps (toujours le même) qu'il raccroche de lui-même », avait-il expliqué.

« Ce dossier, poursuit-il, est la rencontre entre deux mondes. Un choc entre deux cultures, entre nous, bourgeois, et les gamins des cités, qui sont dans la drogue et les trafics. » Il y a le mode d'expression, peu compris par les enquêteurs, qui provoque des malentendus. Il y a les réactions de Bendaoud, qui semble sur les écoutes « avouer » qu'il a hébergé des terroristes, alors qu'il s'interroge en direct et de manière un peu foutraque. « Lorsqu'il s'auto-incrimine, c'est qu'il refait l'histoire ».

Marie Pompéi-Cullin, avec beaucoup d'ardeur, dénonce la « démarche de foi, où l'on quitte le domaine de la raison et du syllogisme judiciaire, pour le domaine de l'irrationnel ». Elle vise les « raisonnements par induction » qui, selon elle, président à la logique de l'accusation : « Il ne pouvait ne pas ne pas savoir, il a forcément vu. ». Me Pompéi-Cullin conteste que l'infraction soit constituée : « Au moment où lui intervient dans la chronologie des faits, il est impossible de faire le lien avec certitude entre Abdelhamid Abaaoud [et les attentats] », et Jawad Bendaoud ne peut pas savoir qu'Abaaoud est en France. « Je crois qu'il y a suffisamment d'éléments dans le dossier pour comprendre que [Jawad Bendaoud] ignorait complètement une quelconque situation de fuite ou de soustraction [éléments constitutifs de l'infraction de recel de malfaiteurs] ».

Jawad Bendaoud, enfin, a parlé, parlé, parlé, puis, s'excusant de n'avoir pu en dire plus, a adressé une seule demande à « madame la juge » Isabelle Prévost-Desprez : « Souvenez-vous que je suis à l'isolement, que je ne suis pas sorti de ma cellule depuis 15 mois, que je ne vois pas le ciel. »

La décision sera rendue mercredi 14 février à 16h.


1 « C'est à la fois la première fois en France, qu'une démarche purement cognitive fait naître la présomption d'une intention criminelle. Le délit d'éventuelle intention terroriste dont on parle ici repose sur une double supposition. D'une part, la supposition d'un endoctrinement radical, comme on dit aujourd'hui, d'autre part, la supposition que cet endoctrinement est susceptible par nature de déboucher sur un projet terroriste effectif. La notion d'acte préparatoire devient liquide, nébuleuse, subjective et recule dans le temps : c'est la fin de la déclaration des droits. Je le dis avec gravité, même l'inquisition de Bernardo Gui n'est pas allée aussi loin. »
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