Namekku Daimaô a écrit:En conséquence, il est clair qu'il n'existe pas la moindre preuve (à l'opposé de ce qui peut être observé dans le cas de la Bible) ni le moindre élément probant permettant de démontrer l'existence de versions divergentes du Coran, en dehors des variations liées à la prononciation et à l'ordre des sourates. La distinction fondamentale entre le Coran et la Bible réside dans le fait que la Bible se compose principalement de récits d'origine humaine, a fait l'objet d'une sélection opérée par des individus, présente des contradictions et a subi des modifications. A contrario, aucune de ces caractéristiques ne peut être démontrée en ce qui concerne le Coran.
Ça, c'est absolument faux du point de vue scientifique. Aujourd'hui, l'hypothèse historique la plus communément admise, c'est que le Coran tel que connu aujourd'hui est une compilation organisée par Abd Al-Malik à la fin du VIIe siècle, de textes en circulation depuis Mahomet, mais aussi de textes plus anciens (et déjà Mahomet avait repris dans ses sourates un certain nombre de textes pré-existant dans la culture arabe). C'est avec la réorganisation du califat Omeyyade que semble se fixer le Coran, dans une forme proche de celle d'aujourd'hui (et je dis proche, parce que le manuscrit le plus anciens, postérieur à Othmân, est dénué de diacritique, et présente des différences d'interprétation de ce fait).
Pire, tu dis toi-même :
Pour répondre sur les actions du calife Othmân, il a en réalité ordonné la destruction de versions du Coran qui présentaient des divergences quant à l'ordre des sourates, des annotations apparaissant dans les marges ou à la fin des versets (qui pouvaient varier d'une version à l'autre), les actualisations de versets abrogeants-abrogés, et la prononciation de certains mots. Ces divergences résultaient des différents dialectes arabes présents dans l'empire en formation. L'objectif était d'harmoniser ces variations et d'éviter les conflits qui commençaient à émerger parmi les groupes récitant le Coran de différentes manières. Cependant, les enseignements et les sens des textes étaient demeurés identiques.
De fait, tu admets qu'il a existé des versions divergentes du Coran. Et qu'Othmân a unilatéralement choisi de ne conserver que celle qui était la sienne (par calcul, ou par véritable croyance, ça on n'en sait rien). On a donc trois moments où le Coran a pu (et a probablement été) considérablement altéré. Avant Othmân, entre Othmân et Abd Al-Malik (puisque lui aussi procède à une compilation) et depuis Abd Al-Malik (parce que les diacritiques ont été ajoutés depuis).
J'ajouterai aussi qu'outre le texte à proprement parlé, l'interprétation de tel ou tel texte peut avoir considérablement changé avec le temps, et qu'on a sûrement perdu l'interprétation originale de certaines sourates. Je ne m'aventurerai pas plus sur le sujet, n'étant pas arabophone ou particulièrement connaisseur du Coran, mais c'est un phénomène courant et observé sur toutles textes ayant une transmission plus ou moins continue. L'exemple le plus célèbre, et qui colle peut-être le mieux, c'est Sodome et Gomorrhe dans la Bible.
Aujourd'hui, et depuis le VIe siècle, il est communément admis parmi les catholiques que Sodome et Gomorrhe ont été punis pour des abus sexuels / l'homosexualité de leurs habitants. (Justinien Ier fera interdire l'homosexualité dans l'Empire en 543). Et les premières mentions d'une interprétation semblable date du IVeme, soit plus d'un millénaire après les premières versions du texte (le récit de Sodome et Gomorrhe faisant partie de la genèse).
Or, il n'existe aucune condamnation unanime de l'homosexualité chez les Juifs avant cette période. Et les textes les plus anciens contenant ce passage de la Génèse (Gn 19) ne mentionnent jamais l'homosexualité. En réalité, ce qui semble reproché à Sodome et Gomorrhe, c'est deux crimes particulièrement grave dans le monde antique : avoir manqué aux règles de l'hospitalité, et avoir commis un crime d'Hubris (orgueil). D'ailleurs, le récit même du sort de Sodome n'est absolument pas unique en soi, que ce soit dans le panthéon Olympique, mais aussi chez les Babyloniens, on a des exemples de Dieux qui rasent des villes pour les mêmes motifs.
Bref, il n'y a aucune condamnation de l'homosexualité dans les passages sur Sodome et Gomorrhe, alors comment expliquer l'interprétation actuelle ? Et bien simplement parce que la tradition a toujours interprété ce passage comme étant celui de deux villes ayant commis des crimes odieux, sans que ceux-ci soient toujours très clairs. Avec la mutation des pratiques socio-culturelle, l'homosexualité telle que pratiquée dans l'antiquité, notamment en Grèce, disparait peu à peu, devenant même rejetée socialement. Dans le même temps, l'hospitalité telle que pratiquée dans l'antiquité d'alors, et l'hubris sont des notions étrangères aux catholiques du IV. Ils réactualisent donc ce mythe, y plaquant donc leur interprétation postérieure de plus d'un millénaire -et ce, sans même avoir changer le texte-.
Et si cet exemple est le plus parlant (parce qu'on parle de deux chose l'hospitalité / l'homosexualité) qui n'ont rien à voire, c'est un processus très courant dès qu'on a des textes porteurs de valeurs, de morales. Souvent, l'interprétation d'un texte est davantage le fait de la culture de celui qui lit, que la recherche de l'intention de l'auteur. Et le Coran n'échappe absolument pas à cette règle, puisque bon nombre des pratiques de l'Islam se forgeront dans les décennies qui suivent la collecte et la compilation des textes organisée par Abd Al-Malik, soit dans un contexte qui est complètement différent de celui dans lequel vivait Mahomet, ou même de la première compilation par Othmân.
"Que dites-vous ?... C'est inutile ?... Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès !
Non ! non, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile !"