par Lenidem le Sam Août 18, 2018 11:43
Je remonte ce vieux sujet qui, étant situé dans la section Café, ne concerne pas forcément Dragon Ball, ni forcément le japonais.
Il y a longtemps, on avait eu un débat sur la traduction des œuvres en tout genre, notamment littéraires. Plusieurs personnes avaient soutenu l'idée qu'il n'y a pas réelle différence entre lire une traduction et lire l'original pour peu que la traduction soit bonne, sauf en ce qui concerne les jeux de mots. Or, de mon point de vue, toute littérature n'est que "jeu sur les mots", et chaque langue dispose de ses propres "règles du jeu".
Je voudrais illustrer ça par un exemple simple : celui de l'adjectif anglais "dark".
Le futur Smash Bros. Ultimate voit l'arrivée du double maléfique de Samus Aran, surnommé "Dark Samus". Pit, un autre héros du casting, avait déjà son propre double en la personne de "Dark Pit". Si l'on regarde les traductions françaises, ce même adjectif a été traduit de deux façons différentes selon les cas : "Samus sombre" et "Pit maléfique".
Est-ce un cas de mauvaise traduction ? Je ne le crois pas. Chaque mot d'une langue a sa dénotation (ce qu'il signifie objectivement) et sa ou ses connotations (les idées auxquelles il renvoie dans l'imaginaire collectif). Les deux sont importants, non seulement en littérature ou en poésie, mais même dans la vie de tous les jours. Prenez le terme "avortement" et l'expression "interruption volontaire de grossesse", par exemple : ils renvoient à la même réalité, au même acte, mais le premier a plutôt une connotation négative, tandis que le second a une allure plus technique et médicale. Maintenant, imaginez une langue qui ne disposerait que d'un seul mot pour cette réalité : le lecteur d'une traduction perdrait forcément une nuance, qui peut être de taille.
À l'inverse, les connotations d'un même mot ne sont pas automatiquement les mêmes d'une langue à une autre. Prenez le mot "looser" en anglais : littéralement, il peut signifier "perdant", mais le plus souvent, il est employé dans des situations où la langue française utilisera plutôt le mot "minable" : "What a looser !" se traduira plutôt par "Quel minable !" Cependant, si le texte joue, dans ce passage ou dans un autre, sur l'opposition entre les gagnants et les perdants, entre les "winners" et les "loosers", il vaudra mieux employer le terme "perdant"... au risque que certaines phrases sonnent un peu artificielles.
Un traducteur a donc toujours un choix à faire, car les connotations se perdent d'une langue à une autre bien plus facilement que les dénotations.
Revenons à l'adjectif "dark". Le jeu Hyrule Warriors fait une grosse utilisation de doubles maléfiques. Ma main au feu qu'en anglais, ils sont nommés "Dark Machin-Truc". Traduction française ? "Machin-Truc noir". Et pourquoi pas ? Ces doubles-là sont noirs de la tête au pied.
Enfin, ce mot revient fréquemment dans un cycle de Stephen King, La Tour sombre, The Dark Tower en V.O. Pourquoi le choix du mot "sombre" en français ? Parce qu'il semble clair dans le texte que si la Tour est appelée ainsi, c'est à cause de son aspect, qui n'est pas sa couleur première (elle n'est pas vraiment noire : elle est comme recouverte d'une couche de suie). Mais il y a aussi un personnage récurrent surnommé "l'Homme en noir" : "the Dark Man" en V.O. Pourquoi n'est-il pas appelé "l'homme sombre" ? Parce que bien qu'il soit maléfique, ce qui frappe en premier, visuellement, ce sont ses vêtements noirs. Ces deux traductions sont chacune valables, mais le lecteur français perd ce parallélisme entre cet homme et la tour. Si bien qu'à un moment du récit, le traducteur doit se fendre d'une note en bas de page explicative : l'un des personnages réfléchit à haute voix et prononce "Homme en noir... Tour sombre..." alors qu'en anglais, il dit : "Dark Man... Dark Tower..." Bien sûr, ce passage reste compréhensible en français, même sans explication, mais un peu de sa saveur s'est perdue en chemin.
Qu'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas dit : je n'ai rien contre les traductions, j'en lis moi-même beaucoup, ne serait-ce que par confort, et il y a des tas d’œuvres qui me seraient autrement tout à fait inaccessibles (coucou Dragon Ball !). Je dis juste que si on est parfaitement à l'aise avec la langue originale d'un bouquin, d'un film, d'une B.D. ou d'un manga, il est toujours préférable de lire en V.O., ce qui me semble assez évident.
Voilà, c'est la fin de cette petite réflexion.
RMR a écrit:Moi, je peux vous dire qui a raison. C'est Lenidem.
En cas de souci sur le forum, me contacter par MP ou à cette adresse :
lenidem.lunionsacree@hotmail.com