Quand je parle de confort, ce n'est pas nécessairement de confort matériel.
Hier, l'éducation était à la dure. Les baffes et coups de ceinturons du père "permettaient" de relativiser grandement les chicaneries entre gosses.
J'ai aussi en tête un exemple qui m'avait beaucoup attristé :
J'avais fait un remplacement dans l'équipe administrative du collège du coin et je restais sur place pour la pause du déjeuner. J'ai vite remarqué un jeune toujours isolé dans la cour. Il faut dire qu'il était difficile de ne pas le remarquer avec ses vêtements démodés (je soupçonne que c'étaient ceux de son père quand il était jeune), élimés et trop petits, son visage ingrat et ses lunettes à la monture hors d'âge avec des verres aussi épais que des loupes. Par chez nous, tout le monde connaît un peu tout le monde. Je n'ai pas eu grande difficulté à savoir qui il était. Fils d'une femme "simple d'esprit" comme on dit à la campagne, et d'un alcoolique notoire qui a toujours préféré la tournée des bars à une activité salariée, il avait grandi dans une vieille ferme non rénovée (= aucun confort - pas de salle de bain par exemple) dans la plus grande pauvreté. Il ne faut pas croire, la misère sévit aussi en campagne, la différence, c'est que contrairement à celle des cités, elle reste silencieuse. Une connaissance m'a raconté par exemple qu'un jour, le père avait débarqué en début de soirée au repas que les chasseurs organisent entre eux le dimanche soir pour manger les foies des sangliers abattus le week-end. Ce sont des soirées toujours bien arrosées, de l'alcool à bon compte pour notre papillon aviné. Un des chasseurs s'est rendu compte, vers une heure du matin (soit plus de sept heures après l'arrivée du père) et alors que la température était largement en dessous de zéro, que le gosse attendait depuis tout ce temps tout seul dans la voiture. La plupart des gens prennent mieux soin de leur chien ! (le chasseur a bien entendu invité le gamin à venir au chaud, et ils lui ont donné à manger).
Bref, vous pensez bien que le pauvre gamin, arrivé au collège avec son allure d'épouvantail, a aussitôt été la risée des bandes d'imbéciles qui constituent toujours les meutes dominantes dans les communautés adolescentes.
Comme il était toujours tout seul, j'avais pris l'habitude de lui adresser quelques mots. Il était d'une douceur, d'une gentillesse désarmantes.
À la question s'il se sentait bien au collège que je lui ai posé un jour, il m'a répondu qu'il était le plus heureux du monde ! avec une mine vraiment sincère, ses yeux en brillaient. Et là, il m'a précisé que c'était grâce à ses amis (WTF ! première réaction, mais de la part d'un enfant qui a grandi en recevant moins de chaleur humaine qu'un chien...), et aussi parce qu'il mangeait à sa faim tous les jours (alors que ça ne concernait que le repas de midi...).
Ce jeune songera-t-il un jour à se suicider ? (il est adulte maintenant) - Je parie que non. Je pense aussi qu'il sera capable d'être plus heureux que la plupart des gens, parce que capable d'apprécier le moindre petit bonheur, aussi modeste soit-il.
Voilà la différence qui sépare, je pense, les enfants d'hier et ceux d'aujourd'hui. Le bonheur, ceux d'aujourd'hui y sont habitués, ils ne le remarquent plus. C'est l'inconfort qui est inhabituel, d'où l'importance qu'ils lui accordent, au point de le considérer trop lourd à supporter.
Masenko a écrit:Aux gamins d’aujourd’hui on leurs demande d’être des adultes miniatures avec toute la pression et la complexité des rapports humains qui vont avec... les enfants d’hier ne pensaient pas au suicide pcq ils n’avaient aucune raison de le faire ils n’avaient pas le temps d’y penser et sans les réseaux sociaux et l’omniprésence des médias etc pour leur montrer.
Pour la première partie, je pense tout le contraire. Tu devrais un peu plus t'intéresser à la jeunesse des personnes âgées qui t'entourent avant qu'elles ne disparaissent.
Celles que je connais, toutes de condition modeste, ont toutes vu leur enfance abrégée pour être mises au boulot. Filles ou garçons, les jeunes devaient participer à la survie de la famille dès qu'ils en étaient capable. Prétendre qu'ils n'aient pas été soumis à la pression d'un monde adulte ni à la complexité des rapports humains est leur faire insulte.
Dire que les enfants d'hier n'avaient pas le temps de penser au suicide est une vraie connerie. Le désespoir n'est pas une question de temps. Pour moi, il s'agit davantage d'une question d'ambiance. À l'époque, la vie était dure pour tous, pas de quoi en faire un plat, c'était comme ça et c'est tout. Aujourd'hui, le gosse qui en bave se sent isolé, il a l'impression que toute la misère du monde lui est destinée. Ne pas avoir la vie facile est devenu anormal, d'où le sentiment d'injustice qui aggrave la peine.