La chose la plus importante à faire quand on décide d’écrire une histoire c’est de se demander où on va aller avec elle. Ou plus simplement : comment va-t-on la terminer ? Dans quelle direction cherche-t-on à aller ?
Bien entendu on peut écrire une histoire au fil de son inspiration sans avoir de fin précise en tête. Mais si on a la moindre considération pour son public on se doit d’en écrire une pour conclure son récit et pour conclure les différents fils narratifs qui tenaient le public en haleine.
Donc il faut que l’histoire aille quelque part pour avoir un fil qu’on puisse suivre du début jusqu’à la fin, sinon l’histoire stagne et ce n’est pas intéressant pour le public. Dans une même histoire on peut avoir plusieurs fils à la suite ou en parallèle, on n’est pas obligé de dérouler les fils de manière linéaire ou dans un sens particulier, mais à la fin tous les fils doivent être résolus, soit de manière ouverte pour permettre une suite, soit de manière fermée pour empêcher toute suite.
Un cliffhanger n’est pas une fin, c’est le début d’une seconde histoire ou le milieu d’une histoire en deux parties.
En 1983 le troisième volet de la saga Star Wars sort au cinéma, ce dernier film apporte un point final au voyage du héros de Luke, concept développé par Joseph Campbell dans son livre le héros au mille visages. Han Solo et la princesse Leïa ont triomphé de tous les obstacles qui les séparaient et forment un couple, et Leïa a été révélée comme étant l’autre que Yoda mentionnait dans le V. Dark Vador l’être sombre mi-homme mi-machine qui hantait la Galaxie depuis si longtemps est mort… en héros. L’Empereur et sa toute nouvelle station spatiale de combat ont disparus. L’Empire est décapité et vaincu. Tous les fils narratifs sont résolus. La seule question que George Lucas doit se poser maintenant c’est que faire ensuite ?
Oh bien sûr rien ne l’oblige à continuer à faire du Star Wars et pendant un temps c’est ce qu’il va faire : autre chose. Il s’était déjà associé avec Spielberg sur le tournage du premier Indiana Jones en 1981 (c’était d’ailleurs son idée à l’origine), et en 1984 puis en 1989 sortent donc le Temple Maudit et la Dernière Croisade. De 1992 à 1994 il va également lancer une série sur la jeunesse du héros.
Durant toutes ces années il va également produire plusieurs films et documentaires qui rencontreront plus ou moins de succès.
Mais pourquoi conclure la saga au Retour du Jedi ? Et bien au-delà du fait qu’il aurait pu avoir envie de faire autre chose que Star Wars de sa vie, son divorce avec sa première femme lui a coûté la moitié de sa fortune. Par ailleurs le travail qu’il a réalisé sur la trilogie l’a laissé littéralement épuisé, son médecin l’avait déjà diagnostiqué comme souffrant d’hypertension artérielle durant la postproduction d’Un Nouvel Espoir, puis, ayant décidé de s’auto-produire sur l’Empire Contre-Attaque et sur le Retour du Jedi grâce à l’argent qu’il a acquis avec le premier film pour rester indépendant vis-à-vis des studios, il se rendit compte qu’il lui était humainement impossible de cumuler les fonctions de production et de réalisation et délégua donc la seconde tache à Kershner et Marquand.
A l’origine le VI ne devait s’achever que sur la mort de Vador et pas sur celle de l’Empereur, les films suivants devant développer son personnage et permettre à Luke de devenir un maître Jedi et de former sa sœur jumelle aux arts Jedi (sœur jumelle qui n’était pas encore Leïa à cette époque, rendant leur baiser dans le V moins perturbant). Ensemble ils auraient vaincu l’Empereur dans un duel épique. Duel que les moyens de l’époque ne permettait malheureusement pas de réaliser, mais Lucas se doutait que le développement technologique des années à venir lui permettrait un jour de le réaliser. Mais ne pouvant en être certain et avec le poids de tout ce que j’ai expliqué précédemment, il décida de faire une pause avec Star Wars en attendant que la technologie qui lui permettrait de réaliser ses rêves soit prête.
Sauf qu’il ne pouvait pas laisser les fans attendre 20 ans avec un cliffhanger, il décida donc de tuer l’Empereur et de faire de Leïa la sœur de Luke pour conclure les différents fils narratifs qu’il avait entamé. Mais il ne renoncera pas pour autant à faire de nouveaux films Star Wars une fois qu’il aura les moyens de ses ambitions.
Cependant cela nous ramène à la question que j’ai énoncé plus haut : que faire ensuite ? Le voyage du héros de Luke étant terminé il n’y a pas d’intérêt a le développer davantage, quand au combat de la Rébellion contre l’Empire il n’a plus aucun intérêt : raconter l’effondrement de l’Empire, la traque des seigneurs de guerre qui lui resteraient fidèles, l’avènement de la Nouvelle République, tout cela pourrait faire de bonnes histoires mais pas nécessairement des histoire où la présence de nos héros serait requise, la guerre étant déjà pratiquement gagné.
En effet comment générer la moindre tension dramatique sur le sort de nos héros maintenant que l’ombre de Vador ne plane plus sur eux et que l’Empereur est mort ?
Le mariage d’Han et de Leïa ? La naissance de leurs enfants ? Ce ne serait pas inintéressant si se marier et avoir des enfants n’était pas quelque chose qu’on fait en temps de paix, or dans Star Wars le « Wars » ne veut pas rien dire.
Le principal problème c’est que les personnages ayant déjà obtenu leur happy ending, on ne peut pas raconter d’histoire intéressante sans leur priver de cette happy ending et on ne peut pas non plus les faire évoluer sans les faire régresser du point où ils se trouvent.
Certes le premier film aussi avait une happy ending, mais c’était une fin ouverte qui laissait place à une suite. Ici en revanche elle est fermée.
La seule solution serait donc de mettre en scène les aventures de nouveaux héros, de préférence une autre génération qui aurait à affronter ses propres défis et adversaires, et dont on aurait pas besoin d’expliquer l’absence durant les événements des films précédents. L’histoire de la formation du Nouvel Ordre Jedi par Luke aurait pu faire l’affaire, mais encore une fois : qui pour se substituer à Dark Vador ?
Un ancien second couteau et militaire de génie ayant réorganisé les forces impériales restantes et cherchant à se tailler un bout de territoire dans les bordures de la Nouvelle République ? Plausible mais pas assez menaçant. (Surtout pour les utilisateurs de la Force)
L’Empereur revenu d’entre les morts ? J’ai comme l’impression que l’idée n’aurait pas plu à tout ceux qui n’étaient pas fan de base du personnage. Un peu simpliste sur le principe il est vrai (pour un film en tout cas, pour un comics ça passe).
Et puis bon c’est pas comme si George Lucas pouvait tout simplement faire surgir de son chapeau un nouveau méchant encore plus puissant que l’Empereur avec pour le seconder à la tête des Vestiges de l’Empire (qui seraient étrangement devenus plus puissants que l’Empire au sommet de sa gloire) un jeune wannabe Dark Vador, parce que même avec une trèèèèèèès bonne explication ça ferait un peu gros à avaler quand même (alors sans AUCUNE explications je vous dit pas…)
Une bonne idée serait de créer des dissensions internes au sein de la Rébellion provoquant un nouveau conflit entre deux (ou plusieurs) idéaux différents qui étaient au départ unis par l’ennemi commun que représentait l’Empire, et ensuite étendre ces divisions au Nouvel Ordre Jedi de Luke qui hésiterait à choisir un camp dans cette nouvelle guerre, provoquant un schisme au sein des Jedi.
Ou alors un ennemi totalement nouveau et original, peu importe que ce soit un puissant royaume conquérant autrefois tenu en laisse par l’Empire et qui le voyant s’effondrer décide d’en profiter pour s’emparer de la Galaxie, ou un envahisseur extragalactique qui attendait simplement son heure pour frapper.
Donc oui on peut faire de bonnes choses avec une jeune génération, mais le problème c’est qu’en remplaçant les anciens par les nouveaux il y a un risque : détruire la portée de la victoire du VI, l’intérêt du conflit décrit dans la première trilogie ainsi que l’héritage laissé par nos héros.
Car voilà il faut bien l’admettre à un moment où à un autre : Star Wars a un début, un milieu et une fin.
Il n’y a pas besoin d’en faire plus, et on ne devrait pas en faire plus si on ne veut pas que l’histoire qui nous est racontée depuis trois films ne perde son importance et ne devienne juste une historiette secondaire au sein d’un univers devenu trop vaste. De même l’introduction d’une flopée de nouveaux personnages réduirait le rôle et l’impact des personnages originaux et rendrait leurs actions et leurs luttes, sinon inutiles, tout à fait subsidiaires.
Pour bien comprendre la décision que Lucas va alors prendre une rétrospective s’impose : six ans auparavant à la sortie du premier film, on ne savait rien de cette Galaxie lointaine, très lointaine. On nous parle d’une guerre civile, d’un Empire, d’une arme ultime, d’une princesse et puis on débarque au beau milieu d’une course poursuite suivie d’un abordage. On a ces deux robots en train de se disputer auxquels on s’attache tout de suite et dont on va suivre les aventures et comment ils vont échapper aux forces impériales après que la belle princesse Leïa ait confié quelque chose au plus petit des deux. Puis on a cet être sinistre vêtu de noir à la respiration mécanique sinistre qui débarque et qui intimide tout le monde mis à part Leïa, on apprend de nouvelles informations sur un Sénat Impérial et sur les rapports de force entre la Rébellion et l’Empire. On voit aussi que Vador est intelligent vu qu’il comprend immédiatement que la Princesse a caché les plans dans la capsule.
On suit nos deux robots, leurs disputes, et leurs mésaventures avec les locaux jusqu’à leur rencontre avec Luke, Luke auquel n’importe quel adolescent cherchant à s’autonomiser de ses parents peut aisément s’identifier, Luke qui est également très attachant avant même qu’il n’ai prononcé un seul mot à cause du thème musical qui lui est associé. Mais Luke aussi sympathique qu’il puisse être vit dans un univers totalement différent de ce que l’on connaît, certes grâce à Luke il peut nous sembler familier, mais avec ses deux soleils, ses hologrammes et son lait bleu il ne l’est pas.
Bon je vais passer le reste jusqu’au moment où l’on arrive chez le vieux Ben Kenobi qui nous parle d’un age d’or, de chevaliers Jedi, de l’Ancienne République, d’une « Guerre des Clones » (Guerre Noire en vf), et de l’Avènement de l’Empire. On en apprend plus sur Luke et ses origines en apprenant que son père était lui-même un chevalier et qu’il a été trahi et assassiné par Dark Vador.
Tout ça pourrait constituer une bonne histoire.
Retour en 1983, six ans après cette révélation on en sait beaucoup plus : Vador est en fait le père de Luke, Leïa est sa sœur, on en a également appris plus sur les Jedi et leur philosophie, ainsi que sur le mystérieux Empereur responsable de l’Avènement de l’Empire et de la chute d’Anakin Skywalker pour devenir Dark Vador. Sauf qu’avec tout ça on ne sait toujours rien.
Qui était la mère de Luke et Leïa ? Comment les Jedi qui « pendant des centaines de générations ont su défendre la paix et la justice » ont-ils pu disparaître ? Quelles sont les circonstances exactes du basculement du Côté Obscur d’Anakin Skywalker pour devenir Vador ? Quelles sont les causes profondes de sa rédemption soudaine à la fin du Retour du Jedi ? Pourquoi Obi-Wan et Yoda n’ont pas essayé de former d’autres Jedi à la Force ? Pourquoi les enfants de Vador sont-ils si importants pour l’Empereur comme pour les Jedi ? Comment l’Ancienne République a-t-elle disparue et l’Empire s’est-il formé ? C’est quoi la Guerre des Clones ?
Tout ce que je viens de dire n’a l’air de rien sauf qu’en fait je viens de démontrer pourquoi sur le principe nous n’avions pas besoin d’une suite au Retour du Jedi et pourquoi il aurait mieux fallu l’éviter, tout en révélant en quoi un (ou des) préquel(s) au premier film pourrai(en)t être intéressant(s). Raconter l’histoire menant aux événements de la première histoire, ne réduirait pas son importance bien au contraire elle la soulignerait. En voyant comment Anakin a succombé, cela élèverait la décision de Luke de ne pas succomber, en voyant comment celui qui deviendrait un jour l’Empereur a vaincu l’Ancienne République et les Jedi, cela rendrait sa défaite d’autant plus retentissante, en voyant l’age d’or de la République cela rendrait son retour bien plus émouvant. Faire une série de préquels répondrait non seulement à toutes les questions qu’on se pose sur Star Wars, enrichirait un univers sur lequel on ne sait pratiquement rien, renforcerait l’impact de nos héros et de leurs actions en donnant une importance nouvelle à l’histoire de la Trilogie Originale, mais surtout elle lui offrirait plus de profondeur.
C’est donc tout bénef.
Pourquoi je raconte tout ça ? Parce que certains continuent d’affirmer qu’on avait pas besoin de prélogie et que Lucas aurait dû faire une suite au Retour plutôt que de regarder en arrière en expliquant des choses dont on avait pas besoin de savoir et en se concentrant sur le passé. Je viens de démontrer que ces gens là ont tort.
Je viens aussi de démontrer que si faire des préquels n’était pas une décision qui était nécessairement motivée par l’argent, car elle permettait à Lucas de terminer ce qu’il avait commencé en bouclant une boucle et de répondre a des questions auxquelles les premiers films ne répondaient pas, la décision de faire des séquels elle l’est nécessairement.
Je viens donc de prouver que sur le plan théorique ainsi que dans le principe les préquels sont nécessairement meilleurs que les séquels, comme ce post est déjà suffisamment long j’aborderais dans une troisième partie en quoi ils sont meilleurs dans la pratique, et rassurez vous :
Lenidem a écrit:1) Les Jedi de la Prélogie (ou pré-Luke pour être exact) sont des connards, et oui ça inclut (bien que dans une moindre mesure) Ben et Yoda
Là, faudrait m'expliquer. Psychorigides, oui, certainement. Mais connards ? Ils cherchent (sincèrement, eux) à protéger la paix dans la galaxie, et... c'est tout. Ils aident et escortent les gens. À part ça, ils n'ont pas de vie, ne possèdent apparemment rien d'autre que leur sabre, leurs vêtements, et leurs quelques gadgets de Batman - plus un temple. Ils sont faillibles, ok. Mais si ça suffit à en faire des connards, alors personne sur Terre n'est gentil.
Je n’oublierais pas se traiter de ce point.