Ahem, ahem... On a mis un sondage.
C'est tout.
Du moins, c'est ce que vous pourriez penser, si vous n'aviez jamais entendu parler de logique commerciale. Omurah et sommes en effet payés au mot (nous avons un quota)
Et il se trouve que Nescafé vient de nous proposer des parachutages de café noir et de LSD, donc BAM.
Le truc est en dessous, hésitez pas à sortir les fourche et les flambeaux

Spécial 1 : Rêveries (1/3)
—Détective Thorn !
Affolement de cœur. Brusque inspiration.
L’individu en question se leva brutalement, manquant de renverser le bureau marron sur lequel il était assoupi il y a de cela quelques secondes.
Essuyant d’un revers de manche —sans aucune considération pour son costard bon marché, de toute façon déjà sale— la bave qui coulait au coin de sa lèvre, il fit un effort pour se tenir droit devant sa supérieure, suffisamment énervée pour le dissuader de faire de l’humour.
Surtout quand la force de combat de ladite demoiselle était suffisante pour qu’elle lui brise la colonne vertébrale en lui tapotant le dos un peu trop fort. Les risques du métier.
—Capitaine Sangcho ! En attente d’ordres capitaine.
Il retint de justesse un rire nerveux en prononçant le nom de la femme lézard qui se tenait devant lui. D’une part à cause de son caractère, étant donné qu'elle envoyait toujours balader, littéralement et d’une seule main, les imprudents qui l’invitaient à sortir, et d’autre part car, encore en contradiction avec son nom de famille, elle était une créature reptilienne, par conséquent au sang froid.
—Nous avons un autre cas, détective. Encore. Code cinq.
—Capitaine, sauf votre respect, est-ce vraiment une bonne idée de m’envoyer là bas ? C’est le 23ème en quatre ans, et aucune de nos investigations n’a jamais…
Le regard glacial de la demoiselle aux écailles brunes stoppa net ses jérémiades. Le code 5 était utilisé pour désigner les meurtres en série vraisemblablement commis par une organisation dont ils n’avaient pas saisi le moindre membre.
Et il n’était pas compliqué de savoir de quelle affaire il s’agissait étant donnée qu’il n’y en avait qu’une, une seule qui comptait 22 cas pour 22 cadavres. Jusqu'à aujourd’hui.
Le détective Thorn savait très bien ce qui allait arriver. Il allait se rendre sur les lieux du crime, disperser les curieux, qui s’agglutinaient toujours devant les bandes jaunes et noires de la police, demander en vain si il y avait eu des témoins, chercher la pièce en évitant le plus possible de regarder le cadavre horriblement mutilé, photographier le D stylisé peint au mur ou au sol et rentrer chez lui boire un verre de whisky de la planète Corilia, en se demandant comment les gens faisaient avant l’Apocalypse.
Se mettant en route, tout en répondant distraitement par des « Hmmm hmm » aux instructions du capitaine, qu’il n’écoutait absolument plus, il repensa à la situation du monde. Des mondes.
L’Incident s’étant produit il y a quasiment quatre-vingt ans, Il faisait parti de ceux nés dans l’Après. Dans sa vingt-neuvième année, il n’avait même pas connu la période de restructuration. Juste une paix, une paix calme, presque immaculée, protégée par l’unité de défense intergalactique, ou juste l’UDI, comme tout le monde l’appelait. Une grosse majorité des planètes connues était fédérée par la cours intergalactique, et au sommet de tout ça, le grand chancelier, qui possédait à lui seul une grande partie des pouvoirs exécutifs et législatifs.
Il avait intégré le service d’investigation à vingt ans, pensant pouvoir vivre une vie tranquille, loin des conflits. Car la police, et encore plus le service de criminologie, n’avait plus rien à faire depuis des décennies, sinon la circulation. Quand un crime était commis, ce n’était pas par un citoyen, mais par un séparatiste, un anarchique, extérieur au système, et ne portant pas de bracelet inhibiteur.
— Détective Pierce Thorn : utilisateur autorisé. Décollage sous protocole deux. grésilla ce que l’on aurait pu prendre pour sa montre.
Maintenant enveloppé d’une fine couche d’énergie translucide, le détective prit son envol, un privilège maintenant jalousé, en direction de la scène de crime.
Bien évidemment, cette tranquillité avait un prix. Il y a une cinquantaine d’années, cinquante-quatre pour être précis, le conseil avait voté la greffe de matériel « de contrôle des peuples » suite aux révoltes de la planète Sombrage, qui avait progressivement mené à une guerre civile sanglante, réprimée au bout de trois longues années de combats.
Ce dispositif, vivement controversé au sein du conseil lui-même et menant à la démission du dirigeant de l’époque, et à l’accessoire rayure de son nom des livres d’histoire, permettait de moduler le ki de son porteur, et de le stabiliser à un niveau de 15 unités, et 150 unités pour les forces de police.
Ou dans son cas, cela impliquait surtout une non diminution, ses 79 unités le classant dans la moyenne des forces de l’ordre, le plafond n’étant atteint que difficilement par la capitaine et le commandant en chef.
Grâce à ce dispositif, les crimes causés par les citoyens s’étaient faits extrêmement rares, lui garantissant une vie plutôt facile, à l’exception de l’affaire sur laquelle la police s’embourbait.
—Et pas moyen de la refiler à l’UDI, celle-là , renifla-t-il, mécontent d’avoir été interrompu pendant sa sieste. Ils n’acceptent pas les affaires criminelles tant que les cas ne sont pas interplanétaires et de classe S.
L’autre conséquence, c’était que les gens arrêtaient de disparaître, comme jadis où des civils, des sportifs de haut niveau, des soldats, et même de gros animaux extraterrestres… se volatilisaient parfois de manière totalement inexplicable. Des scientifiques avaient bien établi une théorie liée au niveau d’énergie - théorie encouragée par la corrélation supposée entre port de bracelets et cessation des disparitions - mais cette thèse était invérifiable en pratique, la technologie d’augmentation artificielle du ki se cantonnant au stade théorique.
La scène de crime se situait en bordure de la ville. Ville, qui avait subi une croissance incroyable en une centaine d’années, couvrant près de trente fois la surface de l’originale Satan City. Le champion était d’ailleurs décédé il y a une quinzaine d’années, son mémorial rassemblant annuellement des millions de personnes.
—Hey Bob. Tu as du nouveau ce coup-ci ?
Le dénommé Bob ne daigna pas lever un sourcil, comme absorbé par la cigarette saveur tabasco qu’il mâchonnait. Au moins, c’était efficace pour repousser la populace, qui s’agglutinait toujours autour de chaque scène de crime. Il ne pouvait pas leur en vouloir, profiter d’une petite variation dans leur monde réglé comme un métronome.
Mais saveur tabasco. Quelle faute de goût.
—Va falloir être plus spécifique que ça, Thorn. Tu parles des nouvelles en général, du carnage à l’intérieur, ou du furoncle qui pousse sur mon postérieur ?
—Si tu étais un peu moins prompt à parler de ton derrière, peut-être que le capitaine accepterait une de tes invitations à diner, Bob. fit le détective, gêné, sachant parfaitement bien que c’était faux.
—Et peut-être que si tu délogeais le balais qui pousse dans le tien, peut-être que tu aurais déjà trouvé une copine aussi. grommela son interlocuteur, agacé.
Touché.
—Pour répondre à ta question, j’en sais rien, si il y a quelque chose de nouveau. Mais c’est ton problème. Moi, j’garde la porte.
Le quinquagénaire bedonnant et mal rasé s’écarta alors de ladite porte, lui laissant entrevoir ce qu’avait été autrefois une sympathique maison de banlieue.
Et, comme d’habitude, même si il prenait ce dernier terme en horreur, il retint un brusque rejet de bile en pénétrant dans le couloir.
Non pas à cause de la vue du sang encore frais étalé un peu partout, luisant encore sur les murs, ni même à la vue de ce qu’il restait du corps, que l’on pouvait qualifier lui aussi d’étalé, mais à cause de l’odeur.
Odeur de sang, de divers fluides gastriques, de brûlé.
Et comme d’habitude, un grand D marqué au sol, avec une matière noirâtre qu’ils ne parvenaient pas à analyser.
Pointant son appareil photo-holographique émis par son bracelet inhibiteur, Pierce entreprit de photographier l’intégralité de la maison. 23 meurtres en quatre ans, commis par la même personne, ou le même groupe de personnes, leur signature ayant été cachée au public, de peur qu’ils ne fassent des émules.
— Ce coup-ci, c'est la main droite qui est introuvable… Est-ce que ce maniaque se prend pour un docteur Frankenstein ? murmura l’homme en costume rapiécé, juste pour lui-même.
Un reflet argenté parvint à attirer son attention, entre un foie et un boyau. Réprimant la nausée grandissante qui allait sans doute transformer son estomac en carburateur avec plus d’efficacité qu’une demi-douzaine de chimichangas sous peu, il attrapa du bout des doigts le bracelet inhibiteur tordu et souillé.
Le coupable avait donc retiré le bracelet de la victime, tout en ayant emporté la main ? À vue de nez, il manquait également une bonne partie de l’avant-bras, ce qui aurait dû comprendre la zone concernée par le gadget.
Au moins, cela leur apportait quelque chose. Le coupable emportait donc bel et bien les membres qui disparaissaient à chaque fois, ne les brulaient ou détruisaient pas immédiatement, ce qui était resté un mystère...jusqu’a maintenant.
Et il en avait suffisamment dans le crâne pour ne pas se faire pincer par la géolocalisation du bracelet, information connue seulement de la police et du conseil de la cours intergalactique.
N’empêche que c’était vraiment sinistre. Entre les volets fermés, piégeant le 23 ème meurtre dans la même obscurité symbolique que les précédents, le parquet grinçant péniblement à chaque pas —aussi feutrés soient-ils— combiné avec l’odeur, mêlant péniblement renfermé, sueur et relâchements gastriques post-mortem, l’habitation devenait un véritable cliché de film d’horreur. Pour un peu, il se serait attendu à voir apparaître Bagoul ou une famille entière de tordus immortels.
Gardant un oeil attentif sur l’écran plasma éteint, au fond de la pièce, le quasi-trentenaire entreprit de sortir de cette parodie de maison hantée.
À reculons, il esquiva de justesse le porte-manteau, fourbement placé près de la porte d’entrée, et trouva la poignée ronde à force de tâtons, songeant un peu trop tard que le coupable l’avait peut-être touchée avec ses mains sales.
Ils n’avaient jamais retrouvé ni empreintes ni ADN, mais l’idée était suffisamment dérangeante par elle-même. C’était la principale raison pour laquelle lui et ses prédécesseurs ne prenaient plus la peine de porter des gants, décision qu’il regrettait en ce moment.
—T’as fini ? J’ai appelé les nettoyeurs, ils seront là dans quelques minutes. De toute façon, rien de nouveau, si ?
—Va falloir être plus précis que ça Bobby. Tu parles des nouvelles en général, du carnage à l’intérieur, ou du furoncle qui pousse sur ton… se renfrogna Thorn, frottant vigoureusement sa main contre son pantalon, plus si noir depuis un moment.
Il fut coupé par son interlocuteur, qui supportait mal de se retrouver dans une situation d’arroseur arrosé.
—C’est ça, fais le malin. Tu riras moins en apprenant que j’ai trouvé quelque chose, moi.
—Quoi, un autre furoncle ?
—Exactement. Mais celui-là est beaucoup plus gros, et c’est pas fini, grogna-t-il en décalant sa corpulente enveloppe d’une cinquantaine de centimètres, suffisamment large pour avoir pu camoufler aux yeux de son jeune collègue une petite fille d’une dizaine d’années.
Ça, c’était effectivement beaucoup moins drôle. Quand l’unité de garde retenait quelqu’un au lieu de le dégager à coups de pieds, c’était soit la personne qui avait découvert la victime, soit un témoin.
Et vu l’état du corps, il ne souhaitait à personne d’être l’un ou l’autre.
Triturant toujours le tissu de son pantalon avec sa main droite, qu’il sentait sale maintenant, il s’agenouilla pour se mettre au niveau de la petite fille, dont les yeux entièrement bleus prirent une teinte plus proche du vert, signe de l’intimidation que le détective lui inspirait.
Il la comprenait d’un coté, si à son âge un homme mal rasé, cerné, et sapé comme un chômeur s’était approché de lui, il aurait sans doute stressé aussi.
Il fut quand même un peu vexé en se rendant compte qu’elle ne semblait pas réagir aussi mal en présence de Bob, qui était objectivement encore plus repoussant que lui et encore moins doué avec les enfants. Et qui avait troqué sa cigarette au tabasco pour une version wasabi.
—Très bien, euh… petite. Tu as vu quelque chose ? Ou c’est toi qui a trouvé Mr Johnson ?
Les yeux de la petite se teintèrent de rouge, ce qu’il interpréta pour de la frayeur. Depuis l’Après, les métissages étaient devenus de moins en moins rares. Mais pour que les yeux fassent office de boules disco, les parents avaient dû être particulièrement créatifs, d’autant qu’à part ça, elle avait l’air totalement humaine.
—J’ai vu… J’ai vu…
—…Oui ?
—Une pauvre tâche qui me manque de respect et qui va s’en prendre une si il continue à me parler comme à une attardée.
Ah.
Il jeta un regard furieux au garde, qui se retenait de se rouler au sol, hilare.
—Pour ta gouverne, jeune crétin, j’ai cinquante-trois ans. J’ai peut-être l’air juvénile pour un simple humain, mais ma mère fait partie de la race des Dandere. C’est vraiment pas étonnant qu’avec une telle incompétence…
Pierce se releva, soupirant. Cette fille redéfinissait l’expression de voir rouge. Autant le mélange des peuples s’était passé de manière assez calme, autant c’était probablement car on avait peur d’offenser son voisin. Entre ceux qui ne buvaient que du lait, ceux qui changeaient de sexe selon les saisons, et ceux dont la religion empêchait de travailler à chaque pleine lune, ça faisait un nombre impressionnant de conventions et de règles implicites à retenir. Et avec les métis, les variables explosaient, et les combinaisons possibles étaient quasiment sans limites.
—Reprenons. Enchanté, je suis le détective Pierce Thorn. Pouvez-vous madame nous apporter votre aide dans notre enquête ?
—Enchanté, détective crétin. Je suis Dorothea Delecti Dessera Doma. rétorqua la petite fille âgée, toujours vexée, les yeux ayant maintenant une couleur proche du jaune.
—Très bien Dorothea. Pouvons-nous maintenant…
—Delecti…
—Delecti Dessera Doma. J’aimerais maintenant vous poser quelques questions. Avez-vous remarqué quoi que ce soit ? Ou avez-vous une déposition à faire concernant le corps ?
—Le Doma est de trop c’est impoli. corrigea-t-elle, avant de vite poursuivre, le policier étant proche de se fracasser la tête contre un mur. Et oui, j’ai vu quelque chose, probablement le criminel.
Avec sa chance, c’était sûrement encore un signalement erroné. C’était arrivé deux fois. La première, un cambrioleur qui s’était évanoui en voyant l’état de la victime et qui avait alors été pris à tort pour le meurtrier.
La seconde fois, c’était un chat qui avait piqué un doigt sur le corps, et que l’on avait assimilé à un métamorphe. L’heure qu’il avait passée à interroger le félin avant que les analyses ADN n’arrivent avait probablement été l’une des plus embarrassantes de sa vie.
—Parfait, mais nous allons devoir prendre ça par écrit au poste. Je vais vous porter jusque là-bas. fit-il, las, préparant le protocole de vol.
—Impossible. J’ai le mal de l’air.
—Les Dandere ne sont pas une race capable de voler ? s’étonna Thorn.
—Peut-être bien, détective crétin. C’est mon coté humain qui souffre de vertige. J’espère que vous avez un abonnement valide, car on va prendre le bus.
—Je peux appeler un taxi, vraiment.
Bien qu’il n’ait jamais eu d’éléments de comparaison, les bus terrestres n’étaient pas des plus agréables. Les gens s’épargnaient souvent une longue description des transports en commun, disant simplement que lorsqu'on les empruntait, ça se sentait. Et de loin.
I~ ∞ I~ ∞ I~ ∞ I~ ∞ I~ ∞ I~ ∞ I~ ∞ I~ ∞ I~
Le jeune officier pressa mollement la touche enter de son clavier, les yeux vides, alors que le rapport s’archivait.
Un homme, avec un costume entièrement noir, masqué. Avec des arabesques rouge sombre sur le costume, et les membres, pieds et mains, couverts par les manches de la tenue. Un collier doré.
C’était le dessin reproduit par Dorothea, dont les très bons yeux lui permettaient une vision presque parfaite, même en pleine nuit.
Et le plus gros détail, qu’elle avait qualifié de dégoutant, l’homme masqué volait en position fœtale.
Voilà qui lui faisait une belle jambe.
Pour le moment, la chose la plus dégoutante à plusieurs kilomètres à la ronde, c’était lui. Car selon les anciennes traditions Dandere, s’assoir à moins de cinquante centimètres d’un mâle pouvait être considéré comme un des prémices à l’accouplement. Pas de taxi donc.
Au moins, il pouvait retourner à sa sieste.
Il croisa les bras, et enfouit sa tête dedans, appréciant le contact partiel, mais frais de son front sur le bureau, un des meilleurs remèdes au mal de crâne.
Il ferma les yeux, et, et…
—Détective Thorn !
Attaque cardiaque. Violentes inspirations.
Se cognant brusquement la tête sur le bureau de bois alors qu’il sursautait, il poussa un gémissement plaintif en se doutant qu’il allait encore devoir travailler.
—Détective, vous avez été… Mais pourquoi vous puez comme ça ?
Nouveau gémissement plaintif.
—Peu importe, reprit son capitaine, reculant à une distance respectable. Vous êtes demandés en bas.
—Par qui ?
—Un officiel.
Il avait trop mal au crâne pour questionner la femme-lézard, de toute façon.
Il se leva lentement, occasionnant au passage un craquement de son dos qui arracha un rictus de dégout de la part de sa supérieure, et entreprit de descendre les marches qui le mèneraient jusqu’au rez-de-chaussée. Si son propre bureau était situé au premier étage — et il en remerciait les dieux tous les matins — le commissariat en comptait cinq. Le deuxième était réservé aux officiers gradés, le troisième à l’administration, et le cinquième de cafétéria.
Le quatrième avait été abandonné, il ne savait pas tellement pourquoi, et servait principalement de grenier, et était devenu tellement poussiéreux que personne n’ouvrait jamais la porte sans avoir au moins un bureau à se débarrasser.
L’armurerie était au sous-sol, mais ils n’en avaient eu besoin qu’une fois en vingt ans, et bien avant même son admission.
Et depuis la guerre civile, aucun UDI n’était venu fourrer son nez dans les affaires de la police. Pour qu’un officiel vienne directement les voir, et pire, le voir lui, ça signifiait quelque chose. Avec un peu de chance, ils venaient juste lui annoncer qu’ils prenaient l’enquête à leur charge.
« Si-il vous plait, prenez l’enquête à votre charge »
Prière muette, quoi qu’inutile, ça pouvait toujours l’aider à se sentir mieux. De toute façon, c’était soit ça, soit il était un criminel de classe S ou plus.
« Si-il vous plait, prenez l’enquête à votre charge »
Il ouvrit la porte, enfin, façon de parler puisqu’elle s’ouvrait toute seule. Mais ça l’aidait à penser qu’il gardait le contrôle sur la situation. Il ouvrait la porte. Il allait rencontrer l’officiel. Il acceptait de renoncer à l’affaire. Et c’était beaucoup mieux ainsi.
« Si-il vous plait, prenez l’enquête à votre charge »
—Agent Thorn.
Il sursauta presque en entendant la voix robotique de l’UDI. Il se redressa presque par réflexe, et esquissa un garde-à-vous, avant de se souvenir que ce n’était pas nécessaire. Si un membre de l’UDI était le supérieur hiérarchique de toutes les positions civiles ou militaires ne faisant pas partie de leur organisation, il n’avait pas d’autorité militaire sur eux.
Techniquement, il pouvait lui demander de se cacher dans une motte de terre en faisant des bruits de canard, mais pas de se battre.
L’UDI lui-même avait laissé sa combinaison grise métallique le recouvrir de la tête au pied, cachant son apparence physique dans un lieu public comme le voulait le protocole.
C’était en soi assez surprenant. Il avait vu beaucoup d’agents officiels lors de la visite obligatoire du collège, et il savait que la règle du « je suis une machine au service du système, Hail Skynet » n’était plus obligatoire que sur le papier. Et à ce qu’on disait, la combinaison était totalement imperméable, ne filtrant que la quantité requise d’oxygène pour son porteur.
En d’autres termes, la personne dans cette armure devait crever de chaud.
« Si-il vous plait, prenez l’enquête à v… »
—L’UDI prends maintenant l’enquête à sa charge.
Il se promit silencieusement de brûler un bâtonnet d’encens en rentrant à la maison. Peut-être deux.
—Mais les forces officielles vous réquisitionnent pour mener une opération liée sur PF-281, alias Tonilia.
Il se tint silencieux quelques secondes, incertain. Alors que le cortisol inondait son cerveau, il se jura de jeter un œuf sur le temple la prochaine fois qu’il passerait à côté.
—Sur ce, je vais…
—Attendez attendez, attendez ! s’écria le détective. Vous ne pouvez pas faire ça.
—Un peu que je peux troufion. La preuve, tu pars avec moi. fit l’UDI masqué, l’utilisation du familier détonnant totalement avec la voix robotique.
—Mais le paragraphe 52 du code…
—… possède l’importance d’un rouleau de PQ quand je le décide.
—C’est en opposition avec tout ce que vous défendez ! Si je porte plainte, vous allez…. continua le détective, paniqué.
—Tu ne peux pas porter plainte si je t’enferme dans ma cave car tu refuses d’obtempérer.
—Non, mais vous aurez à répondre devant des accusations de kidnapping.
—Et toi pour divulgation de secret d’état.
—Et toc ! Qu’est-ce que vous dîtes de… Quoi ?
—Ton rapport adressé aux archives contenait des informations classées. Maintenant qu’ils sont concernés, nous allons devoir retirer la police de l’enquête. Sauf, toi, puisque tu es impliqué, couillon.
Il ne se ferait jamais au discours familier prononcé avec une voix plus neutre qu’une tombe. Et une vieille.
—Et ça vous tuerai de m’expliquer ce qu’est exactement ce « ils », sinon l’impression grandissante que vous vous foutez de moi ?
La seule réponse qu’il obtint fut un long soupir, qui après le modificateur de voix, ressemblait plus au bruit désagréable de quelqu’un qui soufflait dans un micro. C’était, après tout, techniquement le cas.
Alors que Pierce restait planté comme un piquet, incertain quant à sa prochaine action, le QCM qui lui donnait le choix entre fuir, se cacher et se battre lui semblait soudainement rempli de fausses bonnes réponses.
L’UDI plaça son bras droit au niveau de sa poitrine, triturant son propre bracelet inhibiteur, lui d’une couleur dorée brillante. Soit le plus haut grade.
C’était presque devenu une distinction. Les civils portaient l’argent, la police également, quoi que dans un ton un peu différent.
Les membres du gouvernement avaient droit au rouge rubis, qui les limitait à 650 unités, même si beaucoup d’entre eux n’en avait pas l’utilité.
Les soldats de l’UDI étaient, eux, calibrés à 1100, mais affublés d’un jaune paille tant que le pallier n’était pas atteint, obtenant de plus en plus de « paillettes » quand ils approchaient de la limite. Au fil des années, c’était plus devenu un moyen de connaître qui avait la plus grosse qu’un système de rang propre et ordonné.
Ce qui faisait de son kidnappeur un king size virtuellement au-dessus des lois. Pas bon pour lui.
Il murmura quelques mots à son poignet, qui répondit par une série de bips stridents, avant de former une bulle translucide, légèrement rosée autour d’eux de deux mètres de large, les coupant hermétiquement du monde extérieur, avant de commencer à léviter, sans produire la moindre perte d’équilibre pour eux.
Alors que la bulle fonçait vers l’espace, l’UDI, d’une main, farfouillait dans son « sac à dos », une petite boule de métal qui l’accompagnait en voletant habituellement derrière lui.
Pour ce qui lui sembla des heures, le silence demeura intact, uniquement troublé par les distraites —et inefficaces— tentatives de l’agent d’attraper quelque chose au fond de la sphère.
—Nous pouvons parler ici. Début du briefing.
—…
—J’ai intercepté et effacé ton rapport pour la simple et bonne raison qu’il s’agit d’une description parfaite d’un membre du culte.
—Le… culte. Des extrémistes religieux ? Je croyais que c’était réglementé ?
—Ils ne prient pas les dieux que tu connais. Mais un dieu spécifique. Démigra. répliqua l’UDI, avant de sortir un petit paquet marron de la sphère à dos.
—Et ça les rend mauvais ? Les meurtres ce sont… des sacrifices ?
—Peut-être. On n’en sait rien en fait. Les seules informations qu’on a, elles datent de presque 70 ans.
L’UDI éventra le papier, pour découvrir un paquet de gâteaux, faisant au passage tomber une note, signée mamie.
—Le culte a été exterminé par les premières troupes de l’UDI, menées par l’archi-chancelière de l’époque.
—Mais vous en avez loupés.
Pour toute réponse, l’agent du gouvernement enclencha l’ouverture de sa combinaison au niveau de la tête, dévoilant une longue chevelure blonde et des yeux clairs, ainsi que des traits incroyablement fins.
Aussi bizarre que puisse paraître une tête de jeune fille —apparemment plutôt frêle— au-dessus d’un corps en armure lourde, le véritable choc consistait dans la marque des gâteaux secs que la guerrière engloutissait à grande vitesse, répandant les miettes sur le « sol » de la bulle, qui avait quitté l’atmosphère terrestre.
—Des Lucky Crunch ? Ça fait au moins quinze ans qu’ils ne sont plus commercialisés ! Comment vous avez fait pour…
—Ma grand-mère. fit la jeune fille en avalant bruyamment. Elle a volé la recette.
La fabrique de ces gâteaux légendaires avait été fermée il y a une quinzaine d’années, sous prétexte que les produits étaient cancérigènes. Personne n’avait rien pu prouver, et on suspectait une jalousie — ou une rancune — de quelqu’un de haut placé.
—…
—…
—T’en auras pas.
—J’en voulais pas de toute façon.
—Pour le culte, reprit-elle, alors que le dernier Lucky Crunch disparaissait, au grand malheur du détective, dans des bruits de mastications. On va simplement enquêter sur leur ancienne base. Si ça se trouve, ce n’est qu’un imitateur très informé. Un fan.
—Je ne suis pas un spécialiste en religion, mais c’est pas totalement stupide de revenir à l’endroit où ils ont été massacrés ?
—J’oubliais que les jeunes ne savent plus rien aujourd’hui. On vous apprend quoi à l’école sur l’Avant, ou la façon dont s’est déroulé le changement ?
Thorn se retint de faire la réflexion qu’il était probablement plus âgé qu’elle, se souvenant de l’incident avec Dorothea. Ne pas se fier aux apparences.
—Pas grand-chose. Catastrophes naturelles, quelque chose comme ça. Au fait, quel âge avez-vous, madame de l’UDI ?
—J’ai vingt-cinq ans. Même si je fais très mature, tu peux oublier le madame.
—Je t’appelle comment alors ?
—Maître ? fit-elle après quelques instants de réflexions, ne remarquant même pas le passage au tutoiement. Ou Lieutenant, si tu veux rester chiant. Bref, pour résumer, le responsable de… L’Accident, c’est un dieu.
—Démigra ? se risqua le détective.
—Bingo. Et ce culte, on suppose que c’était en quelque sorte ses disciples.
Thorn, imperturbable face au vide de l’espace qui défilait devant lui, alors que la bulle d’énergie filait vers sa destination, fronça les sourcils. Ça n’avait aucune logique. Comment un groupe de … moines ? Comment ces moines de Démigra pouvaient-ils causer le moindre problème aux forces de l’UDI, qui constituaient l’élite de l’univers, recrutés parmi la crème de la crème et entrainés depuis leur plus jeune âge ?
—Et cette affaire est secrète parce que vous vous êtes fait botter le cul ? En quoi c’est différent des affaires normales ?
—Contrairement à la guerre civile, où tout une planète peuplée de combattants s’était révoltée, les membres du culte sont très peu nombreux. Et leur force de combat est extrêmement faible. Seulement…
—Ils sont très avancés technologiquement ? Ou ce sont des maîtres de la guérilla ?
—Laisse-moi finir, grogna la blonde en armure, dont la voix était bien plus naturelle et fluide sans son masque. Ce sont des magiciens. Nous sommes tous limités à un niveau de puissance de 1100 et tout être plus puissant disparait sans laisser de traces. La magie en revanche, ne possède pas de limite, sinon qu’elle n’est pas acquise facilement.
—De la magie. Tu te paies ma tête non ? Si la magie existait, l’UDI posséderait déjà une division magique, et tu le sais mieux que moi. Ça se saurait.
La guerrière de l’unité de défense intergalactique se contenta de soupirer avant de ranger le paquet vide dans sa sphère de métal, songeant probablement au code qui l’empêchait de polluer l’espace, puis reprit la parole, articulant chaque mot sur un ton d’éducateur.
—La magie existe, mais pour une raison que nous ignorons, il est extrêmement difficile de s’en procurer. Contrairement au ki, qui est une énergie produite par le corps, le mana ne se régénère naturellement que de manière négligeable. Il faut utiliser un rituel plus ou moins compliqué pour l’attirer à soi. Mais depuis l’Incident…
Pierce ravala sa salive, déglutissant bruyamment. De la magie, pour de vrai ? Comme dans les films ? Il comprenait que les forces de l’UDI aient censuré le sujet. Et si les meurtres étaient la conséquence d’une malédiction démoniaque, c’était normal que la police piétine.
—Depuis l’Incident, poursuivit la jeune fille, les mages ne parviennent plus à recharger leur magie. Ils doivent utiliser des artéfacts déjà imbibés, comme des pierres ou des bâtons. Obtenir une goutte de mana est devenu quasiment impossible, et d’après ce que j’ai compris, la moindre petite étincelle magique demande des jours, des mois, ou des années de travail. Si je devais parier, je dirais qu’il y avait une entité ou un système derrière la gestion de la magie, et que pour une raison ou pour une autre, ça ne marche plus.
—Donc les forces de l’ordre se sont fait rôtir par des mages de chez Pôle Emploi ?
—Très drôle. Ni toi ni moi n’étions nés, mais les archives classifiées indiquent que nous avons subi de lourdes pertes, mais que nous étions parvenus à détruire leur cache d’artéfacts et éliminer la totalité du culte.
—C’est à ce niveau-là que ça ne colle pas, objecta le détective. Si vous êtes si sûrs de vous, pourquoi on va enquêter ? Et si la menace est réelle, pourquoi ne pas y aller en force ?
—Je ne sais pas non plus. soupira à nouveau la guerrière d’élite. Nous étions au courant pour ces meurtres depuis très longtemps, mais le QG a soutenu coûte que coûte la thèse du fanboy imitateur et nous a interdit d’intervenir. C’est ta description qui m’a fait bouger.
Thorn blêmit, comprenant immédiatement ce que ça impliquait, vibrant malgré lui. Ou peut-être était-ce la sphère entrant en contact avec l’atmosphère de la planète ?
—Ça veut dire que c’est une mission non-officielle ?! T’es complètement tarée ! Ramène-moi immédiatement !
Participer à une intervention illégale était une faute très lourdement punie dans le code civil et militaire. Si une simple amende —quoi que très élevée— était la norme si rien n’arrivait, sur un dossier classifié comme celui du culte, c’était la prison à vie assurée, si ce n’était pas la peine de mort.
— Calme-toi, on va seulement jeter un coup d’œil. Avec un peu de chance, ça sera bel et bien un imitateur. Et si on parvient à stopper une nouvelle fois le culte, tu auras assez d’argent pour prendre des douches avec pour le restant de ta vie. En plus, j’ai supprimé ton rapport et effacé l’historique de nos déplacements sur nos bracelets. Si c’est un coup d’épée dans l’eau, personne n’en saura rien.
Tentant de calmer son rythme cardiaque sur le point de le tuer pour la troisième fois de la journée, le futur criminel essaya de rendre la situation plus rationnelle. Il était en compagnie de la crème de l’UDI, bien plus performante que les unités d’il y a plus d’un demi-siècle. Même si il s’agissait d’un survivant isolé, cheveux d’or pourrait sans doute s'en charger sans trop de problème. Un mage sans magie, ça ne devait pas être si dangereux, si ?
Une petite secousse dans la bulle le coupa involontairement dans ses rêveries, et il en profita pour reprendre la parole.
— Très bien, lieutenant casse-cou. Autre chose ? Est-ce qu’on va devoir se battre contre un dieu ?
—Non, leur dieu a disparu, si tant est qu’il ait vraiment été un dieu. Mais pour répondre à la question que tu as oublié de reposer, non, ce n’est pas stupide de revenir dans le temple, affirma la guerrière, alors qu’une nouvelle vibration secouait leur moyen de transport.
—Laisse-moi deviner, une histoire de cimetière indien ? La Force est puissante là-bas ? ironisa le détective.
—Exactement. D’après les rapports, l’atmosphère spéciale renforce la portée et la puissance des sorts.
—Et comment c’est possible justement ce…
—Ta gueule c’est magique.
—Pardon ?
—C’est ce qu’on m’a répondu.
—En même temps, quand on est blonde, c’est… commença Pierce, vexé, avant d’être une nouvelle fois coupé par une secousse, bien plus forte que les précédentes.
—… C’est normal ça ? demanda-t-il, perdant d’un coup toute l’assurance qu’il pouvait posséder.
—Non. Quelque chose freine la bulle. Mais la puissance et la vitesse de la sphère varie avec celle de son utilisateur, donc ça ne devrait pas…
La suite de la phrase mourut dans sa gorge, alors que les parois qui les séparaient de l’atmosphère de la planète Tonilia se couvraient de flammes, se craquelant ici et là.
Thorn vit avec surprise son corps se couvrir d’une nouvelle barrière rosée, alors que sa compagne de voyage tendait une main toujours gantée vers lui.
Il tenta de hurler quelque chose, mais l’air lui manqua. Ballotté comme un fétu de paille dans un cyclone, le bouclier qui le recouvrait brisa la première bulle, laissant les flammes affamées s’engouffrer par le trou, dévorants la lieutenant de l’UDI, qui eut tout juste le temps de croiser les bras.
L’agent de police fut éjecté, sans même savoir dans quelle direction était le sol, tourbillonnant à grande vitesse.
Comment cela était-il possible ? Étaient-ils tombés dans un piège ? Mais comment une organisation, apparemment pas si détruite que ça, avait-elle pu installer un pareil système ?
Le temps sembla se figer.
Il pouvait voir le ciel orangé de la planète. Il pouvait voir les rayons rouges du soleil frapper le sable ocre. Il pouvait sentir l’air emplir ses poumons, sec, mais agréable. Il pouvait sentir la chaleur autour de lui, le soir sur la planète n’étant ni étouffant, ni glacé.
Il avait toujours aimé le silence.
Il observa, placidement, les multiples raies roses rechercher leur cible. Voilà donc ce qui avait abattu la sphère de voyage.
C’était plutôt joli, en fait.
Chacun des rayons laissait derrière lui une traînée scintillante, presque pétillante, formant des arabesques fascinantes quand plusieurs d’entre eux s’entrecroisaient.
Et lorsque l’un d’eux atteignait sa cible, ou effleurait un de ses semblables, il se consumait, laissant seulement une belle lumière mauve, légèrement bleutée, comme preuve de son existence.
Il essayait de ne pas y penser. La vie n’était pas comme dans un jeu ou un roman. Il ne résolvait pas les crimes. Il ne punissait pas les méchants. Il ne pouvait pas se rapprocher de la jolie fille. Il ne pouvait pas sauver la jolie fille. En fait, c’était la jolie fille qui avait tenté de le sauver, alors qu’il était resté paralysé.
Il essayait de ne pas penser à ce qui se passerait si un de ces beaux, mais tellement meurtriers missiles d’énergie venait à frapper son petit bouclier.
Il essayait de ne pas penser à ce qui se passerait si —non— quand son petit bouclier s’écraserait sur le sable.
Il essayait de ne pas penser à ce qui se passerait si il survivait au crash, et que l’astre était effectivement grouillant d’anarchistes sectaires.
Il essayait de ne pas penser à ce qui se passerait quand ils l’attraperaient.
Mais putain, qu’est ce que c’était dur.
Spoiler