Bon bon j'ai fini par finir ce chapitre qui a fini par se finir beaucoup plus loin que je ne l'avais prévu... enfin, au départ il se finissait assez vite, mais j'ai finalement préféré affiner certains passages, notamment la fin
En fin de compte j'en suis assez satisfait, et je finirai en commençant par quelques indications sur la prononciation de certains termes, que j'avais oublié de donner dans les chapitres précédents.
Tout d'abord, dorénavant j'écrirai "Qakhmius" (le continent où se passent les chapitres à partir du 6) et "Qakhlen" (la langue parlée sur ce continent), le Q correspondant à un r français et Qakhlen se prononçant "Qakhi ène". Aussi, pour les noms de lieux et d'habitants de cette région, on prononcera les c "sh" : Ciana se prononce "Shi ana" et dans ce chapitre, Cue-Limyos se prononcera donc "Shue-Limyos".
Voilà pour la parenthèse "phonétique"

Ensuite, comme à chaque fois que le délai a été long (c'est-à-dire tout le temps -__-'') je mettrai un résumé mais il faudra probablement survoler à nouveau les 11 premiers chapitres pour bien se ressituer et se remémorer les différents personnages. Aussi, pour ne pas ajouter à la confusion, je préciserai désormais la date des évènements au début de chaque PoV quand on change de jour en changeant de point de vue (ce qui va probablement arriver de plus en plus souvent), car il faut bien avouer que plus j'avance, plus la chronologie devient un beau foutoir à gérer >__< Et ce malgré les notes de chronologie que je garde en rédigeant mes chapitres... Donc c'est pour aider les lecteurs, mais aussi pour m'aider un peu moi-même.
Bon je crois que j'ai dit tout ce que j'avais à dire alors... enjoy
Résumé des chapitres précédents
Après avoir rencontré Vaki, un puissant Sarunin qui partage ses désirs de revanche et lui parle de Rivina, une organisation de Sarunins regroupant des gens comme eux, Kyôjô se dirige vers leur base secrète, à Kukai. Il doit d'abord pour cela traverser un des grands ponts jumeaux qui relient le continent Qakhmius à celui d'Onmu. Deux semaines plus tard, alors qu'il arrive à proximité du pont, il est rejoint par hasard par Marina, qui s'est évadée de la prison où elle était incarcérée. Sauvant Kyôjô d'un attaque de chasseur, elle lui propose de faire équipe jusqu'à la frontière nord de Sino, non loin de Kukai car elle a également quelque chose à y faire. Mais à peine entrés sur le pont, les deux fugitifs sont pris en chasse par plusieurs chasseurs...
Après que Kyôjô s'est séparé d'eux en emportant le Dragon Radar avec lui, Jin et Kina cherchent un moyen de le retrouver. Mais Kina s'évanouit au milieu d'Arata, et elle et Jin sont hébergés par une Sarunin et son enfant. Jin décide de retourner temporairement à la surface pour tenter de parler avec le mystérieux Sarunin qu'ils ont rencontré juste avant que Kyôjô ne se sépare d'eux...
Pendant ce temps, à Lumis, le Commandant Lyendith s'inquiète des dégâts humains que provoque un Sarunin, ainsi que des dégâts matériels causés par des attaques terroristes sur plusieurs villes depuis quelques jours. Le Lieutenant Dolann décide d'aller capturer le tueur pendant que Lyendith a des soupçons sur l'identité du commanditaire des attaques et commence à enquêter...
Et à Dorowen, Ciana constate qu'à peine sorti de l'hôpital, Hevi fugue de nouveau, mais décide cette fois de s'en laver les mains...
Chapitre 12
Rouge Sang 血の赤
11 Avril 1789
«Franchement, crier comme ça alors que ça grouille de chasseurs par ici... vous voulez crever ou quoi ?»
A contre-jour, on ne voyait pas son visage, mais il ne faisait aucune doute que c'était bien "lui". La même voix fatiguée, la même queue hirsute... et la même odeur de sang qui se dégageait de lui en permanence, indicateur de la quantité effrayante d'humains qu'il avait dû tuer. Sans dire un mot de plus, il disparut quelques instants après, comme si il ne s'était montré que pour vérifier que nous allions bien... Alors que Shani se frottait encore les yeux, je le repris sur mes épaules et sortis de la grotte sans même vérifier si des humains étaient à proximité. En fait, je ne craignais même plus d'être repéré par des chasseurs, comme conscient que ce type les éliminerait sur-le-champ... En sautant sur le toit de la grotte, je ne le vis pas au premier abord... pas plus en me retournant... quand une voix m'interpela de l'endroit où personne ne se tenait une seconde auparavant.
«Allons bon, c'est toi maintenant...
-Ah ! fis-je en sursautant légèrement. D'où... d'où vous sortez ? Je ne vous ai pas vu à l'instant...
-C'est rien, j'ai juste pris l'habitude de dissimuler ma présence. Et puis pas la peine d'être aussi formel avec moi, petit, on est camarades après tout. Moi c'est Vaki.»
Le ton de sa voix ne laissait pas vraiment penser qu'il venait de tuer froidement deux personnes. Il me parlait sur un ton presque amical, comme si de rien n'était, dans une position accroupie, ses avant-bras s'appuyant sur ses genoux. Il regarda un bref instant le gamin qui m'accompagnait d'un air interrogatif avant de se retourner vers moi.
«C'est la première fois qu'il sort de ce trou humide on dirait.
-"Ce trou humide"...? Tu parles d'Arata ?
-T'en fais pas petit... poursuivit-il comme si je n'avais rien dit en se tournant à nouveau vers Shani. Ça fait tout drôle au début, mais bientôt, tu ne pourras plus t'en passer...»
En prononçant ces mots, je crus apercevoir comme un léger rictus se dessiner au coin de ses lèvres... Cela ne dura qu'un instant. Avant qu'il ne poursuive à nouveau comme si de rien n'était.
«Je suppose que le type qui est venu ce matin était ton frère ? Vous ne vous ressemblez pas, cela dit. Enfin bref, si tu veux savoir où il est allé...»
Marquant une pause après un accès de perspicacité peu commun, qui bien qu'assez effrayant m'évitait pas mal de questions, il ferma les yeux quelques secondes avant de les rouvrir en poussant comme un léger soupir.
«... je n'ai pas envie de te le dire.»
Au moins, c'était direct. La phrase tomba comme un couperet, à tel point que mon cerveau mit quelques secondes avant d'en identifier chaque mot. Mais une fois que j'eus percuté, je m'emportai légèrement devant ce refus inexpliqué.
«P... pourquoi ça ?! Tu as parlé à mon frère, non ? Qu'est-ce que tu lui as dit ? Par où est-il parti ?
-Il est déjà loin à présent. Ton frère est parti là où la haine et la détermination qui l'animent pourront enfin lui servir. Ça ne regarde en aucun cas les gens comme toi.
-Ça ne me... "regarde pas" ?! m'interloquai-je avant de l'attraper par le col. Ecoute-moi, Vaki, je sais pas ce que t'as fourré dans le crâne de Kyôjô, mais je suis son frère, et je peux pas rester les bras croisés pendant qu'il va se faire trucider dans un combat perdu d'avance !
-C'est bien ce que je disais à l'instant... répliqua-t-il, sur un ton toujours aussi neutre. "Ça ne concerne pas les gens comme toi". Tu es naïf, tu sais ? Tu dis que tu ne vas pas laisser ton frère se faire tuer...? Pourtant tu as dû connaître les mêmes expériences que lui : tu sais que pour ton frère, pour tes proches, ou même pour toi, la vie d'un Sarunin peut s'achever du jour au lendemain. Un Sarunin qui foule la surface de cette Terre risque sa vie chaque seconde... alors qu'est-ce que ça change que ton frère meure dans un quotidien ordinaire ou dans sa quête ? Ne crois-tu pas que quitte à risquer sa vie, il préfère le faire en essayant du mieux qu'il peut de changer son destin ?
-Te fous pas de moi ! De quel changement tu parles ? Tu crois qu'il pourra changer quoi que ce soit, tout seul ? Risquer sa vie et la gaspiller inutilement sont deux choses différentes !»
Je venais de m'emporter violemment sans vraiment m'en rendre compte, mais lui gardait ce visage odieusement inexpressif, me laissant l'impression humiliante de parler à un mur... Puis une nouvelle fois, l'espace d'un instant, il montra un rictus à peine perceptible avant de répondre, sur un ton cette fois emprunt de cynisme...
«Tu as raison, petit... Mais dis-moi : "gaspiller sa vie inutilement", n'est-ce pas ce que tu fais en croupissant dans ces galeries sans aucun projet ni avenir devant toi ?»
Encore une phrase qui tombait comme un couperet. Ce type jouait clairement avec mes nerfs ! Et trop content d'avoir le dessus, il n'allait pas se priver d'en rajouter une couche.
«En parlant de vie gaspillée, il semble qu'il y en a une autre qui te tient particulièrement à cœur.... une vie fragile... ta bien aimée grande sœur, non ?»
Comme si j'étais incapable de répondre verbalement quoi que ce soit, mon poing s'abattit sur lui, chargé de toute la colère qu'il me faisait accumuler au cours de cette discussion. Le simple contact entre ce poing et sa cible provoqua une légère onde de choc... seulement ce n'était pas le visage de Vaki que j'avais frappé mais la paume de sa main ferme. Son visage était toujours aussi impassible, et il me regardait fixement dans le fond des yeux. Pour la troisième fois, un rictus éphémère se dessina à la commissure de ses lèvres. Qui était ce type ? Qu'est-ce qu'il était ? Il savait pour Kina, et il semblait anticiper la moindre de mes réactions...
«Ne l'as-tu pas senti ? dit-il en continuant à serrer mon poing dans sa main. Ce sentiment de bien-être et de puissance que l'on ressent, nous autres Sarunin lorsque la colère nous envahit... même un nourrisson comme toi ou le gamin qui t'accompagne peut déployer une puissance redoutable en laissant exploser cette colère.
-Qu... Qu'est-ce que tu veux que ça me fasse ? Change pas de sujet !
-Cette force que tu viens de déployer, poursuivit-il en ignorant ma réponse, est le résultat de la colère que mes diverses provocations ont fait monter en toi. Sache qu'elle ne représente qu'une infime parcelle de la rage qui fait avancer ton frère. Mais en la laissant prendre le dessus de la sorte sans la contrôler, on ne peut pas en tirer pleinement profit...
-Qu'est-ce que tu veux dire ? Que mon frère va dans un endroit où il apprendra à la contrôler ?
-Oh...? Tu commences à comprendre un peu, on dir...»
Cette fois, c'est lui-même qui interrompit brusquement sa phrase. La seconde qui suivit, je ne compris pas grand chose à ce qui se passa : je sentis quelque chose me pousser, puis un grand fracas sur le toit de la grotte... En reprenant mes esprits, je pus voir deux silhouettes derrière un nuage de poussière... Ce nuage dissipé, Un chasseur se tenait en face de Vaki... les yeux écarquillés... les deux pieds décollés du sol... l'avant-bras rouge de son adversaire traversant son abdomen...
«Attaquer par les airs en dissimulant sa présence... personne ne lui a donc appris que quand on vole on dégage toujours un peu d'énergie...?»
A peine eut-il le temps de finir sa phrase qu'un projectile fonçait dans sa direction. Il balança le corps pas tout à fait mort qui encombrait son bras comme un vulgaire déchet sur la trajectoire du projectile, le faisant exploser avec. Il observa nonchalamment les alentours avant de tendre le bras gauche... sa paume sembla s'illuminer, libérant dans une détonation sourde, pendant un bref instant, une étrange lueur... Une grande explosion souffla enfin un rocher à une centaine de mètres de là... Vaki se retourna, arborant un regard qui semblait plus rongé par le souci de savoir comment il allait nettoyer son bras que par le remord. Il se retourna vers nous, le visage plus que jamais vide de toute expression, comme une machine qui venait d'exécuter un programme automatique. En regardant à ma gauche, je pouvais voir à l'inverse le visage terrifié, tétanisé,incrédule de Shani... le gamin se réfugia derrière moi en poussant un couinement de terreur, n'osant pas regarder le Sarunin qui se tenait en face de nous...
«Ce... Ce monsieur... il m'fait peur !!! J'veux rentrer !!! J'veux rentrer...»
Comment ne pas le comprendre... Ce type ne semblait plus avoir en lui une once d'humanité, seul restait un côté bestial qu'il semblait parvenir à canaliser tant bien que mal. Tuer n'était guère plus qu'un simple réflexe : il n'y prenait ni plaisir ni dégoût. Il les tuait, c'est tout. Et oubliait leur visage l'instant d'après. Ce fut la première vision de l'enfant qui m'accompagnait dans le monde extérieur, de quoi lui ôter toute envie d'y ressortir un jour... Est-ce que Vaki voulait que mon frère devienne... comme ça ?
Il marchait lentement dans notre direction, le regard plus inexpressif que jamais, et ses cernes semblant plus profonds encore qu'une minute auparavant... s'arrêta net devant nous et soupira un grand coup.
«Ton frère doit se diriger actuellement vers Kukai, dans la région d'En, près de la frontière de Sino. Il est parti il y a quelques heures déjà...
-Kuk... attends, pourquoi tu décides de me le dire, tout à coup ? répondis-je, plutôt surpris par ce retournement inexpliqué.
-Tout à l'heure... je voulais surtout t'énerver un peu, pour voir ce que tu avais dans le ventre.
-C'est... tout...? Mais qu'est-ce qu...
-Mais ne te méprends pas, je ne retire pas ce que j'ai dit ensuite. Un gamin comme toi qui répugne même à tuer un humain est incapable de servir notre cause. Je te dis où trouver ton frère pour que tu fasses quelque chose de ta misérable vie : considère cela comme de la compassion. De toute façon même si tu le retrouves ça ne changera sans doute pas grand chose...»
Sur ces mots acides, il disparut sans demander son reste, me laissant avec au moins une information... Kukai, la frontière de Sino... c'était loin ! Qu'allait-il faire là-bas ? Le plus inquiétant était que nous étions sur le continent de Qakhmius et que pour aller sur Onmu il fallait traverser un de ces ponts gigantesques et surprotégés. Pour nous autres Sarunins, il existait des moyens de passer sous la mer pour aller d'un continent à un autre... mais butté comme était mon frère, il n'allait sûrement pas passer par Arata. Ça aurait été se trahir lui-même. Et les chances de nous rencontrer auraient été trop élevées.
Si il n'était pas parti depuis très longtemps, il n'était pas encore impossible de le rattraper ou de l'intercepter au niveau du pont. Mais je ne pouvais pas laisser Kina seule, et elle aurait pris trop de risques en m'accompagnant... Dans tous les cas, j'allais de toute façon devoir redescendre pour déposer l'enfant terrorisé dont je pouvais sentir les tremblements. Lorsque l'ascenseur m'eut déposé à l'entrée du couloir qui menait à Arata, je courus à toute vitesse jusqu'à chez Mirie, sous l'œil interrogatif des passants qui ne se souciaient de rien... La porte s'ouvrit. Shani descendit de mon dos et alla se jeter en pleurant dans les bras de sa mère, gémissant qu'il ne voulait plus retourner en haut. Derrière sa mère, deux prunelles pourpres encore mi-closes et légèrement cernées me fixaient, apparemment pas très lucides.
«Kina ! criai-je de surprise et de soulagement. Tu va mieux ?
-Jin...?»
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25 Avril 1789
Une aura inhabituelle avait retenti en bas de la tour... aucune doute, c'était bien ça ! En recevant l'alerte qu'un Sarunin tentait de traverser le pont, je fus partagé entre la frustration de savoir que moi et mon équipe devions nous y coller alors que nous avions pratiquement fini notre journée, et l'excitation d'avoir enfin un peu d'action dans ce boulot ennuyant à mourir. Cela faisait à peine six mois que j'étais chasseur, moi qui pensais que c'était un boulot plein d'action, de danger, d'adrénaline ! Mais je me retrouvais à jouer les gardiens de douane... Le chef avait gagné : j'allais la demander cette mutation ! Avec ma fiancée, direction le sud du continent, à Lumis ! Cette destination était certes le lieu de résidence du sublime Commandant Lyendith, qui cinq ans auparavant avait été mon professeur à l'école Son Gohan du nord de Drakheim et dont moi, ainsi que tous les garçons - et même des filles - de ma promotion étaient fou amoureux... mais c'était surtout une destination de rêve avec un climat très agréable et un confort de vie exceptionnel ! Elivae m'avait regardé bizarrement quand je lui en avais parlé...
«Lumis ? Ah oui, je connais... C'est vrai que tu n'as pas vu MADEMOISELLE LYENDITH depuis longtemps. Pardon, je sais que c'est pour le climat très agréable et le confort de vie exceptionnel que tu veux aller là-bas, n'est-ce paaas ?»
... m'avait-elle dit avec un grand sourire tout en fronçant les sourcils et en croisant les bras, un couteau de cuisine étrangement menaçant à la main. Etait-elle jalouse ? Bien sûr que non, elle n'avait aucune raison de l'être, elle savait bien que je n'aimais qu'elle ! Pourtant, j'avais senti comme une pointe de jalousie... mon imagination sans doute.
Mais avant de demander ma mutation, il fallait d'abord s'occuper du clandestin. Des, en l'occurrence. Le Sarunin était accompagné de ce qui semblait être un humain. En s'approchant, il s'agissait en fait d'une humaine, et pas n'importe laquelle ! Nulle autre que le Lieutenant Marina, en fuite depuis une dizaine de jours. Elle avait été arrêtée pour avoir aidé un groupe de Sarunin, et on la retrouvait essayant de traverser ce pont avec encore l'un d'entre eux... J'ignorais quelles pulsions suicidaires s'étaient emparées d'un haut-gradé comme elle, mais je n'étais pas d'humeur à essayer de comprendre le pourquoi du comment. Un Sarunin et une fugitive, tous deux potentiellement dangereux, avaient l'intention de rejoindre le continent d'en face, ils ne s'en sortiraient pas si facilement ! En nous voyant arriver, ils s'arrêtèrent de courir, mais ça n'était probablement pas dû à nos ordre de se rendre.
Le Sarunin, aux cheveux gris clair et vêtu d'une veste en fibres désuètes depuis une bonne décennie, agrippa une épée qu'il portait en biais dans le bas du dos. Son équipement plus que rudimentaire ne l'empêchait apparemment pas de se déplacer sans problèmes particuliers dans ces contrées septentrionales et froides en cette période de l'année... Il fallait dire que selon la rumeur, ces êtres vivaient profondément sous terre, ils étaient sûrement habitués à des conditions de vie rudes. Pourtant on n'avait pour l'heure trouvé aucune entrée menant à des galeries souterraines ou quoi que ce soit qui y ressemblât. En tout cas, tout le monde connaissait leur force effrayante, leur appétit vorace, mais aussi leur instinct inné de tueurs sans pitié ! J'avais toujours appréhendé le jour où je serais confronté à l'un d'entre eux... Celui qui se tenait en face de nous avait un regard glacial, montrant qu'il n'hésiterait pas une seconde à nous trancher en deux. Sa queue était déjà en grande partie sectionnée, il s'agissait probablement de celui qui avait été intercepté à un kilomètre de là dans l'après-midi. Mais à deux contre dix, les chances de victoire des deux criminels étaient réduites.
Très vite, il apparut qu'ils avaient l'intention de se battre chacun de leur côté plutôt que de combiner leurs efforts... cette imprudence allait nous rendre la tâche d'autant plus facile. Nous commençâmes par nous séparer en deux groupes, les acculant chacun d'un côté du pont. Le mien allait se charger du Sarunin. Roma allait attaquer de front, Tsekinae se plaça au-dessus de lui, prête à tirer, Nariki derrière lui, tandis que je me positionnai sur sa gauche. Sans vraiment réfléchir, notre cible attaqua le chasseur en face de lui d'un coup d'épée de bas en haut que Roma évita avant de riposter d'un coup de pied retourné qui ne repoussa l'ennemi que de quelques mètres. Mas le temps que ce dernier ne réceptionne sa chute, un coup de feu retentit d'au-dessus de sa tête, l'obligeant à esquiver en faisant un bond sur sa gauche, me laissant son dos ouvert. N'ayant pas de mauvais réflexes, il parvint à parer ma jambe gauche avec la lame de son épée, mais sa position me permettait d'atteindre facilement sa queue. Seulement, j'eus à peine le temps de pointer mon arme sur son point faible qu'il comprit mon intention et m'écarta aussitôt, manquant de me séparer de ma jambe au passage. Enfin de l'action comme l'attendais ! Ce Sarunin n'était pas à prendre à la légère, mais outre la fierté de faire mon devoir, l'excitation d'affronter un ennemi aussi redoutable était présente, quoiqu'on en dise ! Malheureusement trop présente chez certains...
Tsekinae, à peine plus âgée que moi, se laissa emporter par cette excitation et fonça sur l'ennemi sans réfléchir, faisant fi des instructions de Roma. Le Sarunin ne manqua pas cet excès d'imprudence et, après avoir évité son coup d'un pas sur le côté, fit passer sa lame au travers du corps de la jeune fille. Le temps sembla se figer un instant. Un instant pendant lequel je compris que l'excitation du premier combat était destinée à disparaître, dès lors que l'on comprenait ce que signifiait vraiment "être chasseur"... c'était aussi devoir s'attendre à être chassé. Tué. On nous l'avait pourtant enseigné durant notre formation, mais la mort d'un coéquipier en mission était quelque chose que l'on ne pouvait pas vraiment comprendre avant de l'avoir vu de ses propres yeux.
Les règles lorsque cela arrivait étaient claires : refouler ses émotions ; ne pleurer les morts qu'une fois le combat terminé ; ne pas poursuivre le combat avec l'idée de les venger, mais le mener à bien pour ne pas rendre leur sacrifice inutile. Et ne pas les oublier, en faisant en sorte que cela ne se reproduise pas. Tout cela je le savais parfaitement en théorie. Mais jamais je n'eus pensé cela si dur dans la réalité ! Je tremblais, empêchant tant bien que mal ma colère et ma tristesse de prendre le contrôle. Le temps que je réalise ce qui venait de se passer, l'assassin avait déjà retiré sa lame du corps de sa victime et Nariki avait réussi à tirer dans son bras droit. Avec un bras paralysé, le Sarunin fut moins à l'aise dans ses mouvements et Roma parvint à le désarmer. Etrangement, il fut comme pris de panique en voyant son épée glisser vers la bordure du pont et sur le point de tomber à la mer. Il se jeta par dessus bord pour la rattraper ; elle devait être très précieuse pour lui... C'est à ce moment que mon corps se décida à bouger. Je poursuivis le Sarunin, pensant qu'il avait plongé, mais mon menton fut accueilli par un coup de pied circulaire me projetant à plusieurs dizaines de mètres du bord du pont. L'ordure avait réussi à planter son épée sur le côté du pont en la rattrapant dans sa chute ! Légèrement sonné par ce coup, je parvins malgré tout à rester en l'air. Volant aussi vite que je pouvais pour rejoindre mes camarades, je constatai avec effroi que tous les membres de l'équipe affrontant le Lieutenant Marina étaient étendus à ses pieds, sans savoir si ils étaient morts ou assommés. Elle fit subir le même sort d'un revers de la main dans la nuque à Nariki, pas aussi chanceuse que Roma, que je vis chuter du pont et plonger dans la mer, dans l'incapacité de se rétablir... Sans m'en rendre compte, j'étais arrivé devant l'ennemi, ce dernier se tenant sur le rebord et tentant, dans ce qui ressemblait à un cri de rage, de m'asséner un coup d'épée horizontal que j'évitai de justesse en reculant. A cet instant, je ne pensais plus qu'à me tenir à distance, tétanisé et incapable de lutter. D'un coup, toutes mes forces s'étaient estompées. Le Lieutenant Marina semblait conscient de tout cela, et bien que capable de voler, ne pris même pas la peine de venir vers moi. Elle ne fit que prendre un air surpris, presque choqué, et détourner les yeux avec ce qui ressemblait à une expression de dégoût.
Je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait... Pourquoi tombais-je...? Pourquoi ma vu se troublait-elle...? Pourquoi avais-je le goût de mon sang dans la bouche...? Pourquoi ne sentais-je plus rien...? Pourquoi le bas de mon corps ne tombait-il pas au même endroit que le haut...? Pourquoi faisait-il si sombre...? Pourquoi le visage souriant d'Elivae apparaissait-il dans ma tête...? Etait-ce donc ça... qu'on appelait la...
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12 Avril 1789
Il pouvait bien fuguer ce sale gosse, moi ça ne me regardait plus ! Je n'avais aucune idée de ce qui le poussait à fuguer alors qu'il se remettait à peine de blessure quasi-mortelles, ni de l'endroit où il se dirigeait, et à dire vrai je m'en fichais complètement ! Cette fois qu'il ne comptât pas sur moi pour venir le chercher si il tombait sur un Sarunin plus fort que lui ou je ne sais quel animal géant ! Et puis j'avais autre chose à faire que d'aller le chercher, j'avais mes études moi ! Non, cette fois, il n'était pas question que je bouge le petit doigt pour lui...
C'est ce que je me disais sans arrêt... Ça ne m'avait au final pas empêchée de le suivre malgré tout pour une raison qui m'échappait. A la tombée du jour, prétextant que j'allais prendre l'air, je m'habillai chaudement, et sortis à nouveau du pays, traversant la montagne aux oiseaux et passant à l'Est de la ville de Lumis. Ne portant pas de boulet sur mon dos, je pouvais traverser l'axe routier relativement discrètement. J'apercevais Hevi loin devant moi, et même si il marchait assez vite il ne semblait pas particulièrement pressé... Mais comment pouvait-il traverser les plaines de Chiyuki en étant aussi peu vêtu ?! Une brise fraîche - autrement dit glaciale dans cette région - soufflait et mes épais vêtements peinaient à me réchauffer suffisamment. Hevi se mit à voler après deux heures de filature... Je fis de même pour continuer à le suivre, mais il accéléra... M'avait-il repérée ? En tout cas, il continuait sa route, de plus en plus vite, et dès le lever du jour nous étions sortis de Chiyuki. J'étais épuisée et il commençait sérieusement à me distancer, quand nous arrivâmes à l'entrée petite ville. Hevi s'envola jusqu'au toit de l'immeuble le plus élevé de cette ville, où il atterrit. Je sentis dès lors un total relâchement de son aura, comme si il baissait sa garde... Je restai à une centaine de mètres de l'entrée pendant plusieurs minutes, mais il ne semblait pas bouger de là, et son aura était faible... Est-ce qu'il piquait un somme sur ce toit...? Non, impossible, même lui n'était pas je-m'en-foutiste à ce point ! Tant pis, cette ville ne semblait pas très surveillée, je n'avais qu'à aller vérifier ce qu'il en était. Et puis j'étais surtout morte de faim d'avoir volé toute la nuit... Avant même que j'esquisse un pas, un léger clic se fit entendre derrière moi
«C'est une très jolie queue que tu as là, jeune fille. me dit ironiquement la voix de la femme qui me tenait en joue.
-M... Merci... B... Bien, je vais peut-être rentrer à la maison, moi... répondis-je idiotement en souriant.... ou pas.
-Et on peut savoir ou c'est, "chez toi" ?»
Visiblement, cette Chasseuse n'avait pas envie de plaisanter.
«Des attaques terroristes ont été perpétrées par des Sarunin dans plusieurs villes ces derniers temps. Je suppose que tu es au courant.
-J'en ai... entendu parler...
-Dans ce cas tu vas nous en parler bien au chaud dans une cellule.» dit à son tour une autre femme qui atterrit devant moi, posant son doigt sur une sorte d'oreillette.
Mais qu'est-ce qui m'avais pris de suivre ce garnement ? A cause du froid et de la faim, je n'avais même plus penser à dissimuler ma queue, il était évident que je serais visible comme un nez au milieu de la figure...
«QG ? Ici l'équipe de Rizae... Oui, on en a ferré une à 100 mètres de la ville... Cheveux gris et courts, yeux noirs, je dirais entre 15 et 18 ans... Elle est assez bizarre pour un Sarunin, ils ne s'habillent pas aussi chaudement normalement... Ils en ont pas besoin... Compris, chef, on va la mettre au frais en attendant de trouver des infos. Ah ? "Cue-Limyos" ? On sait pas si il est lié aux terroristes... oui, je comprends... vous souhaiterez bonne chance au Lieutenant de ma part. Terminé.»
Elle avait fini sa phrase avec un semi-sourire, presque sarcastique. C'était qui ce "Cue-Limyos" ? Un Sarunin sans aucun doute... Avec un surnom pareil, il devait être effrayant. Cette Rizae posa les yeux sur moi et attrapa sur sa ceinture trois petits anneaux metaliques. Elle comptait faire quoi avec ça ? Pourquoi attrapait-elle ma queue comme ça ? Une douleur subite et violente parcourut tout mon corps, et je me trouvai au bord de l'évanouissement après avoir poussé un cri qui avait dû raisonner dans toute la ville voisine. Toutes mes forces s'en allèrent sans demander leur reste, me laissant comme une loque sans défense... je pouvais voir un petit anneau autour de l'extrémité de ma queue... était-ce cette chose qui me vidait de mes forces ? Je ne m'étais jamais sentie aussi mal... je n'avais jamais eu aussi mal tout court...
«Elle est vraiment pas résistante pour un Sarunin, ils crient pas comme ça d'habitude... elle comptait vraiment attaquer la ville ?
-Il vaut mieux ne pas prendre de risque, même si elle a l'air faible. Mets-lui les deux autres, on l'emmène à Xaian'.
-Elle est dans cet état avec un seul anneau, si j'en mets deux de plus elle y survivra pas, si ?
-... Pas faux, deux ça suffira pour elle.»
J'entendais à peine leur voix... je l'entendais mais étais trop faible pour l'écouter... lorsque le deuxième anneau enserra ma queue, je n'avais même plus assez de force pour crier et perdis connaissance, impuissante... mais dans quoi m'étais-je embarquée...?
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25 Avril 1789
J'étais certain que mon adversaire avait évité mon coup, mais c'est à ma grande surprise, et aussi à la sienne, que je vis son corps se séparer en deux. La vitesse du mouvement et la colère qui m'habitais à ce moment avaient probablement troublé ma vision... Reprenant mon souffle et rangeant mon épée, je jetai un dernier regard sur le corps de la jeune humaine étendue au sol, vérifiant si besoin était si elle était bien morte. Elle l'était, évidemment. Mais on ne pouvait pas en dire autant de tous ceux qui avaient attaqué Marina, visiblement assommés, de même qu'une des chasseuses que j'affrontais... Cette clémence ne fit que renforcer la méfiance déjà bien ancrée en moi envers la "fugitive". Alors que je m'apprêtais à reprendre ma marche, je m'arrêtai quelques pas plus loin, constatant qu'elle ne me suivait pas.
«Hé. Tu ne veux déjà plus me suivre ou tu comptes passer la nuit sur le pont ?
-Tu l'as tuée ? me dit-elle d'un ton neutre sans m'écouter, le regard fixé sur le cadavre de la jeune femme.
-Celle-là, et deux autres qui sont au fond de la mer.» précisai-je sans une once de cynisme.
Je crus voir son poing se serrer en guise de réponse, témoignant de la colère qu'elle tentait de dissimuler derrière une expression impassible. Elle se détourna du corps inerte sans un mot, lâchant un "on y va" à peine perceptible. La nuit était à présent totalement tombée, et nous pouvions poursuivre notre route sans trop d'inquiétude : nous pouvions courir plus vite que les voitures circulant dans notre sens et celles arrivant en face ne feraient pas attention à nous. Durant les trois heures qui nous furent nécessaires pour atteindre Onmu, seuls le bruissement du vent et le passage de quelques voitures du côté opposé du pont brisaient le silence de plomb qui régnait entre moi et ma "complice". Il fallait au moins lui concéder une chose : c'était grâce à son aide que je pouvais traverser ce pont vivant ; chose peu évidente si j'avais eu à affronter ces dix chasseurs, seul. Alors que nous pouvions apercevoir les lumières de Kumai, la première ville où l'on arrivait après avoir traversé le pont, Marina stoppa brusquement sa course sans dire un mot, m'obligeant à l'imiter avec un retard à l'allumage qui me fit m'arrêter une centaine de mètres plus loin. Ce fut non sans colère que je la rejoignis. Elle se tenait immobile, tournée vers la mer, une main sur une hanche, l'autre sous son menton, semblant réfléchir à Dieu savait quoi...
«Hé ! Pourquoi tu t'arrêtes, on est presque au bout je te signale.
-Abruti ! me répondit-elle avec sa délicatesse habituelle en se tournant vers moi. C'est justement parce qu'on est presque au bout que je m'arrête. Tu piges ? Si on sort par la grande porte il se passera juste la même chose que quand on est entré. Il nous reste à peine un kilomètre à faire : on va nager jusqu'à la côte, ce sera plus discret.
-C'est facile de dire ça pour toi...
-Quoi ? Les Sarunins ont peur de l'eau, comme les chats, c'est ça ?
-Gh... Ce n'est pas vraiment ce que je voulais dire...
-On s'en fout. Si tu veux pas, t'as qu'à te faire trouer par les gardes à l'entrée, qu'est-ce que tu choisis ?»
Sans même attendre ma réponse - mais sa question appelait-elle seulement une réponse ? - elle sauta du parapet. Aucun son n'indiquant un plongeon ne retentit... Puis je sautai à mon tour, parcourant de haut en bas la vingtaine de mètres du pont à la surface de l'eau, provoquant un son lourd et continu lors de mon plongeon. En remontant à la surface, je pus voir ce que j'avais prédit lorsque Marina me proposa cette solution : elle se tenait quelques centimètres au-dessus de l'eau, me regardant de haut dans une position on ne peu plus inconfortable pour moi. Si il y avait bien une chose que je détestais, c'était qu'un humain me regarde de haut ! Elle l'avait bien compris et je la soupçonnais d'avoir fait cela plus pour m'humilier que pour des raisons vraiment pratiques... Mais à ma grande surprise, elle se laissa à son tour descendre dans l'eau en poussant un soupir et en hésitant légèrement, comme si elle avait peur de se mouiller...
«A quoi tu joues...? Tu ne vas pas me dire que tu nages par solidarité pour moi j'espère ?
-Rêve pas, Ryôjô... C'est juste que si je vole, ma présence risque d'être trop facilement repérée.
-Si tu voles au ras de la surface il n'y a pas de problème, si ? lui répondis-je d'un ton las.
-Pas cette présence là, l'autre !»
Un bref silence s'ensuivit... Je ne comprenais rien à ce qu'elle me disais, mais elle le disait comme si c'était naturel...
«Tu pourrais être un peu plus claire des fois ?
-Idiot. Pourquoi crois-tu que t'attires les chasseurs comme des mouches ?
-...
-Ton aura, p'tite tête ! me cria-t-elle en me pointant du doigt, m'éclaboussant légèrement au passage. Les chasseurs sont entraînés à la dissimuler et à sentir celle des autres. C'est comme si tu dégageais une odeur qui alerte les chasseurs sur le qui-vive de ta présence, et comme t'es un Sarunin, ton aura se distingue des autres. C'est pour ça que ça va être coton de leur échapper si tu sais pas la dissimuler toi-même !»
J'avais toujours dû mal à savoir si elle était sérieuse ou si elle me racontait ça pour me mettre le "petit imprévu" du pont sur le dos. En tout cas, cette histoire d'aura semblait sortir tout droit d'un conte de fées. Vision réelle ou illusion due à la fatigue, en levant les yeux au ciel, je pus voir une silhouette passer devant la lune en volant... Elle semblait se diriger comme moi vers la côte... un humain ?
«Myôjô, bouge-toi un peu ! L'eau est glacée, bordel... et j'vais être trempée... t'as pas intérêt à ce que j'attrape la crève à cause de toi.
-Ben voyons, ça va être de ma faute à présent... répondis-je froidement, tentant tant bien que mal de maîtriser mes nerfs...
-Parfaitement ! Si t'étais plus discret on en serait pas là.»
Et, silencieusement, nous nageâmes... Un silence qui devenait franchement oppressant à mesure que l'on progressait. Nous débarquâmes quelques minutes plus tard, à un kilomètre du pont pour ne pas que moi - et seulement moi bien sûr - attire les gardes.
Notre première escale pour la nuit fut un égout sous la banlieue de Kumai, endroit peu odorant mais où personne ne viendrait nous chercher. Cependant, il eût été fatal d'oublier qui m'accompagnait.
«POUAAAAAH !!! J'en reviens pas d'être obligée de trainer là-dedans. Enfin, je suis crevée, pas mécontente d'avoir enfin traversé ce pont.»
Désormais plus ou moins habitué à l'entendre parler pour ne rien dire, je me contentai de m'asseoir en m'appuyant sur la paroi de la galerie qui allait nous servir de refuge de fortune pour la nuit. Libérés de la crainte d'être repérés, inconsciemment, la tension entre moi et la fugitive s'apaisa en même temps que notre souffle et notre humeur. Seules la couleur morne et ennuyeuse du béton et l'odeur du fleuve putride qui s'écoulait à quelques mètres de nous gardaient nos nerfs quelque peu à vif. Affamé moi aussi par cette traversée, je pris sur ma ceinture une capsule, pressai le bouton, et après un flash lumineux apparut une petite boîte contenant des barres énergétiques aux goûts divers. Mes préférées étaient celles au lapin, et celles à la menthe et à l'entrecôte de tigre. C'est avec un air interrogatif que Marina me regardait manger ce qu'elle semblait prendre pour une substance extraterrestre.
«Alors c'est ça que vous mangez... ça a l'air dégueu ! s'exclama-t-elle avec une pointe de dégoût dans la voix.
-Nous les Sarunins on chasse beaucoup. Mais on sait conserver les aliments et les rendre faciles à manger et à transporter...
-Je me demande quel goût ça peut avoir... ça ressemble à rien...»
Un rictus me prit soudainement pendant que je mâchais... Je coupai un bout de ma barre et le lui offris gracieusement. Le spectacle fut amusant à observer. Elle goba le petit morceau l'air sceptique, puis son visage sembla dire peu à peu "Mouais, c'est pas mauvais". Puis elle avala. Et ce fut le drame.
«Beuh... j'me sens pas bien... bordel, c'est un piège c'est ça ?! Qu'est-ce que t'as foutu là-dedans ?!
-Je pense quatre ou cinq lapins hirsutes adultes et un peu de farine. Sous cette forme ça se conserve très bien.
-Eh...? J'ai vraiment bouffé tout ça... à l'instant...?
-Comme je le pensais, poursuivis-je en continuant de manger ma barre, les humains on vraiment un appétit d'oiseau.
-C'est vous qui bouffez comme douze ! Bweuh...!»
Finalement, elle ne vomit pas, son honneur était sauf. Je n'aurais tout de même pas été jusqu' à dire que c'était dommage. L'estomac bien rempli par le petit en cas qu'elle avait avalé, elle sortit à son tour une capsule avec cette fois à l'intérieur un écran portatif. Je ne pouvais pas m'empêcher de me demander comment une criminelle en fuite pouvait être si bien équipée... mais l'on pouvait supposer qu'un soldat de son niveau avait été assez discret pour dérober quelques équipements. Sur son écran, un bulletin d'informations nocturne.
"Cette après-midi, un Sarunin probablement impliqué dans la série d'attentats sur différentes villes de l'Union a été arrêté près de la frontière de Sino. C'est le quatrième suspect arrêté ces deux dernières semaines. Néanmoins, on ignore toujours si le dangereux Sarunin abattu il y a une semaine était lié à ce groupe terroriste. Les responsables militaires ont avoué ne pas attendre grand chose des interrogatoires, mais assurent faire tout leur possible pour trouver les chefs de ce réseau et le démanteler."
J'avais déjà pu voir quelques images de ces attaques en traversant Drakheim, bien que ne comprenant pas les conversations qui tournaient autour. A présent il m'était évident que ces évènements n'étaient pas étrangers au groupe dont m'avait parlé Vaki. Visiblement, ils n'étaient pas à prendre à la légère... c'était parfait ! J'avais quelque peu craint au départ que ce ne soit qu'un groupuscule inefficace comme il y en avait tant. Mais le fait qu'ils puissent attaquer des villes de cette façon me prouvait le contraire. Si mon visage ne laissait rien paraître, au fond de moi j'étais de plus en plus convaincu d'être sur la bonne voie.
Peu à peu, l'ambiance tendue qui régnait entre nous se détendit... un peu... la méfiance ne disparaissait évidemment pas, mais l'atmosphère s'apaisait... Si bien que Marina se décida à m'adresser la parole. Sans passer ses nerfs sur moi.
«Dis, Tôjô. commença-t-elle, toujours sans parvenir à prononcer mon nom correctement. Ça fait un moment que j'voulais te demander un truc...
-Quoi donc ? répondis-je nonchalamment sans la regarder.
-Pourquoi Kina est plus avec toi ?»
C'était trop bien jusque là. J'aurais dû me douter qu'elle le demanderait. Comme si j'avais envie d'en parler. Je ne me fatiguai même pas à chercher une réponse. Et je n'avais rien à dire à cette peste de toute façon.
«Laisse-moi deviner... tu l'as laissée derrière parce qu'elle te servait plus à rien ?»
Pas une once d'ironie dans sa voix. Elle le pensait vraiment.
«La ferme. J'ai mes raisons.»
L'air devenait de nouveau irrespirable, et pas à cause des égouts. Il nous était décidément impossible de nous entendre. Une relation ordinaire entre un humain et un Sarunin, en somme. Pour ne plus avoir à nous parler, nous nous décidâmes à dormir. D'un œil.
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13 Avril 1789
Le jour tombait tranquillement. Tout était calme. Trop calme... Alors que la surveillance de cette zone n'avait cessé de resserrer depuis quelques semaines, cela faisait deux jours que je n'avais plus rencontré ni même senti le moindre chasseur. Seuls quelques Sarunin entraient ou sortaient de temps en temps. Bien que je fis pas mal de dégâts dans leurs rangs, j'avais du mal à penser qu'ils avaient simplement renoncé à surveiller cette zone. Je représentais un trop grand danger potentiel pour les habitants de la ville. Ces habitants qu'ils s'évertuaient à protéger de la menace que nous représentions selon eux... Pourquoi donc pensaient-ils tous de la sorte ? Chaque humain qui m'agressait n'était rempli que de pensées négatives à mon égard. Et pas un ne cherchait à comprendre pourquoi. Alors je ne cherchais pas à comprendre non plus... Pourquoi restais-je aux abords de cette ville tel un fantôme prisonnier du lieu de sa mort ? J'avais également renoncé à comprendre. Je pensais sans doute, au moins, protéger les Sarunins qui passaient par là... sans doute...
"Ce conflit ne prendra fin que lorsqu'un des deux camps sera anéantis !" ; "Les humains n'ont plus leur place dans ce monde !" C'était ces pensées qui m'animaient lorsque j'avais intégré l'organisation. Aujourd'hui encore j'essayais de m'en convaincre, et je tuais... Ça ne me faisait désormais plus rien. Ce gamin aux cheveux gris à qui j'avais parlé la veille était pareil : arrivé au stade où il ne se posait plus de questions, il avançait, n'écoutant que ses sentiments. Peut-être m'étais-je dit que seuls des gens comme lui pouvaient mettre fin à cet affrontement. Des gens qui, sous la tutelle de notre Chef, sauraient canaliser ces émotions pour mieux les utiliser. Telle était la source de notre force, à nous les Sarunin. Et moi... J'employais désormais cette force comme une machine, sans plus rien ressentir. J'étais fatigué... En vérité, plus les jours passaient et moins je comprenais le sens de toute ceci. Peut-être qu'à force d'entendre les pensées des autres je ne savais même plus ce que je pensais moi-même...
Mais alors que j'étais perdu dans mes pensée, ce calme fut brusquement rompu lorsque je ressentis un léger bruit d'impact et une aura humaine non loin de là. Ça venait de la gauche. Elle était faible, mais son propriétaire ne semblait pas chercher à la dissimuler. Etait-ce un piège pour me faire sortir ? Qu'ils sachent que je pouvais détecter leur aura et dissimuler la mienne n'aurait rien eu d'étonnant. Il valait mieux attendre... quelques minutes plus tard, cette aura continuait d'émettre faiblement. Mais un autre son d'impact retentit accompagné de la même énergie, beaucoup plus proche de moi cette fois. Prenant soin de bien dissimuler ma présence, je bondis discrètement à l'endroit d'où était émise l'aura la plus proche... Personne... Si ce n'est un chasseur dont je bloquai le coup de pied qui venait de derrière ! Son aura était différente de celle que j'avais sentie... Quelque chose clochait... Un autre chasseur tenta de m'immobiliser, à nouveau par derrière mais je réussis à me défaire de son emprise et à asséner un coup de pied au premier qui m'avait attaqué, puis à celui qui était derrière moi. Ce second chasseur était bien le propriétaire de cette énergie, mais comment avait-il pu être à deux endroits à la fois ? Je m'envolai légèrement et envoyai une boule de feu sur mes deux adversaires, mais ils parvinrent à esquiver. Ce n'étaient pas des combattant de seconde zone cette fois. L'un d'eux s'envola à toute vitesse vers moi et m'asséna un coup de poing que je bloquai, avant de réussir à me frapper à la mâchoire avec sa jambe droite et d'envoyer son genou gauche dans mon estomac. C'était comme si mon coup de tout à l'heure l'avait chatouillé ! Déconcentré, je bloquai un coup de pied de bas en haut mais ne sentis pas venir son coéquipier qui me frappa à la nuque. Le premier m'attrapa par les vêtements et me lança violemment vers le sol mais je réussis à amortir ma chute et à me rétablir.
Le temps que j'atterrisse, le second s'apprêtait à m'attaquer par un autre angle tandis que le plus coriace me visait d'en haut avec son arme. J'avais lu clairement dans leur jeu : un troisième chasseur était embusqué et attendait que je sois immobile dans sa ligne de mire pour me viser. En faisant un bond sur le côté, j'évitai de justesse une balle électrisante qui venait sans aucun doute de derrière moi. Le premier chasseur tira à son tour, m'obligeant à faire un pas en arrière cette fois. J'en avais presque oublié son partenaire qui vint me provoquer au corps à corps, mais essaya au cœur de l'action de viser ma queue avec son pistolet. Je réussis à le désarmer grâce à celle-ci avant d'utiliser moi même une des armes que je portais pour l'immobiliser. Cela en faisait déjà un de neutralisé, de plus je sentais à présent légèrement l'aura du tireur et pouvais ainsi à peu près le localiser pour éviter d'être dans sa ligne de mire... mais à peine avais-je le temps de me mettre à l'abri qu'un rayon d'énergie continu fusa d'en haut et m'obligea à reculer pendant un moment, puis à me faire rouler sur le côté lorsque le rayon remonta. Avait-il compris que maintenant qu'il était seul il valait mieux éviter le corps à corps ? Je n'eus pas le temps de me poser la question qu'une douleur brusque et violente frappa ma queue... Comment était-ce possible ? Je sentais toujours son aura et était persuadé d'être à couvert par rapport à sa position. Il n'aurait pas pu bouger sans que je m'en aperçoive ! Mes forces m'abandonnèrent rapidement, et je me retrouvai à terre, sans défense... comme un vulgaire humain...
«Un Sarunin aux cheveux rouge sang, empestant l'hémoglobine, et semble-t-il capable de sentir les auras... c'est la description que nous a faite de toi le seul survivant de ton petit jeu de massacre il y a quelques jours...»
La voix venait d'au-dessus : une pointe de triomphalisme était prévisible chez le chasseur qui réussirait à me capturer. Il y avait donc eu un survivant...
«Un survivant qui est mort des suites de ses blessures peu de temps après. poursuivit-il en soupirant légèrement. La fête est finie, "Cue-Limyos". Cela dit...
-Tu te demandes comment j'ai pu deviner qu'il était un tireur embusqué ? le coupai-je, histoire de le perturber un peu.
-Tiens, tu parles un peu Qakhlen on dirait... moi qui pensais que tu ne comprenais pas un mot de ce que je disais. En effet tu as l'air plutôt intelligent, mais ça ne t'a pas sauvé. Je vais quand même t'apprendre quelque chose de sympathique. Vois-tu, en plus de nos armes électrisantes, pour cette mission nous nous sommes équipés de balles assez spéciales. Elles sont faites d'un métal extrêmement souple et résistant qu'on appelle couramment le spiritane. Et tu sais pourquoi ?
-Je vois... un métal qui s'imprègne de l'aura d'une personne, c'est ça ? Pratique pour diversions.
-Tu es vraiment perspicace toi. Pour être exact, il s'imprègne de l'aura la plus dense à laquelle il est exposé. Les armes utilisées pour tirer ces balles sont, elles faites dans un métal qui empêche l'aura de filtrer.»
Il parlait de façon arrogante et dédaigneuse. Comme tous les autres - même si il avait pour une fois une bonne raison de le faire. Malgré la douleur et l'engourdissement de mon corps, je réussis à esquisser un mouvement... son coéquipier électrisé derrière lui prit soudain une expression de méfiance.
«Lieutenant Dolann, attention !»
Mes jambes me propulsèrent et mon poing s'abattit sur mon adversaire... mais il esquiva d'un pas sur le côté, attrapa mon bras et me mit de nouveau à terre d'un coup de coude dans le dos. J'avais mal, mais je souriais devant l'ironie de la situation... je m'attendais à tout sauf à me retrouver dans une position aussi pathétique. Lui arborait un visage surpris, presque effrayé en me maintenant au sol.
«Tss... "Lieutenant" ? Je doutais que t'étais pas juste un sous-fifre...
-Ce n'est pas croyable... pensa-t-il tout haut. C'est bien la première fois que je vois un Sarunin capable de bouger comme ça après avoir été touché à la queue...
-Lieutenant... je suppose qu'on devrait le ramener directement à Lumis.
-Sans doute, oui... Je pensais l'envoyer à Satan, la ville la plus proche mais... un aussi gros poisson, il vaut mieux que le Commandant s'en charge personnellement. Il est peut-être...
-"L'un des principaux responsables des attaques ces derniers jours" ? anticipai-je. Depuis le temps, vous devriez savoir que les Sarunins dénoncent pas leurs camarades sous un vulgaire interrogatoire.
-... Pourtant tu n'as pas l'air d'ignorer totalement de quoi il retourne...
-Ah... fis-je toujours en souriant. peut-être oui... peut-être non.»
Stoïque, le Lieutenant ne répondit par aucun mot... mais se contenta juste de sortir quelques petits anneaux pour les poser sur ma queue. Ne suivirent qu'une vive douleur et la légère humiliation de m'être fait avoir ainsi... "la fête est finie"... vous parliez d'une fête.
à suivre...
Petit PS : A noter que la fonction correcteur d'orthographe de la nouvelle version bêta de Firefox m'a été incroyablement utile pour la correction de ce chapitre et m'a effrayé lorsque j'ai édité les précédents ô__Ô C'est dingue le nombre de fautes qu'on peut faire sans même savoir que c'en est... et ça me confirme que je suis décidemment... décidément fâché avec les doubles consonnes.
