Chapitre XVI :
Les doigts du pilote frémirent. Satan lui tournait toujours le dos, à quelques pas de quitter le ring. Lorsqu’il entendit le pas de course de son adversaire, c’était trop tard. Il reçu un terrible coup de marteau sur le crâne et cru qu’il allait mourir. Au sol, il ne bougeait plus. L’aviateur le piqua avec un petit bâton, pour vérifier s’il était toujours vivant. Baba, quand à elle, observait la scène avec consternation. Elle fut surpris de voir son serviteur bondir tout à coup, tel un ressort. L’homme au manteau noir en tomba à la renverse. Satan profita de la situation et se laissa tomber sur son adversaire, coude en avant. Celui-ci se planta dans le ventre du malheureux, qui cracha une gerbe de sang et perdit connaissance. Après s’être fait réprimandé par la sévère voyante, l’adolescent retourna dans la salle d’entraînement. Il baissait la tête mais ne pouvait contenir un petit rire. Il savait que ce n’était qu’une petite victoire de rien du tout mais, en même temps, cela signifiait que son compteur était enfin ouvert ; son challenge était bien moins abstrait maintenant. Lorsqu’il fut loin de la surface de combat, il porta la main à son crâne blessé et sanguinolent, priant pour que Draculaman se tienne tranquille.
À des milliers de kilomètres de là, une sphère d’eau continuait à être alimentée. Elle avait à cet instant plus de quinze centimètres de diamètre. Très progressivement, elle commençait à se teinter légèrement de rouge. Zmyéya la contemplait avec délectation.
- Quel merveilleux spectacle, un boule d’efforts et de souffrance, de sueur et de sang ! J’ai bien fait d’être patient !
Les jours passèrent, puis les semaines, les mois… et Satan s’installait dans une routine de plus en plus oppressante. La fatigue et la chaleur augmentaient, les victoires se raréfiaient donc. Nous retrouvons un Satan couvert de pansements et perclus de crampes, accoudé à la fenêtre donnant sur la plate-forme. Il admirait la magnifique Amanda dans ses œuvres. Elle sortait une longue épée à double-tranchant de son long manteau et s’en servait pour taillader son adversaire. Il s’agissait d’un « junky », aux bijoux cloutés, tenue de cuir et crête bariolée. Il avait les yeux exorbités et riait comme un dément, en manque de drogue. D’ailleurs, s’il gagnait, sa demande serait de savoir où se trouve la marchandise au meilleur rapport qualité/prix. Il n’était pas exceptionnel martialement parlant mais, dans son état, ne ressentait pas la douleur. Amanda, intelligemment, choisit l’option de le faire tomber dans l’eau, étant donnée son équilibre limité. Elle se plaça donc dos au lac et piégea son adversaire en s’écartant au dernier moment. Toutefois, il n’allait pas assez vite pour être totalement pris dans son élan, elle dû alors finir le travail, d’un coup du plat de son épée dans les lombaires. Un petit fantôme sauva de justesse le perdant de la noyade et le transporta avec un collègue jusqu’à la sortie. La guerrière ne manifesta sa joie que par un discret et malin sourire. Puis elle s’éclipsa. Ses camarades la félicitèrent lorsqu’elle revint dans la salle d’entraînement, principalement heureux de gagner une nouvelle prime. Satan était le seul qui ne toucherait rien, comme d’habitude. Il se morfondait dans son coin, boudeur. C’est alors qu’il eu la surprise de sentir une main froide lui caresser la joue, des ongles égratignant sensuellement sa peau ; Amanda ne se contentait plus de l’émoustiller, elle passait à l’action. Peut-être voulait-elle aussi le consoler des défaites à répétitions qu’il subissait en ce moment. L’attirance qu’elle avait pour Satan depuis le premier jour eu, en tout cas, besoin d’être satisfaite à cet instant précis. Elle fusilla ses collègues du regard, qui faisaient mine de n’avoir rien vu. Ils furent logiquement obligés de quitter la pièce. De son épée, en prenant bien garde de ne rien abîmer, elle dénoua la cape de Satan, puis sa ceinture. Son pantalon tomba alors de lui-même et elle eu accès à son intimité. Ce plaisir inattendu et ce contact avec la main glacée d’Amanda firent frissonner l’adolescent. Ils se rendirent sur le ring et y continuèrent leurs ébats. Alors que Satan caressait cette peau blanche comme la neige, il passait imperceptiblement d’un certain plaisir à un sentiment de gêne. L'impression de faire fausse route prenait progressivement le dessus. Ses sens lui disaient, sans qu’il ne comprenne vraiment : nous avons un souvenir bien particulier en sommeil, réveille le ! Des images floues défilèrent dans son esprit. Des doigts énergiques, une nuque découverte, des cheveux courts, une peau rosée. Les sensations qui y étaient associées l’envahirent alors ; la chaleur et la douceur y étaient dominantes. Il revivait, en condensé, la nuit qu’il avait passé avec la demoiselle de « Pink Pleasure ». Amanda sentit qu’elle était de trop et s’en alla d’elle-même, cachant habilement sa déception. Satan tendit une main vers elle, plus pour montrer son désarroi que pour la retenir. Hagard, il ne se rendit pas dans sa cellule faisant office de chambre mais resta recroquevillé sur le ring d’entraînement, sa cape pour seule couverture.
Inexplicablement, du point de vue de ses camarades en tout cas, il se réveilla remontée comme une pendule. Il ne l’avait pas vu motivé comme cela depuis au moins 6 mois. Même le jour de son 17è anniversaire, son enthousiaste était bien moindre. Seule Amanda, plus ou moins consciemment, comprenait ce qu’il se passait. Elle ne chercha ni à croiser son regard ni à l’éviter, elle tentait simplement de l’ignorer. Ses doigts crispés montraient qu’il n’en était rien. La nuit avec fait ses œuvres et, au réveil, l’adolescent avait les idées plus claires. Il distinguait maintenant le visage de la personne qu’il voulait revoir, il avait une source de motivation encore plus grande que l’argent qui, ces dernières années, avait été son principal moteur. Il subissait toujours le climat accablant de la région mais associer celui-ci à la chaleur de cette femme compensait en grande partie. Il vida son bol de soupe en un temps record et quitta sans tarder la table installée, comme chaque midi, sur l’aire de combat. Il n’attendit pas ses collègues et fonça dans la salle d’entraînement, pressé d’explorer ses limites face aux sacs de frappe. Il pria plusieurs heures, intérieurement, pour avoir l’opportunité de combattre le jour même et fut exaucé. Baba fit appel à ses services pour lutter contre un catcheur peu commun. En effet, celui-ci n’était pas bien épais, longiligne comme un fil de fer. Il était lisse de la tête au pied et ne portait qu’un slip sur lequel était dessiné un tourbillon. Un acolyte velu, portant le même sigle, attendait à proximité de la plate-forme. Satan avait déjà eu l’occasion de voir des centaines de gugusses dans leur genre, surtout depuis qu’il était au service de Baba, il ne s’en étonna donc pas plus que cela. Il enchaîna les flip-flap pour se rendre sur le ring, puis bomba le torse. Il avait gagné 332 matchs depuis son arrivée, il comptait bien en ajouter deux à son compteur, en une seule après-midi.
- Approche rigolo plein de poils ! ordonna Satan.
Le combattant aux longs compas attendit le signal de la sorcière, puis se dirigea vers le serviteur de cette dernière. Il avançait les jambes écartées, ce qui lui donnait une allure de grand batracien. L’adolescent pris de l’élan, tout en poussant un cri d’animal, puis exécuta un coup de pied sauté magistral, le « dynamite kick ». Il hurla le nom de cette technique avec conviction mais sa botte ne trouva pourtant pas sa cible, l’adversaire ayant effectué un grand-écart éclair. Le catcheur profita de cette position avantageuse pour se saisir du pied d’appui de Satan. Il pu alors accentuer la vitesse du guerrier de Baba et le projeter ventre contre terre. Il ne le laissa pas respirer et enchaîna directement avec un « crossface ». Cette prise consistait à bloquer l’un des bras de la victime entre les jambes, à s’allonger sur le dos de cette dernière, tout en tirant le visage en arrière. Le cou de Satan reçu une terrible décharge. Mais cette prise de soumission était peu efficace en début de combat, le jeune homme eu les ressources pour se retourner vivement. Son adversaire dû le lâcher et il sauta sur l’occasion pour se relever. Fulminant, il se massait la nuque, préparant sa revanche. Il décida de lutter au corps à corps, de prendre le catcheur à son propre jeu. Mais, la peau de celui-ci étant trop lisse et glissante, il ne trouvait pas prise. Par contre, la cape et la tignasse de Satan en offraient de belles. Le longiligne personnage s’en servait parfois pour freiner les mouvement du colosse, les saisissant des deux mains, puis profitait de la moindre ouverture pour exécuter une technique de catch. Les regarder était déjà un supplice alors nous pouvons imaginer ce qu’endurait l’adolescent. Alors qu’il était allongé sur le ventre et qu’on lui tirait, simultanément et sans ménagement, les cervicales et les membres inférieures, il se demandait s’il n’allait pas abandonner. Il serrait les dents, sous le regard déçu de Baba. Se débattant, il balayait de façon ridicule le sol. Soudain, son doigt accrocha une dalle… celle-ci n’était pas solidaire de l’ensemble.
- Finalement, cette plate-forme qui tombe en miette ne m’aura pas apporté que des ennuis…
À l’aveugle, il délogea la pierre plate et l’explosa contre le visage du lutteur. Ce dernier eu l’arcade sourcilière ouverte et le nez en sang, il fut obligé de lâcher sa victime. Satan se releva et profita de l’effet de surprise pour, d’un coup de pied frontal, envoyer valser son adversaire assis. Il ne pu enchaîner, ses lombaires le faisant souffrir. L’homme aux allures de grande grenouille, fatigué, décida alors de jouer son va-tout. Il fit d’abord la roue, pour s’échauffer, ce qui fit doucement rire son opposant. Mais il reproduit le même geste, encore et encore, de plus en plus vite. La spirale dessiné sur sa tenue se mit alors en mouvement et fit tourner la tête de l’adolescent. En moins d’une minute, il fut comme hypnotisé. Sans savoir pourquoi, il marcha alors vers le lac, sans réfléchir. Le catcheur et son acolyte s’en frottaient les mains. Mais Satan s’arrêta net devant l’eau, la phobie de cet élément qu’il avait développé progressivement après la mort de Volnia, puis enfouie, ressurgit à cet instant. Son adversaire n’avait pas l’attention d’échouer si près du but et courut alors pour le pousser dans le dos. Le guerrier de Baba ne savait même plus qu’il était en plein combat mais, instinctivement, s’écarta. Le catcheur se retrouva en bien mauvaise posture, pieds quittant les dalles et corps tendu vers le lac. Baba retrouva son sourire malicieux. Le combat n’était pourtant pas terminé ; l’homme sans poil croisa ses infiniment longues jambes autour du cou de Satan et, dans un effet de bascule, intervertit sa place avec celle de l’adolescent. Un grand « splash » désenchanta la sorcière. Quelques secondes lui suffirent pour s’en remettre et elle appela Murazaki, boudeuse. Satan, lui, paradoxalement ne l’était pas. Il avait certes perdu mais cela faisait longtemps qu’il n’avait pas fait preuve d'autant de résistance. Sa batterie de confiance était pleine et il n’y aurait pas contre lui d'aussi bon combattants tout les jours. Il commençait à entrevoir le bout du tunnel. Il fut d’autant plus consolé que son collègue violet abandonna en quelques secondes, subissant d’entrée une technique de soumission. Il retourna dans la salle commune, sans se soucier du combat de Draculaman, sachant que leur compagnon vampire appréciait tout particulièrement les crânes chauves comme celui-là ; il allait se régaler ! Concernant le velu, il imaginait déjà les griffes de la chauve-souris s’y agripper avec joie…
Satan eu raison, il était en cette période plutôt bon en pronostic. Notamment concernant ses futurs combats, car son optimisme s’avérait totalement justifié. Plus rien ne pouvait l’arrêter, il assommait du sumo, jetait du judoka, taillait du boxeur thaï… Il resta ainsi invaincu plusieurs mois, jusqu’au début de l’année 754. Même si, dorénavant, il était sans conteste le troisième meilleur combattant de la troupe, il continuait à passer en première position, celle du bizut. Il ne s’en plaignait pas, au contraire, il pouvait comme cela accumuler plus rapidement les victoires et faire d’un handicap de départ un avantage.
Par contre, cela ne faisait pas les affaires de Zmyéya, qui approvisionnait de plus en plus difficilement sa sphère. Elle stagnait actuellement à une trentaine de centimètres de diamètre.
- Petit bâtard, tu ne m’as pas encore remboursé les intérêts de mon prêt d’énergie ! De toute façon, tu as mis tellement d’années à le faire que le seul moyen d’éponger ta dette est de mourir de fatigue ! Crève !
Le visage du sorcier apparut tout à coup dans la boule de cristal de Baba, alors que cette dernière y matait de beaux et jeunes apollons. Elle sursauta puis se ressaisit en saluant son supérieur d’une courbette. Il fit un sourire cynique et lui donna ses instructions.