Chapitre 21: Atmosphère
Le premier qui parlerait se ferait incendier par les autres.
Là, dans la pièce sombre, où ne restait qu'un pauvre sofa bouffé par les vers et par le temps, se tenaient Naranz, assis et pensif, caressant son Prince sans risquer de faire de bruit, Trysh, les bras croisés et adossée au mur, Fugo, encore tout transpirant et qui léchait le sang d'une blessure à un avant-bras, et quatre rebelles, lesquels partageaient le canapé, serrés.
Le silence était caressé par le son du vent, qui faisait son bonhomme de chemin de par la fenêtre rudimentairement barricadée, et quelques fois ponctué par les complaintes émises des interstices de chaque coté de la porte fermée à clé.
Et ces complaintes étaient des hurlements de Bruno.
L'heure passait, et les patiences s'amenuisaient bien plus vite. Seulement, la peur de se prendre la crosse de Fugo, ou pire, une remarque de Trysh, dissuadait quiconque de ne serait-ce que respirer trop fort. Ils attendaient que Giorno sorte de la salle et qu'il rende son verdict sur l'état de Bruno. La question de sa survie était vitale pour la rébellion, ou en tout cas de cette branche, parce que personne ne saurait mener la guerre aussi bien que lui. Ses blessures, beaucoup trop graves, étaient prises en charge par quelques compétents, dont Giorno pour les actes de précision, mais rares étaient de base ceux qui survivaient quand une partie du crâne manquait.
Quand après quarante minutes les cris cessèrent, chacun sursauta de savoir s'ils venaient d'ouïr l'agonie de leur leader. Certains lâchèrent même une larme, larme qui pour éviter de se faire entendre s'évapora après avoir parcouru la moitié de la distance oeil-sol. Ce que représentait Bruno était à la fois différent pour chacun, mais identique pour tous: en tant que leader, mentor, maître ou ami, cet homme était exceptionnel. Tout le monde se le ressassait, et tout le monde se préparait au verdict.
La poignée de la porte vacilla puis s'arrêta. Ensuite, un silence, et de nouveau un mouvement: Giorno glissa sa tête dans l'interstice, et capta toutes les attentions, sans troubler le silence pesant. Au début, il hésitait à faire une blague, ou juste parler ironiquement, mais le moment n'était pas adéquat, et les représailles risquées. Alors, il finit par se découvrir en entier, et dans le vague, pour éviter de s'adresser à quelqu'un, même si personne ne voyait son regard derrière ses lunettes, il annonça enfin:
- On a fait du mieux qu'on a pu.
Là, implicitement, la nouvelle tomba, même si sujette à débat. Fugo, observateur, décela le rictus de Giorno qu'il s'empressa de cacher dans l'entrebaillement de la porte pour éviter de rire. Aussi se demanda-t-il si Giorno serait d'humeur à ne serait-ce que penser à rigoler si Bruno était effectivement décédé.
Mais pour Naranz et l'un des rebelles, ce fut une crise de larmes, ou plutôt, une averse. Et Trysh ne se permit même pas de les faire taire, car certainement à l'intérieur quelque lac de pleurs s'était déjà formé. Mais Giorno, comprenant son erreur de formulation, changea vite de bord, dans son éternelle maladresse:
- Je veux dire... Il respire encore, et les opérations ont réussi... Mais on ne sait pas s'il se réveillera. Il vit, pour le moment, c'est le principal.
Avant les réactions, Bacchio – le rebelle qui avait largué la bombe sur la base nord, de par son avion – sortit aussi de la salle d'opération. Alors qu'il enlevait ses gants pleins de sang, il interpella Giorno qui se retourna aussitôt:
- Hé, c'est qui Naranz ? Le chef s'est réveillé et a demandé à le voir ce gars et toi. Grouillez, je sais même pas comment il a repris conscience.
Tout le monde s'écarquilla et fut dans le même temps empli de joie et peine. Ils étaient tous rassurés, plus qu'inquiets, et Naranz se permit de se lever pour se diriger vers la salle, en croisant le regard de Giorno. Tous deux pénétrèrent à la suite de Bacchio, et pour le plus jeune, découvrit une assemblée de sept médecins – enfin, de ceux qui pouvaient les remplacer – agglutinés autour d'une table qui servait de lit pour Bruno.
Et lui, il était allongé là, recouvert de bandages sanguinolents. Sur son visage déjà bien tuméfié s'était installé un masque de tissu et de cuir pour recouvrir la partie gauche ouverte. L'opération avait permis de substituer le bout de crâne manquant, et ainsi le cerveau n'aurait pas idée de s'échapper. Quant à son oeil et son oreille, il devrait s'en priver. Sinon, son bras central droit, dépourvu de la moitié de son tout, était maintenant remplacé par le même genre d'artifice. Les prothèses mécaniques coûtent trop cher et le budget déjà pauvre de la rébellion ne permettrait pas ce sacrifice, qui de toute façon n'aurait pu être appliqué en une heure.
Naranz ne sécha pas ses larmes, et quand il vit le visage de Bruno, qui lui-même le contemplait du mieux qu'il pouvait, il tomba à genoux en attrapant une de ses mains:
- Bruno...
Une voix faible venue d'outre-tombe:
- Naranz... Ne t'en fais pas...
- ... Mais tu...
- Je vais pas mourir... Tu crois que j'ai que ça à foutre ? On... On a encore du boulot...
- ...
- Maintenant, file de là...
Et Naranz sortit: sa confiance aveugle en Bruno, aujourd'hui, eut l'avantage de le faire croire en la survie de Bruno, si tant est qu'il ne survivrait pas, et de le rassurer un minimum de temps. Bruno le considérait comme un fils, et leur relation s'organisait presque autour de ça.
Il avait fait venir Naranz pour le rassurer, et Giorno pour autre chose, l'autre coté de l'espoir, l'autre éventualité:
- Giorno... Si j'y passe... et de toute façon à partir de maintenant... tu commandes, quoiqu'on en dise.
- Je n'en serai pas capable... répondit-il, l'air triste.
- Tu restes le meilleur, derrière moi...
- ... Bruno...
- Bonne chance...
Son bras gauche, le supérieur, se leva, et il serra le poing:
- La dictature tombera !
* * *
Plus qu'une bonne dizaine de minutes avant que Tial ne se réveille du sommeil artificiel dans lequel il fut plongé suite à son injection, et actuellement dans la grande salle, Ein fit réunir tous les klimiens. De la même façon furent réveillés Entier et Laktoz, qui bien qu'énervés et chamboulés, déjà de par la présence d'Ein, puis de la décision de Tial, réussirent à temporairement se contrôler, calmés par leurs amis. Puis, après des tests cliniques – certifiés surs par la pression et présence d'Entier – chacun put se remettre sur ses deux jambes – sauf Ginue – afin de se préparer à récupérer Tial, et partir.
Même si Ein était contre le fait de les laisser partir, elle espérait que Tial rejoigne la rébellion intergalactique avec elle, histoire de montrer à Freezer de quel essence elle se chauffait. Avec de la chance, Tial influencera ses amis.
Le voyant lumineux de la capsule du leader du groupe de Latcalis s'activa, et la porte s'ouvrit, laissant tomber lourdement le corps à cinq bras. Ein le souleva d'une main et lui administra encore une dose de quelques médicaments, pour réhabiliter son corps plus facilement. Et finalement, Tial ouvrit un oeil, perturbé.
Il finit par se mettre debout, non sans mal, en dégageant l'épais bras blanc, et se tourna vers ses amis. Titubant, il se rattrapa sur la jambe de l'extraklimienne, puis enfin, leva un bras et les salua:
- S... Salut.
Entier s'approcha d'un pas lourd et décidé. Sur l'instant, même Ein recula, et tout le monde craignit un nouveau coup de sang. À la place, le père de Tekla ne fit que lui parler sur un ton sec, qui glaça l'atmosphère présente:
- Tu n'es qu'une sale raclure.
Tial se redressa pour paraître au niveau, même si quelques centimètres manquaient. Il sentait la force de son ancien élève et par corrélation se sentait inférieur. Mais Tial ne devait pas flancher, déjà pour honorer sa réputation et son statut, et d'autre part parce qu'il incarnait avec Laktoz la seule force d'opposition contre lui:
- Une raclure avec des super pouvoirs ! Se moqua-t-il ouvertement du père de Tekla.
- Ne joue pas au plus malin avec moi, je suis devenu bien plus fort que tout ce que tu peux imaginer.
- Ah ? Tu me menaces ? Entier... Entier... Tu étais si adorable plus jeune...
- Parce qu'en plus tu te fous de moi !?
D'un geste extrêmement vif, Entier repoussa son mentor d'un kiaï, lequel mentor qui, et surtout parce qu'il se rétablissait doucement, percuta une des jambes d'Ein. De son côté, l'alien hésitait entre soutenir Tial et s'assurer son intégration dans l'armée rebelle, ou laisser Entier faire et éviter de se faire une nouvelle fois casser les dents. Dans le doute, elle exécuta à merveille son rôle de spectatrice muette.
Tial et Entier s'échangèrent un regard haineux, et le second imposa à son ancien maître sa supériorité en s'approchant doucement. Son but était de montrer à Tial qu'il n'avait pas besoin d'utiliser un poison alien pour se renforcer, et qu'il était assez fort pour protéger ses amis et les réfugiés. Si Tial s'opposait à lui, ce serait comme à Ein, et ça tournerait très mal.
Ce fait, tous le considéraient comme acquis, comme sûr, il était donc imprévisiblement que Ginue, toujours en retrait et scrutant l'avenir pour savoir de quoi il retournerait, haussa le ton, pénétrant l'aura d'Entier sans que celle-ci ne puisse le faire taire comme elle le faisait aux autres:
- S'il y a un combat entre vous deux, la victoire reviendra à Tial.
Sans exception cette fois, ils s'étonnèrent de la révélation du jeune klimien, et en particulier Entier qui n'avait aucun doute sur sa suprématie, ce qu'il alla démontrer en contredisant Ginue:
- Ton pouvoir n'agit que sur moins de dix secondes, et s'il y a un combat, il en durera forcément plus. Alors ne me fais pas rire, tu sais très bien que je suis plus fort que n'importe qui ici.
Finalement, rien que le fait qu'Entier le regarde dans les yeux augmentait la pression de son aura invisible et pourtant si pesante, à tel point que le boîteux faillit bégayer. Il opta pour la goutte de sueur résultante de son stress et rétorqua:
- Ta force ne garantira pas ta victoire.
- Et pourtant, malgré tes pronostics vaseux, si.
- Si Tial a réellement développé un pouvoir qui ressemble au mien, alors il n'y a aucun doute: il a largement la ressource de te vaincre...
À ce moment-là, Ginue savait qu'il attisait dangereusement la colère du klimien, mais il fallait qu'il gagne du temps pour laisser Tial montrer sa nouvelle capacité. De la même façon, avoir contredit Entier revenait à se le mettre à dos, et parier sur quelqu'un d'autre que lui était pire. Ce qui défiait la limite de la patience du mari de Candya était de finir sa phrase, décision que quatre lourdes secondes de réflexions acceptèrent, non sans mesurer le risque:
- ...d'autant plus que tu es désavantagé car tu ne sais pas maîtriser tes émotions.
Alors que la discussion tournait mal, Tial n'écoutait qu'à moitié. Il aurait voulu s'y intéresser, mais il ne pouvait pas réellement, car devant ses yeux, Entier paraissait si flou. Oui réellement, sa vision se brouillait, et son corps tremblotait faiblement. Il réussit à détourner le regard vers les autres klimiens, mais de la même façon, leur silhouette s'embrumait. Alors, dans un premier temps, il tenta de se dégager de cette vision altérée, mais se rendit compte que bouger la tête de suffisait pas. Puis il distingua autour des klimiens, et même autour du pied d'Ein à coté de lui, une sorte de... d'enveloppe bleue. Oui, une sorte de pellicule d'énergie qui entourait le flou des autres, comme une aura qu'ils ne percevaient pas.
Et soudainement, Tial s'agenouilla, poussé sur le sol par une présence.
Alors que Ginue provoquait Entier, cette chute divertit l'assistance et attira l'attention. Entier fit mine d'oublier le commentaire du devin, non sans garder dans une partie de sa mémoire de lui rendre la monnaie de sa pièce, et préféra toiser son mentor en lui rappelant qu'il ne devrait pas faire le malin:
- Tu n'as pas besoin de te mettre au sol. Je ne te frapperai pas si tu évites de faire une autre bêtise. Maintenant, nous allons dire au revoir à cette monstruosité et retourner à la maison. C'est compris ?
Il était évident que cette question s'adressait à Ein en particulier, laquelle acquiesça sans y croire, sachant très bien – même si elle fut inquiétée par la chute de Tial à l'instant – que le klimien aux cinq bras ne resterait pas là sans rien faire.
Entier s'avançait dangereusement vers son ancien mentor, et à peine ses doigts s'approchèrent de lui, l'interrompit encore une fois Ginue, cette fois mû par la vérité:
- Esquive Entier !
Il n'y porta aucun intérêt, et continua sa descente vers le cou de Tial, en pensant qu'encore une fois, et mieux joué, le jeune devin se moquait de lui, pour l'apeurer et éviter à son ami de se faire attraper. Bien évidemment, la vision de Ginue s'avéra réalité, c'est à dire qu'instantanément, et sans qu'il ne se passe un temps d'attente, la salle, immaculée, prit la teinte des ténèbres.
Et la forêt de Latcalis surgit en lieu et place du vaisseau.
Ein se prenait pour un arbre géant, les dalles parallèles demeuraient terre, les klimiens paraissaient semblables à des troncs, et l'atmosphère... la pesante atmosphère de la forêt écrasa le crâne d'Entier. Cet endroit, il l'avait déjà vu, et il aurait donné quatre bras pour ne jamais y poser le pied une fois de plus. Le père de Tekla tâta du regard l'immensité de la forêt et tenta de trouver une aide, en fait un échappatoire. Il fronça les arcades, perça l'horizon camouflé par la nuit...
...puis se retourna, pour faire face à une autruche.
Le puissant klimien, le seul en mesure de blesser une vie extraklimienne, s'abattit dans la terre et sua d'assez grosses gouttes pour que de la boue se forme sous ses coudes qui ne cessaient de remuer le sol en reculant d'effroi. L'animal fit s'entrechoquer les regards, et... Entier esquiva.
Le corps musculeux du klimien s'élança vers sa droite, et s'écroula sur les dalles blanches de la salle d'expérimentations d'Ein, laquelle était alors ressuscitée, sans qu'aucun élément ne manque. Il ne put se relever, car les images qu'ils avaient vues, cette téléportation en dehors, le troublaient encore, à tel point qu'à genoux et coudes sur le sol il tremblotait.
Derrière lui, presque en souriant, mais conservant un visage neutre, Tial, des pupilles anormalement clairs, apostropha son vieil élève, qui évidemment l'entendait, ou en tout cas, l'entendrait:
- Tes souvenirs... Je les ai vus...
Les réflexes d'Entier prirent le pas sur son rétablissement hasardeux, et d'un bond agile se retourna pour asséner à Tial une triple droite améliorée par la colère qui naissait alors. Les poings n'atteignirent pas leurs cibles: Tial en para un, le milieu, et Laktoz s'était propulsée pour donner un coup d'épaule au mari de Candya et le faire se taire, projeté au loin. Le quarantenaire aurait pu se charger tout seul de son adversaire, mais l'intervention imprévue de la guerrière lui évita des complications. Cependant, le répit fut de courte durée:
- Qu'est-ce que tu m'as fait, Tial !? Hurla Entier à s'en décoller les mandibules.
Tial détourna le regard vers Laktoz et constata que la pellicule bleue autour d'elle se faisait presque aussi épaisse que celle d'Entier. Celle d'Ein en revanche, l'était bien plus. Par contre, les auras spectrales – la pellicule semble informe et ressemble à une lumière fantomatique – de Ginue, Tekla, Laito et Candya se faisaient plus minces.
Pénétrables, mais plus minces.
Tial finit par répondre, et à expliquer, pour tout le groupe, sa nouvelle capacité:
- Je ne vous vois plus comme avant... En fonction de votre force... je pense...J'arrive à distinguer en vous des images brèves, je crois que ce sont... vous souvenirs.
- Nos souvenirs ? S'interrogea Laito en avançant d'un mètre.
- J'ai pu échanger la vision actuelle d'Entier avec une image, un souvenir, de son passé. Apparemment, ce n'était pas un moment qu'il avait aimé se remémorer...
Effectivement, et il se fit entendre à ce sujet:
- Peu importe tes pouvoirs, Tial ! Je ne te laisserai pas jouer avec ce monstre en nous mettant en danger !
-Ce monstre, tu le maîtrises, donc je ne vois pas le danger.
Alors que s'échappait de son crâne une veine saillante, il ne s'emporta que dans le sens où il avança promptement de façon à faire pâlir une épine de fusil jusqu'au petit groupe de klimiens. Puis, il continua d'hurler en menaçant Tial:
- Je me vengerai de toi Tial, reste avec cette créature si tu en as envie, mais ne t'avise pas de t'approcher de nous... ou je mettrai personnellement fin à tes jours.
La tension qui régnait dans la salle hébétait l'intégralité des klimiens non-combattants directs, soit les quatre passifs de l'histoire. Chacun à sa manière supportait l'instabilité du conflit Tial-Entier, d'autant plus qu'ils avaient tous un mot à dire, et un avis à exposer. Cependant, comme avait tenté à ses risques et périls Ginue, donner son avis dans le moment présent serait suicidaire.
Entier mima à tout le monde de partir, d'un mouvement de tête en direction de la porte de sortie. Laito et Candya furent écrasés, et presque littéralement vue la position de leurs genoux, mais ne s'opposèrent pas au plus puissant des klimiens de Latcalis. Ginue jeta un dernier regard à Tial et Laktoz avant de partir, mais abdiqua.
Contre toute attente, Tekla ne bougea pas.
Entier s'approcha et le poussa sur un bon mètre pour lui dire de se dépêcher, ce que l'enfant ne supporta pas:
- Je veux rester ici !
À ce moment là, Entier ne savait pas s'il devait s'énerver parce que son fils lui désobéissait, ou bien parce qu'il voulait rester avec le monstre et cet enfoiré de traître. Dans le doute, il hurla de plus belle, profitant même de la présence d'un peu de fumée qui s'échappait de ses cavités auditives:
- On y va.
- ... N... Non... Je veux comprendre quel pouvoir je possède, comme Tial... et... bafouilla-t-il, tétanisé.
-
Je ne le répéterai pas, tonna-t-il alors que sa voix même se teintait de cette aura meurtrière.
Tout au fond de la salle, et alors que la situation ne laissait aucune place au comique, à l'exact contraire, Ein, ne pouvant s'en empêcher, se surprit à ajouter:
- Oh oui ! Des tests !
Tels d'énormes joyaux ténébreux, les yeux d'Entier s'illuminèrent en pétrifiant l'extraklimienne de leur toute puissance persuasive. De la même façon, la volonté de Tekla fut presque, et ce encore une fois, aplatie par cette force étrange qui naissait en son père, l'essence même de la colère et de la haine, transposée par cette aura noire aux reflets violets.
Tel la lueur salvatrice, Laktoz s'interposa, seul rempart un minimum viable entre le père et le fils:
- J'ai le choix entre te suivre, alors que t'es devenu complètement barge, ou rester là avec des gens qui au moins tentent de se pacifier. Tu comprends pas que t'es lourd, Entier ?
- Tu ne comprends pas que Tial est devenu un allié de cette dégueulasserie qui est venue envahir notre monde et empoisonner mon fils ! Il est devenu notre ennemi !
- S'il y a bien une personne que je considère en ennemi, actuellement, c'est toi.
L'atmosphère aurait pu s'alourdir encore, mais l'un des acteurs de son agrandissement s'exprima, c'est à dire Tial, qui loin de prendre une humeur plus joyeuse, tenta de demander à ce qu'on fasse la paix:
- Entier, je sais que tous ces événements sont confus dans ta tête, mais je te prie de me croire, et même ton fils l'a compris: Ein n'est plus une ennemie, et elle pourrait même être la plus précieuse des alliés.
En lieu et place de réponse, Entier prit le chemin de la sortie. Alors qu'il traversait la porte, il prononça ces paroles en tentant de calmer ses nerfs, nerfs qui influaient encore et toujours sur sa voix, et qu'il ne contenait qu'à peine:
- Je passe par la grotte pour y prendre des affaires. Vous êtes tous autant, les uns que les autres, des traîtres. Je ne reviendrai pas de si tôt.
Puis, chacun sentit l'élan que le klimien produisit quand il détala, lequel élan se mut en un vent meurtrier qui glaça le sang de tout le monde et qui écharpa la dernière once de volonté dans ceux qui n'en avaient plus qu'une.
Et Candya s'agenouilla, avant de tomber en pleurs.
* * *
Quoiqu'on puisse en dire, ce n'était étonnamment pas une aura néfaste qui entourait la citadelle de Thomore. Ou alors Mani ne s'était pas encore suffisamment enfoncé dans le complexe de la base centrale de l'armée talienne, le cerveau de la dictature, pour comprendre toute la cruauté dont pouvait faire preuve le Grand Général, si tant est que ce n'était que la cruauté qui pouvait émaner de cette vision de l'atmosphère des bureaux et installations centrales de la base.
La grande porte d'entrée, toute de gris vêtue, était gardée par, à l'extérieur, sept gardes armés, et sept autres de l'autre coté. Bien entendu, ne sont pas comptés les barbelés au-dessus, les tirailleurs embusqués ici et là, les mines stratégiquement placées devant, et la pente difficile d'accès qui donnait sa réputation à la citadelle, car surélevée dans les hauteurs des collines du centre de la mégalopole. Autant dire que Mani n'aurait jamais pu rentrer seul, et surtout sans autorisation. Même une particule de lui n'aurait pu espérer atteindre le mur, tant les gardes auraient mitraillé son corps.
La coutume était que l'on ne passe que par les chemins de service, lors des visites de personnes importantes, et non pas, chemin plus court, par les installations. Il ne faudrait pas qu'un ambassadeur, ou n'importe qui de susceptible de passer dans un camp adverse, soit n'importe qui, puisse donner des informations, même minimes, sur l'organisation de la base. Même aériennement, des tourelles sont placées pour ne pas qu'on puisse prendre de photos du ciel. Quoiqu'il en soit, les installations sont prévues pour posséder des formes neutres ne trahissant que peu leurs véritables fonctions.
Après, et sans exagération, une trentaine de minutes de marche guidée au millimètre près par l'accueil – soit des gardes lourdement armés – le neveu de feu Kavoth put apercevoir, rentré dans un bâtiment, une table, large de deux mètres et longue d'une quinzaine, soigneusement décorée, nappe rouge, bougies flamboyantes et chandeliers dorés, assiettes et couverts dressés, plats sous cloche prêts à être consommés, mais surtout, accompagnée d'un nombre de chaises assez imposant pour que Mani ne puisse les compter qu'en s'y reprenant deux fois.
La pièce n'était pas bien éclairée, si ce n'était de par les bougies, mais paradoxalement, contenait une sorte de luminescence, certainement grâce au luxe évident de l'intégralité des matériaux de chaque meuble, ou même de chaque couvert, de chaque objet. En vérité, la seule tâche d'ombre, et l'étrange tâche invisible jusqu'à lors, fut une zone d'incompréhension dans le champ de vision. Oui, littéralement, une zone ombreuse, presque infernale, que les yeux, d'ordinaire vifs, de Mani ne purent discerner dans la pénombre, alors qu'elle emplissait l'endroit comme une tumeur, ou bien, comme une tumeur qui agissait comme une cervelle pleinement consciente de son état. Une tumeur ténébreuse qui contrôlait tel un parasite le bout de la table, laquelle ne semblait pas dérangée par la présence de l'être noir.
Et alors que la tâche d'ombre paralysait Mani, sa vision se centra sur elle.
Rien ne put éviter les pauvres pupilles du fils Sven-Tveskoeg de regarder l'être infame de lumière noire, et alors qu'il ne la voyait pas auparavant, il ne pouvait s'en dissocier du regard, par n'importe quel moyen, même en déplacant son corps, même, hypothétisait-il, en s'arrachant les yeux. Alors qu'il la fixait, et que la tumeur, qui finalement semblait être la tête informe de tout le complexe, se clarifiait, difficilement, dans l'esprit du neveu de Kavoth, elle sembla prendre une forme.
Une forme de klimien, relativement âgé, mais toujours sombre et inconnue, d'où émanait une vapeur noirâtre, qui l'ensevelissait et le cachait des regards, lesquels restaient cependant fixés sur lui. En vérité, la seule explication serait que l'homme ténébreux soit un chasseur de l'ombre, capturant et consommant sa proie qui ne pouvait au premier contact visuel plus s'échapper, doucement et sûrement.
Mani attendit donc, ses lèvres tremblotantes, sa propre mort, l'acceptant peut-être. En fait, son esprit s'enlisait inconsciemment dans une zone de non-existence qu'il ne pouvait définir, ou que son subconscient lui intimait d'atteindre avant de mourir dévoré. La-dite mort ne saurait être avancée à aujourd'hui, car le chasseur des ténèbres en décida autrement. Alors qu'il s'envolait vers le néant, une main, une main prononcée par une voix grave qui murmurait, attrapa son esprit qui se détachait, et le ramena dans le monde vivant:
- Mani Sven-Tveskoeg, 18 ans et quatrième de son école. Quel plaisir de faire ta connaissance.
Là, il fallut attendre que le corps et l'esprit de l'interpellé rentent en harmonie l'un avec l'autre pour qu'enfin la conscience puisse opérer pleinement. Et quand ce fut le cas, il remarqua qu'enfin ses yeux pouvaient librement bouger. Cependant, il ne le fit pas, car en face de lui... l'ombre s'était écartée de la personne qu'elle dissimulait, et Mani constata...
... que c'était le Grand Général de Talia, Rafi K. Ouki.
Bien qu'il fut gêné d'être seul en face de la personne la plus puissante du pays, il n'évita pas son regard et put comprendre de quelle manière la nature, et d'étonnante, ou plutôt atypique, façon, l'avait fait naître: sa peau, toute de rouge teinte, traversée par de longues cicatrices, de haut en bas, bas étant le col de sa chemise, elle-même rouge, de toutes les origines et de tous les cotés, semblait pourtant si bien entretenue, comme si les blessures le régénéraient tout autant qu'elle lui faisaient mal. De la même façon, ses ailes, visibles de part et d'autre de la chaise sur laquelle il imposait son aura de ténèbres, se distinguaient de par leur bleu clair éblouissant, ce qui n'était, ironiquement, pas le plus paradoxal avec l'atmosphère ombrageuse.
Ses yeux étaient blancs, blancs comme la plus pure des neiges.
Le visage vieilli par la guerre se caractérisait par ce coté rectangulaire, que ce soit dans sa mâchoire, angle droit au possible, que ses dents, visibles grâce à son sourire – sadique ? - ou encore de ses cavités auditives. Il fallait aussi noter son absence d'antenne gauche, laquelle était remplacée à la base par une vis en métal soigneusement enfoncé dans son crâne, crâne qui s'imposait d'autant plus que sa couleur renvoyait à la chair, comme si toute sa peau avait été arrachée.
En vérité, Rafi était un cas d'albinisme.
Le Grand Général se lassait déjà de l'attente liée à la contemplation de sa personne par Mani, mais plus que de l'attente, il espérait que le neveu du puissant Kavoth ne soit pas si faible que répondre au chef du pays devienne sa plus grosse difficulté.
Heureusement, Mani, dans un élan de courage, lui fit part de son respect:
- Quel plaisir de faire la vôtre, Grand Général, ne put-il éviter de dire sans être empli de fierté.
Le maître de la dictature porta une tasse à ses lèvres, tasse qui apparut dans les yeux de Mani comme venant de nulle part. Enfin, il n'avait pas eu l'occasion de l'apercevoir plus tôt. Puis, Rafi posa une question:
- Sais-tu pourquoi je t'ai demandé de venir ?
Il hésita: le messager avait expliqué que son père n'était pas disponible, en tant que représentant des Sven-Tveskoeg, et que son oncle... Il restait le dernier de sa famille à pouvoir venir et à participer à la réunion, réunion dont les tenants et aboutissants restaient secrets, tout comme les participants.
- Pour représenter ma famille, je crois.
- C'est faux. Si je voulais avoir un représentant de votre clan, j'aurais choisi ton père, ou son frère, pas un gamin. D'ailleurs, mes sincères condoléances, moi-même suis blessé de la disparition de ton oncle.
Plus que d'être surnommé "gamin", Mani s'énerva intérieurement du rappel de la mort de son cher oncle. Il prit cependant en considération les condoléances, et attendit que l'albinos ne continue la discussion, ce qu'il fit en posant une autre question:
- Dis-moi Mani... As-tu déjà tué un klimien de tes propres mains ?
- J... Jamais, monsieur, espérant que la négation ne donne pas mauvaise impression.
- Et... As-tu déjà posé pied sur un champ de bataille ?
- Ce matin-même, malgré moi, fit-il croire alors qu'il s'est volontairement infiltré dans le camion de renforts, mais je n'ai pas combattu.
- Mmmmhh... Tu n'es même pas allé sur l'un des No Klimian's Land entre Morio et Talia ?
- J'en ai... aperçus...
- Parfait, laissa échapper Rafi entre ses dents carrées.
- P... Parfait ?
- Si je t'ai choisi à la place de ton père pour représenter cette réunion, qui parlera des conséquences désastreuses de l'attaque rebelle de ce matin, c'est parce qu'il me faut te confier une mission, et ce, de façon privée.
- Une mission ? À moi ?
- Tu es très discret malgré ton nom, et il est rare que tu apparaisses sur les écrans. Tu ne jouis d'une bonne réputation que parce que tu possèdes de puissants talents, mais tu restes un gamin qui sort doucement de l'adolescence. Tu seras parfait pour la tâche que je vais te confier.
- Je...
- Je sais que tu n'as actuellement qu'un seul objectif, Mani, et je vais t'aider à y parvenir, mais sache que tu n'auras pas deux fois cette chance. Pour venger ton oncle, tu serais prêt à tout, n'est-ce pas ?
Une lumière apparut dans les pupilles du jeune klimien, et sa combattivité réapparut:
- Je serais prêt à n'importe quoi, même au sacrifice, pour le venger, Grand Général ! plaça Mani, en gonflant son torse et relevant la tête, son poing sur le poitrail.
- Bien, alors tu vas infiltrer le groupe rebelle de Bruno Buccharatti. Tu vas devenir l'un des leurs et monter jusqu'à leur chef, pour ensuite le détruire, lui et sa futile tentative de révolution.
- Vous voulez que je pactise avec l'ennemi !?
- Tu sais pourquoi j'ai choisi de placer les Sven-Tveskoeg comme l'une des dix familles les plus prestigieuses du pays ?
- Je l'ignore, monsieur.
- Leur loyauté. Jamais, parmi les membres de ta famille, on ne m'a pas été fidèle. Ton père aurait pu bien des fois planter un couteau dans mon dos, mais nombre de Moriens en ont reçu un à ma place.
Ce que tu apporterais à notre fier pays serait monumental, et ta renommée instantanée: imagine ton rang suite à cet exploit qu'il m'est impossible d'opérer moi-même.
- Je veux dire... J'appartiens aux Sven-Tve...
- Nous avons déjà prévu une certaine quantité de documents, véritables et erronés, que tu serais susceptible d'emmener avec toi pour confirmer ta non-affiliation avec l'armée talienne. Je ne suis pas idiot au point de croire qu'ils ne savent pas qui tu es, et des précautions ont déjà été prises.
Rafi K. Ouki se leva de sa chaise et toisa Mani du haut de son mètre quatre vingt dix:
- Maintenant, j'attends ta réponse: acceptes-tu ?