L’odeur de Javel était omniprésente dans cette pièce tellement silencieuse… que le bruit de son dos craquelant de partout choqua une souris qui passait. Lequel dos craqua de plus belle, à mesure qu’il se redressait lentement, depuis sa posture allongée ; jusqu’à se retrouver en position assise, sur ce qui n’était autre qu’une table à manger, le long de laquelle trainaient encore deux ou trois tournevis, une BD… et un scalpel. Il resta figé dans sa position — de longues secondes durant — avant de descendre de la table, pataud.
Il resta à nouveau figé — de longues secondes durant — baignant sous l’éclat du néon qui le surplombait…
… avant de sortir de la cuisine, à pas feutrés.
Gero avait déplacé son ordinateur portable au niveau de la table basse du séjour de sa résidence secondaire ; table au dessus de laquelle ses doigts claquetaient musicalement ; et en dessous de laquelle se balançaient — de gauche à droite — ses jambes posées à plat ; l’un de ses doigts de pied gigotant parfois hors de sa chaussette trouée.
Gero était confortablement assis sur la moquette, dos contre divan… et son regard alternait entre l’écran d’ordinateur et celui de la télévision, laquelle diffusait encore le combat IA contre IA du jeu-vidéo laissé en plan par son fils ;
Call of booty ? Gero ne savait plus exactement…
Gordon avait en tout cas abandonné les bikinis en 3D pour une partie de foot à laquelle ses amis du lycée l’avaient convié. Gero contemplait les magnifiques détails de l’arène à l’écran… jusqu’à ce qu’un nouveau combat se lance de lui-même. Il observa alors silencieusement les patterns, s’amusant du niveau de ces IA ; les comparer à celle de C-F… lui décrocha un sourire.
Il arpentait le couloir donnant vers le séjour, ses pattes crochues faisant encore moins de bruit que celles d’un chat… peut-être parce qu’il ne touchait quasiment pas le sol. Il arriva bientôt au niveau du cadre de la porte… et s’y figea — de longues secondes durant — avant de se remettre à marcher, en direction de Gero… qui lui faisait entièrement dos.
Il arriva au bout de quelques pas dans le dos du scientifique… et se figea — de longues secondes durant. Pile ou face.
Face.
Il posa sa main sur son épaule.
— Bonjour, docteur.
L’interpellé sauta quasiment au plafond tandis que son cœur s’affolait. Extirpant ses pieds de sous la table basse, Gero pivota aussi vite que possible et resta figé, l’éclat de ses yeux exorbités témoignant du fait que ça chauffait pas mal dans sa boîte crânienne. Enfer et damnation… qu’est-ce qu’il foutait là, lui ? Il n’était censé pouvoir se lever que dans deux heures… il n’était même pas censé pouvoir se lever du tout, en fait, … les derniers réglages n’ayant pas encore été opérés.
Enfin bon… plus de peur que de mal.
— Bonjour agent W, sourit le retraité avant de détourner la tête vers son écran d’ordinateur. Je ne pensais pas que tu serais opérationnel aussi tôt… j’allais justement finaliser l’armature de tes jambes… après avoir préparé le goûter.
— …
— Bah, laisse tomber. Fais comme chez toi. Mi casa es su casa.
— Quels sont les ordres, docteur ?
La voix était mécanique, artificielle, atone, robotique.
Ce qui n’aurait rien eu d’étonnant en fait… si ça avait été la voix d’un robot. Sauf que ce n’était pas le cas justement…
— Pourquoi une telle froideur… ? Sauf erreur de ma part, tu as parfaitement gardé ta conscience…… Winter.
Le nihilien cybernétique avait le regard fixement posé sur celui de Gero… un regard sans émotion, en harmonie avec son expression faciale impassible… ; et — alors que la scène perdurait — un sourire venu de nulle part se dessina enfin, lentement, sur le visage de métal, de chair et de sang…, lui redonnant soudain ses couleurs.
— Je sais.
Winter fut dévisagé un instant… et puis le calme et la bonne humeur reprirent leurs aises.
— … Mission accomplie, hein ? sourit à son tour Gero, cessant de dévisager l’empereur déchu.
Déchu mais vivant.
— Mission accomplie, hein ? répéta à nouveau Géro, faute de réponse.
— Oh.
— … Tu craches dans la soupe, alors ?
— Elle est trop verte pour être honnête, la soupe.
— proverbe Nihilien ? sourit Gero, toujours facétieux.
— Quels sont les ordres, Gero ?
— Tu veux des ordres ? … Là maintenant ? sourit à nouveau le vieil homme, encore plus facétieux.
— Et surtout… quels sont les règles du jeu.
— Les règles du jeu ?
— Quand est-ce que je pourrais racheter ma liberté. Suis-je à même de contester vos décisions. Sinon, d’émettre un avis. Sinon, de vous insulter. Quel moyen avez-vous mis en œuvre pour vous assurer mon obéissance. J’exige de savoir.
Gero se retourna et dévisagea le nihilien avant d’éclater de rire… sans plus pouvoir s’arrêter.
— T’es un bon gars W. T’es un bon gars…
— Répondez à mes questions, docteur.
— Pourquoi tant de haine. Et le « s’il te plait » alors ?
Gero tournait autour du pot tandis que les yeux de Winter rougissaient, rougissaient ;
criant : liberté ! quand sa bouche refuserait à jamais d’hurler : pitié ! Mais le nihilien comprit. Oui, il avait compris. Gero était trop calme. Gero n’avait que faire de ses états d’âmes. Gero n’était pas son employeur… il n’y avait pas de contrat de travail. Il n’y avait rien d’autre qu’un espoir plus ténu qu’un grain de moutarde ; espoir qui motiva une nouvelle prise de parole de Winter, cette fois beaucoup moins assurée dans le ton.
— Docteur… quels sont vos desseins ? Protéger la Terre ? Sauver l’univers ? Rebâtir un empire universel en vous servant de C-F et de moi-même ? Aurais-je des heures de permanence, à ma discrétion ? Suis-je sous astreinte ? Vous n’allez pas me faire travailler à n’importe quelle heure selon votre bon vouloir. Ma rentabilité s’en verrait amoindrie. A nouveau, quelles sont les règles du jeu ? Quels sont mes droits… quels sont mes devoirs ? Quelles sont les sanctions ? Pourquoi ne me répondez-vous pas ? Quelles sont vos conditions pour que je puisse racheter ma liberté ? Pourquoi ne me répondez-vous pas ? Je suis ouvert à la discussion, Gero.
— Mais de quel jeu tu parles ? Quelle Liberté ?
Gero rit à nouveau, de plus belle. Winter s’effondra, ses nerfs étaient en train de lâcher… il s’effondra sur le premier divan venu… avant de se rendre compte qu’il n’avait pas reçu l’autorisation de s’asseoir ; il se releva, d’un bon.
— Mais non, tu peux t’asseoir.
La fierté l’en empêcha, Winter resta debout… rouge, ou plutôt violet, de tout son long.
— Où se trouve l’autre boîte de conserve ? murmura-t-il en serra les dents, le regard vers le plafond.
— Ton cousin ? Il est allé faire les courses. Il sera bientôt de retour, vous pourrez vous tenir compagnie. En attendant, va me faire un café et fais-moi couler un bain. Tu sais faire ne t’inquiète pas.
Winter serra les dents encore plus fort… et contracta excessivement ses paupières fermées, le visage toujours dirigé vers le plafond.
— Je ne le redirai pas une deuxième fois, W.
Winter revint dix minutes plus tard, avec une tasse fumante. A son entrée dans le salon, il sentit une présence autre que Gero… sans réellement se l’expliquer. Jusqu’à ce que devant ses yeux médusés… C-F apparaisse de nulle part, en plein centre de la moquette.
Le robot tenait à la main un sac plastique couleur corail, duquel s’échappaient des cliquetis accompagnant l'esquisse de formes orangées jusqu’alors imprécises. Le sac fut vidé et les boules de cristal — ainsi que le détecteur — soigneusement posés sur la table ; plus précisément sous une drôle cloche en verre, couleur corail elle aussi, mais chromée et particulièrement épaisse. Winter apporta à Gero son café… avant d’aller s’asseoir sur un divan, la tête entre les mains. Ces drôles de boules orangées ? le cadet de ses soucis à cette même minute.
Gero de son côté était affairé à compter les dragon balls d’un regard à l’avidité perturbante…
… d’autant que ce même regard s’assombrit rapidement, lui laissant une mine patibulaire.
— C-F…… qu’est-ce qui s’est passé ?
— De rien docteur. Dois-je d’abord faire votre chambre ou préparer le bain de maître Gordon ?Gero réitéra sa question autrement ; l’IA restait perfectible pour ce qui était du module de conversation, ses blocs mémoire ayant cette fâcheuse tendance à s’immiscer là où il ne fallait pas au niveau des algorithmes plus circonstanciels.
— Je ne t’ai pas dit merci. Je t’ai demandé quel a été le résultat au palais du tout-puissant.
— La mauvaise nouvelle ou la très mauvaise nouvelle ?
— …
— …
— La mauvaise d’abord…
— Le petit a raté Le Test.
— La très mauvaise…
— Leurs informations se sont croisées et Bulma Brief a semble-t-il fini par réaliser qu’il y avait une majorité de boules de cristal qui n’étaient pas apparues sur son radar pendant plusieurs années consécutives. Elle ne met plus ça sur le compte de la période d’inactivité ou d’un barrage organique. Elle prévoit d'en reparler avec les gardiens et trouve l’affaire de première gravité.
Gero resta sans rien dire pendant une bonne minute, puis tourna le dos à C-F, retournant à son ordinateur sur la table basse.
Le robot enfila alors tranquillement son sempiternel tablier rose… et s’en allait vers la salle de bain quand une information manquante le fit se figer pour tourner la tête vers son créateur.
— Docteur, où se trouve maître Gordon ?
— Il joue dehors.
— Ok.
— Appelle-le, son bain est prêt et il va rater Fred des cavernes, lâcha Gero en contemplant sa montre.
— Ok.
— … Je t’ai déjà dis que je détestais tes « Ok. » ?
— Non.
Gero crissa des dents puis fit signe à C-F de partir.
Le robot passa devant Winter sans un regard, lequel Winter avait au même moment le coude lourdement posé sur la cuisse et — plongé en pleine paranoïa — faisait crisser ses dents contre l’ongle de son pouce droit… si vite et si fort… que de la fumée en sortait.
La posture anxieuse typique.
— Voilà donc tout ce qu’il reste des nihiliens ? Une nounou et un futur dépressif qui fume son propre doigt ? Ah, elle est belle la…
— Docteur…, interrompit le nihilien, le regard rivé vers le sol et le pouce toujours malmené par ses dents.
— Oui ?
— Je crois que je vais vous tuer.
— Ah bon ?
— Je mise tous mes jetons sur le fait que C-F est plus faible que moi. Je sens un pouvoir sans limites. Sans limites. Courir dans mes veines…
— Ah ? Tu es sûr que ce n’est pas un effet secondaire ? En tout cas… si tu es content, tant mieux, je n’aurais pas bossé tout ce temps pour rien, ça fait plaisir. Non franchement, Sais-tu seulement depuis combien de temps je bosse sur toi ? J’avoue qu’au bout d’un moment… le dossier « W » me sortait par les yeux.
— Si vous ne me dites pas tout de suite ce qui m’en empêche… alors je vais vous tuer. Et j’atomiserai C-F ensuite, à son retour.
— Et bien essaye. Par contre, sache que si tu tentes le coup… tu seras puni.
— Qu’est-ce que vous m’avez fait, Gero ?
— Hum… déjà… ce n’est pas une bombe, finalement. Après…… devine.
Gero sembla soudain se rappeler d’une chose et glissa sa main dans l’une des poches de son pyjama… avant de se rendre compte que ce qu’il cherchait se trouvait sur la table. Il s’empara du portefeuille en question — dont l’une des faces était flanquée d’un miroir — et jeta le tout au nihilien qui le vit tomber à ses pattes…… et s’en saisit après quelques secondes d’indifférence.
Winter après avoir farfouillé dans le portefeuille sans comprendre, contempla son propre reflet. Et là… il se figea.
Des cornes ? La dernière fois qu’il avait eu cette tête… remontait à plus de mille cinq cent ans.
Dans la foulée, le nihilien se rendit compte que sa taille avait été réduite de moitié…
— Ça s’est vraiment joué à rien… durant tout le trajet depuis l’espace jusqu’à mon bureau… tu ne cessais de régresser physiquement. C’était vraiment impressionnant. J’aurais parié ma chemise que tu n’y arriverais pas… mais tu t’es accroché à la vie comme une sangsue… ; il a fallu te relancer le cœur une fois sur la table d’opération… mais sinon, tu avais déjà fais la majeure partie du travail en amont. Je ne te l’ai pas encore dit, mais bravo.
— Dommage pour vous. Vous auriez bien voulu commencer vos travaux sur mon corps parfait. Là vous avez eu la version low-cost, et vous faites contre mauvaise fortune bon cœur, ne parvint pas à sourire… le dernier des nihiliens.
— La matière première n’est pas le plus important des facteurs dans l’équation. J’ai eu accès à la plus inestimable des ressources pour compenser le “faux départ”.
— Le matériel volé dans mes vaisseaux ?
— Aussi, oui. Cette cuve de régénération a été plutôt utile, entre autres. Et il semble que des techniques et du matériel spécifique en matière de reconstruction de nihilien courraient votre empire. Vous avez l’habitude de vous faire charcuter ou quoi ?
— …
— Non, je parlais du temps évidemment. J’ai eu tout le temps dont j’avais besoin pour exprimer mon art. Pas de deadline… pas de contrainte technique… même pas de rage aveugle envers Son Goku. Juste du temps… beaucoup… beaucoup de temps. Tu as dormi pendant 5 ans, W. Ça ne se voit pas là, dans ce salon,… mais beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis que je t’ai récupéré dans le vide de l’espace. Et beaucoup de choses ont changé, dehors…… ; tu t’en rendras compte bien assez tôt…
Winter n’écoutait plus depuis que Gero avait prononcé le mot-clé.
Régénération…
Régénération…
Winter se rendit à cet instant compte que ses souvenirs n’étaient pas totalement intacts… il en avait perdu certains… d’autres naviguaient en eau trouble… mais ce souvenir-là… était intact. Pas de bombe, hein ? Gero avait probablement anticipé la possibilité qu’avaient les nihiliens de survivre et se reconstituer en se transformant. Mais savait-il pour la capacité de régénération hors transformation ? Si oui alors il y avait fort à parier que Gero ait décelé le secret biologique de cette capacité… et l’ait déjà neutralisé au moyen de Winter ne savait quel coup de seringue. C-F avait-il observé ou enregistré le combat durant lequel Winter avait fait usage de cette capacité ? Peut-être pas…
L’empereur déchu serra fort les dents… et se brisa discrètement l’index.
Il se concentra alors… encore… et encore………
Il ouvrit les yeux au moment où le son « game over » jaillissait du poste de télévision.
Rien… son doigt n’avait pas guéri. Ou comment perdre bêtement un index… et tous ses espoirs avec.
— Allons W… tu penses bien que je n’aurais pas manqué de faire enregistrer un combat d’anthologie comme celui-là. Ça dépanne toujours… des fois qu’il n’y aurait rien de potable comme film le soir à la télé, ricana à nouveau Gero en se frottant la moustache.
Winter ne répondit rien, se contentant de tenir dans sa main le doigt boursouflé et violet comme une aubergine, sans savoir que faire pour arrêter l’hémorragie. Au moins… il ne ressentait apparemment plus la douleur.
— Cette capacité de régénération à volonté, tu l’as laissée derrière-toi en acceptant de devenir un cyborg. Ça m’étonnerait aussi que tu sois encore techniquement capable de te transformer. Ta flore interne n’a plus rien à voir. Dis-toi que tu gagnes néanmoins au change… la vie, c’est quand même plus important. Et dorénavant tu as d'autres capacités très “cools” en contrepartie…, que je te laisse découvrir toi-même.
— Mon doigt…
— Ah mais ça t’apprendra. Ne le regarde plus et ça ira bien.
— … Ma jambe…Winter tendit sa jambe gauche… qui n’était plus qu’un bout de métal uniforme, un cône, simulant ainsi une jambe de bois. Evidemment… Gero l’avait fait exprès… l’empire possédait des imprimantes 3D à la pointe de la technologie… si le scientifique l’avait voulu… il lui aurait façonné une jambe correcte, avec, au bout, une patte à l’image de celle d’origine. Au lieu de quoi…
— … Quoi ? Tu ne trouves pas ça joli ? Ça fait de toi un pirate maintenant. Tu en as beaucoup bavé depuis que tu es arrivé sur Terre… il fallait bien marquer le coup. C’est une idée de Gordon… je ne pouvais pas lui refuser ça, c’était une soirée d’anniversaire. Winter ne chercha pas plus loin, ce n’est pas comme s’il venait de se rendre compte que Gero avait deux visages.
— Le Super Sayen…
— Quoi le Super Sayen ?
— Est-il encore en vie ?
— Pourquoi ne le serait-il pas ? Il est entré en prépa scientifique maintenant… c’est un grand garçon.
— Si je le tue… vous me rendrez ma liberté ?
— Ça dépend… tu as envie de le tuer, toi ?
— Ce n’est qu’un enfant au fond trop pacifique pour m’effrayer. Mon erreur a été de l’énerver. Sans colère il ne vaut rien. La prochaine fois… je ferai les choses beaucoup plus vite et beaucoup plus proprement. Il n’aura pas le temps de comprendre ce qui lui arrive. Alors je vous repose la question. Si je le tue… me rendrez-vous ma liberté ?
— Quelle gloire y a-t-il à tuer un étudiant surmené qui n’a pas vu l’ombre d’un haltère depuis des années ? Autant aller cueillir des marguerites… c’est plus difficile.
— Vous vous moquez de moi ?
— S’il y a un danger dans la bande… dans l’absolu, c’est pas vraiment lui.
— L’autre ? Le père ? Je l’ai tué…
— C’est Végéta que tu as tué. Faudrait savoir… tu parles de Végéta ou de Son Goku, là ?
Winter bondit en un éclair… submergé par la colère et la frustration d’être moqué sans fin.
— Espèce de connard ! Oui, je l’ai dis ! Tu vas faire quoi ? Tu as fini de te payer ma tête ?
— ……… Pourquoi tu t’énerves ?
— Qu’est-ce que tu veux à la fin, salopard ? Hein ? Qu’est-ce que tu veux ?!
— …… Mais rien…… absolument rien…, souffla Gero, éberlué. Je ne veux rien. Assied-toi, pardieu, compléta-t-il en dévisageant intensément le cyborg, sans cligner des yeux.
Winter serra les poings jusqu’au sang.
Pile ou face.
Pile.
Il se rua sur Gero…
… et fut instantanément plaqué au sol par C-F, venu de nulle part.
— On se calme…, lâcha doucement la voix de l’automate.
— Q… qu’est-ce que…. lâ… lâche-moi, sous-résidu d’empereur !!
Winter s’ébattait comme un beau diable… mais C-F le maintenait fermement au sol, d’une clé de bras irrésistible. Gordon fit son entrée dans le salon au même instant. L’adolescent — de 17 ans désormais — fixa la scène, interdit…, puis recula en agitant les bras en cercle… avant de disparaître comme il était venu, l’air de dire « Vous ne m’avez pas vu, oubliez-moi ».
— Calme-toi W. Quand tu seras calme… je te promets qu’on pourra discuter.
— … Je suis très calme, grogna le concerné en serrant le poing gauche, toujours maintenu face contre moquette.
— N’énerve pas C-F… il est plus fort que toi, et sa personnalité est assez lunatique. Je ne peux pas forcément anticiper toutes ses réactions… c’est le propre d’une intelligence artificielle élaborée.
— Plus fort que qui ??
— Mais toi. Tu fonctionnes maintenant pour partie avec des “piles”, W. Et le programme de C-F en a le complet contrôle, à sa discrétion. Le niveau de ta puissance peut monter et descendre selon son bon vouloir. Tu lui es subordonné. Je pense que ça répond à peu près à toutes les questions que tu m’as posées jusqu’ici. Maintenant calme-toi.
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Quatorze matchs aléatoires avaient eu le temps de défiler à l’écran de télévision… depuis que Winter avait été relâché par C-F. L’automate se dirigeait d’ailleurs à l’instant vers le poste cathodique pour l’éteindre à son initiative… ayant constaté que Gero n’y avait plus jeté de coup d’œil depuis 5 minutes complètes. Il revint ensuite au centre du salon… et se planta droit comme un poteau ; en veille.
Winter était enfoncé dans son divan… silencieux.
Gero quant à lui avait le regard figé sur son écran d’ordinateur, ses pieds se dandinant à nouveau calmement sous la table basse. Il en avait oublié la présence du nihilien depuis un bon paquet de minutes… occupé à surfer sur divers sites d’actualité.
— C-F… sa capacité d’invisibilité…
— Oui… quoi ?
— En combo avec le fait qu’il ne dégage pas d’aura…
— …. ?
— S’il gère bien son jeu de placement et les mouvements d’air… ça le rend théoriquement… invincible. Hors 1 vs 1 dans une boîte d'allumette.
— Si tu le dis. Je te fais quand même remarquer, au cas où ça t’intéresserait, que tu disposes des mêmes capacités. Désactivées par défaut.
— Bon. Parlons sérieusement, Gero.
— Ce n’est pas parce que je ne te regarde pas que je ne parle pas sérieusement, lâcha le scientifique en poussant à nouveau un de ces clics de souris qui rendaient fou le nihilien dans son dos.
— Ce Gohan…… C-F aurait pu le tuer. Il aurait pu le tuer dans son sommeil. Rien de plus facile. Il suffirait de guetter n’importe quelle ouverture pour s’introduire chez lui… et attendre tranquillement la nuit tombée.
— Ah… pas bête.
— Tu continues de te foutre de ma gueule.
— …
— Pourquoi ?
— Pourquoi… quoi.
— Pourquoi m’as-tu transformé en cyborg…… si tu n’attendais rien en échange.
— Parce que tu me l’as demandé, fit tranquillement Gero en cliquant à nouveau sur sa souris.
Deux minutes coulèrent alors suite à ces mots ;
deux longues minutes ;
sans aucune parole ;
seulement le silence des esprits ;
et le clic régulier de la souris.
— Quand puis-je partir ?
— Café.
Winter se leva mais Gero l’arrêta en levant la main, toujours sans le regarder.
— Non pas toi. Regarde… ouvre bien les yeux… tu vas voir dans quelques secondes, la fonctionnalité la plus extraordinaire de C-F, et tu vas en décéder de jalousie, sourit Gero, dans sa moustache.
Winter porta calmement le regard en direction de C-F qui sortait de veille. Le nihilien imagina rapidement le genre de capacités auxquelles Gero faisait allusion. Stopper le temps, donnant ainsi l’impression d’avoir fait apparaître un café de nulle part. Ou une espèce d’hyper-vitesse… donnant encore une fois l’impression d’avoir préparé le café en 1 seconde. Voire la capacité de matérialiser la liqueur à partir de rien. Winter eut finalement la bonne réponse… quand il vit le bras de C-F se disloquer, se désorganiser, se recomposer et se tordre comme un rubik’cube futuriste. Ce bras duquel fuita bientôt un liquide brun… coulant au creux d’une tasse sortie du coude du robot.
C-F apporta à Gero son café viennois, dans une coupole dorée.
— Alors ? sourit le retraité de toutes ses dents. Ça t’en bouche un coin, hein ?
Après un long silence — ça devenait une habitude dans cette pièce — Winter se surprit à sourire.
— Je sais pas. Je m’attendais peut-être à plus… époustouflant.
— Je suis un scientifique… pas un magicien.
Nouveau silence. Long encore une fois… mais pas pesant, ni embarrassant.
— Quand est-ce que je peux partir ?
— Quand tu veux… C-F ne te retiendra pas, je crois. Après… faut lui demander.
— Je peux partir…… sous-résidu d’empereur ?
— Oui.
C-F se volatilisa un instant, puis reparut en face de Winter qui eut tout juste le temps de cligner des yeux.
Le robot lui déposa un objet dans la main.
— Les clés du vaisseau. Je l’ai modifié un peu chaque jour, pour passer le temps. Il se trouve dans le hangar, à quelques kilomètres d’ici, sur la plus haute colline au nord, après le champ de maïs.
— Chill... le corps de Chill… ou ce qu’il en reste, où se trouve-t-il ?
— Dans un cercueil, six pieds sous terre, murmura Gero sans trop s’écouter lui-même.
— J’aimerais l’enterrer dignement. Ici… ou sur Cold One, si j’y arrive.
— Ah ? M’est avis que tu aimerais surtout éviter qu’il me vienne un jour l’envie de le déterrer et d’en faire un robot encore conscient de lui-même et du fait qu’il te doit la mort.
— …
— Je t’ai déjà dis que les robots n’avaient pas de conscience.
— …
— Tu n’es toujours pas convaincu ? s’amusa Gero depuis sa table basse.
— Chill avait beau être un couard, c’était quand même un nihilien, fils de nihilien. Aucun rapport avec ce dont tu parles, lança Winter sans sourciller.
— Frôler la mort vous change un homme, apparemment. Tu crois vraiment à ce que tu dis ? J’ai du mal à te cerner W, rit Gero en se frottant la moustache.
— De toute façon j’ai déjà enterré Chill. Et on ne réveille pas les morts, conseilla C-F.
Winter n’insista pas davantage et prit silencieusement le chemin de la porte de sortie.
— Tu n’attends pas le dîner ? souffla à nouveau Gero, sans se retourner.
— Je ne crois pas.
— C’est de la dinde aujourd’hui. C-F est fin cuistot.
— Je n’en doute pas. Une autre fois peut-être.
— Comme tu veux…
— Gero…
— Oui ?
— L'homme qui m'a aidé…… les supernovas enregistrées par C-F ? Je te jure que je n'ai rien inventé.
— Je te crois W. Je te crois. En sortant… jette un œil au ciel, mais accroche ton cœur avant, la vue pourrait te secouer un peu.
Nouveau silence. Long encore une fois… mais pas plus pesant — ni plus embarrassant — que le dernier. Ce fut Gero cette fois, qui relança.
— Et où vas-tu ?
— ……… Sur la trace de mes souvenirs.
— Ah… ta mémoire… oui, j’ai oublié de te dire…… il se peut effectivement qu’en te transformant en cyborg… j’ai été comme qui dirait contraint de taillader ta mémoire au scalpel. Il se peut du coup que tu ne te souviennes par exemple…… que de ton nom ; comme dans les films. Mais je ne pense pas que ce soit le cas… tu as évoqué le sayen tout à l’heure.
— Il n’y a qu’un seul souvenir qui m’intéresse. Et celui-là… je l’ai encore.
— Et c’est celui-là que tu vas retrouver ? Une femme ? Une variété de café exotique ? Un lieu ?
— Une vengeance.
— …… Ah. Triste vie que celle de celui-là qui ne respire que pour la vengeance. Mais c’est ta vie… tu en fais ce que tu veux…, tu la gâche comme tu veux.
— Dit-il.
— L’esprit comme le corps a besoin d’être nourri. La haine… la vengeance… c’est comme un litre de boisson gazeuse… ça cale, ça prend de la place… mais c’est que du vide. Trouve-toi une passion, c’est meilleur pour le teint. Tu avais bien des passe-temps, avant…, voire un rêve ?
— Il y a plein de choses que je déteste… et très peu que j’aime. Mon rêve pour l’avenir… je préfère le garder pour moi. Dans l’immédiat, j’ai plutôt un objectif : rétablir l’honneur de ma famille… et aussi, tuer un certain quelqu’un, souffla le nihilien en regardant la porte de sortie d’un air austère.
— Le Super Sayen ?
— Une objection ? fit Winter en se tournant légèrement vers Gero, intrigué.
— Non. Tu fais ce que tu veux. Dans cette famille… nous avons tous un rapport bien particulier avec la mort, aujourd’hui. C-F s’en indiffère. Gordon la révère. Et moi je l’attends. Tu sais, il y a cinq ans…, je plaisantais… pour le néant.
— …
— Du moment que la Terre n’a pas à souffrir de votre combat… tu fais ce que tu veux. Juste pour info… tu es un cyborg… et je suis un spécialiste de l’obsolescence programmée.
— …
— Je pense que tu as compris. Ma mort… ou mon mécontentement… sont ta mort.
— Combien de temps… par rapport à l’obsolescence…
— Tu repasses ici environ tous les 10 ans. Et si je suis mort entretemps… C-F prendra le relai.
— …
— Allez, bonne chance avec le Sayen. Il ne sera pas trop difficile à trouver… il jouait au foot avec Gordon dans le quartier… tout à l’heure.
— Je n’ai aucun contentieux avec le Super Sayen.
— …
— J’en ai un avec Cold 444.
— ……… Referme la porte en sortant, clôtura Gero…, en lançant une vidéo humoristique sur son écran d’ordinateur. Pour se vider l’esprit.~~~~~~~~
Oui, se vider l'esprit… enfin.
… après toutes ces années à se laisser intoxiquer par l’aigreur maladive…, enfin.
Sur la longue… trop longue… voie de la désintoxication, cette vidéo était un petit pas comme un autre…
Mais… de petit pas en petit pas……