CHAPITRE 55
Le cœur de la guerre
Le champ de bataille était devenu terrible. Parsemé d'explosions qui frappaient avec plus de fréquence encore que les nombreux éclairs meurtrissant le ciel du Pays de la Foudre, il montrait ce que la guerre avait de plus sinistre.
Les cadavres jonchant le sol humecté par l'averse qui s'abattait semblaient, à chaque illumination des cieux enragés, se multiplier à une vitesse effarante. Pourtant, l'intensité et la folie des combats perdurait, sans faiblir.
Les rares ninjas dotés de capacités de raisonnement possibles malgré l'ardeur des combats ne parvenaient pas à percer le secret de ces enfants-soldat capables de suivre le Saiya-jin jusqu'à la mort. Certes, la puissance du guerrier était incroyable et il était aisé de penser que nombre de jeunes pouvaient être rapidement subjugués, donc manipulés, mais entre la séduction d'une poignée d'individus et la création d'une armée entière, il y avait un gouffre que le court laps de temps ne pouvait expliquer.
C'est ce que pensait C, assailli par les charges meurtrières du démon qui lui faisait face. Mais il commençait à percevoir certains signes de faiblesse chez son adversaire.
Il ne s'agissait nullement de failles physiques. À ce niveau là, l'autre avait de la ressource. Mais sa posture de combat et les mouvements de ses yeux trahissaient un blocage psychologique certain.
C s'efforçait de comprendre l'origine de ce trouble qui aurait été totalement imperceptible pour la majorité des combattants. Mais le jeune ninja de Kumo était loin d'être de ces gens. Et si son camarade, Darui, était souvent mis sur un pied d'égalité avec le ninja copieur de Konoha pour ses compétences globales, la comparaison du Raïkage à l'égard de C était peut-être plus flatteuse encore...
Il disait de lui que ses facultés de raisonnement en combat avaient le potentiel d'égaler celles de l'Éclair Jaune. Et bien que C n'eût jamais apprécié d'être confondu avec ces chiens de Konoha, il fallait admettre que placer son cerveau à un niveau presque équivalent de celui d'un simple ninja devenu Yondaime Hokage, dont le génie lui avait permis de pousser tous les dirigeants de l'époque à imposer l'ordre de fuite à leurs soldats en cas de rencontre – ce qui était quand même le comble en pleine guerre – était plutôt flatteur.
Il se devait donc d'être un minimum à la hauteur de cette réputation que lui avait octroyée son supérieur. Et il le serait.
Car il venait de comprendre. Il s'était jusqu'alors focalisé sur la lecture des mouvements seuls de son adversaire. Et bien que ceux-ci fussent surprenants, il était impossible d'en tirer davantage qu'une pointe d'étonnement.
Mais en ajoutant l'environnement à l'équation, tout s'éclaircissait : un lien évident s'imposait. Les mouvements de cet individu semblaient dictés par ceux d'un autre - non pas à la manière d'un Genjutsu ; au contraire, il gardait toute maîtrise de ses moyens. Il y avait toutefois chez cet enfant la volonté manifeste de protéger quelque chose, quelqu'un...
Et c'est sur cette personne que ses yeux se posaient sans arrêt. C'est face à cette personne que ses mouvements évoluaient, de telle sorte que jamais il ne pût lui tourner le dos, pas même l'espace d'un instant.
Comprenant quelque chose, l'habile ninja effectua un bond en arrière pour s'autoriser un bref répis. Il l'utilisa astucieusement pour analyser les autres Shinobi, puis le Saiya-jin. Il remarqua soudain son regard se poser, l'espace d'une fraction de seconde, sur le jeune Kimimaro en difficulté.
Telle était donc la raison de son combat. Telle était sa motivation.
C avait trouvé le cœur.
Telle était la réponse à la présence aussi rapide d'une armée prête à suivre Raditz et à mourir pour lui. Car, pour la majorité d'entre eux tout au moins, ce n'était pas le Saiya-jin qui était leur chef...
D'un mouvement agile, C envoya alors son katana droit sur sa nouvelle cible. Et celle-ci n'était nulle autre qu'un jeune homme affaibli par ses batailles et son étrange maladie, à l'écart par rapport aux combats, occupé à éviter les assauts de Kitsuchi qui pourraient lui être fatals dans son état – tout en attirant l'attention du colosse d'Iwa pour lui éviter de rejoindre le champ de bataille auquel sa seule présence serait trop impactante pour être négligée.
Et tandis que le katana poursuivait sa folle course en direction du plus redoutable ninja d'Oto, l'opposant de C venait de totalement changer de préoccupation. Toute son attention était à présent concentrée sur la lame de l'arme meurtrière qui traversait le champ de bataille, son sifflement couvert par le sourd grondement de l'orage et les incessants bruits de la guerre.
Le jeune adversaire du Jōnin de Kumo tentait vainement de rattraper le katana, mais sa course était ridiculement lente à côté d'un lancer. Levant son bras devant lui, il laissait allonger son membre démoniaque mais c'était tout aussi futile.
La dernière chose certaine, pour C, était que la situation de son combat venait de totalement basculer, et à son avantage. Car un simple mouvement habile du pied lui suffit à totalement déséquilibrer son adversaire qui ne lui accordait plus d'attention, déstabilisant la bête dans sa course et faisant chuter le puissant Jūgo.
Le katana poursuivait sa folle course en direction de Kimimaro, passant au milieu des nombreux combattants qui, pour les plus aguerris, avaient la vivacité d'esprit de la suivre de l’œil, et pour les élites, d'en comprendre la cible. Mais, amis ou ennemis, la vue du katana ne suffirait pas à avertir Kimimaro à temps. Car même le son avait ses limites, dont la vitesse n'était pas l'une des moindres.
Quant à la cible, trop concentrée sur son adversaire, et sans doute trop fatiguée pour faire davantage, tournait le dos à cette lame dont le tranchant pointait droit sur l'arrière de son crâne.
À ce stade d'avancement, même si le hasard lui donnait l'envie de se retourner maintenant, non seulement cela serait une très mauvaise idée car il finirait probablement aussitôt écrasé par la roche impitoyable du plus puissant Jōnin d'Iwa qui lui faisait face, mais le mouvement de retournement, combiné au temps que lui prendrait l'enregistrement de l'information suivi de la meilleure décision qui serait d'esquiver le katana – ou de contrer par une quelconque défense – et l'action en elle-même, seraient probablement de trop.
En plus, son attention était justement totalement captée par Kitsuchi qui effectuait une incroyable projection d'immenses blocs de terre vers le haut. Aucun d'eux ne visait réellement le ninja d'Oto qui les suivait du coin de l’œil tandis que les monticules s'élevaient dans les airs, à plusieurs mètres au dessus de lui.
À ce stade de l'avancée du katana, seuls deux individus étaient suffisamment rapides pour pouvoir influer le cours des choses. Et l'un d'eux fixait justement ladite arme qui visait l'élément central de l'armée. C'était Raditz.
Quant au second, il fixait le premier. C'était le Raïkage.
Et tandis qu'un nouvel éclair illuminait la terre, Raditz fusait déjà vers le sol, droit sur l'arme. Mais le Raïkage avait repéré son mouvement et courrait également. Quant au Tsuchikage, il avait déjà anticipé un besoin futur de célérité et avait donc de nouveau allégé le Raïkage sur lequel il se tenait.
C'était donc une course de vitesse pure, dans laquelle l'un visait une arme mortelle, le second coursait le premier et le troisième accélérait le second. Mais le Saiya-jin avait également repéré ses deux poursuivants qui le talonnaient. Cependant, du fait de leurs positions et rythmes respectifs, il arriverait juste à temps pour sauver Kimimaro, celui qui tenait son armée, laquelle était son billet de retour pour quitter cette infâme planète.
Telle était l'origine de la volonté farouche du guerrier de protéger sa carte maîtresse, celle qu'avait jadis choisie un ninja légendaire pour d'autres raisons...
Le Saiya-jin ne pouvait se permettre de chasser ses poursuivants au risque d'arriver trop tard. Il s'en débarrasserait après.
L'éclat de l'éclair ionisant l'atmosphère se reflétait sur la lame du katana dont la course venait de subitement s'arrêter...
Au loin, C n'avait pas encore eu le temps d'analyser complètement la situation présente, tant elle fut rapide, mais l'expression de son visage avait déjà anticipé ce que serait le résultat de cette folle course poursuite. Car, à en juger par la vitesse et la distance du katana ainsi que celles de Raditz au moment de son départ, il n'y avait aucun doute possible.
Raditz avait attrapé la lame, juste à temps. Le cœur de sa guerre était donc sauvé.
Et c'est pourquoi C affichait déjà une mine victorieuse.
Car le cœur n'était qu'une diversion.
Totalement concentré dans son acte précédent, Raditz n'eut ainsi que le temps de préparer une émanation énergétique qu'il ne plongea dans le ventre du Raïkage qu'au moment où celui-ci envoyait sa propre frappe. Mais cette dernière ne fut pas du tout brutale, et ce n'était pas juste parce que le Saiya-jin était trop puissant pour avoir mal...
Non, le redoutable chef du village de Kumo n'avait fait qu'ouvrir la main et la refermer, puis la retirer avant même de toucher le visage de son adversaire. Il n'avait fait que brasser de l'air.
Tout ceci n'était vrai qu'à un détail près toutefois : il avait attrapé le Scouter.
Le choc de l'attaque de Raditz lui fit cracher du sang tandis qu'il était projeté en arrière, le Tsuchikage encaissant également une partie de la redoutable offensive qui avait traversé le cœur d'un Raïkage et plus fragile.
Au même moment, celui de Bee s'était remis à battre, lentement, difficilement, et sa première sensation fut celle des lèvres de Yugito sur les siennes, en pleine séance de bouche à bouche.
Le jeune rappeur décida de rester immobile, feintant l'inconscience, un sourire aux lèvres, quand une violente gifle le ramena définitivement à la réalité.
Et il remarqua le visage à présent souriant de Yugito dont les yeux baignés de larmes lui lançaient toutefois des éclairs plus foudroyants encore que ceux du tonnerre qui frappait au dessus d'eux.
Non loin, le Raïkage suffoquait. Son cœur s'était brutalement arrêté de battre. Pire, il avait été littéralement pulvérisé tandis que lui-même était projeté directement contre un bloc de pierre. Mais le monstre de la foudre gardait toutefois cette once de vie qui lui suffirait à accomplir sa mission en tant que Shinobi.
N'importe quel multimètre branché sur le bras gauche du colosse se serait affolé. Et pour cause : le membre tenant encore le Scouter avec plus de vigueur que sa propre vie concentrait toute son énergie pour un dernier lancer.
C'était un lancer vif que Raditz ne put que le constater avant de voir son appareil voler dans les airs. S'élevant à son tour, le terrifiant guerrier allait rapidement le récupérer, mais son champ de vision fut alors gêné par d'innombrables blocs de terre qui tombait du ciel.
Pourtant, aucun météorologue digne de ce nom n'aurait pu prévoir qu'une chute de pierre allait suivre l'orage, et pour cause, car il ne s'agissait là ni d'un caprice venu des nuages, ni même de quelconques résidus de l'espace qui auraient eu l'improbable idée de se placer au mauvais endroit au mauvais moment. Il s'agissait simplement des résidus de l'attaque que Kitsuchi avait lancé dans les airs, suivant son intuition lorsqu'il avait remarqué l'offensive de C. Sans être fin stratège, l'imposant ninja avait senti que les choses importantes venaient de se mettre en place. Son intervention n'avait qu'un but : gêner l'assaillant et contribuer à apporter son aide à une éventuelle future offensive du vieux chef d'Iwa.
Et, au même titre que C venait de le montrer à son Raïkage mourant, existait-il plus noble rôle pour un Jōnin que de seconder son Kage ?
Il ne s'agissait là que d'une simple gêne pour Raditz, mais cela permit l'apparition soudaine d'un cube énergétique entourant l'appareil le plus précieux du guerrier.
C'était le Jinton.
Et le Saiya-jin n'avait guère envie de s'y frotter de nouveau... Son instinct de survie prit donc le dessus et il s'immobilisa au moment où le cube s'illuminait juste devant son nez.
Lorsque la technique s'estompa, la seule poussière résiduelle était trop faible pour être seulement perçue par les meilleurs yeux de ce monde, et c'est ainsi que disparut le plus redoutable allié du guerrier.
Mains tendues tremblantes devant lui, Ōnoki remarqua tout juste qu'il était également épuisé. Car ce qui l'avait poussé à agir n'était nulle autre que sa volonté de pierre, celle-là même qu'il avait cru plongée à jamais dans les méandres de son inconscient depuis son dernier vrai combat de ce nom, plus d'un demi-siècle auparavant.
Comme cette fois, il se retrouvait à terre, aux côtés d'un Kage allié ; comme cette fois, il voyait son adversaire les dominer ; et, comme si le destin voulait pousser l'ironie jusqu'au bout, son ennemi de l'époque ressemblait physiquement à celui qu'il voyait à présent préparer une boule d'énergie dans sa paume...
Mais, contrairement à la dernière fois, Ōnoki, Sandaime Tsuchikage, était souriant, car il avait gagné. Certes, son combat à lui était fini, mais à présent, l'ennemi avait perdu ses sens, quant au cœur, il n'y en avait pas, pas vraiment. Il serait aveugle, et ceux qui formeraient l'ère Shinobi de demain pourraient enfin sortir de terre et s'élever afin que brille de mille feux l'heure de la revanche.
Mais pour l'heure, le monde Shinobi d'aujourd'hui était déjà condamné au moment même où son premier rempart – Konoha – avait été éradiqué. La bataille présente n'avait donc pas été perdue ; au contraire, elle avait brillamment rempli ses ambitions en préparant la suite.
Et tandis qu'une partie des guerriers de Raditz prenait la fuite, celui-ci entama un véritable massacre en éradiquant lui-même tous ceux qui essayaient de les poursuivre – ou simplement de s'échapper. Les pères, les mères et les enfants – tous ceux qui avaient eu l'arrogance de vouloir s'opposer à lui se voyaient supprimés sans autre forme de procès.
Mais la fuite n'était pas l'option de tous, loin de là. Un groupe de trois ninjas se tenait même face à lui, l'affrontant directement, leurs trois katana pointés sur lui.
Samui, Karui et Omoï avaient tous trois compris la réalité que ce dernier avait d'ailleurs prophétisée dès le début du combat : ils allaient tous mourir. Alors, quitte à en finir, autant en profiter. Et, la mort acceptée, foncer sur un être aussi mauvais que puissant était la plus belle dernière action qui soit, une action non portée par une quelconque inconscience puisque celle-ci avait enveloppé tout le champ de bataille dès l'instant où leur sort avait été scellé. C'est ainsi que le trio de Kumo partit dans un sourire.
Ce sourire, Raditz l'avait déjà remarqué chez Darui. Et il le voyait encore chez le Tsuchikage, et même chez le Raïkage dont le cœur ouvert baignait dans un mélange de sang et de pluie.
Pourquoi arboraient-ils tous cette expression victorieuse sur le visage alors même que s'imposait la Faucheuse ? L'incompréhension perdait le Saiya-jin dans sa propre folie...
Non loin, Bee et Yugito se tenaient face à face. Leurs visages trempés par l'averse se rapprochaient instinctivement, comme si leurs cœurs, soumis à de rudes épreuves, s'étaient soudainement mis à battre à l'unisson.
Alors, les lèvres des deux Jinchūriki entrèrent une nouvelle fois en contact, cette fois-ci portées par la seule chose que la lointaine explosion lumineuse ravageant le champ de bataille, les innombrables vies et la civilisation Shinobi ne pourrait pas emporter...
Car, même au milieu du plus profond des désespoirs, il existait une ressource intarissable qui survivrait à tous les combats et qui ferait briller le monde de demain.
C'était là le vrai cœur de la guerre.