Synopsis : Presque une année entière s'est écoulée depuis la clôture du vingt-troisième Tenka Ichi Budōkai. Chacun des participants à ce tournoi homérique s'en était retourné à son paisible quotidien. Mais depuis quelques temps, l'un d'eux se retrouve hanté par un passé dont il n'a pas souvenance. Déterminé à obtenir les réponses qui permettront d'éclaircir ce mystère, il s’enquiert alors de partir à la recherche de ses origines.
L'Œil qui ne pouvait pleurer
Grand-père ! C'est quoi ce qui brille là haut ?
Au sommet d'une montagne porteuse d'une végétation dense et luxuriante, culminant à une hauteur telle qu'on la disait le point le plus proche des étoiles, un village avait été bâti autour d'une source d'eau cristalline, portant en son centre un petit îlot isolé, pourvu d'un immense et massif cerisier millénaire aux pétales roses phosphorescents, illuminant la nuit d'un éclat plus pur encore que celui de la pleine lune se reflétant sur le lac.
Devant cette étendue d'eau sur laquelle naviguaient au rythme des tambours et des feux d'artifice plusieurs navires transportant sur leur pont de jeunes cerisiers de taille plus réduite que leur aîné, un vielle homme observait la voûte céleste accompagné d'un garçon en bas âge, le crâne pourtant déjà lisse, tout deux pieds nus, la plante caressée par le colza qui recouvrait abondement le sol.
C'est le monde d’où nous venons. Toi, tes parents, moi, et chacun de nos ancêtres arrivés ici avant nous. Nous seuls sommes capables d'admirer encore son éclat aujourd'hui. Certains l'appellent l’œil céleste.
Au milieu de la myriade d'étoiles visibles en cette nuit dégagée, un éclat se distinguait des autres. Arborant la même couleur que celle des cerisiers flottant sur l'eau, et entouré d'un halo à nul autre pareil. Un corps céleste, semblable à un œil, rendant son regard au jeune garçon doté d'un troisième œil qui l'observait ici bas.
C'est là que mère et père sont retournés ?
C'est exact. C'est là que nous autres, Mittsume-jin, retournons lorsque notre troisième œil se ferme.
«Le troisième œil d'un Mittsume-jin, jamais ne dort, jamais ne pleure, jamais ne se clôt, jusqu'au jour ou il rejoindra ses frères, aux côtés desquels il surveillera ses fils depuis le ciel.»
C'est pourquoi tu ne seras jamais seul. Ne l'oublie pas, TenShinHan.
Au sommet d'une montagne porteuse d'une végétation dense et luxuriante, culminant à une hauteur telle qu'on la disait le point le plus proche des étoiles, un village avait été bâti autour d'une source d'eau cristalline, portant en son centre un petit îlot isolé, pourvu d'un immense et massif cerisier millénaire aux pétales roses phosphorescents, illuminant la nuit d'un éclat plus pur encore que celui de la pleine lune se reflétant sur le lac.
Devant cette étendue d'eau sur laquelle naviguaient au rythme des tambours et des feux d'artifice plusieurs navires transportant sur leur pont de jeunes cerisiers de taille plus réduite que leur aîné, un vielle homme observait la voûte céleste accompagné d'un garçon en bas âge, le crâne pourtant déjà lisse, tout deux pieds nus, la plante caressée par le colza qui recouvrait abondement le sol.
C'est le monde d’où nous venons. Toi, tes parents, moi, et chacun de nos ancêtres arrivés ici avant nous. Nous seuls sommes capables d'admirer encore son éclat aujourd'hui. Certains l'appellent l’œil céleste.
Au milieu de la myriade d'étoiles visibles en cette nuit dégagée, un éclat se distinguait des autres. Arborant la même couleur que celle des cerisiers flottant sur l'eau, et entouré d'un halo à nul autre pareil. Un corps céleste, semblable à un œil, rendant son regard au jeune garçon doté d'un troisième œil qui l'observait ici bas.
C'est là que mère et père sont retournés ?
C'est exact. C'est là que nous autres, Mittsume-jin, retournons lorsque notre troisième œil se ferme.
«Le troisième œil d'un Mittsume-jin, jamais ne dort, jamais ne pleure, jamais ne se clôt, jusqu'au jour ou il rejoindra ses frères, aux côtés desquels il surveillera ses fils depuis le ciel.»
C'est pourquoi tu ne seras jamais seul. Ne l'oublie pas, TenShinHan.
Livre premier : Huíyì
Soudain rappelé à l’éveil au beau milieu de la nuit, la chétif poupée de cire – dont les yeux perdaient lentement l'éclat d'émeraude dont ils s'étaient éclairés un instant au sortir de leur sommeil – s'éleva hors de son lit par la lévitation.
Dans la couchette se trouvant dans la pièce voisine, une jeune femme dormait seule, abandonnée par son amant qui s'était éclipsé depuis déjà plusieurs minutes, laissant la belle endormie aux cheveux bleutés blottie dans les bras de Morphée à défaut des siens.
Seul son perturbant le calme de la nuit, un écoulement d'eau provenant de la salle de bain, ou l'homme à trois yeux s'était rendu en urgence pour se rafraîchir le visage, qu'il arrosait encore abondamment des deux mains, lorsque le petit être flottant entra lui aussi dans la pièce.
-J'ai encore fait ce rêve, Ten san. Ton rêve. Qui est cet homme que tu vois toutes les nuits ?
Le visage couvert d'eau, s'écoulant sur sa surface pour remplacer les flots de sueur qui le parcouraient à son réveil, le grand chauve au corps athlétique ferma le robinet et s'observa dans le miroir, qui reflétait également l'image du visage inquiet de Chaozu se trouvant derrière lui, en plus de son propre visage épuisé aux yeux cernés.
-Je n'en sais rien. Je n'ai aucun souvenir de mon enfance, tu le sais bien. Pourtant, ce vieillard me semble si...familier. J'ai l'impression de me souvenir de son visage si doux. Alors que quand je me regarde dans la glace, depuis toujours, c'est comme si...je regardais un inconnu.
-Qu'est-ce que tu comptes faire, Ten san ?
-Toute ma vie, je ne me suis toujours consacré qu'aux arts martiaux. J'ai toujours privilégié l'entraînement. C'est le seul domaine ou je me suis toujours senti en accord avec moi même. Pour une fois...j'aimerai savoir qui je suis en dehors d'un combattant.
C'est ainsi, en quête de se connaître par un autre prisme que celui de la force, que TenShinHan partit à la découverte de ses origines. Il avait quitté cette maison dans laquelle il avait vécu quelques semaines, en compagnie de cette femme qu'il obsédait, et qu'il avait fini par porter lui aussi dans son cœur, quoi que d'un amour bien moins passionnel, au moins pour quelques temps. Il l'avait quitté en pleine nuit, sans aucun bruit, afin de ne pas la réveiller.
Peu d'affaires lui appartenaient de toute façon, il ne lui fallut que peu de temps pour les réunir, et disparaître dans la nuit après avoir laissé sur son oreiller un mot fraîchement rédigé au pinceau sur un parchemin, davantage pour s'excuser que pour s'expliquer.
Un mot que la jeune femme, devenue blonde au petit matin, avait peiné à lire jusqu'au bout, tant l'encre fut vite altérée par ses larmes se déversant abondement sur le papier. Des larmes d'autant plus lourdes que la jeune femme au naturel violent n'avait pas pour habitude d'en verser.
Déjà bien loin du foyer ou il l'avait laissé, le responsable de ces larmes, en compagnie de son éternel petit acolyte aux joues rouges, traversait forêts sauvages, rivières agitées, et immenses étendues vertes aux herbes si hautes qu'il était difficile d'y évoluer à pied.
Il y avait bien longtemps que les deux amis n'avaient pas ainsi voyagé, leur procurant un sentiment de nostalgie encore renforcé par les tenues qu'ils portaient, ainsi que leurs chapeaux de bambou traditionnels, dans lesquels ils n'avaient plus l'habitude de se voir.
Soleil et lune se succédaient tour à tour à mesure que les deux hommes en quête de vérité progressaient dans leur périple. Et chaque fois que la froideur de la nuit prenait la place de la chaleur du jour, et que l'éveil laissait la sienne au sommeil, TenShinHan le revoyait. Ce vieille homme si familier, si chaleureux, qu'il appelait «grand-père» en songe, mais dont il ne se souvenait pas le moins du monde.
Grand-père, pourquoi mes parents ont rejoint l’œil céleste ?
À l'intérieur d'un temple naturel, lieu sacré fondé au cœur d'une grotte aux parois parcourues de lierre et au sol couvert des mêmes fleurs dorées que dans le reste du village, le jeune garçon et son grand-père étaient tout deux agenouillés face à une imposante stèle, survolés par des dizaines de lucioles diffusant une douce lueur fuchsia. Sa prière achevée, le vielle homme alluma un bâton d'encens avant de répondre à la question de son curieux petit fils.
-Tes parents étaient de valeureux guerriers. Ils ont combattu des années durant pour garantir la protection de notre village, et protéger les secrets de notre clan. Autrefois, notre peuple était grand et prospère. Mais nombreux sont les notre à être tombé lors de la grande guerre contre les armées du roi démon il y a de cela plus de deux siècles. Alors, afin de maintenir la paix, notre peuple affaibli doit compter sur les rares combattants qu'il engendre. Tes parents en faisaient partis.
-Alors, ils ont fermé leur troisième œil en nous protégeant ?
Soudain peiné de devoir se remémorer la souffrance de voir partir son fils et sa belle-fille avant lui, le vieillard se leva à l'aide de sa canne, et appuyé par le jeune garçon, trop spirituellement troublé pour poursuivre ses prières.
-Hélas, ils n'ont pas eu cet honneur. Alors qu'ils s'étaient rendus au royaume voisin pour une importante tâche, tes parents ont été lâchement...
«Assassinés»
Ce mot résonnait encore dans son esprit confus lorsque TenShinHan se réveilla en sursaut, paniqué et aussi abasourdi que ce jeune garçon l'avait été dans son rêve, avant de réaliser ou il se trouvait vraiment. Allongé près du feu de camp que lui et Chaozu avaient allumé pour passer la nuit et prendre un repos bien mérité.
Mais combien de temps s'était-il écoulé depuis la dernière nuit véritablement réparatrice qu'il avait passé, lui qui ne pouvait littéralement jamais vraiment fermer l’œil ?
* * *
Treize jours s'étaient écoulés depuis l'entame de leur périple. Arrivés à une petite ville portuaire très humble d'apparence, laissant penser que ses habitants ne vivaient que de la pêche, les deux voyageurs ne prenaient que le temps d'une courte escale afin de se restaurer et de trouver un moyen de transport maritime.
Alors que TenShinHan parcourait les quais couverts d'une fine brume à la recherche d'un navire disponible, son petit compère s'était laissé tenter par les appels répétés et le discours convaincant d'un marchand, habitué à trouver les mots justes pour faire frémir l'estomac des passants. Une fois son anguille choisie et sortie de son baquet d'eau à l'aide de ses pouvoirs psychiques – ce qui ne manqua pas de faire sursauter le vendeur qui resta malgré tout professionnel devant le client – Chaozu observa patiemment la préparation de son festin, cuisant lentement au feu de bois devant ses yeux émerveillés.
-Et voilà pour vous, deux portions de notre célèbre Kabayaki ! Régalez vous et n'hésitez pas à revenir !
Rappelé à l'ordre par son compagnon alors qu'il salivait devant le met tant attendu, Chaozu s'empressa de payer le vendeur, et s'éloigna de l'échoppe pour le rejoindre sur les quais, son Kabayaki enfourné tout entier dans la bouche.
-Le propriétaire de cette embarcation accepte de nous emmener à condition qu'on le protège durant la traversée. D'après lui, un Kaijū rôderait dans les parages. Que ce soit vrai ou non, ça ne devrait nous poser aucun problème.
-Dîtes, les coordonnées de votre destination, c'est bien NBI 8250012 B ? Vous êtes certain que c'est bien ça ? Il n'y a rien là bas, c'est au beau milieu de l'océan !
-Ne vous en faites pas, emmenez nous simplement là bas.
Les préparatifs achevés, le marin pourvu d'une barbiche et au front cerclé d'une cordelette blanche typique des pêcheurs de la région, ainsi que ses deux gardes-du-corps, prirent la mer dans la direction indiquée par le plus grand des deux, le visage dissimulé sous son sugegasa fait de bambou, tandis que Chaozu avait ôté le sien, accroché à son cou par une cordelette, le laissant pendre dans son dos.
La jonque aux voiles immaculées se laissait pratiquement porter par le doux zéphyr soufflant paisiblement sur la mer, légèrement guidé par son capitaine, étonnamment capable d'évoluer sans mal dans la nébuleuse maritime à travers laquelle même le troisième œil de TenShinHan ne pouvait voir.
La brise, le bruit des vagues venant caresser délicatement la coque, le chant des guillemots volant au dessus de la brume et quittant le pays en cette saison de mousson à la recherche d'étendues plus chaleureuses, Chaozu s'amusant à essayer d'attraper les poissons volant passant à tribord de la jonque. Il ne s'était jamais imaginé à quel point l'atmosphère maritime pouvait être relaxant.
Et alors qu'il profitait du son mélodieux que produisait cet orchestre symphonique tenue par mère nature, le jeune homme, assis contre le mat, se surprit à somnoler.
Un sommeil étrangement apaisant, avec le néant pour seule toile de fond. Un vide, insondable, et reposant.
Des ténèbres qui peu à peu se virent remplies d'une pléiade de lucioles dont il reconnaissait la couleur presque rosée, voletant tout autour de lui, s'éparpillant de plus en plus à mesure qu'il rajeunissait.
Comme plongé dans un état de sérénité absolue à l'intérieur de son propre rêve, le garçon admirait ces lumières qui en se regroupant et en flottant de manière si harmonieuse, saccadée, et synchronisée, semblaient danser le Buyō autour de lui.
Avant qu'elles ne changent de couleur, virant du fuchsia à un orangé presque rouge, et ne s'agitent violemment dans un inquiétant tourbillon qui éclaircit alors l'obscurité dans laquelle il était plongé, révélant un village en proie aux flammes, au cœur duquel avaient lieu de sanglants combats.
Apeuré, souhaitant autant rester pour les siens que fuir pour sa vie, le jeune Mittsume-jin était paralysé face à cet horrifiant spectacle.
Par ces flammes dévorant son foyer. Par ces cendres salissant son héritage. Par cette fumée noire dans laquelle il suffoquait.
Par ce sang coulant à flot, et remplaçant l'éclat doré du colza qui décorait sa terre natale par un teint pourpre oppressant.
Au milieu du chaos, il l'entendait pourtant, hurler son nom à gorge déployée, prier, supplier les Dieux pour qu'il ne lui soit pas enlevé. Son grand-père, traversant l'enfer qu'était devenu son havre de paix tant chéri par ses ancêtres, avançant inlassablement entre les corps et les brasiers pour retrouver l'être qui comptait le plus pour lui.
Mais TenShinHan était incapable de le rejoindre, retenu par une force inconnue qui l'attirait vers elle, qui l'extirpait de son foyer, qui l'enlevait à sa famille sans qu'il ne puisse lutter. La gorge nouée, il était incapable de répondre aux supplications de son grand-père dont il s'éloignait lentement, alors que sa voix l'atteignait encore.
Criant, criant son nom, l'implorant d'être encore en vie.
Le suppliant de se réveiller.
Ten san !
Rappelé à la réalité, le jeune champion d'arts martiaux se réveilla dans la panique. Alors qu'un violent torrent frappait le bateau, empêchant son capitaine de le manœuvrer, Chaozu avait les yeux rivés sur la chose qui arrivait au loin. TenShinHan se précipita à bâbord, d’où il put voir, au loin, l'incroyable déferlement d'eau qui fonçait droit sur eux sans s'arrêter, et masquait la créature responsable d'une telle agitation.
-Est-ce que c'est...
«Le Kaijū !»
, répondit le marin en proie à la terreur, tandis que le visage de Chaozu plus blanc encore qu'à l'accoutumée suggérait qu'il se trouvait dans le même état d'effroi, si tant est que ses yeux livides et blafards n'étaient pas déjà une indication suffisante.
Voyant bien qu'il était le seul capable d'agir, TenShinHan s'empressa de jeter le haut de sa tenue ainsi que son chapeau au capitaine qui en aurait sans doute trébuché s'il n'avait pas eu le pied marin, et monta sur la rambarde qui entourait le pont, faisant seul face à la mer, et au monstre qui se précipitait dangereusement sur eux.
Une profonde inspiration effectuée – gonflant son torse d'air et de courage – et les jambes arquées prêtes à résister au moindre choc de quelque envergure que ce soit, il attendit le bon moment. Le dernier moment. Cet instant ou tout se jouerait, ou aucune seconde chance ne serait permise. Cet instant ou l'enjeu oblige un homme à se surpasser.
Et d'une rage insondable qui tétanisa le capitaine de la jonque, TenShinHan poussa un Kiaï effroyable qui fit trembler l'eau, l'air, et probablement les cieux eux mêmes. Un cri tel qu'il sembla stopper un court instant la course du temps, en même temps qu'il stoppa celle du Kaijū, forcé de s'arrêter net malgré son impressionnante vitesse, une seconde à peine avant l'impacte avec le frêle voilier.
Un arrêt si brusque qu'il projeta une immense vague qui menaçait de se déverser sur le navire et ses passagers. Un flot ravageur que le vainqueur de la bête s'apprêtait à recevoir de plein fouet sans broncher, lorsque l'eau elle aussi s'arrêta avant de submerger l'embarcation, maintenue en l'air et fractionnée en des centaines de petites bulles, formant une écume flottant dans l'atmosphère tout autour d'eux.
-Excellent réflexe, Chaozu.
-Je ne sais pas qui vous êtes tous les deux, mais ce qu'il vient de se passer à l'instant était incroyable ! Et le Kaijū, est-il mort ?
-S'il ne l'est pas, ce n'est qu'un sursis, croyez moi.
Il ne pensait pas si bien dire. Quelle surprise se fut alors lorsqu'il aperçut de l'air revenir à la surface et une silhouette s'élever lentement. Prêt à l’accueillir comme il se devait, TenShinHan arma son bras pour en finir avec l'animal, quand soudain, il vit émerger de l'eau froide ce qu'il prit tout d'abord pour un poulpe, avant de réaliser qu'il s'agissait contre toutes attentes d'un visage qui ne lui était pas inconnu. Le visage d'un ami.
Celui d'un petit homme chauve au front décoré par six brûlures faîtes au mogusa, ces herbes brûlantes qu'utilisaient certains moines pour marquer leur corps.
-Kuririn ?!
Reprenant péniblement son souffle après un très long moment en apnée, le jeune moine d'Ōrin retira son masque de plongée à la visière couverte de buée, et reconnut finalement lui aussi ses deux amis.
-TenShinHan ? Chaozu ? Qu'est-ce que vous faites ici ?
…
Tu t'entraînais ?
Débarqués sur l'îlot se trouvant aux coordonnées NBI 8250012 B, plus communément appelé Kame House par ceux qui en connaissaient l'existence, TenShinHan, Chaozu, et leur étonnant ami, après avoir salué et remercié le capitaine pour les avoir emmenés jusqu'ici, avaient rejoint le maître des lieux au salon pour mieux pouvoir converser autour d'un thé purifiant et de daifukus dont Chaozu raffolait.
-Muten Rōshi sama dit qu'il n'a plus rien à m'apprendre, mais je dois devenir plus fort, au cas ou ce pourri de Piccolo Daimaō tente encore quelque chose. Alors j'essaye de me surpasser par mes propres moyens.
-Tu sembles plus fort encore que durant le dernier Tenka Ichi Budōkai, tu avais l'air...d'un véritable Kaijū.
Hilare et flatté mais peu convaincu par ce compliment, Kuririn préféra prendre la remarque à la plaisanterie, ne comprenant pas vraiment ce que voulait dire son camarade par là, à l'inverse de Chaozu qui se serait sans doute étouffé de rire avec son daifuku s'il ne l'avait pas fait passer à l'aide d'une grande gorgée de thé, qui lui brûla cependant le gosier jusqu'à faire virer son visage blanc au rouge, s'effondrant sous les yeux affolés d'Umigame, la fidèle tortue de Kame Sennin, qui s'empressa d'aller chercher un éventail pour ramener à lui le garçon dont la bouche expulsait un fin nuage de vapeur.
Dans le même temps, le maître de maison revenait avec l'objet qu'il était parti quérir pour son visiteur dans ses affaires, toujours aussi parfaitement ordonnées. Une fois installé en tailleur entre ses deux jeunes élèves – avec autant de difficulté que pouvait en avoir un homme de son âge encombré par l'arthrose – Kame Sennin déroula sur le sol le parchemin descellé, déployant devant eux une carte d'un lointain pays ou il s'était autrefois rendu en compagnie de son maître et de certains de ses condisciples.
-La voilà, la carte du pays de Jiaozi.
-Vous pensez que l'endroit que je cherche se trouve là bas ?
Une latte tirée sur son kiseru – la pipe en bambou qui lui avait été offerte par son premier disciple dont les initiales étaient gravées sur le manche, bien des années avant que le petit fils de ce dernier ne suive le même entraînement – le vieux maître répondit avec assurance qu'il n'y avait « pas le moindre doute à ce sujet ».
-J'ai combattu à maintes reprises aux côtés des Mittsume-jin face aux armées funestes de Piccolo Daimaō. Et si je n'ai jamais foulé du pied leur terre sacrée, je peux néanmoins garantir que c'est là bas qu'elle se trouve.
« Jiaozi ? Mais c'est juste à côté de mon pays natale ! » s'exclama le jeune bonze alors qu'il manqua de cracher sa gorgée de thé.
-Vraiment ?
-Bien sur ! Mon village et le temple Ōrin ou j'ai suivi ma formation se trouvent juste à la frontière de ce pays, ils ne sont séparés que par une grande bambouseraie, c'est à deux pas de chez moi ! Je peux vous y emmener avec mon avion si vous le voulez ! Ce sera l'occasion de rendre visite à mes aînés.
-Un avion ? Tu as un avion, toi ?
Vexé par la remarque hautaine de la petite poupée blanche, tout juste remise sur pieds par Umigame mais déjà suffisamment d'aplomb pour se montrer acerbe, Kuririn expliqua simplement qu'il s'agissait d'un cadeau de son meilleur ami qui avait tenu à partager un peu de sa récompense du vingt-troisième Tenka Ichi Budōkai avec lui.
«Dans ce cas mettons nous en route sur le champ !» clama le grand chauve à trois yeux après s'être levé soudainement, si tôt interpellé par son aîné.
-TenShinHan ! J'ignore ce que tu cherches, mais quoi que tu espères trouver là bas, tâche de mesurer tes attentes. Il n'est jamais bon de remuer le passé quand celui-ci nous a quitté depuis trop longtemps. La déception est le pire des poisons pour un jeune homme fougueux tel que toi. Promet moi de faire preuve de sagesse.
Incertain du sens des inquiétudes du maître, le jeune homme le rassura néanmoins avant de prendre la porte, suivi par Kuririn, puis Chaozu, qui fut retenu un court instant encore par leur hôte.
-Chaozu, veille sur TenShinHan pour moi, veux-tu ? J'ai toute confiance en lui, mais je sais à quel point il peut être facile de basculer à nouveau dans les ténèbres quand on s'en est approché autant que lui.
Aussi déboussolé que son ami par les mots du vieux sage, Chaozu acquiesça vaguement, et gagna lui aussi la plage ou il décolla avec les deux autres, observés par le regard inquiet de Muten Rōshi.
-Fais attention à toi, TenShinHan...
…
«Muten Rōshi sama ! Votre émission favorite va bientôt commencer !»
À l'appel de sa fidèle tortue, Kame Sennin troqua son air grave pour une expression lubrique et joyeuse, et essuya la gouttelette de sang s'écoulant de sa narine droite alors qu'il retourna à l'intérieur en s'exclamant,
C'est l'heure de la gymnastique mesdames !
* * *
À bord de l'avion à propulsion piloté par Kuririn, TenShinHan repensait aux paroles de son maître tandis qu'il observait les nuages par le hublot adjacent à son siège. Un océan blanc céleste sur lequel naviguait tranquillement ce navire volant. Voilà un cadre propice au repos pour lui qui cherchait depuis des semaines le sommeil, sans jamais parvenir à le trouver plus de quelques minutes.
-Au fait TenShinHan, comment va Lunch ? Muten Rōshi sama demande fréquemment de ses nouvelles depuis son départ l'an passé, tu l'as revu depuis ?
Devant l'absence d'une réponse, Kuririn tourna lentement la tête vers l'arrière du véhicule, ou il vit son passager endormi, le bras sur l'accoudoir et le menton tenu par sa main. Les yeux plissés en signe de vexation, le petit homme se reconcentra sur les commandes comme si de rien n'était en pestant à voix basse.
-Je lui parle à peine et voilà qu'il s'endort. C'est pas tellement l'image que je me faisais d'une virée entre potes.
À demi conscient, plongé dans l'obscurité et se sentant presque hors de son corps, il était impossible à TenShinHan de bouger ni même d'exprimer le moindre mot. Ignorant ou il se trouvait, et même jusqu'à s'il était en vie, le garçon ne pouvait qu'entendre vaguement autour de lui les voix d'hommes inconnus.
L'une nasillarde, affirmant que l'état préoccupant du garçon démontrait sa faible constitution.
Une seconde, plus grave et menaçante, affirmant qu'il ne leur serait d'aucune utilité pour le moment.
La première, à nouveau, supposant qu'il devrait devenir plus fort par lui même avant de pouvoir leur servir.
Une troisième voix, plus douce et aiguë, prit la défense de l'enfant, trop jeune selon lui pour survire seul.
Un geste de bonté aussitôt rejeté par les deux autres qui l'interrompirent sèchement dans ses propos, arguant que la décision était prise, et qu'il lui fallait suivre le plan à la lettre.
Et alors que jusqu'ici seule l'ouïe dont il disposait était familière à ses souvenirs, le toucher lui revint aussi, quelques instants avant que ne revienne le néant, ayant pour seule sensation celle de deux petites mains lui tenant la tête de chaque côtés.
Non, il sentait également quelque chose au creux de sa main. Une chose aussi frêle et fragile que ses souvenirs fragmentés. Il l'avait porté à son visage, lentement, usant de ses derniers instants de conscience pour y parvenir.
Avant de finalement sombrer, un dernier sens lui était revenu, alors qu'il put sentir le parfum de ce qu'il avait serré si fort dans sa petite main lorsqu'on l'avait arraché à sa terre natale. Si fort que la minuscule fleure avait fini écrasée, perdant son aspect si délicat.
Le parfum que humait son grand-père, et qu'il respirait à pleins poumons chaque fois qu'il le serrait dans ses bras.
Ce doux parfum de colza si cher à son cœur.
« Qu'est-ce que tu fous, Chaozu ?! Arrête ça, je ne vois plus rien ! »
Secoué en plein sommeil, le dormeur émergea soudainement, du fait des turbulences causées par un pilote agitant plus que nécessaire les commandes de l'appareil volant, alors qu'il essayait surtout de se débarrasser des objets flottant autour de lui par la volonté du petit farceur cherchant à tuer le temps pendant ce long trajet.
En ouvrant les deux seuls yeux qu'il avait fermé durant sa courte sieste, TenShinHan jeta un œil vers l'extérieur, et put apercevoir, alors que l'avion perdait progressivement en altitude et traversait la couche de cumulonimbus lui cachant la vue, une immense montagne semblant correspondre à la description que lui en avait faite Muten Rōshi.
-Kuririn, c'est ici, j'en suis sur ! Pose toi, vite !
-Laisse moi une minute tu veux ? Quand je me serai débarrassé de ce petit emmerdeur !
Chaque mètre le rapprochant de la montagne faisait battre son cœur un peu plus vite. Devant ce terrain escarpé, Kuririn n'eut d'autre choix que de poser l'avion en bas du mont, au milieu d'une clairière déserte, avant d'entamer l'escalade de la montagne que l'on disait être la plus proche des étoiles : Le mont Nézhā.
Aussi rude que fut l’ascension, TenShinHan ne vacilla en aucune façon. Ni devant cette roche rugueuse et difficile à appréhender, ni devant les chutes de pierres tentant de leur barrer la route, ni même face à la pluie qui leur servit de comité d’accueil. Une force de volonté que Kuririn aurait aimé partager avec lui en l'observant plusieurs mètres au dessus, bien plus avancé qu'il ne l'était dans la montée. Un retard qu'il ne devait finalement pas tant à sa condition physique qu'à ses incessantes altercations avec Chaozu qui, en flottant à côté de lui pour monter sans le moindre effort, passait son temps à narguer le jeune moine encore incapable de maîtriser suffisamment bien le Bukū jutsu pour grimper à une telle hauteur. Une technique dont ne semblait pas vouloir user le plus grand du trio, décidé à prouver sa détermination aux Dieux en gravissant cette montagne à l'aide de ses seuls bras.
Ce n'est qu'à l'issu de trois heures d'escalade que le trio atteignit finalement le sommet, ou attendait une ouverture naturelle sculptée dans la roche, dissimulée derrière des lianes tombantes, et gardée par une statue de Bouddha se tenant à sa droite.
-C'est...ici.
Dans la couchette se trouvant dans la pièce voisine, une jeune femme dormait seule, abandonnée par son amant qui s'était éclipsé depuis déjà plusieurs minutes, laissant la belle endormie aux cheveux bleutés blottie dans les bras de Morphée à défaut des siens.
Seul son perturbant le calme de la nuit, un écoulement d'eau provenant de la salle de bain, ou l'homme à trois yeux s'était rendu en urgence pour se rafraîchir le visage, qu'il arrosait encore abondamment des deux mains, lorsque le petit être flottant entra lui aussi dans la pièce.
-J'ai encore fait ce rêve, Ten san. Ton rêve. Qui est cet homme que tu vois toutes les nuits ?
Le visage couvert d'eau, s'écoulant sur sa surface pour remplacer les flots de sueur qui le parcouraient à son réveil, le grand chauve au corps athlétique ferma le robinet et s'observa dans le miroir, qui reflétait également l'image du visage inquiet de Chaozu se trouvant derrière lui, en plus de son propre visage épuisé aux yeux cernés.
-Je n'en sais rien. Je n'ai aucun souvenir de mon enfance, tu le sais bien. Pourtant, ce vieillard me semble si...familier. J'ai l'impression de me souvenir de son visage si doux. Alors que quand je me regarde dans la glace, depuis toujours, c'est comme si...je regardais un inconnu.
-Qu'est-ce que tu comptes faire, Ten san ?
-Toute ma vie, je ne me suis toujours consacré qu'aux arts martiaux. J'ai toujours privilégié l'entraînement. C'est le seul domaine ou je me suis toujours senti en accord avec moi même. Pour une fois...j'aimerai savoir qui je suis en dehors d'un combattant.
C'est ainsi, en quête de se connaître par un autre prisme que celui de la force, que TenShinHan partit à la découverte de ses origines. Il avait quitté cette maison dans laquelle il avait vécu quelques semaines, en compagnie de cette femme qu'il obsédait, et qu'il avait fini par porter lui aussi dans son cœur, quoi que d'un amour bien moins passionnel, au moins pour quelques temps. Il l'avait quitté en pleine nuit, sans aucun bruit, afin de ne pas la réveiller.
Peu d'affaires lui appartenaient de toute façon, il ne lui fallut que peu de temps pour les réunir, et disparaître dans la nuit après avoir laissé sur son oreiller un mot fraîchement rédigé au pinceau sur un parchemin, davantage pour s'excuser que pour s'expliquer.
Un mot que la jeune femme, devenue blonde au petit matin, avait peiné à lire jusqu'au bout, tant l'encre fut vite altérée par ses larmes se déversant abondement sur le papier. Des larmes d'autant plus lourdes que la jeune femme au naturel violent n'avait pas pour habitude d'en verser.
Déjà bien loin du foyer ou il l'avait laissé, le responsable de ces larmes, en compagnie de son éternel petit acolyte aux joues rouges, traversait forêts sauvages, rivières agitées, et immenses étendues vertes aux herbes si hautes qu'il était difficile d'y évoluer à pied.
Il y avait bien longtemps que les deux amis n'avaient pas ainsi voyagé, leur procurant un sentiment de nostalgie encore renforcé par les tenues qu'ils portaient, ainsi que leurs chapeaux de bambou traditionnels, dans lesquels ils n'avaient plus l'habitude de se voir.
Soleil et lune se succédaient tour à tour à mesure que les deux hommes en quête de vérité progressaient dans leur périple. Et chaque fois que la froideur de la nuit prenait la place de la chaleur du jour, et que l'éveil laissait la sienne au sommeil, TenShinHan le revoyait. Ce vieille homme si familier, si chaleureux, qu'il appelait «grand-père» en songe, mais dont il ne se souvenait pas le moins du monde.
Grand-père, pourquoi mes parents ont rejoint l’œil céleste ?
À l'intérieur d'un temple naturel, lieu sacré fondé au cœur d'une grotte aux parois parcourues de lierre et au sol couvert des mêmes fleurs dorées que dans le reste du village, le jeune garçon et son grand-père étaient tout deux agenouillés face à une imposante stèle, survolés par des dizaines de lucioles diffusant une douce lueur fuchsia. Sa prière achevée, le vielle homme alluma un bâton d'encens avant de répondre à la question de son curieux petit fils.
-Tes parents étaient de valeureux guerriers. Ils ont combattu des années durant pour garantir la protection de notre village, et protéger les secrets de notre clan. Autrefois, notre peuple était grand et prospère. Mais nombreux sont les notre à être tombé lors de la grande guerre contre les armées du roi démon il y a de cela plus de deux siècles. Alors, afin de maintenir la paix, notre peuple affaibli doit compter sur les rares combattants qu'il engendre. Tes parents en faisaient partis.
-Alors, ils ont fermé leur troisième œil en nous protégeant ?
Soudain peiné de devoir se remémorer la souffrance de voir partir son fils et sa belle-fille avant lui, le vieillard se leva à l'aide de sa canne, et appuyé par le jeune garçon, trop spirituellement troublé pour poursuivre ses prières.
-Hélas, ils n'ont pas eu cet honneur. Alors qu'ils s'étaient rendus au royaume voisin pour une importante tâche, tes parents ont été lâchement...
«Assassinés»
Ce mot résonnait encore dans son esprit confus lorsque TenShinHan se réveilla en sursaut, paniqué et aussi abasourdi que ce jeune garçon l'avait été dans son rêve, avant de réaliser ou il se trouvait vraiment. Allongé près du feu de camp que lui et Chaozu avaient allumé pour passer la nuit et prendre un repos bien mérité.
Mais combien de temps s'était-il écoulé depuis la dernière nuit véritablement réparatrice qu'il avait passé, lui qui ne pouvait littéralement jamais vraiment fermer l’œil ?
* * *
Treize jours s'étaient écoulés depuis l'entame de leur périple. Arrivés à une petite ville portuaire très humble d'apparence, laissant penser que ses habitants ne vivaient que de la pêche, les deux voyageurs ne prenaient que le temps d'une courte escale afin de se restaurer et de trouver un moyen de transport maritime.
Alors que TenShinHan parcourait les quais couverts d'une fine brume à la recherche d'un navire disponible, son petit compère s'était laissé tenter par les appels répétés et le discours convaincant d'un marchand, habitué à trouver les mots justes pour faire frémir l'estomac des passants. Une fois son anguille choisie et sortie de son baquet d'eau à l'aide de ses pouvoirs psychiques – ce qui ne manqua pas de faire sursauter le vendeur qui resta malgré tout professionnel devant le client – Chaozu observa patiemment la préparation de son festin, cuisant lentement au feu de bois devant ses yeux émerveillés.
-Et voilà pour vous, deux portions de notre célèbre Kabayaki ! Régalez vous et n'hésitez pas à revenir !
Rappelé à l'ordre par son compagnon alors qu'il salivait devant le met tant attendu, Chaozu s'empressa de payer le vendeur, et s'éloigna de l'échoppe pour le rejoindre sur les quais, son Kabayaki enfourné tout entier dans la bouche.
-Le propriétaire de cette embarcation accepte de nous emmener à condition qu'on le protège durant la traversée. D'après lui, un Kaijū rôderait dans les parages. Que ce soit vrai ou non, ça ne devrait nous poser aucun problème.
-Dîtes, les coordonnées de votre destination, c'est bien NBI 8250012 B ? Vous êtes certain que c'est bien ça ? Il n'y a rien là bas, c'est au beau milieu de l'océan !
-Ne vous en faites pas, emmenez nous simplement là bas.
Les préparatifs achevés, le marin pourvu d'une barbiche et au front cerclé d'une cordelette blanche typique des pêcheurs de la région, ainsi que ses deux gardes-du-corps, prirent la mer dans la direction indiquée par le plus grand des deux, le visage dissimulé sous son sugegasa fait de bambou, tandis que Chaozu avait ôté le sien, accroché à son cou par une cordelette, le laissant pendre dans son dos.
La jonque aux voiles immaculées se laissait pratiquement porter par le doux zéphyr soufflant paisiblement sur la mer, légèrement guidé par son capitaine, étonnamment capable d'évoluer sans mal dans la nébuleuse maritime à travers laquelle même le troisième œil de TenShinHan ne pouvait voir.
La brise, le bruit des vagues venant caresser délicatement la coque, le chant des guillemots volant au dessus de la brume et quittant le pays en cette saison de mousson à la recherche d'étendues plus chaleureuses, Chaozu s'amusant à essayer d'attraper les poissons volant passant à tribord de la jonque. Il ne s'était jamais imaginé à quel point l'atmosphère maritime pouvait être relaxant.
Et alors qu'il profitait du son mélodieux que produisait cet orchestre symphonique tenue par mère nature, le jeune homme, assis contre le mat, se surprit à somnoler.
Un sommeil étrangement apaisant, avec le néant pour seule toile de fond. Un vide, insondable, et reposant.
Des ténèbres qui peu à peu se virent remplies d'une pléiade de lucioles dont il reconnaissait la couleur presque rosée, voletant tout autour de lui, s'éparpillant de plus en plus à mesure qu'il rajeunissait.
Comme plongé dans un état de sérénité absolue à l'intérieur de son propre rêve, le garçon admirait ces lumières qui en se regroupant et en flottant de manière si harmonieuse, saccadée, et synchronisée, semblaient danser le Buyō autour de lui.
Avant qu'elles ne changent de couleur, virant du fuchsia à un orangé presque rouge, et ne s'agitent violemment dans un inquiétant tourbillon qui éclaircit alors l'obscurité dans laquelle il était plongé, révélant un village en proie aux flammes, au cœur duquel avaient lieu de sanglants combats.
Apeuré, souhaitant autant rester pour les siens que fuir pour sa vie, le jeune Mittsume-jin était paralysé face à cet horrifiant spectacle.
Par ces flammes dévorant son foyer. Par ces cendres salissant son héritage. Par cette fumée noire dans laquelle il suffoquait.
Par ce sang coulant à flot, et remplaçant l'éclat doré du colza qui décorait sa terre natale par un teint pourpre oppressant.
Au milieu du chaos, il l'entendait pourtant, hurler son nom à gorge déployée, prier, supplier les Dieux pour qu'il ne lui soit pas enlevé. Son grand-père, traversant l'enfer qu'était devenu son havre de paix tant chéri par ses ancêtres, avançant inlassablement entre les corps et les brasiers pour retrouver l'être qui comptait le plus pour lui.
Mais TenShinHan était incapable de le rejoindre, retenu par une force inconnue qui l'attirait vers elle, qui l'extirpait de son foyer, qui l'enlevait à sa famille sans qu'il ne puisse lutter. La gorge nouée, il était incapable de répondre aux supplications de son grand-père dont il s'éloignait lentement, alors que sa voix l'atteignait encore.
Criant, criant son nom, l'implorant d'être encore en vie.
Le suppliant de se réveiller.
Ten san !
Rappelé à la réalité, le jeune champion d'arts martiaux se réveilla dans la panique. Alors qu'un violent torrent frappait le bateau, empêchant son capitaine de le manœuvrer, Chaozu avait les yeux rivés sur la chose qui arrivait au loin. TenShinHan se précipita à bâbord, d’où il put voir, au loin, l'incroyable déferlement d'eau qui fonçait droit sur eux sans s'arrêter, et masquait la créature responsable d'une telle agitation.
-Est-ce que c'est...
«Le Kaijū !»
, répondit le marin en proie à la terreur, tandis que le visage de Chaozu plus blanc encore qu'à l'accoutumée suggérait qu'il se trouvait dans le même état d'effroi, si tant est que ses yeux livides et blafards n'étaient pas déjà une indication suffisante.
Voyant bien qu'il était le seul capable d'agir, TenShinHan s'empressa de jeter le haut de sa tenue ainsi que son chapeau au capitaine qui en aurait sans doute trébuché s'il n'avait pas eu le pied marin, et monta sur la rambarde qui entourait le pont, faisant seul face à la mer, et au monstre qui se précipitait dangereusement sur eux.
Une profonde inspiration effectuée – gonflant son torse d'air et de courage – et les jambes arquées prêtes à résister au moindre choc de quelque envergure que ce soit, il attendit le bon moment. Le dernier moment. Cet instant ou tout se jouerait, ou aucune seconde chance ne serait permise. Cet instant ou l'enjeu oblige un homme à se surpasser.
Et d'une rage insondable qui tétanisa le capitaine de la jonque, TenShinHan poussa un Kiaï effroyable qui fit trembler l'eau, l'air, et probablement les cieux eux mêmes. Un cri tel qu'il sembla stopper un court instant la course du temps, en même temps qu'il stoppa celle du Kaijū, forcé de s'arrêter net malgré son impressionnante vitesse, une seconde à peine avant l'impacte avec le frêle voilier.
Un arrêt si brusque qu'il projeta une immense vague qui menaçait de se déverser sur le navire et ses passagers. Un flot ravageur que le vainqueur de la bête s'apprêtait à recevoir de plein fouet sans broncher, lorsque l'eau elle aussi s'arrêta avant de submerger l'embarcation, maintenue en l'air et fractionnée en des centaines de petites bulles, formant une écume flottant dans l'atmosphère tout autour d'eux.
-Excellent réflexe, Chaozu.
-Je ne sais pas qui vous êtes tous les deux, mais ce qu'il vient de se passer à l'instant était incroyable ! Et le Kaijū, est-il mort ?
-S'il ne l'est pas, ce n'est qu'un sursis, croyez moi.
Il ne pensait pas si bien dire. Quelle surprise se fut alors lorsqu'il aperçut de l'air revenir à la surface et une silhouette s'élever lentement. Prêt à l’accueillir comme il se devait, TenShinHan arma son bras pour en finir avec l'animal, quand soudain, il vit émerger de l'eau froide ce qu'il prit tout d'abord pour un poulpe, avant de réaliser qu'il s'agissait contre toutes attentes d'un visage qui ne lui était pas inconnu. Le visage d'un ami.
Celui d'un petit homme chauve au front décoré par six brûlures faîtes au mogusa, ces herbes brûlantes qu'utilisaient certains moines pour marquer leur corps.
-Kuririn ?!
Reprenant péniblement son souffle après un très long moment en apnée, le jeune moine d'Ōrin retira son masque de plongée à la visière couverte de buée, et reconnut finalement lui aussi ses deux amis.
-TenShinHan ? Chaozu ? Qu'est-ce que vous faites ici ?
…
Tu t'entraînais ?
Débarqués sur l'îlot se trouvant aux coordonnées NBI 8250012 B, plus communément appelé Kame House par ceux qui en connaissaient l'existence, TenShinHan, Chaozu, et leur étonnant ami, après avoir salué et remercié le capitaine pour les avoir emmenés jusqu'ici, avaient rejoint le maître des lieux au salon pour mieux pouvoir converser autour d'un thé purifiant et de daifukus dont Chaozu raffolait.
-Muten Rōshi sama dit qu'il n'a plus rien à m'apprendre, mais je dois devenir plus fort, au cas ou ce pourri de Piccolo Daimaō tente encore quelque chose. Alors j'essaye de me surpasser par mes propres moyens.
-Tu sembles plus fort encore que durant le dernier Tenka Ichi Budōkai, tu avais l'air...d'un véritable Kaijū.
Hilare et flatté mais peu convaincu par ce compliment, Kuririn préféra prendre la remarque à la plaisanterie, ne comprenant pas vraiment ce que voulait dire son camarade par là, à l'inverse de Chaozu qui se serait sans doute étouffé de rire avec son daifuku s'il ne l'avait pas fait passer à l'aide d'une grande gorgée de thé, qui lui brûla cependant le gosier jusqu'à faire virer son visage blanc au rouge, s'effondrant sous les yeux affolés d'Umigame, la fidèle tortue de Kame Sennin, qui s'empressa d'aller chercher un éventail pour ramener à lui le garçon dont la bouche expulsait un fin nuage de vapeur.
Dans le même temps, le maître de maison revenait avec l'objet qu'il était parti quérir pour son visiteur dans ses affaires, toujours aussi parfaitement ordonnées. Une fois installé en tailleur entre ses deux jeunes élèves – avec autant de difficulté que pouvait en avoir un homme de son âge encombré par l'arthrose – Kame Sennin déroula sur le sol le parchemin descellé, déployant devant eux une carte d'un lointain pays ou il s'était autrefois rendu en compagnie de son maître et de certains de ses condisciples.
-La voilà, la carte du pays de Jiaozi.
-Vous pensez que l'endroit que je cherche se trouve là bas ?
Une latte tirée sur son kiseru – la pipe en bambou qui lui avait été offerte par son premier disciple dont les initiales étaient gravées sur le manche, bien des années avant que le petit fils de ce dernier ne suive le même entraînement – le vieux maître répondit avec assurance qu'il n'y avait « pas le moindre doute à ce sujet ».
-J'ai combattu à maintes reprises aux côtés des Mittsume-jin face aux armées funestes de Piccolo Daimaō. Et si je n'ai jamais foulé du pied leur terre sacrée, je peux néanmoins garantir que c'est là bas qu'elle se trouve.
« Jiaozi ? Mais c'est juste à côté de mon pays natale ! » s'exclama le jeune bonze alors qu'il manqua de cracher sa gorgée de thé.
-Vraiment ?
-Bien sur ! Mon village et le temple Ōrin ou j'ai suivi ma formation se trouvent juste à la frontière de ce pays, ils ne sont séparés que par une grande bambouseraie, c'est à deux pas de chez moi ! Je peux vous y emmener avec mon avion si vous le voulez ! Ce sera l'occasion de rendre visite à mes aînés.
-Un avion ? Tu as un avion, toi ?
Vexé par la remarque hautaine de la petite poupée blanche, tout juste remise sur pieds par Umigame mais déjà suffisamment d'aplomb pour se montrer acerbe, Kuririn expliqua simplement qu'il s'agissait d'un cadeau de son meilleur ami qui avait tenu à partager un peu de sa récompense du vingt-troisième Tenka Ichi Budōkai avec lui.
«Dans ce cas mettons nous en route sur le champ !» clama le grand chauve à trois yeux après s'être levé soudainement, si tôt interpellé par son aîné.
-TenShinHan ! J'ignore ce que tu cherches, mais quoi que tu espères trouver là bas, tâche de mesurer tes attentes. Il n'est jamais bon de remuer le passé quand celui-ci nous a quitté depuis trop longtemps. La déception est le pire des poisons pour un jeune homme fougueux tel que toi. Promet moi de faire preuve de sagesse.
Incertain du sens des inquiétudes du maître, le jeune homme le rassura néanmoins avant de prendre la porte, suivi par Kuririn, puis Chaozu, qui fut retenu un court instant encore par leur hôte.
-Chaozu, veille sur TenShinHan pour moi, veux-tu ? J'ai toute confiance en lui, mais je sais à quel point il peut être facile de basculer à nouveau dans les ténèbres quand on s'en est approché autant que lui.
Aussi déboussolé que son ami par les mots du vieux sage, Chaozu acquiesça vaguement, et gagna lui aussi la plage ou il décolla avec les deux autres, observés par le regard inquiet de Muten Rōshi.
-Fais attention à toi, TenShinHan...
…
«Muten Rōshi sama ! Votre émission favorite va bientôt commencer !»
À l'appel de sa fidèle tortue, Kame Sennin troqua son air grave pour une expression lubrique et joyeuse, et essuya la gouttelette de sang s'écoulant de sa narine droite alors qu'il retourna à l'intérieur en s'exclamant,
C'est l'heure de la gymnastique mesdames !
* * *
À bord de l'avion à propulsion piloté par Kuririn, TenShinHan repensait aux paroles de son maître tandis qu'il observait les nuages par le hublot adjacent à son siège. Un océan blanc céleste sur lequel naviguait tranquillement ce navire volant. Voilà un cadre propice au repos pour lui qui cherchait depuis des semaines le sommeil, sans jamais parvenir à le trouver plus de quelques minutes.
-Au fait TenShinHan, comment va Lunch ? Muten Rōshi sama demande fréquemment de ses nouvelles depuis son départ l'an passé, tu l'as revu depuis ?
Devant l'absence d'une réponse, Kuririn tourna lentement la tête vers l'arrière du véhicule, ou il vit son passager endormi, le bras sur l'accoudoir et le menton tenu par sa main. Les yeux plissés en signe de vexation, le petit homme se reconcentra sur les commandes comme si de rien n'était en pestant à voix basse.
-Je lui parle à peine et voilà qu'il s'endort. C'est pas tellement l'image que je me faisais d'une virée entre potes.
À demi conscient, plongé dans l'obscurité et se sentant presque hors de son corps, il était impossible à TenShinHan de bouger ni même d'exprimer le moindre mot. Ignorant ou il se trouvait, et même jusqu'à s'il était en vie, le garçon ne pouvait qu'entendre vaguement autour de lui les voix d'hommes inconnus.
L'une nasillarde, affirmant que l'état préoccupant du garçon démontrait sa faible constitution.
Une seconde, plus grave et menaçante, affirmant qu'il ne leur serait d'aucune utilité pour le moment.
La première, à nouveau, supposant qu'il devrait devenir plus fort par lui même avant de pouvoir leur servir.
Une troisième voix, plus douce et aiguë, prit la défense de l'enfant, trop jeune selon lui pour survire seul.
Un geste de bonté aussitôt rejeté par les deux autres qui l'interrompirent sèchement dans ses propos, arguant que la décision était prise, et qu'il lui fallait suivre le plan à la lettre.
Et alors que jusqu'ici seule l'ouïe dont il disposait était familière à ses souvenirs, le toucher lui revint aussi, quelques instants avant que ne revienne le néant, ayant pour seule sensation celle de deux petites mains lui tenant la tête de chaque côtés.
Non, il sentait également quelque chose au creux de sa main. Une chose aussi frêle et fragile que ses souvenirs fragmentés. Il l'avait porté à son visage, lentement, usant de ses derniers instants de conscience pour y parvenir.
Avant de finalement sombrer, un dernier sens lui était revenu, alors qu'il put sentir le parfum de ce qu'il avait serré si fort dans sa petite main lorsqu'on l'avait arraché à sa terre natale. Si fort que la minuscule fleure avait fini écrasée, perdant son aspect si délicat.
Le parfum que humait son grand-père, et qu'il respirait à pleins poumons chaque fois qu'il le serrait dans ses bras.
Ce doux parfum de colza si cher à son cœur.
« Qu'est-ce que tu fous, Chaozu ?! Arrête ça, je ne vois plus rien ! »
Secoué en plein sommeil, le dormeur émergea soudainement, du fait des turbulences causées par un pilote agitant plus que nécessaire les commandes de l'appareil volant, alors qu'il essayait surtout de se débarrasser des objets flottant autour de lui par la volonté du petit farceur cherchant à tuer le temps pendant ce long trajet.
En ouvrant les deux seuls yeux qu'il avait fermé durant sa courte sieste, TenShinHan jeta un œil vers l'extérieur, et put apercevoir, alors que l'avion perdait progressivement en altitude et traversait la couche de cumulonimbus lui cachant la vue, une immense montagne semblant correspondre à la description que lui en avait faite Muten Rōshi.
-Kuririn, c'est ici, j'en suis sur ! Pose toi, vite !
-Laisse moi une minute tu veux ? Quand je me serai débarrassé de ce petit emmerdeur !
Chaque mètre le rapprochant de la montagne faisait battre son cœur un peu plus vite. Devant ce terrain escarpé, Kuririn n'eut d'autre choix que de poser l'avion en bas du mont, au milieu d'une clairière déserte, avant d'entamer l'escalade de la montagne que l'on disait être la plus proche des étoiles : Le mont Nézhā.
Aussi rude que fut l’ascension, TenShinHan ne vacilla en aucune façon. Ni devant cette roche rugueuse et difficile à appréhender, ni devant les chutes de pierres tentant de leur barrer la route, ni même face à la pluie qui leur servit de comité d’accueil. Une force de volonté que Kuririn aurait aimé partager avec lui en l'observant plusieurs mètres au dessus, bien plus avancé qu'il ne l'était dans la montée. Un retard qu'il ne devait finalement pas tant à sa condition physique qu'à ses incessantes altercations avec Chaozu qui, en flottant à côté de lui pour monter sans le moindre effort, passait son temps à narguer le jeune moine encore incapable de maîtriser suffisamment bien le Bukū jutsu pour grimper à une telle hauteur. Une technique dont ne semblait pas vouloir user le plus grand du trio, décidé à prouver sa détermination aux Dieux en gravissant cette montagne à l'aide de ses seuls bras.
Ce n'est qu'à l'issu de trois heures d'escalade que le trio atteignit finalement le sommet, ou attendait une ouverture naturelle sculptée dans la roche, dissimulée derrière des lianes tombantes, et gardée par une statue de Bouddha se tenant à sa droite.
-C'est...ici.
🎼🎶🎵🎵🎶🎼
Hésitant, et pourtant déterminé, TenShinHan écarta finalement les plantes lui barrant la voie, et pénétra en ces lieux qu'il avait quitté il y a si longtemps, faisant fit de son petit ami volant qui tenta de le retenir en l'interpellant d'une voix inquiète. D'un pas assuré, il traversa le couloir rocailleux qui reliait l'extérieur au cœur de la montagne, suivi par son éternel compagnon vêtu de la même tenue traditionnelle que lui, bien différente de la veste de cuir verte et de la casquette que portait le troisième larron du groupe.
Lorsqu'il entendit à nouveau la pluie tomber, il sut qu'il approchait de la sortie, et de la vérité. Cette imminence expliquait sans doute qu'il ait inconsciemment ralentit un instant, avant de se décider à avancer vers son destin afin de découvrir les réponses qu'il cherchait désespérément.
Trempé jusqu'aux os sous cette pluie diluvienne malgré le sugegasa qu'il portait sur la tête, le poing aussi serré que sa mâchoire, observé par son petit camarade qui semblait partager sa stupeur, TenShinHan ne savait pas s'il devait s'en vouloir davantage à lui même, ou aux Dieux n'ayant pas exaucé sa prière. Celle de faire en sorte que ses rêves ne fussent qu'illusion.
Dans le plus total des silences, sous les regards impuissants de ses amis désolés, il avança au milieu de ce village ravagé par le temps autant que par les flammes, sentant sous ses pieds la fermeté d'un sol stérilisé par le feu, et privé à tout jamais de cette étendue dorée de colza oscillant au grès du vent.
Il avança encore, dans ce village fantôme, déserté par toute vie, désormais fleuri de sépultures précaires faites de bambous plantées par dizaines tout autour de lui. C'est cependant devant une seule d'elles que de désespoir il tomba à genoux.
Devant cette stèle marquée du nom de «Ōzagy» qui semblait finalement lui revenir en mémoire pour la première fois depuis son enfance. Contre ce sentiment d'abandon et de solitude, aussi fort fut-il, le jeune homme dont seuls deux de ses trois yeux versaient des larmes, ne put faire autre chose que hurler de peine et de rage.
Incapables de combler cette tristesse autant que de le regarder sans rien faire, ses deux amis le rejoignirent malgré tout. Peu habitué à ce genre de situation, et pour s'assurer de ne faire preuve d'aucune maladresse, Kuririn se contenta de lui donner une main réconfortante sur l'épaule.
Alors que le temps semblait s'être arrêté pour TenShinHan, le jeune moine crispa le visage lorsqu'il sentit non loin d'eux une présence menaçante venue éclipser cet instant de deuil. Mais avant même d'avoir eu le temps d'avertir ses deux compagnons, toute une horde d'hommes armés de hallebardes les encerclèrent, sortis tout droit des maisons brûlées composant les derniers vestiges du village.
TenShinHan n'étant visiblement pas prêt à se relever, comme paralysé, les mains agrippant la terre brûlée, Kuririn tourna la visière de sa casquette vers l'arrière et se prépara à faire face seul à ces ennemis inconnus.
Avant de perdre cette expression pleine de hargne qu'il avait sur le visage, lorsqu'il réalisa...
-Mais...vous êtes...
«Que venez vous faire ici, étrangers ?»
…
-Ten san...ces gens...
«Quittez ces lieux sur le champ !»
…
Lorsqu'il réalisa...
Que chacun d'eux possédait un troisième œil.
* * *
Point Trad' :
-Le titre du chapitre, « Huíyì », est un mot chinois désignant « Les souvenirs »
Lorsqu'il entendit à nouveau la pluie tomber, il sut qu'il approchait de la sortie, et de la vérité. Cette imminence expliquait sans doute qu'il ait inconsciemment ralentit un instant, avant de se décider à avancer vers son destin afin de découvrir les réponses qu'il cherchait désespérément.
Trempé jusqu'aux os sous cette pluie diluvienne malgré le sugegasa qu'il portait sur la tête, le poing aussi serré que sa mâchoire, observé par son petit camarade qui semblait partager sa stupeur, TenShinHan ne savait pas s'il devait s'en vouloir davantage à lui même, ou aux Dieux n'ayant pas exaucé sa prière. Celle de faire en sorte que ses rêves ne fussent qu'illusion.
Dans le plus total des silences, sous les regards impuissants de ses amis désolés, il avança au milieu de ce village ravagé par le temps autant que par les flammes, sentant sous ses pieds la fermeté d'un sol stérilisé par le feu, et privé à tout jamais de cette étendue dorée de colza oscillant au grès du vent.
Il avança encore, dans ce village fantôme, déserté par toute vie, désormais fleuri de sépultures précaires faites de bambous plantées par dizaines tout autour de lui. C'est cependant devant une seule d'elles que de désespoir il tomba à genoux.
Devant cette stèle marquée du nom de «Ōzagy» qui semblait finalement lui revenir en mémoire pour la première fois depuis son enfance. Contre ce sentiment d'abandon et de solitude, aussi fort fut-il, le jeune homme dont seuls deux de ses trois yeux versaient des larmes, ne put faire autre chose que hurler de peine et de rage.
Incapables de combler cette tristesse autant que de le regarder sans rien faire, ses deux amis le rejoignirent malgré tout. Peu habitué à ce genre de situation, et pour s'assurer de ne faire preuve d'aucune maladresse, Kuririn se contenta de lui donner une main réconfortante sur l'épaule.
Alors que le temps semblait s'être arrêté pour TenShinHan, le jeune moine crispa le visage lorsqu'il sentit non loin d'eux une présence menaçante venue éclipser cet instant de deuil. Mais avant même d'avoir eu le temps d'avertir ses deux compagnons, toute une horde d'hommes armés de hallebardes les encerclèrent, sortis tout droit des maisons brûlées composant les derniers vestiges du village.
TenShinHan n'étant visiblement pas prêt à se relever, comme paralysé, les mains agrippant la terre brûlée, Kuririn tourna la visière de sa casquette vers l'arrière et se prépara à faire face seul à ces ennemis inconnus.
Avant de perdre cette expression pleine de hargne qu'il avait sur le visage, lorsqu'il réalisa...
-Mais...vous êtes...
«Que venez vous faire ici, étrangers ?»
…
-Ten san...ces gens...
«Quittez ces lieux sur le champ !»
…
Lorsqu'il réalisa...
Que chacun d'eux possédait un troisième œil.
* * *
Point Trad' :
-Le titre du chapitre, « Huíyì », est un mot chinois désignant « Les souvenirs »