Bonjour à tous !
Bon, tout d'abord, pour ceux qui liraient mon autre fiction "Les chroniques d'une guerre", si vous êtes à jour, alors ce One Shot ne vous sera pas inconnu. Il s'agit en réalité du chapitre spécial sorti l'été dernier, consacré à la jeunesse et au parcours de Dodoria sur sa planète natale, avant de rejoindre les rangs de l'armée de Freeza. J'avais à l'époque hésité à poster ce chapitre dans un nouveau topic, j'ai finalement opté pour son intégration directe dans la fic. Mais il s'avère que ce chapitre, en plus de pouvoir se lire parfaitement même sans avoir lu "Les chroniques d'une guerre", sert aussi finalement de prologue à son histoire, tout en se suffisant à lui même si on ne désire pas aller plus loin.
C'est pour cette raison que j'ai envie de le partager également à ceux qui n'auraient pas forcément le courage de lire la fic entière mais pourraient au moins être intéressés par ce One Shot, et qui sait, avoir envie d'en découvrir plus après coup. Voilà tout, sur ce je vous souhaite une très bonne lecture !
Teinté d'un sombre magenta, le ciel nocturne de la planète Durian resplendissait cette glaciale nuit de pleine lune précédant le solstice d'hiver. L'épaisse neige vaguement colorée par l'éclat fuchsia de la lune tombait lentement, parsemant le sol déjà gelé par le froid hivernal.
Le village des nomades de Durian – sédentarisés durant la saison froide de leur cycle saisonnier – composé de bâtisses faites de torchis, de branches, et de matériaux primaires, à l'architecture pour le moins approximative et difforme, se préparait paisiblement au couvre feu.
Un à un, les Durian-seijins, cette race guerrière et barbare à la morphologie parfaitement dotée par la nature des atouts du combat indistinctement entre mâles et femelles, regagnaient leurs huttes et baraques à la tombée de la nuit, et couvraient les foyers pour en éteindre les flammes, ne gardant que quelques rares feux de camp dont ils tiraient la chaleur nécessaire à leur survie.
Au nord de ce village précaire et improvisé au milieu des montagnes riches en fer des contrées hostiles de Durian, trônait une structure plus imposante que les autres. Un domicile en forme de dôme, à la silhouette déformée faite d'argile, et disposant de cinq entrées autour d'elle laissant passer la lumière du feu central qui éclairait l'obscurité.
Et devant l'une de ces entrées, deux massifs guerriers roses de peau semblaient converser d'une manière étonnamment sérieuse pour ces habitués des discussions primitives et vulgaires, tout en observant discrètement le jeune Durian qui se trouvait à l'intérieur du dôme d'argile, s'amusant avec un coutelas bien trop affûté pour son âge.
-T'es sur qu'on devrait le faire ? Ce gosse a que cinq cycles, on pourrait au moins attendre trois cycles de plus, on est pas des bêtes.
-Arrête de te comporter comme une mamie gâteuse, qu'est-ce qu'on en a à foutre ? Un coup derrière la tête et on en parle plus.
-Je trouve quand même ça dégueulasse, il pourrait devenir un grand guerrier et nous aider à conquérir les terres de Dulcis au sud pour étendre notre territoire !
« Cet enfant est un danger pour nous tous »
Cette voix rauque, émise par l'imposant guerrier vêtu d'une large fourrure blanche et d'un diadème fabriqué à partir d'ossements que le contestataire appela « Dinarum-sama », sembla imposer subitement le respect à chacun des individus en présence. Ce Durian plus grand que la moyenne, mesurant probablement deux bons mètres, avait la face balafrée d'un sublime tranchant lui traversant en biais le visage, passant par l’œil borgne qui le rendait si reconnaissable, perpétuellement ouvert pour exposer son globe blanc entaillé.
Mais surtout, l'impressionnante épée de pierre distordue attachée dans son dos, symbole de sa puissance, était la réelle source de sa domination sur ce clan. Oxleyanus, l'épée du Dieu de la chasse Jagd, offerte au clan nordique de Durian pour récompenser les flots de sang qu'il répandait depuis des siècles sur son passage. L'arme réservée au guerrier le plus puissant.
-A son jeune âge, il fait déjà montre d'une force et d'une violence redoutable. Le laisser en vie et lui offrir la chance de devenir plus fort serait un risque pour notre tribu. Un tel guerrier risquerait de se laisser guider par sa folie des grandeurs et nous conduirait à notre perte.
Désarçonné par ce discours de leur chef, le barbare récalcitrant ne put que baisser la face en signe de respect et de soumission.
Depuis sa prise de pouvoir sur leur précédent chef, Dinarum avait apporté à son clan la prospérité à laquelle il n'avait jamais goûté, et avait effectué son premier pas vers ce que certains peuples appelaient « civilisation », bien que la route fut encore longue. Raison pour laquelle il avait su s'attirer les faveurs de nombreux guerriers de renom au sein du clan.
-Je n'en arrive pas à cette extrémité par plaisir, mais par nécessité. Si je vous ai réuni cette nuit, c'est pour lui offrir une mort respectable de la main des plus grands guerriers de Durian. C'est le moins que je puisse faire pour cet enfant. Mon cher fils.
Accompagné d'une troupe de dix hommes, dix fiers combattants Durians, Dinarum s'apprêtait à mettre à mort le fruit de ses relations charnelles avec une jeune femelle d'un autre clan, violée devant ses hommes en guise de tribu pour célébrer leur victoire, et condamnée à l'autre monde une fois l'enfant donné.
Ce bâtard, née d'une relation forcée avec la fille d'un chef ennemi. Cet enfant illégitime et non désiré. Ce sang-mêlé impur doté d'une puissance monstrueuse que l'on pourrait penser appartenir au Dieu de la chasse lui même.
Cet enfant maudit, plus puissant que lui, celui que l'on surnommait La Bête du Blizzard, Dinarum, l'élu des Dieux.
Avec ferveur, le chef barbare et ses dix guerriers pénétrèrent à l'intérieur du dôme stratégiquement, à deux par entrées, Dinarum restant légèrement en retrait, tandis que l'enfant, d'une taille déjà plus que respectable pour son âge, s'attarda à peine sur la présence de ses aînés, accaparé par son jouet de métal offert par son père à sa naissance.
-Mon fils, soit certain que mon cœur se serre à cette pensée, mais je n'ai d'autre choix qui s'offre à moi. Tu représentes un danger que je ne saurais laisser exister et mettre le clan en péril.
Trop jeune pour saisir le sens des mots de son père ce soir là, l'enfant se contenta, en entendant la voix du grand guerrier qui l'avait élevé, de lever les yeux vers lui et de lui sourire tendrement. La chaleur de ce jeune visage le fit douter un instant. Non pas le père, déterminé à mettre un terme à cette vie. Mais le guerrier tantôt hésitant, et de nouveau mis en émoi face à ce si jeune enfant, incapable de comprendre la situation.
D'un signe sec de la tête, le chef de clan envoya l'un de ses hommes accomplir la sale besogne pour laquelle il ne désirait nullement se salir les mains. Sans remord, le guerrier s'approcha de l'enfant, qui sur ses quatre membres, s'avança lui aussi légèrement pour lui attraper naïvement le pied avec douceur.
-Aller, finissons-en vite, qu'on puisse aller boire une coupe en ton honneur.
Son imposante masse épineuse dans les mains, le Durian-seijin souleva son arme au dessus de sa tête, projetant l'ombre de l'objet contondant sur le gamin qui leva ses yeux ronds vers elle.
« Bon voyage dans l'autre monde, jeune bâtard ! »
Impitoyablement, le barbare amorça le geste descendant sur sa victime qu'il comptait achever d'un coup direct et franc. En un clin d’œil, la masse de pierre s'écrasa sur le sol, réduit à l'état de brisures sous son poids.
C'était fini.
En un instant, cette vie avait été prise.
Abondement, du sang gicla et s'écoula de la trachée ouverte d'une plaie béante du guerrier Durian, égorgé sans peine par l'enfant qui s'était jeté sur lui tel un animal enragé sous les yeux horrifiés de ses aînés. Exsangue, le barbare s'effondra dans le silence le plus absolu. Couvert de sang, à quatre pattes sur le corps de sa victime, le petit garçon leva les yeux vers ses assaillants, et avec une totale et déconcertante innocence, lécha le chaud et délicieux liquide rouge qui venait d'asperger son visage.
Une veine gonflée sur la tempe, Dinarum ordonna d'un ton virulent à deux autres de ses hommes de finir le travail. Cette fois sans faire de manières, les guerriers se ruèrent sur l'enfant en hurlant sauvagement.
Mais les plus sauvages des bêtes présentes ce soir là, ils n'étaient pas.
Le second coup de masse que l'enfant reçut de sa vie, il décida cette fois de l'arrêter avec ses petites mains roses, tenant désormais sur ses deux pieds, pour mieux en déposséder son propriétaire, et lui briser les deux genoux d'un vif revers. Les rotules explosées et en sang, le Durian-seijin, agenouillé devant l'héritier illégitime du clan, vit ses jours raccourcis en même temps que le haut scalpé de son crâne.
Souhaitant profiter de cet instant d'inattention, le second abattit sa hache, fier de sentir sa lame s'enfoncer dans la chair. Une fierté éphémère, éteinte, tout comme sa vie, lorsqu'il réalisa qu'il s'agissait de la chair de son camarade, alors que le tout jeune garçon l'avait déjà contourné pour bondir sur ses épaules, et lui marteler le crâne de ses deux poings, jusqu'à ce que mort s'en suive.
« Qu'est-ce que vous attendez ?!! » beugla le chef de clan en postillonnant rageusement, la veine toujours plus gonflée, et son seul œil valide injecté de sang, afin que tout le reste de sa troupe assassine ne bondisse sur l'enfant pour en finir.
Cette nuit là, des hurlements de souffrance retentirent dans les montagnes enneigées de Durian, réveillant un village paisiblement endormi. Des hurlements provenant du nord du village, là ou brillait encore le dernier grand foyer nocturne qui attira les regards des quelques curieux sortis de chez eux pour découvrir la source du bruit.
Le dôme du chef, ou à cet instant, à l'image d'une bête, ou plutôt à celle d'un démon sanguinaire, cet enfant qui n'arrivait pourtant qu'à la taille de la plupart de ses adversaires, bondissait avec véhémence d'une victime à l'autre, les écorchant vif un à un, alors que les ombres des Durian-seijins projetées sur les murs d'argile du dôme par les flammes orangées du feu central se retrouvaient couvertes du sang qui giclait par litres d'un bout à l'autre de la pièce devant les yeux aussi apeurés qu'enragés de Dinarum.
« Qu...qu'est-ce...qu'est-ce que tu es au juste ? »
Quel genre de monstre es-tu au juste ?!
Pures. C'est ainsi que Dinarum aurait décrit les yeux de son fils à cet instant, lorsqu'il le regarda avec tendresse, et lui lança ce sourire d'enfant, si doux et chaleureux, le visage, et les mains couvertes du sang des dépouilles de ses jouets, tendues vers celui qu'il appela maladroitement « père ».
Vers celui qui extirpa hors de son fourreau de tissu la légendaire lame de pierre Durian, en lui rendant son sourire d'un air empreint de malaise.
-Tu es...un démon. Une punition des Dieux pour avoir enfanté cette putain ! Mais je vais leur prouver...
JE VAIS LEUR PROUVER QUE JE SUIS LE PLUS FORT !!!
Se pensant défié par ses divinités, davantage guidé par la rage et la fureur que par les bonnes intentions dont il prétendait être animé plus tôt, la Bête du Blizzard s'élança sur sa progéniture avec toute la folie qu'on lui connaissait sur le champ de bataille.
Mais l'enfant, imperturbable, et dont la lame était jusqu'à lors restée immaculée, conservait, encore et toujours, cet intarissable sourire.
Nombreux à avoir été alerté par ces mystérieux cris, les villageois s'étaient dirigés en masse vers la maison du chef de clan pour découvrir la raison de ce tapage. Les derniers arrivés, un père et son très jeune fils, peinèrent à se frayer un chemin au milieu de cette foule silencieuse et captivée.
Quand finalement ils parvinrent à atteindre le point de vue idéale, ils découvrirent alors ensemble le spectacle horrifiant devant lequel ces gens se cachaient yeux, nez et bouches béantes.
Car elle avait viré au rouge.
L'épaisse fourrure blanche dont Dinarum se couvrait arborait cet éclat pourpre, mélange de sang, de reflets du brasier, et de la lueur de la lune passant par le toit à ciel ouvert.
Car ils avaient viré au rouge.
Les murs de ce dôme, décorés de ces indescriptibles œuvres d'art d'enfant, ces formes abstraites dessinées avec le sang de la dizaine de guerriers massacrés et éviscérés qui gisaient sur le sol et empestaient cette senteur de charogne insoutenable.
Car elle avait viré au rouge.
La lame jusqu'ici inutilisée de l'enfant Durian-seijin, qui avait finalement servi contre celui qui l'avait lui même offerte. Un usage atroce que celui-ci. Qui d'autre aurait bien pu avoir l'idée de se servir d'un poignard pour découper péniblement la tête de son père ?
Car oui, il avait viré au rouge. Cet enfant au destin maudit qui venait de perpétrer ce massacre cauchemardesque sous l'éclat de la pleine lune fuchsia, et dont la peau naturellement teintée de rose, se trouvait colorée de cette sublime teinte vermeille, alors qu'il tenait entre ses frêles petites mains, perché sur une sculpture difforme, la tête de son paternel, qu'il regardait dans les yeux.
Il le regardait, en arborant ce terrifiant, ce démoniaque, cet incompréhensible sourire d'enfant.
Un sourire qui soudain s'effaça, comme si le garçon comprenait enfin. Comme s'il avait compris que ce jeu auquel il venait de participer n'en était pas un. Comme si malgré son jeune âge, il saisissait, ne serait-ce que vaguement, la gravité de son geste.
Une épiphanie, un éclair de lucidité, qui précéda une expression abominable de rage inextinguible, que l'enfant accompagna d'un déchaînement de sa force animale, concentrée dans ses bras et dans ses mains, alors qu'il comprima le crâne de l'homme qui avait ce soir là tenté d'attenter à sa vie. Et il serra ce crâne encore.
Et encore.
Et encore.
Et encore et encore et encore et encore.
Jusqu'à ce qu'enfin, ne se brise sous ses paumes, libérant tout le liquide qu'il contenait encore et qui se déversa sur lui, dans un affreux et angoissant craquement de chair et d'os, le crâne brisé de son père, Dinarum, face à une foule de Durian-seijins sous le choc, et devant les yeux étrangement sereins de la mère de la victime, doyenne du clan, assistant à la scène dans un calme absolu, le pommeau de sa canne entre les mains, avant de commencer à s'approcher lentement et prudemment du garçon.
Teinté d'un sombre magenta, le ciel nocturne de la planète Durian resplendissait cette glaciale nuit de pleine lune précédant le solstice d'hiver. L'épaisse neige vaguement colorée par l'éclat fuchsia de la lune tombait lentement, parsemant le sol déjà gelé par le froid hivernal.
Cette nuit durant laquelle l'histoire de Durian prit un tournant décisif. La glaciale nuit de pleine lune qui vit naître le plus redoutable guerrier que ce monde ait connu.
L'incarnation du Dieu de la chasse, le démon de Durian, le Briseur de Crânes.
Dodoria.
* * *
Neige et ensoleillement se succédèrent par dix fois depuis ce jour. Dix cycles saisonniers durant lesquels l'enfant maudit par le destin fut élevé par sa grand-mère paternelle, contrainte de prendre en main l'éducation du rejeton de son fils après sa mort.
De par son tempérament, la vieille femme n'était sans doute pas la mieux placée pour lui fournir un enseignement intellectuel. Elle avait cependant ce qu'il fallait pour apprendre à cet enfant à canaliser sa force.
Qu'importe si les vents se déchaînaient, si des torrents de pluie s'abattaient, si le blizzard leur gelait les os, ou si le soleil leur brûlait la peau, par tous temps, la doyenne de la tribu enseignait à Dodoria l'art du combat, le maniement de l'épée à l'aide d'une réplique de bois, et l'instruisait au mieux quant aux us et coutumes de leur peuple.
« Rien n'est plus important pour un Durian que sa fierté de guerrier ! », disait-elle.
De ses six doigts Dodoria n'avait pas assez pour compter les fois ou sa tutrice avait pu tenter de le tuer durant leurs exercices. Peut-être en aurait-il eu suffisamment en ajoutant ses huit orteils au compte. Même cela il n'en était certain. Mais il savait qu'il lui devait sa robustesse et sa ténacité à toute épreuve.
« Pour te remercier de tout ce que t'as fait pour moi, je te fais cette promesse, vieille branche : Un jour, c'est moi qui te tuerai ! » avait-il juré solennellement le jour de son onzième anniversaire.
La vieille femme lui fit vivre un enfer. Mais un lien indéniablement indéfectible s'était tissé entre elle et son bâtard de petit fils au fil des ans. Qu'il s'agisse de leurs affrontements au bâton opposant l'expérience et la sérénité du troisième âge à la vigueur et la force de la jeunesse. Des repas infects qu'il partageaient dans leur tente lorsque le clan établissait son campement. De la sévère tape sur le crâne que Dodoria recevait de la canne de sa grand-mère en guise d'au revoir avant de partir batailler avec ses camarades.
« Et si tu meurs, tâches au moins de ne pas me faire honte ! »
Le jeune adolescent aujourd'hui âgé de quinze cycles ressentais une forme d'attachement pour ce quotidien partagé avec la vieille femme.
Mais ce qu'il aimait par dessus tout, sans le moindre doute, c'était cette sensation indescriptible de son épée déchirant la carcasse de ses ennemis lorsqu'il laissait libre à cour à sa fureur sur le champ de bataille.
Quarante-sept ! Le Dieu de la chasse est avec moi aujourd'hui ! Allez-y ! Venez plus nombreux ! Le grand Dodoria a encore soif de sang !
Opposé à une tribu venue de l'est, le clan nordique vénérant Jagd, la divinité de la chasse, avait réussi à repousser l'envahisseur jusque dans les montagnes, son terrain de prédilection, là ou ses guerriers auraient l'avantage. Sans compassion aucune, Dodoria, armé d'une imposante hache, le corps couvert d'une peau de bête à la fourrure bleue nuit, se jetait au milieu de la vague ennemie, découpant ses adversaires à la chaîne. La personnalité irascible qu'on lui connaissait nourrissait sa rage de vaincre.
Animant ses combats d'un odieux rire de satisfaction, le guerrier rose n'avait aucun scrupule à laisser ses alliés sur la touche, relégués pour la plupart au rang de simples spectateurs. Lorsqu'il souhaitait vite se frayer un chemin, Dodoria visait les jambes pour faire chuter ses adversaires. Si son arme était prise dans les os de sa dernière victime, il n'hésitait pas à se servir de son bras pour broyer le visage de ses assaillants. Quand il voulait en finir vite, le cou était la cible idéale, sustentant son plaisir en voyant voler autour de lui une flopée de têtes ennemies.
Lorsqu'il eut fini de s'amuser avec ses proies, ne disposant plus que d'une seule victime tombée à genoux au milieu des cadavres, Dodoria planta sa hache dans le sol, et s'approcha de l'unique survivant en se tapotant le dessus de la tête.
« Dispose donc de moi comme tu le souhaites, jeune guerrier du nord. Je m'avoue vain... »
La mâchoire subitement paralysée par l'emprise de deux vigoureuses mains, le guerrier étranger venant de signer reddition se trouva dans l'incapacité de terminer sa déclaration.
-Oh non non non, personne n'abandonne le combat sur un champ de bataille !
« Un vrai guerrier Durian... » grogna le jeune homme en commençant à compresser la tête de celui qui sentait monter l'agonie alors que son propre sang lui montait au cerveau, lui même petit à petit écrasé par sa propre boîte crânienne déjà partiellement brisée.
… Ne goûte à la défaite que dans la mort !
D'une simple pression, Dodoria broya le crâne du dernier survivant du clan vaincu, laissant la bouillie résultant de l'éclatement lui asperger le visage. En se redressant silencieusement, au milieu de ses frères et sœurs l'observant avec un subtil cocktail d'admiration et de répulsion, l'héritier de Dinarum leva les mains vers le ciel – laissant glisser d'entre ses doigts les morceaux de cervelle restés agglutinés – et écarquilla les yeux, avant de proclamer dans un éclat de rire terrifiant,
« SOIXANTE ! Voilà ma soixantième offrande, mon vieux Jagd ! Et putain que ça fait du bien de sentir ta bénédiction couler sur mon corps ! »
-A moins que ça ne soit juste le sang et les viscères de mes victimes qui me tiennent chaud !
Plus barbare et vorace que quiconque, le Briseur de Crâne s'attirait l'attention du peuple autant en mal qu'en bien. Jamais Durian n'avait connu un guerrier si cruel et redoutable. Lorsque certains voyaient en lui l'incarnation de Jagd, d'autres reconnaissaient l'incarnation d'un mal qu'il fallait à tout prix éradiquer.
Comme après chaque bataille, les guerriers quittèrent le champ de mars pour regagner leur camp en silence, Dodoria en tête, dévisagé par ses congénères comme s'il s'agissait du diable en personne. Le barbare n'ignorait pas ce mépris et cette haine viscérale de ses semblables à son égard. Mais il avait apprit à ne pas y prêter attention.
À leur retour au campement, les jeunes guerriers revenus de batailles se virent acclamés par les vieux, les femmes enceintes temporairement incapables de combattre, et les impotents restés sur place pour préparer en leur absence les festivités qui devaient célébrer leur victoire, ou leur rendre hommage le cas échéant.
Plus intéressés par la nourriture et le vin que par l'idée de festoyer avec ses semblables, Dodoria s'empara d'un cuisseau de viande cru qu'il commença à dévorer à pleine dents, et d'une jarre de vinasse dont il s'abreuva pour étancher une autre soif que celle du sang. Mais avant qu'il n'ait le temps de s'isoler, Olens, l'un des rares membres de la tribu à oser s'adresser à lui directement, l'interpella vivement. En réponse à la demande de Dodoria qui exigeait de connaître la raison de ce trouble à sa tranquillité bien méritée, Olens se contenta d'un signe de la main lui demandant de le suivre.
Jusque sous cette tente ou gisait le corps sans vie d'une vieille Durian-seijin emportée par l'âge à peine quelques heures plus tôt.
-J'ai essayé de la garder éveillée jusqu'à ton retour, mais...
-Laisse, ça fait rien. Aller fous le camp.
Exécution immédiate, le jeune guerrier du même âge que Dodoria, resté au camp pour protéger les faibles, quitta la tente funéraire pour laisser son frère faire son deuil. Le visage fermé, il observa quelques instants sa grand-mère qu'il voyait pour la première fois si sage.
Simplement quelques instants, avant d'arracher un nouveau morceau de son gigot, mâchant vulgairement et bruyamment devant sa défunte grand-mère. Avalant goulûment une généreuse gorgée de son pineau pour faire passer le tout. S'essuyant franchement la bouche en reniflant. Visiblement pas tant perturbé par les quelques miettes et gouttes semées sur le corps.
-Alors t'as quand même fini par crever vieille branche, hein ? Pas trop tôt.
Une troisième gorgée prise pour finir sa jarre, Dodoria la claqua contre la commode de bois se trouvant à sa droite. Mais non sans avoir préalablement rempli une coupe qu'il déposa à côté de la défunte.
-Comme ça y'aura plus personne pour me briser les noix ou me parler de mon vieux. Aller, à ta santé !
En écartant le rideau de la sortie Dodoria marqua un temps d'arrêt, comme retenu par quelque chose.
-Tss...fait chier. Dire que j'aurai même pas pu tenir ma promesse.
Ce soir là, comme chaque soir marquant la fin d'une bataille, le barbare s'isola pour se sustenter loin du monde. Une absence remarquée, mais loin d'être regrettée par ses semblables. Un soir comme n'importe quel autre. Rien n'avait changé.
De là ou il se trouvait, riant et festoyant avec le reste de la tribu, Olens chercha cependant dans la foule, quelqu'un ou quelque chose qu'il ne trouva pas. Comme une absence qu'il sembla regretter. Une absence, un regret, qu'il occulta bien vite lorsque l'heure arriva de conclure cette fête en brûlant leur mort. Trente-sept d'entre eux étaient tombés au combat. Trois corps purent être ramenés au campement. Quatre défunts furent brûlés.
Mais qu'importe. Ce soir là n'avait rien de bien particulier, finalement.
Et il se perdit bien vite dans l'oublie, tandis que neige et ensoleillement se succédèrent par dix fois, jusqu'à ce jour, qui marqua le vingt-cinquième cycle que Dodoria vécut sur Durian.
Désormais en âge de diriger son clan, Dodoria avait officiellement acquis son statut de chef. Depuis, le terrible clan du nord mené par le Briseur de Crânes faisait frémir bon nombre de Durian-seijins par delà les larges étendues de la belle planète rose.
Cela faisait ce jour, du moins de mémoire mais rien n'était sur, presque un cycle entier que Dodoria et ses hommes avaient entamé cette campagne. Immobilisés au cœur du blizzard ou ils durent dresser un campement de fortune pour y allumer quelques feux salvateurs, les barbares s'étaient attelés à la rude tâche de s'emparer des terres du sud, déjà convoitées par Dinarum plus de vingt cycles auparavant. Se réchauffant devant les flammes, le chef barbare reçut la compagnie d'un Durian-seijin de son âge environ. Un visage familier. Sans doute le seul visage qui semblait en le voyant exprimer autre chose que de la haine et de la peur.
-Dodoria-sama, je dois être franc avec vous, vos hommes n'ont plus le moral. Ils commencent à douter de leur chef. Cela fait des jours que nous n'avons pas mangé. Des semaines que nous n'avons pas combattu. Un guerrier Durian qui ne mange ni ne bataille n'a pas la motivation pour...
-C'est mort, hors de question. On rentrera pas tant que j'aurai pas pris la tête de ce con de Dulcis. C'est rentré dans ton petit crâne ou faut que je force l'entrée ?
-Vous savez bien que la cohésion n'est pas au mieux. Plusieurs membres du clan estiment qu'un...enfant illégitime ne devrait pas diriger le clan. Qu'il apporte la honte et le déshonneur sur nous. Tous ne reconnaissent pas votre légitimité. Mais si au moins vous pouviez accepter de...
Brutalement, Dodoria saisit le crâne de son interlocuteur à pleine main, le forçant à le regarder dans le fond des yeux. Ses yeux soudainement brûlant de colère.
-Si au moins quoi ? Qu'est-ce que j'en ai à foutre de ce qu'ils pensent ? Un bâtard comme moi n'est pas digne de les diriger ? Qu'ils osent me défier, je laisserai ma place à celui qui la mérite ! Et j'ai pas besoin d'une vieille relique pour mériter ma place !
« Alors prouve-le ! »
Émergeant d'un feu de camp voisin, la voix émanait d'un autre guerrier du clan. L'un des plus respectés, et loyal serviteur de Dinarum, à la musculature adaptée à sa taille plus importante encore que celle de son chef illégitime.
-Bats-toi contre moi, démon. Cela fait bien trop longtemps qu'on te laisse crier partout que tu es le chef du valeureux clan du nord. On t'a laissé en vie par respect pour la vieille Jensis, mais on aurait du te couper la tête bien plus tôt !
-Eh ! Montre un peu de respect à ton chef !
Ferme-là, Olens...
Dors et déjà debout, Dodoria surplombait son unique partisan qui aperçut alors sur son visage cette même fureur qui l'avait marqué à vie. Cette fureur qui transparaissait sur son visage si jeune alors qu'il réduisit la boîte crânienne de son propre père en morceaux. Cette fureur qui le fit reculer bien vite à l'instar des autres spectateurs formant autour des deux hommes une véritable arène humaine au milieu de ce blizzard.
-Toi aussi t'as un truc à prouver. Tu veux prouver que t'en as, hein ? Que t'as d'assez grosses couilles pour défier celui dont tout le monde a peur ? Quoi, t'es pas comme toutes ces lopettes ? Tu veux me faire croire que tu te pisses pas dessus quand tu croises mon regard ? Et ben vas-y, prend les à pleine main et montre les moi !
Fièrement, le barbare venu défier son chef ôta sa fourrure, prêt à lui faire face qu'importent les conditions.
-Dinarum-sama, je vais finir ce que vous n'avez pu accomplir.
🎼Le Briseur de Crânes🎼
D'une manière aussi puérile que virile, le chef barbare imita son adversaire, exposant lui aussi son torse et ses blessures de guerre. Les deux Durian-seijins entamèrent un balais animal, se tournant autour tels deux bêtes prêtes à se déchiqueter l'une l'autre, alors que l'excitation commençait à se faire sentir autour d'eux. Parmi ces spectateurs en effervescence, Olens, captivé par ce duel de regard primaire, remarqua néanmoins que pour la première fois depuis des jours, ses congénères semblaient faire preuve de motivation.
Une énergie dévouée au lanceur de ce défi acclamé par ses admirateurs, lui vouant un profond respect pour ses exploits sur le champ de bataille. Des faits d'armes remontant à l'époque de leur ancien leader, puis perpétués jusqu'à maintenant. Un féroce guerrier dont la réputation n'était plus à faire.
Ce même féroce guerrier qui chargea avec fureur sur son ennemi, déchaînant la neige autour de lui, vociférant tel un animal sauvage, faisant montre de toute sa puissance.
Déferla alors un véritable déluge de coups, tous portés au visage. Une série d'attaques rapides, lourdes et violentes que Dodoria ne put éviter. Son adversaire frappa, encore et encore, inlassablement, pendant plusieurs secondes qui semblèrent durer une éternité pour Olens, assistant à ce véritable carnage, au milieu de ces guerriers hurlant tant qu'on eut pût les croire fous.
Sous les poings de la bête, le visage ensanglanté et gonflé de Dodoria se dévoilait par intermittence. Un visage sobre. Jusqu'à cet instant.
Jusqu'à cet instant ou celui qui se laissait boxer sans broncher répliqua d'un simple et unique coup qui coucha son adversaire sur ce tapis blanc, déjà tâché de rouge par le sang de Dodoria, rejoint par celui d'un nouveau blessé. Peinant à se relever, sonné par un coup, un seul, le féroce guerrier avait perdu sa hargne, en même temps que le calme gagna de nouveau les rangs.
« C'est tout ? » cracha le chef barbare en même temps qu'il cracha son propre sang.
-Elles sont passées ou ? Ces énormes burnes dont tu semblais si fier ? Hein ?!
Alors qu'il était toujours à terre, l'homme se sentit soulever par une force colossale. Celle du bras de Dodoria qui lui sortit le nez de la neige, pour mieux l'y enfoncer de nouveau avec un nouveau coup en plein visage.
-C'est avec ça que t'es venu me défier ? Moi ? Dodoria le Briseur de Crânes ?!
Et un nouveau coup heurta le visage déjà déformé du grand barbare.
« Le démon de Durian ?! »
Puis un autre.
« L'incarnation du Dieu de la chasse ?! »
Puis un autre.
« L'enfant maudit par le destin ?! »
Puis un autre.
« Le bâtard de Dinarum ?! »
Puis encore un autre.
Pas un bruit ne se fit entendre. Ni même le moindre mot. Personne n'osa lui faire remarquer que celui contre qui il s'acharnait indéfiniment avait succombé dès le troisième coup. Ils ne pouvaient que le regarder, les traits du visage déformés par la rage, frapper encore. Et encore. Et encore.
Jusqu'à ce qu'en joignant les deux poings et en les abattant simultanément sur le visage méconnaissable du guerrier, Dodoria ne réduise en charpie le crâne de sa victime, qui en éclatant, colora la neige d'une magnifique teinte écarlate.
La face couverte de sang, le sien et celui de l'ennemi vaincu, Dodoria se redressa, au milieu de tous ces hommes lui offrant un silencieux respect.
-Voilà ce qui attend le prochain qui pensera pouvoir me défier parce qu'il ne me trouve pas « digne » ! Ce qui m'a permis de survivre jusqu'à maintenant, c'est pas d'être « digne » ! C'est ma force, elle et seulement elle. C'est la seule putain de chose qui compte ! C'est la seule chose qui décide de qui dirige, et de qui suit en fermant sa gueule !
Sans plus d'esclandres, Dodoria tourna les talons, laissant là le cadavre encore frais du guerrier dépossédé de sa tête, profitant du passage que lui offrirent ses hommes en s'écartant vivement à son approche pour regagner sa tente.
Ni le froid, ni la neige, ni la coupe de ce vent glacial, rien ne vint refroidir l'atmosphère. Pour encore un long moment, la cohorte de Durian-seijins demeura immobile, les rangs s'éclaircissant peu à peu. Toujours dans un silence absolu.
Curieusement ou non, un changement d'attitude notable se remarqua au sein du clan dès le jour suivant. Un changement peut-être trop subtil pour être visible par le premier venu. Mais que le plus concerné ne pouvait ignorer.
Toujours des regards, oui. Mais dont ne se dégageait plus cette sensation de mal être.
Toujours cette peur ambiante, il est vrai. Mais imbibée d'une étrange forme de respect.
Une distance notable entre lui et les autres, certes. Mais parfois un mot, un geste, ou rien qu'un salut.
Mais aussi et surtout, une cohésion réelle et certaine durant les batailles qui les opposèrent au clan du sud les semaines qui suivirent avec le départ des grandes glaces, et l'arrivée des bourgeons.
Puis des rires durant les banquets du soir, des félicitations pour ses prouesses, et même par la suite, des remerciements pour sa bravoure.
Les semaines filèrent, les mois passèrent, des cycles entiers mêmes. Jusqu'à la saison chaude du trentième cycle de Dodoria. Alors que le clan pénétrait au cœur des plaines du territoire de Dulcis, et établissait son dernier bivouac avant l'arrivée à son terme de cette longue campagne.
-Nous y sommes presque, Dodoria-sama. Le jour que vous attendiez tant.
-Hehe ! Celui ou j'aurai enfin la tête de cet enfoiré de Dulcis !
« Je peux vous poser une question ? », interrogea humblement le plus proche camarade du chef barbare, alors que les deux s'assirent autour de l'une des nombreuses marmites du campement, disséminées par dizaines un peu partout dans l'étendue verte et fleurie afin de satisfaire la faim des quelques cent-cinquante guerriers nordiques, avec pour réponse un hochement de tête d'acquiescement de Dodoria qui ingurgita un bol entier de bouillon.
-Pour quelle raison tenez-vous tant à prendre la tête de Dulcis ? Notre clan possède toutes les étendues du nord de Durian, ainsi qu'une vaste partie de l'est. Si ce n'est pas pour ses terres, alors pourquoi ?
La bouche essuyée d'un revers du bras, le barbare lui délivra cette énigmatique réponse, « Pour mon vieux ».
-Lui et Dulcis ont passé leur jeunesse à se foutre sur la gueule, enfin, d'après ce que m'a raconté la vieille branche. Ils ont jamais pu se saquer, et Dinarum, mon père, s'était juré de prendre sa tête un beau jour. Alors j'ai décidé de le faire à sa place.
« Qu'est-ce qui peut bien vous pousser à honorer la mémoire de votre ignoble père ? » demanda avec étonnement et bien trop d'honnêteté le barbare bien au fait de ce que son père avait tenté d'infliger à Dodoria.
« Arrête de causer comme ça, tu me rappelles la vieille ! »
-C'est flou, parfois je suis même plus sur que ces souvenirs sont vrais tellement ça fait une paye. Mais je me rappelle que mon vieux s'occupait de moi quand j'étais tout gosse. Il me parlait, il me portait, m'apprenait à marcher, à me servir de ce couteau qu'il m'avait fabriqué. Même si je sais bien ce qu'il a fait et ce qu'il pensait vraiment de moi...aussi loin que je me souvienne, c'est les seuls bons souvenirs qui me reviennent. C'était qu'un fumier de première et je suis pas mécontent de l'avoir zigouillé. Mais, je sais pas, je me dis que je lui dois au moins ça.
Ébahi par ce sentimentalisme débordant dont son chef n'avait pas vraiment l'habitude de s’épandre, Olens ne savait plus que dire. Une main compatissante lui aurait sans nul doute valut un séjour à l'infirmerie, mais l'intention y était certainement.
-Au final, je m'en carre complètement de votre loyauté, c'est bien pour ça que j'ai jamais voulu brandir l'épée de mon paternel. Aujourd'hui vous me respectez parce que vous avez pigé ou est votre place, rien de plus. Ça change que dalle. Nan, la seule chose qui m'importe, c'est de buter un à un tous ceux qui croiseront ma route, et de prouver que je suis le plus fort.
« Et c'est bien pour ça qu'on va aller se farcir Dulcis et sa bande d'amateurs, pas vrai les gars ?! »
Par cette simple déclaration, Dodoria enflamma ses troupes qui lui répondirent avec enthousiasme. Devant ce colosse de la nature, ce chef guerrier née, Olens pensa qu'il n'avait définitivement pas usurpé son titre. Il était bien l'élu, sinon l'incarnation du Dieu de la chasse en personne. Cet homme ne cherchait à accomplir ni le bien ni le mal. Il ne vivait que pour combattre, et honorer ses victimes dans le sang des combats.
🎼L'Immortel🎼
« Les discours de ton père me semblaient plus inspirés. »
Là haut, du sommet de la colline surplombant la plaine. C'est de là que venait de retentir avec écho la voix étouffée par l'âge, mais non moins charismatique du provocateur. Au bord de cette imposante butte, un vieux Durian-seijin au menton garni d'un bouc blanchâtre, précédé par une vaste horde de guerriers aux sourires larges, vêtu d'une étrange combinaison de fer bien différente des peaux de bêtes couvrant les corps de ses semblables.
-Alors c'est toi le rejeton de la Bête du Blizzard ? Dodoria, celui qu'on surnomme le Briseur de Crânes. Je te pensais plus grand.
-Et toi t'es bien Dulcis ? Pour un type qui se fait appeler « L'immortel » je t'imaginais moins décrépi, l'ancêtre.
-Le temps ne m'a pas épargné. Mais tu vas vite comprendre qu'il ne faut pas se fier à mon nombre de cycles.
Il eut été faux, en effet, de prétendre que Dulcis, la peau d'un rose bien pâle, ridée et rugueuse, et quelques piques en moins sur la tête, paraissait être au mieux de sa forme. Pour autant, le vieux Durian-seijin n'en était pas moins imposant. Plus grand encore ne l'était le massif Dinarum, plus costaud que le trapu Dodoria, et le regard toujours aussi déterminé que dans sa jeunesse. Dodoria comprenait enfin pourquoi son père ne l'avait jamais vaincu. Il réalisait aussi que les cycles passés l'avaient de loin renforcé et non affaibli, aujourd'hui plus redoutable que jamais, et accompagné d'un nombre de guerriers plus conséquent que les siens.
Difficile alors de comprendre pourquoi, face à cette situation au premier abord critique, Dodoria affichait cet horrible, cet effroyable, ce démoniaque sourire.
-Vous avez entendu ça les gars ?! Le vieux gâteux nous fait l'honneur de ses conseils ! Une idée de comment on pourrait le remercier ?
Nulle réponse nécessaire. À l'intonation employée, tous comprirent le signal. Un à un, les guerriers prirent les armes. Épées, lances, haches, massues, l'arsenal nordique fait de pierre était amplement suffisant. Tous eurent même le temps de se mettre en position. Les deux chefs opposés par un conflit intergénérationnel s'observèrent quelques instants. Les deux sentaient brûler vivement en eux la flamme du combat. Mais un seul d'entre eux souriait à pleines dents.
Dès l'instant ou l'ordre de charger fut donné, déferla alors depuis les hauteurs une immense vague rosâtre, que les hommes de Dodoria s'apprêtaient à accueillir dignement. Bien entendu, Dulcis demeura immobile, assistant au spectacle offert par ses valeureux guerriers. Comme tout bon chef le ferait.
Quelle stupéfaction de voir alors un chef de clan se ruer au cœur de la bataille pour affronter lui même, qui plus est à mains nues, la nuée d'ennemis qui ne s'attendait pas à devoir affronter le leader adverse.
Stoppant l'élan de deux ennemis en les saisissant par la gorge au creux de chacun de ses bras en passant entre eux, Dodoria exécuta une simple rotation pour balancer ses deux projectiles improvisés vers Dulcis, qui les regarda fondre vers lui avec consternation et dédain, avant de les trancher en deux d'un revers de son imposante lame, observant le lanceur qui se trouvait en bas, au pied de la colline, parmi les guerriers qui s'affrontaient autour de lui.
Le chef du nord beugla « Ramène ton cul l'ancêtre ! », un ordre fort déplacé qui précéda un coup de coude violent dans le nez d'un ennemi qui tenta de le prendre à revers.
-Si tu me laisses m'amuser tout seul en bas, je vais rapidement casser tous mes jouets !
Constatant que lui et son ennemi juré ne partageaient pas la même définition du combat, Dodoria dut se résoudre à venir lui même à sa rencontre. D'un pas certain et assuré, il entama sa marche vers la colline, à travers le champ de mars. Soulevant par dessus sa tête l'écervelé qui lui fonça dessus de front pour l'envoyer voler derrière lui. Saisissant par la gorge le suivant afin de l'écraser contre le sol, trachée écrabouillée. Dégageant le prochain d'un revers du poing gauche dans le menton si tôt fêlé par la vélocité de l'impact. Puis un face à face trop littéral, tête contre tête, claquées l'une contre l'autre si puissamment que l'autre ne se relèverait pas. Et qu'importe le fin filet de sang qui coulait de son front à peine ébréché, rien n'effacerait ce sourire d'excitation.
Devant l'avancée du chef ennemi, l'un des hommes de Dulcis se débarrassa à la hâte du guerrier avec lequel il luttait afin de projeter sa lance vers la menace. Menace qui ne daigna pas regarder dans sa direction ni même stopper sa progression. Ce n'est qu'à l'instant ou le vent siffla dans son oreille, annonça la venue du projectile aiguisé, que Dodoria tourna sur lui même pour s'emparer de la lance et la rendre à l'envoyeur, pourfendu par son propre javelot.
Rien ne semblait pouvoir mettre un terme à la marche du barbare nordique. Ni celui qui, en essayant de lui barrer la route, se fit trancher la gorge par les épines du bras de Dodoria. Ni celui contre qui il retourna son énorme hache pour lui fendre les deux tibias avant de profiter de son agenouillement pour lui fendre le crâne avec.
Ni même les quatre guerriers téméraires qui pensèrent pouvoir le stopper en l'écrasant de leur mêlée, et se virent soudain brûlés vifs par la déferlante d'énergie que le fils de Dinarum laissa exploser autour de lui en grognant tel un ogre affamé toutes griffes et crocs dehors.
-Toujours pas décidé à descendre ?
Trop captivé par les exploits du Briseur de Crânes, Dulcis ne réalisa que tardivement que la quasi totalité de ses hommes avaient été vaincus. Nombreux parmi eux avaient perdus la vie en se jetant à corps perdu contre le démon de Durian. Mais indéniablement, les forces du clan du nord avaient fait montre d'une férocité à toute épreuve, suffisamment ardente pour submerger les rangs pourtant en supériorité numérique de Dulcis qui déploraient bien plus de victimes que leurs envahisseurs.
Trop déconfit par la défaite qu'il voyait poindre pour s'apercevoir de l'immense bond que venait d'effectuer le fils de son ennemi d'antan pour le rejoindre au sommet de son monticule, fendant la terre et soulevant l'herbe sous ses pieds en atterrissant derrière lui. Enfin, les deux chefs se firent face.
-Alors c'est moi qui te rejoins là haut, du con.
Tandis qu'en bas, les affrontements semblaient arriver à leur terme, la vingtaine de survivants nordiques achevant les quelques derniers opposants, le véritable combat s'apprêtait enfin à débuter, devant les fidèles guerriers restant, prêts à admirer et soutenir leur chef.
-Je reconnais bien là le fils du Blizzard. Ton père était tout aussi audacieux. Mais sa force n'était en rien comparable à la tienne. Ni même celle de tes hommes que tu as su pousser à se dépasser. Dinarum serait sûrement fier de toi.
-Héhé, dis pas de conneries, mon paternel supportait pas l'idée que je puisse être meilleur que lui. Tout ça, cette bataille, ce combat, c'est pour lui que je le fais. C'est le bras d'honneur que je lui devais, et j'espère qu'il le verra d’où il est !
Avec hargne, Dodoria se rua sur le rival de son père pour en finir. En finir avec ce combat qu'il avait entamé depuis plus de vingt cycles. Combat qu'il attendait depuis son départ pour le sud il y avait cinq cycles de cela. Combat qui marquerait pour lui ses ultimes adieux au fantôme de son père qui le hantait encore aujourd'hui, et planait au dessus de lui en permanence.
Mais cette hargne et cette détermination s'avérèrent insuffisants pour faire vaciller le Durian en armure, qui parvint à bloquer la ruée de Dodoria en l'agrippant au épaules. Pour la première fois de sa vie, celui-ci ressentit une force capable de surmonter la sienne. Un sentiment aussi déplaisant qu'enivrant dont il se servit pour repousser ses limites, en même temps que Dulcis qui se voyait reculer à vue d’œil, alors que les pieds de Dodoria s'enfonçaient dans la terre sous la pression de chaque pas.
Quand finalement ce duel de force s'acheva, et que les deux hommes dégagèrent leur bras de leur prise, chacun fit parler ses poings, avec la surprise de constater que l'autre avait la faculté de répondre. Mais les phalanges endolories de Dodoria lui signalaient que ses craintes étaient fondées.
L'épaisse tunique de métal que portait Dulcis – outre le fait qu'elle lui donnait cet air prétentieux qu'il lui prêtait en songe lorsqu'il rêvait de la manière dont il l'étriperait – le protégeait trop bien des chocs. Tant et si bien qu'un seul d'entre eux souffrait ce combat. Le visage et le corps couverts de bleus par les poings de Dulcis, et les poings couverts de sang à cause de ses propres coups.
De là ou ils hurlaient leurs encouragements, les guerriers et guerrières du nord étaient incapables de voir le déséquilibre qui rythmait l'affrontement. Ils ne pouvaient que voir la hardiesse sans failles de leur chef qui ne laissait pas un centimètre de terrain à son ennemi.
Celui-là même qui commençait étrangement à ressentir la douleur, alors que les frappes de plus en plus violentes de Dodoria avaient fini par cabosser son plastron. Comme recours à ce retournement de situation, Dulcis dégaina son épée pour forcer Dodoria à reculer, et fit de même afin d'établir une distance de sécurité entre eux.
Tout deux à bout de souffle, ils savaient pourtant que ce bref échange ne faisait office que de salutations.
-T'as de la ressource pour un vioc, avec ta dégaine de macchabée tu payes pourtant pas de mine !
-Je vois que moi non plus, je n'aurais pas du te sous-estimer simplement parce que tu es un bâtard.
🎼Le Clan du Nord🎼
Qu'est-ce que ça peut te foutre que ce soit un bâtard ?!
Venant d'en bas, les quelques voix qui poussèrent ces cris d'encouragement intriguèrent Dulcis qui ne pensait pas son adversaire si populaire auprès de ses troupes. Un étonnement partagé par l'intéressé, dont le sourire sadique ne fit que s'élargir alors que son arcade sourcilière fendue déversait son sang jusque sur ses dents.
-Tu les entends, Dulcis ? Elle est là, la force du Nord ! Celle que m'a inculqué une certaine vieille bique insupportable ! Un Durian nait pour combattre, un Durian vit par sa force, et quand le jour viendra, aucun de nous ne versera de larmes, parce qu'un Durian meurt pour la gloire ! Et ça, un vieux trouduc qui se cache derrière ses hommes et se protège avec une armure est pas capable de le comprendre !
Alors qu'il se jeta une fois de plus comme un sourd sur le chef du clan du sud dont les yeux restèrent ébahis devant une telle folie, ce dernier s'apprêta à l'accueillir avec le tranchant de son épée d'acier.
-Vous les nordiques, vous êtes toujours aussi primitifs ! Vous et votre cervelle ramollie !
À bout portant, Dodoria se jeta vers le sol pour esquiver de justesse la lame de Dulcis, qui frôla les cornes ornant son crâne, puis usa de cette force qu'il était l'un des rares à avoir en lui pour se propulser avec la main droite qui libéra cette étrange énergie invisible vers le sol, brisant ainsi dans son ascension soudaine l'épée et la mâchoire de Dulcis, en lui répondant avec une entière honnêteté, haut et fort, fièrement et sans complexe,
« Évidemment qu'on l'est ! »
Décollé du sol par l'impact, Dulcis sentit ses pieds quitter la terre ferme, alors qu'il commença à chuter du haut de cette colline pour rejoindre le plancher des vaches qui se trouvait plus bas dans un effroyable fracas.
D'un plongeon, les pieds les premiers, Dodoria regagna lui aussi la plaine, ou il trouva seulement un monticule de gravas sous lesquels s'était enterré Dulcis en tombant, tandis que ses hommes s'agglutinaient autour d'eux pour assister à la conclusion de ce combat.
Une vocifération plus tard, le chef du clan du Sud se libéra de son cercueil de pierre, libérant brièvement autour de lui cette même énergie à laquelle il semblait également pouvoir faire appel, dégageant de son espace les gêneurs se trouvant trop près à son goût, ainsi que son armure qui éclata bruyamment, laissant les fragments de métal ricocher en même temps que les cailloux projetés dans la fumée que souleva son énergie.
-J'ai acquis ce surnom d'Immortel après avoir remporté un nombre incalculable de batailles grâce auxquelles j'ai conquis l'entièreté du Sud de Durian sans avoir par ne serait-ce qu'une fois fini grièvement blessé ! J'ai inlassablement repoussé les assauts de Dinarum, la Bête du Blizzard, à ce jour je reste parfaitement invaincu ! Et tu crois qu'un gringalet comme toi, un bâtard, a une chance de s'opposer à moi ?!
Tout en essayant de remettre sa mâchoire ensanglantée en place, le Durian barbu proclama solennellement que lui, le grand Dulcis, se baignerait dans le sang et la tripaille de ses ennemis une fois la victoire acquise. Amusé par la répartie de son aîné, Dodoria ne put s'empêcher d'émettre un rire succinct tout en se tapotant le dessus du crâne.
Poussé à bout par l'attitude révoltante du barbare, le vieux guerrier se frappa le torse à trois reprises avec la main gauche tel un primate fulminant, et s'élança une ultime fois en hurlant vers Dodoria, qui l'accueillit avec le plus large sourire qu'il lui était possible de livrer.
D'un habile pas de côté, Dodoria évita le premier coup en déviant le poing de Dulcis avec le plat de son bras droit. Après avoir parcouru quelques mètres, emporté par son élan, le vieux guerrier dérapa sur le sol afin d'effectuer un demi-tour rapide sur ses quatre pattes, et se rua ainsi comme un animal sur son adversaire, qui le retint avec son avant bras pour l'empêcher de l'atteindre, et l'emporta contre un rocher qui se brisa sous le poids de Dulcis. Sonné, ce dernier se releva néanmoins bien vite, secouant vivement la tête pour se remettre du choc et attaquer de plus bel.
Le coup suivant, Dodoria le reçut bel et bien, en plein visage et de plein fouet. Une frappe violente qui ne l'empêcha pourtant pas de répliquer, et d'envoyer le sien dans l'abdomen de Dulcis alors même que son poing se trouvait toujours enfoncé contre sa joue. À terre, celui-ci aperçut en l'air le chef du Nord qui bondissait sur sa proie en grognant sauvagement, le poing armé.
S'il parvint à se protéger de cette droite descendante, la puissance de ce Dodoria qui avait fondu sur lui depuis les airs l'enfonça dans la terre et la roche composant le sol, brisé sous l'impact. Indemne, le barbu profita de leur proximité pour saisir Dodoria à bras le corps et l'emporter dans ce saut qui lui servit à s'extirper de son trou, afin de le plaquer contre le sol. Désormais en position de domination, Dulcis tenta d'asséner un puissant coup du gauche au visage de son ennemi, qui bien qu'en situation de faiblesse, ainsi maintenu à terre, ne se dégonfla pas un instant, et envoya son front contre celui de Dulcis. Un coup de boule violent qui le repoussa, permettant à Dodoria de se libérer et se lever à son tour.
Le front ouvert, Dulcis beugla aussi férocement qu'une bête enragée, et se rua à nouveau sur le responsable de son courroux, qui ne s'attendit pas à le voir se jeter à ses pieds pour mieux lui saisir la cheville, et le soulever par une force titanesque afin de le balancer contre le même rocher qui l'avait lui même accueilli plus tôt, poursuivant cette contre-attaque par un terrible coup du coude qui démolit littéralement le tas de roche se trouvant sous Dodoria. Voyant la fureur de son vieil adversaire devenir une menace, le barbare nordique, toujours à terre, saisit les poignets de l'Immortel afin de l'empêcher de frapper à nouveau.
Un simple premier pas pour mieux ensuite le saisir à la gorge par le bras et effectuer une prise de soumission par étranglement. Étouffant et postillonnant de manière abondante, Dulcis ne parvenait pas à se défaire de cette entrave malgré toute la force qu'il y mettait. Mais c'est alors qu'il se sentait perdre connaissance que la pression exercée diminua. Un faux espoir bien vite gâché par l'énorme main de Dodoria qui lui attrapa le crâne et le comprima.
En se relevant, le chef du Nord souleva Dulcis par la tête, le regardant reprendre péniblement son souffle.
« On dirait que tu commences à comprendre, l'ancêtre » suggéra le vainqueur de ce duel avant d'approcher dangereusement son visage du sien en souriant narquoisement.
-On en a rien à foutre de tes vieilles histoires de batailles et de conquêtes ! Y'a plus de Nord ni de Sud qui tienne, Durian toute entière m'appartient, tu piges ? À moi, Dodoria-sama !
Amorçant son lancé avec un mouvement de recul, Dodoria s'assura de mettre suffisamment de force dans son lancé pour que son adversaire ne se relève pas, et l'envoya s'écraser contre la colline d’où il se tenait présomptueusement tantôt.
Acclamé par ses hommes, Dodoria essuya le sang qui couvrait son visage – ne faisant en réalité que l'étaler davantage – et rejoignit sa troupe qui regardait le chef vaincu en riant.
-Olens ! File la moi.
-« La » ? Vous voulez dire...
-Maintenant que j'ai accompli ce que je voulais en me servant seulement de ma propre force, je peux m'en servir sans avoir l'impression de tout devoir à mon enfoiré de paternel.
Joyeusement, le camarade de Dodoria, qui en oublia la douleur de la plaie qui marquait son visage, s'empressa d'aller « la » chercher dans la tente du chef de guerre qui l'attendait en gardant Dulcis en vue. Bien vite, Olens revint avec elle, et la tendit à son chef qui la saisit par le manche, et ôta les bandages qui en couvraient l'épaisse et difforme lame de pierre aux courbes inconstantes et presque surnaturelles.
-Oxleyanus, l'épée que Jagd a utilisé pour chasser les cent bêtes les plus effroyables de Durian, et qu'il a transmise à notre clan pour le récompenser du sang qu'il avait versé. J'ai attendu si longtemps de vous voir la brandir, comme votre père la brandissait autrefois quand j'étais encore enfant.
-Je m'étais juré de pas m'en servir avant de buter Dulcis. Je voulais que le premier sang que je verse avec cette épée soit celui de cette tête de con. Il est temps de faire honneur au Dieu de la chasse comme il se doit !
Orgueilleusement, Dodoria approcha de quelques pas la colline sur laquelle était encastré Dulcis, pavanant avec l'arme qu'il avait toujours rêvé de brandir. Une fois rapproché à une dizaine de mètres de sa cible, distance que ses hommes trouvèrent bien inadaptée pour trancher la tête du chef ennemi vaincu, il s'immobilisa un instant, posant fermement son pied contre le sol d’où se dégagea un fin nuage de poussière sous son poids, et porta à deux mains la massive épée qu'il tenait devant lui.
-Regarde moi bien P'pa. Aujourd'hui, avec ton épée, je vais faire ce que t'as jamais été foutu d'accomplir de ton vivant.
Oxleyanus levée au dessus de sa tête, Dodoria chercha le regard de Dulcis, qui même proche de l'inconscience, soutint le regard de son bourreau jusqu'au bout.
-À partir d'aujourd'hui, tout Durian tremblera rien qu'en entendant mon nom ! Celui d'un bâtard choisi par les Dieux pour faire couler le sang !
D'un geste lourd et incisif, porté par une puissance démesurément grande, le barbare abattit l'épée légendaire vers la colline. Un coup si puissant qu'il souleva pierre et poussière sur son chemin menant à sa cible qui se trouva tranchée en son milieu. Une coupe dévastatrice qui trancha la roche d'une manière impropre. Mais qui surtout, en guise de sacrifice à Jagd, arrivant par le haut, frappa le crâne de Dulcis qui n'eut pas même le temps de le sentir éclater avant que le reste de son corps ne finisse tranché comme le reste, sous les yeux des guerriers du Nord en pleine effervescence, hurlant à la gloire de celui qui annonça son nom si fort qu'il l'espéra atteindre les sphères divines,
Un nom qui résonna dans les contrées et dans l'histoire de Durian, dans les esprits et les cauchemars de chacun des guerriers qui croisèrent sa route. Qui résonna jusque dans les cieux fuchsia de la belle planète. Mais sans doute pas assez haut pour être entendu par les passagers de cet immense vaisseau qui approcha du secteur de Durian quelques mois après cette bataille homérique.
…
« Planète 7B 8556, secteur G-5. Nom, Durian. Nous entamerons la descente d'ici quelques heures. Prévenez le Général de notre arrivée. »
« Ce ne sera pas nécessaire. »
Arrivé à l'instant dans l'enceinte de la cabine de pilotage par les portes automatiques, comme répondant instinctivement à l'appel du pilote vert de peau au long crâne tacheté de rouge, l'élégant Général en armure décorée, pourvu d'une longue cape blanche, tirant ses gants de la même couleur, fut accueillit par un salut militaire simultané et coordonné de toute l'équipe.
-Juste à temps mon Général. Début de l'invasion programmé à onze heure zéro zéro. Débarquement prévu au pôle nord de la planète. Élimination de la population recommandée. Application du programme « Élite » envisageable.
Agacé par le ton particulièrement protocolaire du soldat, le Général capé aux yeux orangés se contenta de passer à côté de son siège en lui tapotant l'épaule en guise de réponse, et s'approcha du hublot sur la surface duquel il posa la main pour admirer la surface rosée de la planète que lui et ses hommes s'apprêtaient à envahir.
-Durian...je doute que nous trouvions un individu digne d'intérêt pour notre armée sur une planète aussi primitive. Tâchons d'écraser toute résistance au plus vite pour s'assurer qu'ils se rendent avant d'être entièrement éradiqués.
D'un geste de la main, le Général à la peau mauve dont les joues étaient agrémentées d'une petite antenne lança sa cape vers l'arrière en se retournant pour quitter la pièce, adressant ses dernières instructions en se dirigeant vers la porte de sortie qui se referma ensuite.
-Préparez ma navette et rassemblez nos hommes. Nous partons pour Durian sur le champ.
Exécution.
Bon, tout d'abord, pour ceux qui liraient mon autre fiction "Les chroniques d'une guerre", si vous êtes à jour, alors ce One Shot ne vous sera pas inconnu. Il s'agit en réalité du chapitre spécial sorti l'été dernier, consacré à la jeunesse et au parcours de Dodoria sur sa planète natale, avant de rejoindre les rangs de l'armée de Freeza. J'avais à l'époque hésité à poster ce chapitre dans un nouveau topic, j'ai finalement opté pour son intégration directe dans la fic. Mais il s'avère que ce chapitre, en plus de pouvoir se lire parfaitement même sans avoir lu "Les chroniques d'une guerre", sert aussi finalement de prologue à son histoire, tout en se suffisant à lui même si on ne désire pas aller plus loin.
C'est pour cette raison que j'ai envie de le partager également à ceux qui n'auraient pas forcément le courage de lire la fic entière mais pourraient au moins être intéressés par ce One Shot, et qui sait, avoir envie d'en découvrir plus après coup. Voilà tout, sur ce je vous souhaite une très bonne lecture !
Le Briseur de Crânes
Teinté d'un sombre magenta, le ciel nocturne de la planète Durian resplendissait cette glaciale nuit de pleine lune précédant le solstice d'hiver. L'épaisse neige vaguement colorée par l'éclat fuchsia de la lune tombait lentement, parsemant le sol déjà gelé par le froid hivernal.
Le village des nomades de Durian – sédentarisés durant la saison froide de leur cycle saisonnier – composé de bâtisses faites de torchis, de branches, et de matériaux primaires, à l'architecture pour le moins approximative et difforme, se préparait paisiblement au couvre feu.
Un à un, les Durian-seijins, cette race guerrière et barbare à la morphologie parfaitement dotée par la nature des atouts du combat indistinctement entre mâles et femelles, regagnaient leurs huttes et baraques à la tombée de la nuit, et couvraient les foyers pour en éteindre les flammes, ne gardant que quelques rares feux de camp dont ils tiraient la chaleur nécessaire à leur survie.
Au nord de ce village précaire et improvisé au milieu des montagnes riches en fer des contrées hostiles de Durian, trônait une structure plus imposante que les autres. Un domicile en forme de dôme, à la silhouette déformée faite d'argile, et disposant de cinq entrées autour d'elle laissant passer la lumière du feu central qui éclairait l'obscurité.
Et devant l'une de ces entrées, deux massifs guerriers roses de peau semblaient converser d'une manière étonnamment sérieuse pour ces habitués des discussions primitives et vulgaires, tout en observant discrètement le jeune Durian qui se trouvait à l'intérieur du dôme d'argile, s'amusant avec un coutelas bien trop affûté pour son âge.
-T'es sur qu'on devrait le faire ? Ce gosse a que cinq cycles, on pourrait au moins attendre trois cycles de plus, on est pas des bêtes.
-Arrête de te comporter comme une mamie gâteuse, qu'est-ce qu'on en a à foutre ? Un coup derrière la tête et on en parle plus.
-Je trouve quand même ça dégueulasse, il pourrait devenir un grand guerrier et nous aider à conquérir les terres de Dulcis au sud pour étendre notre territoire !
« Cet enfant est un danger pour nous tous »
Cette voix rauque, émise par l'imposant guerrier vêtu d'une large fourrure blanche et d'un diadème fabriqué à partir d'ossements que le contestataire appela « Dinarum-sama », sembla imposer subitement le respect à chacun des individus en présence. Ce Durian plus grand que la moyenne, mesurant probablement deux bons mètres, avait la face balafrée d'un sublime tranchant lui traversant en biais le visage, passant par l’œil borgne qui le rendait si reconnaissable, perpétuellement ouvert pour exposer son globe blanc entaillé.
Mais surtout, l'impressionnante épée de pierre distordue attachée dans son dos, symbole de sa puissance, était la réelle source de sa domination sur ce clan. Oxleyanus, l'épée du Dieu de la chasse Jagd, offerte au clan nordique de Durian pour récompenser les flots de sang qu'il répandait depuis des siècles sur son passage. L'arme réservée au guerrier le plus puissant.
-A son jeune âge, il fait déjà montre d'une force et d'une violence redoutable. Le laisser en vie et lui offrir la chance de devenir plus fort serait un risque pour notre tribu. Un tel guerrier risquerait de se laisser guider par sa folie des grandeurs et nous conduirait à notre perte.
Désarçonné par ce discours de leur chef, le barbare récalcitrant ne put que baisser la face en signe de respect et de soumission.
Depuis sa prise de pouvoir sur leur précédent chef, Dinarum avait apporté à son clan la prospérité à laquelle il n'avait jamais goûté, et avait effectué son premier pas vers ce que certains peuples appelaient « civilisation », bien que la route fut encore longue. Raison pour laquelle il avait su s'attirer les faveurs de nombreux guerriers de renom au sein du clan.
-Je n'en arrive pas à cette extrémité par plaisir, mais par nécessité. Si je vous ai réuni cette nuit, c'est pour lui offrir une mort respectable de la main des plus grands guerriers de Durian. C'est le moins que je puisse faire pour cet enfant. Mon cher fils.
Accompagné d'une troupe de dix hommes, dix fiers combattants Durians, Dinarum s'apprêtait à mettre à mort le fruit de ses relations charnelles avec une jeune femelle d'un autre clan, violée devant ses hommes en guise de tribu pour célébrer leur victoire, et condamnée à l'autre monde une fois l'enfant donné.
Ce bâtard, née d'une relation forcée avec la fille d'un chef ennemi. Cet enfant illégitime et non désiré. Ce sang-mêlé impur doté d'une puissance monstrueuse que l'on pourrait penser appartenir au Dieu de la chasse lui même.
Cet enfant maudit, plus puissant que lui, celui que l'on surnommait La Bête du Blizzard, Dinarum, l'élu des Dieux.
Avec ferveur, le chef barbare et ses dix guerriers pénétrèrent à l'intérieur du dôme stratégiquement, à deux par entrées, Dinarum restant légèrement en retrait, tandis que l'enfant, d'une taille déjà plus que respectable pour son âge, s'attarda à peine sur la présence de ses aînés, accaparé par son jouet de métal offert par son père à sa naissance.
-Mon fils, soit certain que mon cœur se serre à cette pensée, mais je n'ai d'autre choix qui s'offre à moi. Tu représentes un danger que je ne saurais laisser exister et mettre le clan en péril.
Trop jeune pour saisir le sens des mots de son père ce soir là, l'enfant se contenta, en entendant la voix du grand guerrier qui l'avait élevé, de lever les yeux vers lui et de lui sourire tendrement. La chaleur de ce jeune visage le fit douter un instant. Non pas le père, déterminé à mettre un terme à cette vie. Mais le guerrier tantôt hésitant, et de nouveau mis en émoi face à ce si jeune enfant, incapable de comprendre la situation.
D'un signe sec de la tête, le chef de clan envoya l'un de ses hommes accomplir la sale besogne pour laquelle il ne désirait nullement se salir les mains. Sans remord, le guerrier s'approcha de l'enfant, qui sur ses quatre membres, s'avança lui aussi légèrement pour lui attraper naïvement le pied avec douceur.
-Aller, finissons-en vite, qu'on puisse aller boire une coupe en ton honneur.
Son imposante masse épineuse dans les mains, le Durian-seijin souleva son arme au dessus de sa tête, projetant l'ombre de l'objet contondant sur le gamin qui leva ses yeux ronds vers elle.
« Bon voyage dans l'autre monde, jeune bâtard ! »
Impitoyablement, le barbare amorça le geste descendant sur sa victime qu'il comptait achever d'un coup direct et franc. En un clin d’œil, la masse de pierre s'écrasa sur le sol, réduit à l'état de brisures sous son poids.
C'était fini.
En un instant, cette vie avait été prise.
Abondement, du sang gicla et s'écoula de la trachée ouverte d'une plaie béante du guerrier Durian, égorgé sans peine par l'enfant qui s'était jeté sur lui tel un animal enragé sous les yeux horrifiés de ses aînés. Exsangue, le barbare s'effondra dans le silence le plus absolu. Couvert de sang, à quatre pattes sur le corps de sa victime, le petit garçon leva les yeux vers ses assaillants, et avec une totale et déconcertante innocence, lécha le chaud et délicieux liquide rouge qui venait d'asperger son visage.
Une veine gonflée sur la tempe, Dinarum ordonna d'un ton virulent à deux autres de ses hommes de finir le travail. Cette fois sans faire de manières, les guerriers se ruèrent sur l'enfant en hurlant sauvagement.
Mais les plus sauvages des bêtes présentes ce soir là, ils n'étaient pas.
Le second coup de masse que l'enfant reçut de sa vie, il décida cette fois de l'arrêter avec ses petites mains roses, tenant désormais sur ses deux pieds, pour mieux en déposséder son propriétaire, et lui briser les deux genoux d'un vif revers. Les rotules explosées et en sang, le Durian-seijin, agenouillé devant l'héritier illégitime du clan, vit ses jours raccourcis en même temps que le haut scalpé de son crâne.
Souhaitant profiter de cet instant d'inattention, le second abattit sa hache, fier de sentir sa lame s'enfoncer dans la chair. Une fierté éphémère, éteinte, tout comme sa vie, lorsqu'il réalisa qu'il s'agissait de la chair de son camarade, alors que le tout jeune garçon l'avait déjà contourné pour bondir sur ses épaules, et lui marteler le crâne de ses deux poings, jusqu'à ce que mort s'en suive.
« Qu'est-ce que vous attendez ?!! » beugla le chef de clan en postillonnant rageusement, la veine toujours plus gonflée, et son seul œil valide injecté de sang, afin que tout le reste de sa troupe assassine ne bondisse sur l'enfant pour en finir.
Cette nuit là, des hurlements de souffrance retentirent dans les montagnes enneigées de Durian, réveillant un village paisiblement endormi. Des hurlements provenant du nord du village, là ou brillait encore le dernier grand foyer nocturne qui attira les regards des quelques curieux sortis de chez eux pour découvrir la source du bruit.
Le dôme du chef, ou à cet instant, à l'image d'une bête, ou plutôt à celle d'un démon sanguinaire, cet enfant qui n'arrivait pourtant qu'à la taille de la plupart de ses adversaires, bondissait avec véhémence d'une victime à l'autre, les écorchant vif un à un, alors que les ombres des Durian-seijins projetées sur les murs d'argile du dôme par les flammes orangées du feu central se retrouvaient couvertes du sang qui giclait par litres d'un bout à l'autre de la pièce devant les yeux aussi apeurés qu'enragés de Dinarum.
« Qu...qu'est-ce...qu'est-ce que tu es au juste ? »
Quel genre de monstre es-tu au juste ?!
Pures. C'est ainsi que Dinarum aurait décrit les yeux de son fils à cet instant, lorsqu'il le regarda avec tendresse, et lui lança ce sourire d'enfant, si doux et chaleureux, le visage, et les mains couvertes du sang des dépouilles de ses jouets, tendues vers celui qu'il appela maladroitement « père ».
Vers celui qui extirpa hors de son fourreau de tissu la légendaire lame de pierre Durian, en lui rendant son sourire d'un air empreint de malaise.
-Tu es...un démon. Une punition des Dieux pour avoir enfanté cette putain ! Mais je vais leur prouver...
JE VAIS LEUR PROUVER QUE JE SUIS LE PLUS FORT !!!
Se pensant défié par ses divinités, davantage guidé par la rage et la fureur que par les bonnes intentions dont il prétendait être animé plus tôt, la Bête du Blizzard s'élança sur sa progéniture avec toute la folie qu'on lui connaissait sur le champ de bataille.
Mais l'enfant, imperturbable, et dont la lame était jusqu'à lors restée immaculée, conservait, encore et toujours, cet intarissable sourire.
Nombreux à avoir été alerté par ces mystérieux cris, les villageois s'étaient dirigés en masse vers la maison du chef de clan pour découvrir la raison de ce tapage. Les derniers arrivés, un père et son très jeune fils, peinèrent à se frayer un chemin au milieu de cette foule silencieuse et captivée.
Quand finalement ils parvinrent à atteindre le point de vue idéale, ils découvrirent alors ensemble le spectacle horrifiant devant lequel ces gens se cachaient yeux, nez et bouches béantes.
Car elle avait viré au rouge.
L'épaisse fourrure blanche dont Dinarum se couvrait arborait cet éclat pourpre, mélange de sang, de reflets du brasier, et de la lueur de la lune passant par le toit à ciel ouvert.
Car ils avaient viré au rouge.
Les murs de ce dôme, décorés de ces indescriptibles œuvres d'art d'enfant, ces formes abstraites dessinées avec le sang de la dizaine de guerriers massacrés et éviscérés qui gisaient sur le sol et empestaient cette senteur de charogne insoutenable.
Car elle avait viré au rouge.
La lame jusqu'ici inutilisée de l'enfant Durian-seijin, qui avait finalement servi contre celui qui l'avait lui même offerte. Un usage atroce que celui-ci. Qui d'autre aurait bien pu avoir l'idée de se servir d'un poignard pour découper péniblement la tête de son père ?
Car oui, il avait viré au rouge. Cet enfant au destin maudit qui venait de perpétrer ce massacre cauchemardesque sous l'éclat de la pleine lune fuchsia, et dont la peau naturellement teintée de rose, se trouvait colorée de cette sublime teinte vermeille, alors qu'il tenait entre ses frêles petites mains, perché sur une sculpture difforme, la tête de son paternel, qu'il regardait dans les yeux.
Il le regardait, en arborant ce terrifiant, ce démoniaque, cet incompréhensible sourire d'enfant.
Un sourire qui soudain s'effaça, comme si le garçon comprenait enfin. Comme s'il avait compris que ce jeu auquel il venait de participer n'en était pas un. Comme si malgré son jeune âge, il saisissait, ne serait-ce que vaguement, la gravité de son geste.
Une épiphanie, un éclair de lucidité, qui précéda une expression abominable de rage inextinguible, que l'enfant accompagna d'un déchaînement de sa force animale, concentrée dans ses bras et dans ses mains, alors qu'il comprima le crâne de l'homme qui avait ce soir là tenté d'attenter à sa vie. Et il serra ce crâne encore.
Et encore.
Et encore.
Et encore et encore et encore et encore.
Jusqu'à ce qu'enfin, ne se brise sous ses paumes, libérant tout le liquide qu'il contenait encore et qui se déversa sur lui, dans un affreux et angoissant craquement de chair et d'os, le crâne brisé de son père, Dinarum, face à une foule de Durian-seijins sous le choc, et devant les yeux étrangement sereins de la mère de la victime, doyenne du clan, assistant à la scène dans un calme absolu, le pommeau de sa canne entre les mains, avant de commencer à s'approcher lentement et prudemment du garçon.
Teinté d'un sombre magenta, le ciel nocturne de la planète Durian resplendissait cette glaciale nuit de pleine lune précédant le solstice d'hiver. L'épaisse neige vaguement colorée par l'éclat fuchsia de la lune tombait lentement, parsemant le sol déjà gelé par le froid hivernal.
Cette nuit durant laquelle l'histoire de Durian prit un tournant décisif. La glaciale nuit de pleine lune qui vit naître le plus redoutable guerrier que ce monde ait connu.
L'incarnation du Dieu de la chasse, le démon de Durian, le Briseur de Crânes.
Dodoria.
* * *
Neige et ensoleillement se succédèrent par dix fois depuis ce jour. Dix cycles saisonniers durant lesquels l'enfant maudit par le destin fut élevé par sa grand-mère paternelle, contrainte de prendre en main l'éducation du rejeton de son fils après sa mort.
De par son tempérament, la vieille femme n'était sans doute pas la mieux placée pour lui fournir un enseignement intellectuel. Elle avait cependant ce qu'il fallait pour apprendre à cet enfant à canaliser sa force.
Qu'importe si les vents se déchaînaient, si des torrents de pluie s'abattaient, si le blizzard leur gelait les os, ou si le soleil leur brûlait la peau, par tous temps, la doyenne de la tribu enseignait à Dodoria l'art du combat, le maniement de l'épée à l'aide d'une réplique de bois, et l'instruisait au mieux quant aux us et coutumes de leur peuple.
« Rien n'est plus important pour un Durian que sa fierté de guerrier ! », disait-elle.
De ses six doigts Dodoria n'avait pas assez pour compter les fois ou sa tutrice avait pu tenter de le tuer durant leurs exercices. Peut-être en aurait-il eu suffisamment en ajoutant ses huit orteils au compte. Même cela il n'en était certain. Mais il savait qu'il lui devait sa robustesse et sa ténacité à toute épreuve.
« Pour te remercier de tout ce que t'as fait pour moi, je te fais cette promesse, vieille branche : Un jour, c'est moi qui te tuerai ! » avait-il juré solennellement le jour de son onzième anniversaire.
La vieille femme lui fit vivre un enfer. Mais un lien indéniablement indéfectible s'était tissé entre elle et son bâtard de petit fils au fil des ans. Qu'il s'agisse de leurs affrontements au bâton opposant l'expérience et la sérénité du troisième âge à la vigueur et la force de la jeunesse. Des repas infects qu'il partageaient dans leur tente lorsque le clan établissait son campement. De la sévère tape sur le crâne que Dodoria recevait de la canne de sa grand-mère en guise d'au revoir avant de partir batailler avec ses camarades.
« Et si tu meurs, tâches au moins de ne pas me faire honte ! »
Le jeune adolescent aujourd'hui âgé de quinze cycles ressentais une forme d'attachement pour ce quotidien partagé avec la vieille femme.
Mais ce qu'il aimait par dessus tout, sans le moindre doute, c'était cette sensation indescriptible de son épée déchirant la carcasse de ses ennemis lorsqu'il laissait libre à cour à sa fureur sur le champ de bataille.
Quarante-sept ! Le Dieu de la chasse est avec moi aujourd'hui ! Allez-y ! Venez plus nombreux ! Le grand Dodoria a encore soif de sang !
Opposé à une tribu venue de l'est, le clan nordique vénérant Jagd, la divinité de la chasse, avait réussi à repousser l'envahisseur jusque dans les montagnes, son terrain de prédilection, là ou ses guerriers auraient l'avantage. Sans compassion aucune, Dodoria, armé d'une imposante hache, le corps couvert d'une peau de bête à la fourrure bleue nuit, se jetait au milieu de la vague ennemie, découpant ses adversaires à la chaîne. La personnalité irascible qu'on lui connaissait nourrissait sa rage de vaincre.
Animant ses combats d'un odieux rire de satisfaction, le guerrier rose n'avait aucun scrupule à laisser ses alliés sur la touche, relégués pour la plupart au rang de simples spectateurs. Lorsqu'il souhaitait vite se frayer un chemin, Dodoria visait les jambes pour faire chuter ses adversaires. Si son arme était prise dans les os de sa dernière victime, il n'hésitait pas à se servir de son bras pour broyer le visage de ses assaillants. Quand il voulait en finir vite, le cou était la cible idéale, sustentant son plaisir en voyant voler autour de lui une flopée de têtes ennemies.
Lorsqu'il eut fini de s'amuser avec ses proies, ne disposant plus que d'une seule victime tombée à genoux au milieu des cadavres, Dodoria planta sa hache dans le sol, et s'approcha de l'unique survivant en se tapotant le dessus de la tête.
« Dispose donc de moi comme tu le souhaites, jeune guerrier du nord. Je m'avoue vain... »
La mâchoire subitement paralysée par l'emprise de deux vigoureuses mains, le guerrier étranger venant de signer reddition se trouva dans l'incapacité de terminer sa déclaration.
-Oh non non non, personne n'abandonne le combat sur un champ de bataille !
« Un vrai guerrier Durian... » grogna le jeune homme en commençant à compresser la tête de celui qui sentait monter l'agonie alors que son propre sang lui montait au cerveau, lui même petit à petit écrasé par sa propre boîte crânienne déjà partiellement brisée.
… Ne goûte à la défaite que dans la mort !
D'une simple pression, Dodoria broya le crâne du dernier survivant du clan vaincu, laissant la bouillie résultant de l'éclatement lui asperger le visage. En se redressant silencieusement, au milieu de ses frères et sœurs l'observant avec un subtil cocktail d'admiration et de répulsion, l'héritier de Dinarum leva les mains vers le ciel – laissant glisser d'entre ses doigts les morceaux de cervelle restés agglutinés – et écarquilla les yeux, avant de proclamer dans un éclat de rire terrifiant,
« SOIXANTE ! Voilà ma soixantième offrande, mon vieux Jagd ! Et putain que ça fait du bien de sentir ta bénédiction couler sur mon corps ! »
-A moins que ça ne soit juste le sang et les viscères de mes victimes qui me tiennent chaud !
Plus barbare et vorace que quiconque, le Briseur de Crâne s'attirait l'attention du peuple autant en mal qu'en bien. Jamais Durian n'avait connu un guerrier si cruel et redoutable. Lorsque certains voyaient en lui l'incarnation de Jagd, d'autres reconnaissaient l'incarnation d'un mal qu'il fallait à tout prix éradiquer.
Comme après chaque bataille, les guerriers quittèrent le champ de mars pour regagner leur camp en silence, Dodoria en tête, dévisagé par ses congénères comme s'il s'agissait du diable en personne. Le barbare n'ignorait pas ce mépris et cette haine viscérale de ses semblables à son égard. Mais il avait apprit à ne pas y prêter attention.
À leur retour au campement, les jeunes guerriers revenus de batailles se virent acclamés par les vieux, les femmes enceintes temporairement incapables de combattre, et les impotents restés sur place pour préparer en leur absence les festivités qui devaient célébrer leur victoire, ou leur rendre hommage le cas échéant.
Plus intéressés par la nourriture et le vin que par l'idée de festoyer avec ses semblables, Dodoria s'empara d'un cuisseau de viande cru qu'il commença à dévorer à pleine dents, et d'une jarre de vinasse dont il s'abreuva pour étancher une autre soif que celle du sang. Mais avant qu'il n'ait le temps de s'isoler, Olens, l'un des rares membres de la tribu à oser s'adresser à lui directement, l'interpella vivement. En réponse à la demande de Dodoria qui exigeait de connaître la raison de ce trouble à sa tranquillité bien méritée, Olens se contenta d'un signe de la main lui demandant de le suivre.
Jusque sous cette tente ou gisait le corps sans vie d'une vieille Durian-seijin emportée par l'âge à peine quelques heures plus tôt.
-J'ai essayé de la garder éveillée jusqu'à ton retour, mais...
-Laisse, ça fait rien. Aller fous le camp.
Exécution immédiate, le jeune guerrier du même âge que Dodoria, resté au camp pour protéger les faibles, quitta la tente funéraire pour laisser son frère faire son deuil. Le visage fermé, il observa quelques instants sa grand-mère qu'il voyait pour la première fois si sage.
Simplement quelques instants, avant d'arracher un nouveau morceau de son gigot, mâchant vulgairement et bruyamment devant sa défunte grand-mère. Avalant goulûment une généreuse gorgée de son pineau pour faire passer le tout. S'essuyant franchement la bouche en reniflant. Visiblement pas tant perturbé par les quelques miettes et gouttes semées sur le corps.
-Alors t'as quand même fini par crever vieille branche, hein ? Pas trop tôt.
Une troisième gorgée prise pour finir sa jarre, Dodoria la claqua contre la commode de bois se trouvant à sa droite. Mais non sans avoir préalablement rempli une coupe qu'il déposa à côté de la défunte.
-Comme ça y'aura plus personne pour me briser les noix ou me parler de mon vieux. Aller, à ta santé !
En écartant le rideau de la sortie Dodoria marqua un temps d'arrêt, comme retenu par quelque chose.
-Tss...fait chier. Dire que j'aurai même pas pu tenir ma promesse.
Ce soir là, comme chaque soir marquant la fin d'une bataille, le barbare s'isola pour se sustenter loin du monde. Une absence remarquée, mais loin d'être regrettée par ses semblables. Un soir comme n'importe quel autre. Rien n'avait changé.
De là ou il se trouvait, riant et festoyant avec le reste de la tribu, Olens chercha cependant dans la foule, quelqu'un ou quelque chose qu'il ne trouva pas. Comme une absence qu'il sembla regretter. Une absence, un regret, qu'il occulta bien vite lorsque l'heure arriva de conclure cette fête en brûlant leur mort. Trente-sept d'entre eux étaient tombés au combat. Trois corps purent être ramenés au campement. Quatre défunts furent brûlés.
Mais qu'importe. Ce soir là n'avait rien de bien particulier, finalement.
Et il se perdit bien vite dans l'oublie, tandis que neige et ensoleillement se succédèrent par dix fois, jusqu'à ce jour, qui marqua le vingt-cinquième cycle que Dodoria vécut sur Durian.
Désormais en âge de diriger son clan, Dodoria avait officiellement acquis son statut de chef. Depuis, le terrible clan du nord mené par le Briseur de Crânes faisait frémir bon nombre de Durian-seijins par delà les larges étendues de la belle planète rose.
Cela faisait ce jour, du moins de mémoire mais rien n'était sur, presque un cycle entier que Dodoria et ses hommes avaient entamé cette campagne. Immobilisés au cœur du blizzard ou ils durent dresser un campement de fortune pour y allumer quelques feux salvateurs, les barbares s'étaient attelés à la rude tâche de s'emparer des terres du sud, déjà convoitées par Dinarum plus de vingt cycles auparavant. Se réchauffant devant les flammes, le chef barbare reçut la compagnie d'un Durian-seijin de son âge environ. Un visage familier. Sans doute le seul visage qui semblait en le voyant exprimer autre chose que de la haine et de la peur.
-Dodoria-sama, je dois être franc avec vous, vos hommes n'ont plus le moral. Ils commencent à douter de leur chef. Cela fait des jours que nous n'avons pas mangé. Des semaines que nous n'avons pas combattu. Un guerrier Durian qui ne mange ni ne bataille n'a pas la motivation pour...
-C'est mort, hors de question. On rentrera pas tant que j'aurai pas pris la tête de ce con de Dulcis. C'est rentré dans ton petit crâne ou faut que je force l'entrée ?
-Vous savez bien que la cohésion n'est pas au mieux. Plusieurs membres du clan estiment qu'un...enfant illégitime ne devrait pas diriger le clan. Qu'il apporte la honte et le déshonneur sur nous. Tous ne reconnaissent pas votre légitimité. Mais si au moins vous pouviez accepter de...
Brutalement, Dodoria saisit le crâne de son interlocuteur à pleine main, le forçant à le regarder dans le fond des yeux. Ses yeux soudainement brûlant de colère.
-Si au moins quoi ? Qu'est-ce que j'en ai à foutre de ce qu'ils pensent ? Un bâtard comme moi n'est pas digne de les diriger ? Qu'ils osent me défier, je laisserai ma place à celui qui la mérite ! Et j'ai pas besoin d'une vieille relique pour mériter ma place !
« Alors prouve-le ! »
Émergeant d'un feu de camp voisin, la voix émanait d'un autre guerrier du clan. L'un des plus respectés, et loyal serviteur de Dinarum, à la musculature adaptée à sa taille plus importante encore que celle de son chef illégitime.
-Bats-toi contre moi, démon. Cela fait bien trop longtemps qu'on te laisse crier partout que tu es le chef du valeureux clan du nord. On t'a laissé en vie par respect pour la vieille Jensis, mais on aurait du te couper la tête bien plus tôt !
-Eh ! Montre un peu de respect à ton chef !
Ferme-là, Olens...
Dors et déjà debout, Dodoria surplombait son unique partisan qui aperçut alors sur son visage cette même fureur qui l'avait marqué à vie. Cette fureur qui transparaissait sur son visage si jeune alors qu'il réduisit la boîte crânienne de son propre père en morceaux. Cette fureur qui le fit reculer bien vite à l'instar des autres spectateurs formant autour des deux hommes une véritable arène humaine au milieu de ce blizzard.
-Toi aussi t'as un truc à prouver. Tu veux prouver que t'en as, hein ? Que t'as d'assez grosses couilles pour défier celui dont tout le monde a peur ? Quoi, t'es pas comme toutes ces lopettes ? Tu veux me faire croire que tu te pisses pas dessus quand tu croises mon regard ? Et ben vas-y, prend les à pleine main et montre les moi !
Fièrement, le barbare venu défier son chef ôta sa fourrure, prêt à lui faire face qu'importent les conditions.
-Dinarum-sama, je vais finir ce que vous n'avez pu accomplir.
🎼Le Briseur de Crânes🎼
D'une manière aussi puérile que virile, le chef barbare imita son adversaire, exposant lui aussi son torse et ses blessures de guerre. Les deux Durian-seijins entamèrent un balais animal, se tournant autour tels deux bêtes prêtes à se déchiqueter l'une l'autre, alors que l'excitation commençait à se faire sentir autour d'eux. Parmi ces spectateurs en effervescence, Olens, captivé par ce duel de regard primaire, remarqua néanmoins que pour la première fois depuis des jours, ses congénères semblaient faire preuve de motivation.
Une énergie dévouée au lanceur de ce défi acclamé par ses admirateurs, lui vouant un profond respect pour ses exploits sur le champ de bataille. Des faits d'armes remontant à l'époque de leur ancien leader, puis perpétués jusqu'à maintenant. Un féroce guerrier dont la réputation n'était plus à faire.
Ce même féroce guerrier qui chargea avec fureur sur son ennemi, déchaînant la neige autour de lui, vociférant tel un animal sauvage, faisant montre de toute sa puissance.
Déferla alors un véritable déluge de coups, tous portés au visage. Une série d'attaques rapides, lourdes et violentes que Dodoria ne put éviter. Son adversaire frappa, encore et encore, inlassablement, pendant plusieurs secondes qui semblèrent durer une éternité pour Olens, assistant à ce véritable carnage, au milieu de ces guerriers hurlant tant qu'on eut pût les croire fous.
Sous les poings de la bête, le visage ensanglanté et gonflé de Dodoria se dévoilait par intermittence. Un visage sobre. Jusqu'à cet instant.
Jusqu'à cet instant ou celui qui se laissait boxer sans broncher répliqua d'un simple et unique coup qui coucha son adversaire sur ce tapis blanc, déjà tâché de rouge par le sang de Dodoria, rejoint par celui d'un nouveau blessé. Peinant à se relever, sonné par un coup, un seul, le féroce guerrier avait perdu sa hargne, en même temps que le calme gagna de nouveau les rangs.
« C'est tout ? » cracha le chef barbare en même temps qu'il cracha son propre sang.
-Elles sont passées ou ? Ces énormes burnes dont tu semblais si fier ? Hein ?!
Alors qu'il était toujours à terre, l'homme se sentit soulever par une force colossale. Celle du bras de Dodoria qui lui sortit le nez de la neige, pour mieux l'y enfoncer de nouveau avec un nouveau coup en plein visage.
-C'est avec ça que t'es venu me défier ? Moi ? Dodoria le Briseur de Crânes ?!
Et un nouveau coup heurta le visage déjà déformé du grand barbare.
« Le démon de Durian ?! »
Puis un autre.
« L'incarnation du Dieu de la chasse ?! »
Puis un autre.
« L'enfant maudit par le destin ?! »
Puis un autre.
« Le bâtard de Dinarum ?! »
Puis encore un autre.
Pas un bruit ne se fit entendre. Ni même le moindre mot. Personne n'osa lui faire remarquer que celui contre qui il s'acharnait indéfiniment avait succombé dès le troisième coup. Ils ne pouvaient que le regarder, les traits du visage déformés par la rage, frapper encore. Et encore. Et encore.
Jusqu'à ce qu'en joignant les deux poings et en les abattant simultanément sur le visage méconnaissable du guerrier, Dodoria ne réduise en charpie le crâne de sa victime, qui en éclatant, colora la neige d'une magnifique teinte écarlate.
La face couverte de sang, le sien et celui de l'ennemi vaincu, Dodoria se redressa, au milieu de tous ces hommes lui offrant un silencieux respect.
-Voilà ce qui attend le prochain qui pensera pouvoir me défier parce qu'il ne me trouve pas « digne » ! Ce qui m'a permis de survivre jusqu'à maintenant, c'est pas d'être « digne » ! C'est ma force, elle et seulement elle. C'est la seule putain de chose qui compte ! C'est la seule chose qui décide de qui dirige, et de qui suit en fermant sa gueule !
Sans plus d'esclandres, Dodoria tourna les talons, laissant là le cadavre encore frais du guerrier dépossédé de sa tête, profitant du passage que lui offrirent ses hommes en s'écartant vivement à son approche pour regagner sa tente.
Ni le froid, ni la neige, ni la coupe de ce vent glacial, rien ne vint refroidir l'atmosphère. Pour encore un long moment, la cohorte de Durian-seijins demeura immobile, les rangs s'éclaircissant peu à peu. Toujours dans un silence absolu.
Curieusement ou non, un changement d'attitude notable se remarqua au sein du clan dès le jour suivant. Un changement peut-être trop subtil pour être visible par le premier venu. Mais que le plus concerné ne pouvait ignorer.
Toujours des regards, oui. Mais dont ne se dégageait plus cette sensation de mal être.
Toujours cette peur ambiante, il est vrai. Mais imbibée d'une étrange forme de respect.
Une distance notable entre lui et les autres, certes. Mais parfois un mot, un geste, ou rien qu'un salut.
Mais aussi et surtout, une cohésion réelle et certaine durant les batailles qui les opposèrent au clan du sud les semaines qui suivirent avec le départ des grandes glaces, et l'arrivée des bourgeons.
Puis des rires durant les banquets du soir, des félicitations pour ses prouesses, et même par la suite, des remerciements pour sa bravoure.
Les semaines filèrent, les mois passèrent, des cycles entiers mêmes. Jusqu'à la saison chaude du trentième cycle de Dodoria. Alors que le clan pénétrait au cœur des plaines du territoire de Dulcis, et établissait son dernier bivouac avant l'arrivée à son terme de cette longue campagne.
-Nous y sommes presque, Dodoria-sama. Le jour que vous attendiez tant.
-Hehe ! Celui ou j'aurai enfin la tête de cet enfoiré de Dulcis !
« Je peux vous poser une question ? », interrogea humblement le plus proche camarade du chef barbare, alors que les deux s'assirent autour de l'une des nombreuses marmites du campement, disséminées par dizaines un peu partout dans l'étendue verte et fleurie afin de satisfaire la faim des quelques cent-cinquante guerriers nordiques, avec pour réponse un hochement de tête d'acquiescement de Dodoria qui ingurgita un bol entier de bouillon.
-Pour quelle raison tenez-vous tant à prendre la tête de Dulcis ? Notre clan possède toutes les étendues du nord de Durian, ainsi qu'une vaste partie de l'est. Si ce n'est pas pour ses terres, alors pourquoi ?
La bouche essuyée d'un revers du bras, le barbare lui délivra cette énigmatique réponse, « Pour mon vieux ».
-Lui et Dulcis ont passé leur jeunesse à se foutre sur la gueule, enfin, d'après ce que m'a raconté la vieille branche. Ils ont jamais pu se saquer, et Dinarum, mon père, s'était juré de prendre sa tête un beau jour. Alors j'ai décidé de le faire à sa place.
« Qu'est-ce qui peut bien vous pousser à honorer la mémoire de votre ignoble père ? » demanda avec étonnement et bien trop d'honnêteté le barbare bien au fait de ce que son père avait tenté d'infliger à Dodoria.
« Arrête de causer comme ça, tu me rappelles la vieille ! »
-C'est flou, parfois je suis même plus sur que ces souvenirs sont vrais tellement ça fait une paye. Mais je me rappelle que mon vieux s'occupait de moi quand j'étais tout gosse. Il me parlait, il me portait, m'apprenait à marcher, à me servir de ce couteau qu'il m'avait fabriqué. Même si je sais bien ce qu'il a fait et ce qu'il pensait vraiment de moi...aussi loin que je me souvienne, c'est les seuls bons souvenirs qui me reviennent. C'était qu'un fumier de première et je suis pas mécontent de l'avoir zigouillé. Mais, je sais pas, je me dis que je lui dois au moins ça.
Ébahi par ce sentimentalisme débordant dont son chef n'avait pas vraiment l'habitude de s’épandre, Olens ne savait plus que dire. Une main compatissante lui aurait sans nul doute valut un séjour à l'infirmerie, mais l'intention y était certainement.
-Au final, je m'en carre complètement de votre loyauté, c'est bien pour ça que j'ai jamais voulu brandir l'épée de mon paternel. Aujourd'hui vous me respectez parce que vous avez pigé ou est votre place, rien de plus. Ça change que dalle. Nan, la seule chose qui m'importe, c'est de buter un à un tous ceux qui croiseront ma route, et de prouver que je suis le plus fort.
« Et c'est bien pour ça qu'on va aller se farcir Dulcis et sa bande d'amateurs, pas vrai les gars ?! »
Par cette simple déclaration, Dodoria enflamma ses troupes qui lui répondirent avec enthousiasme. Devant ce colosse de la nature, ce chef guerrier née, Olens pensa qu'il n'avait définitivement pas usurpé son titre. Il était bien l'élu, sinon l'incarnation du Dieu de la chasse en personne. Cet homme ne cherchait à accomplir ni le bien ni le mal. Il ne vivait que pour combattre, et honorer ses victimes dans le sang des combats.
🎼L'Immortel🎼
« Les discours de ton père me semblaient plus inspirés. »
Là haut, du sommet de la colline surplombant la plaine. C'est de là que venait de retentir avec écho la voix étouffée par l'âge, mais non moins charismatique du provocateur. Au bord de cette imposante butte, un vieux Durian-seijin au menton garni d'un bouc blanchâtre, précédé par une vaste horde de guerriers aux sourires larges, vêtu d'une étrange combinaison de fer bien différente des peaux de bêtes couvrant les corps de ses semblables.
-Alors c'est toi le rejeton de la Bête du Blizzard ? Dodoria, celui qu'on surnomme le Briseur de Crânes. Je te pensais plus grand.
-Et toi t'es bien Dulcis ? Pour un type qui se fait appeler « L'immortel » je t'imaginais moins décrépi, l'ancêtre.
-Le temps ne m'a pas épargné. Mais tu vas vite comprendre qu'il ne faut pas se fier à mon nombre de cycles.
Il eut été faux, en effet, de prétendre que Dulcis, la peau d'un rose bien pâle, ridée et rugueuse, et quelques piques en moins sur la tête, paraissait être au mieux de sa forme. Pour autant, le vieux Durian-seijin n'en était pas moins imposant. Plus grand encore ne l'était le massif Dinarum, plus costaud que le trapu Dodoria, et le regard toujours aussi déterminé que dans sa jeunesse. Dodoria comprenait enfin pourquoi son père ne l'avait jamais vaincu. Il réalisait aussi que les cycles passés l'avaient de loin renforcé et non affaibli, aujourd'hui plus redoutable que jamais, et accompagné d'un nombre de guerriers plus conséquent que les siens.
Difficile alors de comprendre pourquoi, face à cette situation au premier abord critique, Dodoria affichait cet horrible, cet effroyable, ce démoniaque sourire.
-Vous avez entendu ça les gars ?! Le vieux gâteux nous fait l'honneur de ses conseils ! Une idée de comment on pourrait le remercier ?
Nulle réponse nécessaire. À l'intonation employée, tous comprirent le signal. Un à un, les guerriers prirent les armes. Épées, lances, haches, massues, l'arsenal nordique fait de pierre était amplement suffisant. Tous eurent même le temps de se mettre en position. Les deux chefs opposés par un conflit intergénérationnel s'observèrent quelques instants. Les deux sentaient brûler vivement en eux la flamme du combat. Mais un seul d'entre eux souriait à pleines dents.
Dès l'instant ou l'ordre de charger fut donné, déferla alors depuis les hauteurs une immense vague rosâtre, que les hommes de Dodoria s'apprêtaient à accueillir dignement. Bien entendu, Dulcis demeura immobile, assistant au spectacle offert par ses valeureux guerriers. Comme tout bon chef le ferait.
Quelle stupéfaction de voir alors un chef de clan se ruer au cœur de la bataille pour affronter lui même, qui plus est à mains nues, la nuée d'ennemis qui ne s'attendait pas à devoir affronter le leader adverse.
Stoppant l'élan de deux ennemis en les saisissant par la gorge au creux de chacun de ses bras en passant entre eux, Dodoria exécuta une simple rotation pour balancer ses deux projectiles improvisés vers Dulcis, qui les regarda fondre vers lui avec consternation et dédain, avant de les trancher en deux d'un revers de son imposante lame, observant le lanceur qui se trouvait en bas, au pied de la colline, parmi les guerriers qui s'affrontaient autour de lui.
Le chef du nord beugla « Ramène ton cul l'ancêtre ! », un ordre fort déplacé qui précéda un coup de coude violent dans le nez d'un ennemi qui tenta de le prendre à revers.
-Si tu me laisses m'amuser tout seul en bas, je vais rapidement casser tous mes jouets !
Constatant que lui et son ennemi juré ne partageaient pas la même définition du combat, Dodoria dut se résoudre à venir lui même à sa rencontre. D'un pas certain et assuré, il entama sa marche vers la colline, à travers le champ de mars. Soulevant par dessus sa tête l'écervelé qui lui fonça dessus de front pour l'envoyer voler derrière lui. Saisissant par la gorge le suivant afin de l'écraser contre le sol, trachée écrabouillée. Dégageant le prochain d'un revers du poing gauche dans le menton si tôt fêlé par la vélocité de l'impact. Puis un face à face trop littéral, tête contre tête, claquées l'une contre l'autre si puissamment que l'autre ne se relèverait pas. Et qu'importe le fin filet de sang qui coulait de son front à peine ébréché, rien n'effacerait ce sourire d'excitation.
Devant l'avancée du chef ennemi, l'un des hommes de Dulcis se débarrassa à la hâte du guerrier avec lequel il luttait afin de projeter sa lance vers la menace. Menace qui ne daigna pas regarder dans sa direction ni même stopper sa progression. Ce n'est qu'à l'instant ou le vent siffla dans son oreille, annonça la venue du projectile aiguisé, que Dodoria tourna sur lui même pour s'emparer de la lance et la rendre à l'envoyeur, pourfendu par son propre javelot.
Rien ne semblait pouvoir mettre un terme à la marche du barbare nordique. Ni celui qui, en essayant de lui barrer la route, se fit trancher la gorge par les épines du bras de Dodoria. Ni celui contre qui il retourna son énorme hache pour lui fendre les deux tibias avant de profiter de son agenouillement pour lui fendre le crâne avec.
Ni même les quatre guerriers téméraires qui pensèrent pouvoir le stopper en l'écrasant de leur mêlée, et se virent soudain brûlés vifs par la déferlante d'énergie que le fils de Dinarum laissa exploser autour de lui en grognant tel un ogre affamé toutes griffes et crocs dehors.
-Toujours pas décidé à descendre ?
Trop captivé par les exploits du Briseur de Crânes, Dulcis ne réalisa que tardivement que la quasi totalité de ses hommes avaient été vaincus. Nombreux parmi eux avaient perdus la vie en se jetant à corps perdu contre le démon de Durian. Mais indéniablement, les forces du clan du nord avaient fait montre d'une férocité à toute épreuve, suffisamment ardente pour submerger les rangs pourtant en supériorité numérique de Dulcis qui déploraient bien plus de victimes que leurs envahisseurs.
Trop déconfit par la défaite qu'il voyait poindre pour s'apercevoir de l'immense bond que venait d'effectuer le fils de son ennemi d'antan pour le rejoindre au sommet de son monticule, fendant la terre et soulevant l'herbe sous ses pieds en atterrissant derrière lui. Enfin, les deux chefs se firent face.
-Alors c'est moi qui te rejoins là haut, du con.
Tandis qu'en bas, les affrontements semblaient arriver à leur terme, la vingtaine de survivants nordiques achevant les quelques derniers opposants, le véritable combat s'apprêtait enfin à débuter, devant les fidèles guerriers restant, prêts à admirer et soutenir leur chef.
-Je reconnais bien là le fils du Blizzard. Ton père était tout aussi audacieux. Mais sa force n'était en rien comparable à la tienne. Ni même celle de tes hommes que tu as su pousser à se dépasser. Dinarum serait sûrement fier de toi.
-Héhé, dis pas de conneries, mon paternel supportait pas l'idée que je puisse être meilleur que lui. Tout ça, cette bataille, ce combat, c'est pour lui que je le fais. C'est le bras d'honneur que je lui devais, et j'espère qu'il le verra d’où il est !
Avec hargne, Dodoria se rua sur le rival de son père pour en finir. En finir avec ce combat qu'il avait entamé depuis plus de vingt cycles. Combat qu'il attendait depuis son départ pour le sud il y avait cinq cycles de cela. Combat qui marquerait pour lui ses ultimes adieux au fantôme de son père qui le hantait encore aujourd'hui, et planait au dessus de lui en permanence.
Mais cette hargne et cette détermination s'avérèrent insuffisants pour faire vaciller le Durian en armure, qui parvint à bloquer la ruée de Dodoria en l'agrippant au épaules. Pour la première fois de sa vie, celui-ci ressentit une force capable de surmonter la sienne. Un sentiment aussi déplaisant qu'enivrant dont il se servit pour repousser ses limites, en même temps que Dulcis qui se voyait reculer à vue d’œil, alors que les pieds de Dodoria s'enfonçaient dans la terre sous la pression de chaque pas.
Quand finalement ce duel de force s'acheva, et que les deux hommes dégagèrent leur bras de leur prise, chacun fit parler ses poings, avec la surprise de constater que l'autre avait la faculté de répondre. Mais les phalanges endolories de Dodoria lui signalaient que ses craintes étaient fondées.
L'épaisse tunique de métal que portait Dulcis – outre le fait qu'elle lui donnait cet air prétentieux qu'il lui prêtait en songe lorsqu'il rêvait de la manière dont il l'étriperait – le protégeait trop bien des chocs. Tant et si bien qu'un seul d'entre eux souffrait ce combat. Le visage et le corps couverts de bleus par les poings de Dulcis, et les poings couverts de sang à cause de ses propres coups.
De là ou ils hurlaient leurs encouragements, les guerriers et guerrières du nord étaient incapables de voir le déséquilibre qui rythmait l'affrontement. Ils ne pouvaient que voir la hardiesse sans failles de leur chef qui ne laissait pas un centimètre de terrain à son ennemi.
Celui-là même qui commençait étrangement à ressentir la douleur, alors que les frappes de plus en plus violentes de Dodoria avaient fini par cabosser son plastron. Comme recours à ce retournement de situation, Dulcis dégaina son épée pour forcer Dodoria à reculer, et fit de même afin d'établir une distance de sécurité entre eux.
Tout deux à bout de souffle, ils savaient pourtant que ce bref échange ne faisait office que de salutations.
-T'as de la ressource pour un vioc, avec ta dégaine de macchabée tu payes pourtant pas de mine !
-Je vois que moi non plus, je n'aurais pas du te sous-estimer simplement parce que tu es un bâtard.
🎼Le Clan du Nord🎼
Qu'est-ce que ça peut te foutre que ce soit un bâtard ?!
La seule chose qui compte c'est la force !
Même s'il doit crever, Dodoria-sama va t'exploser la gueule !
Venant d'en bas, les quelques voix qui poussèrent ces cris d'encouragement intriguèrent Dulcis qui ne pensait pas son adversaire si populaire auprès de ses troupes. Un étonnement partagé par l'intéressé, dont le sourire sadique ne fit que s'élargir alors que son arcade sourcilière fendue déversait son sang jusque sur ses dents.
-Tu les entends, Dulcis ? Elle est là, la force du Nord ! Celle que m'a inculqué une certaine vieille bique insupportable ! Un Durian nait pour combattre, un Durian vit par sa force, et quand le jour viendra, aucun de nous ne versera de larmes, parce qu'un Durian meurt pour la gloire ! Et ça, un vieux trouduc qui se cache derrière ses hommes et se protège avec une armure est pas capable de le comprendre !
Alors qu'il se jeta une fois de plus comme un sourd sur le chef du clan du sud dont les yeux restèrent ébahis devant une telle folie, ce dernier s'apprêta à l'accueillir avec le tranchant de son épée d'acier.
-Vous les nordiques, vous êtes toujours aussi primitifs ! Vous et votre cervelle ramollie !
À bout portant, Dodoria se jeta vers le sol pour esquiver de justesse la lame de Dulcis, qui frôla les cornes ornant son crâne, puis usa de cette force qu'il était l'un des rares à avoir en lui pour se propulser avec la main droite qui libéra cette étrange énergie invisible vers le sol, brisant ainsi dans son ascension soudaine l'épée et la mâchoire de Dulcis, en lui répondant avec une entière honnêteté, haut et fort, fièrement et sans complexe,
« Évidemment qu'on l'est ! »
Décollé du sol par l'impact, Dulcis sentit ses pieds quitter la terre ferme, alors qu'il commença à chuter du haut de cette colline pour rejoindre le plancher des vaches qui se trouvait plus bas dans un effroyable fracas.
D'un plongeon, les pieds les premiers, Dodoria regagna lui aussi la plaine, ou il trouva seulement un monticule de gravas sous lesquels s'était enterré Dulcis en tombant, tandis que ses hommes s'agglutinaient autour d'eux pour assister à la conclusion de ce combat.
Une vocifération plus tard, le chef du clan du Sud se libéra de son cercueil de pierre, libérant brièvement autour de lui cette même énergie à laquelle il semblait également pouvoir faire appel, dégageant de son espace les gêneurs se trouvant trop près à son goût, ainsi que son armure qui éclata bruyamment, laissant les fragments de métal ricocher en même temps que les cailloux projetés dans la fumée que souleva son énergie.
-J'ai acquis ce surnom d'Immortel après avoir remporté un nombre incalculable de batailles grâce auxquelles j'ai conquis l'entièreté du Sud de Durian sans avoir par ne serait-ce qu'une fois fini grièvement blessé ! J'ai inlassablement repoussé les assauts de Dinarum, la Bête du Blizzard, à ce jour je reste parfaitement invaincu ! Et tu crois qu'un gringalet comme toi, un bâtard, a une chance de s'opposer à moi ?!
Tout en essayant de remettre sa mâchoire ensanglantée en place, le Durian barbu proclama solennellement que lui, le grand Dulcis, se baignerait dans le sang et la tripaille de ses ennemis une fois la victoire acquise. Amusé par la répartie de son aîné, Dodoria ne put s'empêcher d'émettre un rire succinct tout en se tapotant le dessus du crâne.
Poussé à bout par l'attitude révoltante du barbare, le vieux guerrier se frappa le torse à trois reprises avec la main gauche tel un primate fulminant, et s'élança une ultime fois en hurlant vers Dodoria, qui l'accueillit avec le plus large sourire qu'il lui était possible de livrer.
D'un habile pas de côté, Dodoria évita le premier coup en déviant le poing de Dulcis avec le plat de son bras droit. Après avoir parcouru quelques mètres, emporté par son élan, le vieux guerrier dérapa sur le sol afin d'effectuer un demi-tour rapide sur ses quatre pattes, et se rua ainsi comme un animal sur son adversaire, qui le retint avec son avant bras pour l'empêcher de l'atteindre, et l'emporta contre un rocher qui se brisa sous le poids de Dulcis. Sonné, ce dernier se releva néanmoins bien vite, secouant vivement la tête pour se remettre du choc et attaquer de plus bel.
Le coup suivant, Dodoria le reçut bel et bien, en plein visage et de plein fouet. Une frappe violente qui ne l'empêcha pourtant pas de répliquer, et d'envoyer le sien dans l'abdomen de Dulcis alors même que son poing se trouvait toujours enfoncé contre sa joue. À terre, celui-ci aperçut en l'air le chef du Nord qui bondissait sur sa proie en grognant sauvagement, le poing armé.
S'il parvint à se protéger de cette droite descendante, la puissance de ce Dodoria qui avait fondu sur lui depuis les airs l'enfonça dans la terre et la roche composant le sol, brisé sous l'impact. Indemne, le barbu profita de leur proximité pour saisir Dodoria à bras le corps et l'emporter dans ce saut qui lui servit à s'extirper de son trou, afin de le plaquer contre le sol. Désormais en position de domination, Dulcis tenta d'asséner un puissant coup du gauche au visage de son ennemi, qui bien qu'en situation de faiblesse, ainsi maintenu à terre, ne se dégonfla pas un instant, et envoya son front contre celui de Dulcis. Un coup de boule violent qui le repoussa, permettant à Dodoria de se libérer et se lever à son tour.
Le front ouvert, Dulcis beugla aussi férocement qu'une bête enragée, et se rua à nouveau sur le responsable de son courroux, qui ne s'attendit pas à le voir se jeter à ses pieds pour mieux lui saisir la cheville, et le soulever par une force titanesque afin de le balancer contre le même rocher qui l'avait lui même accueilli plus tôt, poursuivant cette contre-attaque par un terrible coup du coude qui démolit littéralement le tas de roche se trouvant sous Dodoria. Voyant la fureur de son vieil adversaire devenir une menace, le barbare nordique, toujours à terre, saisit les poignets de l'Immortel afin de l'empêcher de frapper à nouveau.
Un simple premier pas pour mieux ensuite le saisir à la gorge par le bras et effectuer une prise de soumission par étranglement. Étouffant et postillonnant de manière abondante, Dulcis ne parvenait pas à se défaire de cette entrave malgré toute la force qu'il y mettait. Mais c'est alors qu'il se sentait perdre connaissance que la pression exercée diminua. Un faux espoir bien vite gâché par l'énorme main de Dodoria qui lui attrapa le crâne et le comprima.
En se relevant, le chef du Nord souleva Dulcis par la tête, le regardant reprendre péniblement son souffle.
« On dirait que tu commences à comprendre, l'ancêtre » suggéra le vainqueur de ce duel avant d'approcher dangereusement son visage du sien en souriant narquoisement.
-On en a rien à foutre de tes vieilles histoires de batailles et de conquêtes ! Y'a plus de Nord ni de Sud qui tienne, Durian toute entière m'appartient, tu piges ? À moi, Dodoria-sama !
Amorçant son lancé avec un mouvement de recul, Dodoria s'assura de mettre suffisamment de force dans son lancé pour que son adversaire ne se relève pas, et l'envoya s'écraser contre la colline d’où il se tenait présomptueusement tantôt.
Acclamé par ses hommes, Dodoria essuya le sang qui couvrait son visage – ne faisant en réalité que l'étaler davantage – et rejoignit sa troupe qui regardait le chef vaincu en riant.
-Olens ! File la moi.
-« La » ? Vous voulez dire...
-Maintenant que j'ai accompli ce que je voulais en me servant seulement de ma propre force, je peux m'en servir sans avoir l'impression de tout devoir à mon enfoiré de paternel.
Joyeusement, le camarade de Dodoria, qui en oublia la douleur de la plaie qui marquait son visage, s'empressa d'aller « la » chercher dans la tente du chef de guerre qui l'attendait en gardant Dulcis en vue. Bien vite, Olens revint avec elle, et la tendit à son chef qui la saisit par le manche, et ôta les bandages qui en couvraient l'épaisse et difforme lame de pierre aux courbes inconstantes et presque surnaturelles.
-Oxleyanus, l'épée que Jagd a utilisé pour chasser les cent bêtes les plus effroyables de Durian, et qu'il a transmise à notre clan pour le récompenser du sang qu'il avait versé. J'ai attendu si longtemps de vous voir la brandir, comme votre père la brandissait autrefois quand j'étais encore enfant.
-Je m'étais juré de pas m'en servir avant de buter Dulcis. Je voulais que le premier sang que je verse avec cette épée soit celui de cette tête de con. Il est temps de faire honneur au Dieu de la chasse comme il se doit !
Orgueilleusement, Dodoria approcha de quelques pas la colline sur laquelle était encastré Dulcis, pavanant avec l'arme qu'il avait toujours rêvé de brandir. Une fois rapproché à une dizaine de mètres de sa cible, distance que ses hommes trouvèrent bien inadaptée pour trancher la tête du chef ennemi vaincu, il s'immobilisa un instant, posant fermement son pied contre le sol d’où se dégagea un fin nuage de poussière sous son poids, et porta à deux mains la massive épée qu'il tenait devant lui.
-Regarde moi bien P'pa. Aujourd'hui, avec ton épée, je vais faire ce que t'as jamais été foutu d'accomplir de ton vivant.
Oxleyanus levée au dessus de sa tête, Dodoria chercha le regard de Dulcis, qui même proche de l'inconscience, soutint le regard de son bourreau jusqu'au bout.
-À partir d'aujourd'hui, tout Durian tremblera rien qu'en entendant mon nom ! Celui d'un bâtard choisi par les Dieux pour faire couler le sang !
D'un geste lourd et incisif, porté par une puissance démesurément grande, le barbare abattit l'épée légendaire vers la colline. Un coup si puissant qu'il souleva pierre et poussière sur son chemin menant à sa cible qui se trouva tranchée en son milieu. Une coupe dévastatrice qui trancha la roche d'une manière impropre. Mais qui surtout, en guise de sacrifice à Jagd, arrivant par le haut, frappa le crâne de Dulcis qui n'eut pas même le temps de le sentir éclater avant que le reste de son corps ne finisse tranché comme le reste, sous les yeux des guerriers du Nord en pleine effervescence, hurlant à la gloire de celui qui annonça son nom si fort qu'il l'espéra atteindre les sphères divines,
Dodoria le Briseur de Crânes !
Un nom qui résonna dans les contrées et dans l'histoire de Durian, dans les esprits et les cauchemars de chacun des guerriers qui croisèrent sa route. Qui résonna jusque dans les cieux fuchsia de la belle planète. Mais sans doute pas assez haut pour être entendu par les passagers de cet immense vaisseau qui approcha du secteur de Durian quelques mois après cette bataille homérique.
…
« Planète 7B 8556, secteur G-5. Nom, Durian. Nous entamerons la descente d'ici quelques heures. Prévenez le Général de notre arrivée. »
« Ce ne sera pas nécessaire. »
Arrivé à l'instant dans l'enceinte de la cabine de pilotage par les portes automatiques, comme répondant instinctivement à l'appel du pilote vert de peau au long crâne tacheté de rouge, l'élégant Général en armure décorée, pourvu d'une longue cape blanche, tirant ses gants de la même couleur, fut accueillit par un salut militaire simultané et coordonné de toute l'équipe.
-Juste à temps mon Général. Début de l'invasion programmé à onze heure zéro zéro. Débarquement prévu au pôle nord de la planète. Élimination de la population recommandée. Application du programme « Élite » envisageable.
Agacé par le ton particulièrement protocolaire du soldat, le Général capé aux yeux orangés se contenta de passer à côté de son siège en lui tapotant l'épaule en guise de réponse, et s'approcha du hublot sur la surface duquel il posa la main pour admirer la surface rosée de la planète que lui et ses hommes s'apprêtaient à envahir.
-Durian...je doute que nous trouvions un individu digne d'intérêt pour notre armée sur une planète aussi primitive. Tâchons d'écraser toute résistance au plus vite pour s'assurer qu'ils se rendent avant d'être entièrement éradiqués.
D'un geste de la main, le Général à la peau mauve dont les joues étaient agrémentées d'une petite antenne lança sa cape vers l'arrière en se retournant pour quitter la pièce, adressant ses dernières instructions en se dirigeant vers la porte de sortie qui se referma ensuite.
-Préparez ma navette et rassemblez nos hommes. Nous partons pour Durian sur le champ.
Exécution.
* * *
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