Bon, le fameux chapitre qui m'a pris un truc comme trois mois est là.
Un grand merci à Niic qui en a corrigé un bon tier, et bonne lecture à ceux qui sont encore là.
Chapitre 7 - Nouveau monde, nouveaux héros
Les deux vieux maîtres se tenaient sur une falaise qui leur donnait une vue dégagée sur la forteresse militaire qui se dressait en face d'eux. Il était impossible d'en avoir une vue en plongée : les constructeurs avaient pris soin d'assurer une position dominante sur le territoire montagneux, tout en conservant une bonne accessibilité via la route qui rejoignait une des entrées, plus bas. En cette journée de printemps ensoleillée, l'endroit paraissait presque accueillant, malgré tous les efforts des remparts de béton, des barbelés, des fils électriques et des miradors.
Paradoxalement, malgré les blindés, les soldats et les exo-armures qui patrouillaient, ainsi que tout ce qu'il savait au sujet des plans qui se tramaient dans ce repaire, l'attention du maître des tortues était focalisée sur le drapeau rouge orné de deux initiales qui flottait fièrement, sur le quartier général.
- Ruban rouge... Il se fout de nous...
Tien Shin Han retint son vieil ami par l'épaule, dans un geste d'apaisement forcé. La rage qui brûlait dans ses trois yeux surpassait encore celle de Krilin.
Si le nouveau maître des tortues avait choisi de porter la barbe en hommage à son prédécesseur, préférant tout de même le kimono aux chemises à fleur, Tien n'avait gagné que quelques rides depuis l'époque où il avait combattu pour la terre aux côtés de Son Goku. Son corps, à présent sec et veiné était resté au maximum de ses capacités, fort de la résistance à l'âge que les secrets des grues lui avaient apportée.
Krilin aurait bien voulu pouvoir en dire autant, mais il n'avait pas l'assiduité et la volonté de fer de son collègue : il n'aurait pas pu tenir tête une seconde au Krilin qui, sur Namek, avait fait saigner le seigneur de l'univers, ou à celui qui avait, sur un coup de tête, décidé d'épargner une cyborgs et mis en danger toute l'humanité. Il avait perdu en carrure, en assurance, et commençait à accumuler une petite bedaine à force de se tourner les pouces à la Kame House. Les quelques courageux artistes martiaux qui parvenaient jusqu'à chez lui pour demander son entraînement n'étaient jamais assez doués pour le pousser à combattre sérieusement.
Enfin, presque jamais. Lorsque le jeune homme répondant au nom de Derek avait toqué à sa porte, sans autre équipement que son kimono trempé après avoir parcouru les kilomètres entre son île et la côte la plus proche à la nage, Krilin avait eu une vision de sa propre arrivée, des décennies plus tôt, lorsqu'il était venu recevoir l'enseignement du maître des tortues.
Cependant Derek s'était tout-de-suite avéré bien plus doué que lui. Il avait mémorisé les techniques en temps record, et, après que Krilin l'eut aidé à perfectionner ce don, il avait pu rejoindre le cercle très restreint des experts en arts martiaux capables de reproduire une technique à l'identique en une seule observation, voire de la perfectionner. À ce rythme Krilin ne mit qu'un an et demi à lui enseigner tout ce qu'il savait, et décida de le présenter au seul autre humain doté de si impressionnantes capacités d'imitation.
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Les moines de la grue, ordre fondé en l'an 771 par Tien Shin Han et Chaozu, formaient alors une petite communauté vivant en autarcie dans une douzaine de monastères éparpillés sur une chaîne de montagne de l'état ouest. Chaque monastère était plus élevé, froid et difficile d'accès que le précédent, et la suite d'entraînements physiques et mentaux nécessaires pour passer les tests successifs autorisant l'accès au neuvième, où les novices étaient jugés dignes ou non de devenir des moines des grues, prenait une bonne quinzaine d'années même aux plus doués. Pour ces raisons, le premier monastère, situé dans une petite ville de la vallée en contrebas n'acceptait habituellement pas les nouveaux disciples après leurs douze ans. Il fallut que Krilin use de toute sa persuasion pour les convaincre de laisser un jeune homme de dix-neuf ans tenter sa chance. Personne ne le pensait vraiment capable d'intérioriser les préceptes des grues en si peu de temps, sans parler de maîtriser les techniques de chaque sanctuaire pour monter en grade.
La trentaine de moines habitant le premier sanctuaire enseignait aux disciples la maîtrise de leur énergie interne, le maniement et l'histoire du ki. Il s'avéra que, grâce aux leçons de Krilin, Derek n'avait rien à envier à ses professeurs à ce sujet, et il fallut deux jours pour les convaincre de le laisser immédiatement rejoindre le second sanctuaire.
Celui-ci, situé en forêt, ne pouvait être quitté qu'à condition que le disciple parvienne à réaliser une série d'épreuves physiques privé successivement des sens les plus utiles à l'expérience. Le degré d'attention extrême requis bloquait la plupart des disciples pendant quatre à cinq ans. Derek mit presque un an à s'habituer à la nature de l'épreuve, et, après qu'il ait réussi à enfermer douze papillons de nuit dans un bocal sans en blesser un seul, et en les repérant uniquement grâce à leur ki, l'accès au troisième sanctuaire lui fut accordé.
Le troisième sanctuaire était le dernier accessible au public, pour la simple et bonne raison qu'aucune route ne menait au quatrième. Au bout d'un mois de méditation et d'errance autours des lacs glacés, Derek parvint finalement à maîtriser l'arcane légendaire qui lui débloquerait l'accès au sanctuaire suivant : La Danse de l'Air.
Le tour de force épuisant représenté par le vol jusqu'au quatrième point servait d'échauffement pour la technique que devaient y apprendre les disciples : le Dodompa. Si Derek, déjà détenteur du Kamehameha se trouvait ici en terrain connu, il lui fallut deux jours pour en saisir toutes les subtilités, sous les yeux médusés d'initiés qui y échouaient depuis plus d'un an pour certains.
Le cinquième sanctuaire n'était occupé que par cinq moines, car l'essentiel de l'entraînement s'y faisait en compagnie d'animaux. On y apprenait que, si seuls les humains correctement entraînés le faisaient de manière consciente, toutes les créatures vivantes percevaient en réalité le ki. Sa modulation pouvait permettre de se fondre dans une population ou d'influencer ses interlocuteurs de manière insoupçonnable et terriblement efficace. Le concept était nouveau pour Derek, et il lui fallut la durée traditionnelle de deux ans avant de pouvoir s'intégrer aux vols d'oiseaux migrateurs comme s'il était l'un des leurs, et de partager la chasse d'une meute de loups dont il était devenu un membre à part entière.
Le sixième sanctuaire était en vue du septième, et peuplé seulement de quatre disciples laissés à eux-mêmes, séparés de l'étape suivante de leur formation par une simple porte. Porte dont chaque battant pesait quatre tonnes. Deux mois après l'arrivée de Derek, ils s'ouvraient pour le laisser passer.
Le septième sanctuaire enseignait l'endurcissement de la chair à ses disciples. Le ki, parfaitement maîtrisé à ce stade, devait imprégner les fibres osseuses et musculaires avec une précision, une efficacité et une souplesse qui décuplerait l'efficacité de la puissance gagnée à l'étape précédente. L'ancien élève de Krilin crut halluciner lorsqu'on lui demanda avec un sérieux inébranlable de réduire en miettes une balle de fusil de précision tirée vers lui d'une direction inconnue, avant qu'elle ne l'atteigne, ce avec un seul doigt et sans l'aide de kikohas. Neuf semaines -dont deux de convalescence- plus tard, il quittait ce sanctuaire en se jurant de ne plus jamais y remettre les pieds.
Ce n'était qu'à partir du huitième sanctuaire que les disciples étaient jugés aptes à apprendre l'art du combat des grues. Derek, sûr de la force prodiguée par l'entraînement des tortues, reçut une série de corrections de la part des treize maîtres du monastère qui lui remirent les idées en place. Lorsqu'il parvint à faire chuter l'un d'entre eux au sol sur le tatami sans qu'un seul des disciples postés à quatre cent mètres du dojo ne puisse deviner que le combat avait commencé, il fut jugé digne de quitter le sanctuaire.
Au neuvième sanctuaire, il fit la connaissance de l'un des fondateurs de l'ordre : Chaozu. Derek avait toujours cru que les histoires au sujet des pouvoirs magiques des moines de la grue n'étaient qu'une légende urbaine, mais il fut bien forcé de reconnaître que non. Surmonter son incrédulité fut l'étape la plus aisée. Mais les difficultés et le sentiment d'inefficacité endurés pendant l'année qu'il passa au huitième sanctuaire disparurent d'un seul coup lorsqu'il put contacter son ancien maître, à un continent de lui, usant du formidable nouvel outil qu'était la télépathie, pour lui annoncer qu'il était enfin devenu un moine des grues.
La réputation du dixième sanctuaire était si affreuse que la plupart des initiés, une fois intégrés, mettaient fin à leur parcours initiatique et commençaient leur vie de moine au service de l'ordre.
Derek n'était pas comme la plupart des moines. Personne n'avait jamais franchi les sanctuaires aussi rapidement que lui, et il comptait bien les enchaîner jusqu'au tout dernier.
Il eut l'occasion de s'en mordre les doigts. Au dixième sanctuaire l'attendait Jade Maryam, une grande femme basanée aux yeux verts et au crâne rasé, apparemment la dernière initiée à avoir atteint le treizième sanctuaire. Si cela était exact, cependant, elle conservait une fraîcheur physique indécente pour une personne âgée de quarante-six ans. Mais plus dérangeant encore était le fait qu'elle arborât un œil au milieu du front, en plus des deux normalement positionnés.
Cela, cependant, passa rapidement en arrière-plan. Franchir le sanctuaire nécessitait de traverser le long couloir qui constituait l'essentiel du bâtiment, en tenant quatre lourds calices remplis à raz-bord sans en renverser une goutte. Manœuvre parfaitement irréalisable à moins d'avoir quatre bras.
Rien n'aurait pu préparer Derek au degré de tolérance à la douleur nécessaire à l'application de cette technique. Il faillit renoncer trois fois, se reprenant de justesse, au bord des larmes, sous le triple regard impitoyable de son enseignante. Même lorsqu'il s'était cru définitivement insensibilisé après avoir passé deux jours et deux nuits le corps percé de part en part par des aiguilles de métal, il n'avait pas réussi à faire entièrement pousser le quatrième bras. Et l'entraînement avait repris, inlassablement.
Au bout d'un mois de ce régime, il eut enfin la satisfaction de voir une expression de sincère admiration percer sous le masque de sévérité de son entraîneuse, lorsqu'il franchit la moitié du couloir avec les quatre calices dans les mains. Mais, à une trentaine de mètres de l'arrivée, il tressaillit sous un pic de douleur en provenance de ses omoplates, et renversa quelques gouttes. Il lui fallut mobiliser toute sa maîtrise de lui-même pour ne pas perdre son calme, mais Jade le soutint sur le retours et, deux jours plus tard, il réitérait l'expérience avec succès.
Le onzième sanctuaire était un labyrinthe interminable creusé dans la montagne, bardé de pièges et de mécanismes complexes et ingénieux qui nécessitaient invariablement la coopération de plusieurs personnes pour être franchis. Habitué à la manière de penser du maître des grues, Derek ne fut pas surpris quand Jade lui annonça qu'il devait le franchir seul et sans aide. Commença alors l'assimilation de la onzième arcane des grues : l'ubiquité, développée par maître Tien lui-même dans sa jeunesse.
Isolé à deux mille mètres d'altitude dans une cabane qu'on alimentait régulièrement en nourriture et en chauffage, Derek perdit la notion du temps, intoxiqué par des vapeurs d'opium et d'encens, et assisté télépathiquement de jour comme de nuit par une Jade assidue, afin de parvenir à la séparation de son esprit. Ce ne fut cependant qu'en tentant de faire sortir simultanément les deux corps du cabanon qu'il saisit la véritable difficulté de cette technique, s’emmêlant les membres dans des mouvements décousus et désorientés qui prenaient une incarnation pour l'autre.
La mise en application des enseignements acquis au cours des dernières années lui permit, après des jours de méditation et d'entraînement basique, de franchir enfin les premières épreuves du labyrinthe. Puis elles se complexifièrent. Il lui fallut quatre versions de lui-même, et les efforts demandés étaient toujours plus durs et précis. Alors il devait retourner s'entraîner, maîtriser ses bases jusqu'à ne plus confondre un double avec un autre, retrouver la clarté dans ses visions... Lentement mais sûrement, il avançait.
Et enfin, il parvint à la dernière salle. Ou les huit dernières salles, pour être exact. Dans chacune d'entre elles, une Jade l'attendait. Ce fut la première fois qu'il l'affronta, et, à leur surprise à tous les deux, trois de ses versions eurent le dessus. Faire mordre trois fois la poussière à son entraîneuse était loin d'être indispensable au passage au sanctuaire suivant, mais cela le rassura sur ses chances de réussite à l'épreuve qui l'attendait.
Grave erreur.
Rien n'aurait pu le préparer à ce qui l'attendrait dans le douzième sanctuaire.
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À son entrée, deux autres moines glabres dotés du troisième œil l'attendaient. Des clairvoyants : l'élite de l'ordre, qui avaient triomphé de chaque sanctuaire, et que Derek était sur le point d'intégrer. L'édifice était constitué d'une allée de colonnes sans toit terminée par ce qui semblait être une crypte. Mais le sommet montagneux perçait au-dessus des nuages, et les précipitations n'étaient pas à craindre. Le vent, en revanche... Le froid était mordant, le soleil frappait cruellement, et un être humain normalement constitué aurait dû s'effondrer en quelques secondes. Au loin, on voyait distinctement le treizième sanctuaire, demeure de maître Tien Shin Han. Ce ne fut qu'alors que Derek saisit ce qu'étaient en réalité les colonnes qui l'entouraient.
Dans chacun des huit piliers, on pouvait voir le corps momifié d'un moine ayant échoué à la douzième épreuve. Sur tous les candidats à l'épreuve au cours des cent dernières années, seuls quatre l'avaient franchie avec succès. Tous les autres avaient péri. Les deux nouveaux moines lui expliquèrent ce en quoi consisterait l'ultime épreuve, et le risque énorme qu'elle impliquait.
Le kikoho avait originellement été pensé comme une technique suicide. Durant l'antiquité, il avait permis à des héros d'emporter des armées, voir des forteresses entières dans leur mort. La guerre moderne, et son lot de pièces d'artillerie et d'explosif avait annulé l'utilité d'une telle technique, incommensurablement moins rentable et plus risquée qu'une bonne vieille batterie de missiles. Il avait fallut toute l'intrépidité du maître des grues d'alors, et de celui qui lui succéderait, pour sortir cette attaque des limbes de l'oubli et la pratiquer à l'occasion du 22ème championnat du monde des arts martiaux.
La maîtrise du kikoho n'était qu'une formalité dans l'épreuve du douzième sanctuaire. Elle servirait à en atteindre le véritable but. Si le corps et l'esprit du moine capable de franchir les onze premiers étaient à présent infaillibles, il restait à éprouver son âme ; ce qui faisait de lui un être vivant capable d'user du ki et non une simple carcasse animée de signaux chimiques.
Derek s'était élevé aussi haut que ce à quoi un être humain vivant pouvait prétendre. Pour progresser encore, il devrait mourir. Et pour revenir de la mort, il lui faudrait laisser derrière lui tous les fardeaux qui faisaient encore de lui un être faillible et tourmenté. Il lui faudrait tout abandonner, progressivement, pour adoucir au possible la pente de sa chute inexorable vers le décès. Et si il parvenait à ralentir suffisamment le processus, alors prendre le chemin inverse ne serait qu'une question de volonté. Il fallait cependant que son organisme continue d'assurer les fonctions vitales pendant l'opération, ce qui ajoutait une contrainte temporelle à l'équation.
L'épreuve durait douze jours et douze nuits. Douze jours et douze nuits durant lesquels il devrait méditer seul, sur le plateau montagneux, à la merci des vents glacés et du soleil brûlant. Douze jours et douze nuits de jeûne où il ne pourrait boire qu'une seule coupe par jour, contenant non pas de l'eau, mais un poison lent appelé « Eau de Dieu suprême ». Pour consumer son corps, il devrait affronter un moine chaque matin, et pour consumer son esprit, tout sommeil lui serait interdit.
Viendrait alors la pratique du kikoho. Le dernier pas, celui dont les huit momies du sanctuaire n'étaient pas revenues. L'ultime dégagement qui soufflerait le corps et l'esprit du moine, et le laisserait enfin face à lui-même.
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Ils étaient des dizaines, excités à l'idée d'assister au point culminant de cette ascension fulgurante, lorsque l'initiation commença et que Derek avala la première coupe de poison, sous le soleil de midi. Le goût était abominable, et il faillit recracher, mais il se retint, sous le regard admiratif et effrayé de l'assistance. Puis vint la douleur. Le breuvage lui vrillait les entrailles, et aurait dû le mettre à terre. Mais l'épreuve du dixième sanctuaire l'avait immunisé, et il ne laissa même pas une grimace déformer ses traits, même lorsqu'il sentit une étrange sensation de puissance remonter de son estomac pour envelopper tout son corps. Le compte à rebours était lancé. Il deviendrait une légende, ou il mourrait.
Au bout de trois heures, même les observateurs les plus assidus se lassèrent et Derek fut laissé à lui même, les boyaux en feu. La douleur avait au moins le mérite de retenir son attention, car , malgré la vue splendide qui s'offrait à lui, il craignait de plus en plus l'ennui extrême qu'il risquerait d'avoir à supporter.
Dix heures après le début de l'épreuve, le soleil s'était couché, la douleur était partie, et il avait vidé à peu près tout ce que ses intestins et sa vessie avaient à vider. Sans raison valable de se lever, il se contenta de somnoler autant que ce que sa position accroupie et le passage régulier de moines chargés de la surveiller lui permettaient.
Le premier duel lui apparaissait comme une occasion de se distraire enfin, et il se mit en garde plein de confiance et de bonne humeur, décidé à n'échanger que quelques passes, afin de garder un compromis entre une remise en forme nécessaire, et une inutile dépense d'eau. C'était sans compter l'effet de la liqueur absorbée la veille. Ce qu'il avait voulu être une simple manchette se transforma en un impact destructeur qui brisa l'os du bras que son infortuné adversaire avait interposé, pour son plus grand bien. Le combat immédiatement interrompu laissa Derek stupéfait et désolé, sous les regards interloqués de ses confrères.
La deuxième coupe fut moins difficile, si le goût en était toujours atroce, la joie d'avoir enfin de quoi se réhydrater le compensait presque. De plus, son corps commençait à s'habituer à la substance, et la douleur autant que la sensation de force étaient à peine notables.
Le manque de sommeil le plongea bientôt dans un état de somnolence tel qu'il ne vit presque pas le deuxième moine s'avancer vers lui pour le combattre. Si celui-ci était très loin d'approcher la maîtrise et la violence de Jade et des maîtres du huitième sanctuaire, la fatigue se fit cruellement sentir. Malgré la relative faiblesse de son adversaire, Derek encaissa plusieurs atémis inutiles avant de le maîtriser d'une clé de bras, en prenant celle fois-ci bien garde à ne pas trop serrer.
Les quatre jours suivants furent insupportables. Son cerveau embrumé ne parvenait plus à distinguer ce qui, de son estomac hurlant famine, de la sécheresse désespérante de son corps ou des baquets d'eau froide qu'il recevait au moindre signe d'endormissement, le tourmentait le plus. Les duels étaient devenus de véritables séances de torture où il devait convaincre son corps éreinté d'effectuer chaque mouvement supplémentaire, là où ses adversaires frais et dispos ne ménageaient pas leurs efforts pour le malmener.
Le septième jour fut celui de la révélation. La coupe de poison fit déborder le vase métaphorique de la tolérance du corps de Derek. Il se sentit suffoquer, ressentit les contractions désordonnées de ses muscles à mesure qu'il recrachait une partie du liquide et s'étouffait avec le reste. D'un coup, ses dorsaux refusèrent de fonctionner, et il se retrouva allongé sur le dos, pris de violents spasmes. Plusieurs moines se précipitèrent à son chevet, affolés et inutiles. Ils furent brutalement écartés par une force invisible, et ses sens émoussés parvinrent à lui faire parvenir le visage flou de Jade, qui, l'ayant replacé en position assise, lui donnait de grandes tapes dans le dos pour lui éviter la noyade, tout en l'abreuvant d'un flot d'encouragements dont il ne saisit pas un mot.
Il était à un doigt de renoncer. Le gouffre de la mort menaçait de l'engloutir, mais il se raccrocha à ces paroles, comme un funambule en équilibre sur un fil invisible, cerné par un océan de ténèbres. La mort lui tendait les bras, il ne pouvait pas fuir, pas combattre, et quelque part en lui, une hargne ravivée par les encouragements de Jade lui interdisait l'abandon.
Il ne lui restait plus d'autre choix que de négocier un compromis avec la faucheuse.
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Seul le son du vent se faisait encore entendre entre les colonnes. Le ciel, vierge du moindre nuage, laissait un soleil lourd et paresseux pilonner de ses rayons bruts une assistance pétrifiée. Une vingtaine de moines avaient déjà ressenti la mort de leur confrère, et toujours plus accourraient. La détresse des plus jeunes détonnait avec l'attente anxieuse de ceux qui avaient déjà été là au temps où Jade Maryam avait elle-même tenté l'expérience. Au centre de cette scène, c'était elle qui tenait le corps brûlé et desséché de Derek dans ses bras, répétant inlassablement les même formules.
Les minutes s'écoulèrent, au rythme des claquements de toujours plus de kimonos. Lorsqu'elle accepta finalement de se détacher du corps qu'elle étreignait, ils étaient près de trois cent à léviter autours du sommet. La quasi-totalité de l'ordre.
À reculons, elle s'éloigna de la momie immobile qui avait été il y a si peu de temps le plus brillant d'entre eux.
Sur les trois cent personnes présentes, seules trois souriaient, sereines.
Et Jade n'eut pas besoin de se retourner pour voir le hochement de tête approbateur partagé par Tien et Chaozu lorsque le corps cliniquement mort de Derek tendit le bras pour engloutir ce qui lui restait d'eau de Dieu suprême sous les yeux médusés des moines des grues.
Son regard à présent vitreux fixait le vide sans ciller, et son corps avait regagné une vigueur qu'on hésitait à attribuer à la rigidité cadavérique. Silencieusement chacun pria pour ne pas être tiré au sort pour l'affronter le lendemain matin.
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Le hasard désigna un champion à la hauteur. Wilfrid Müller était l'un des maîtres enseignant au huitième sanctuaire, ce qui faisait de lui un des meilleurs combattants de l'ordre, et il avait à plus d'une reprise eu l'occasion de faire ravaler sa fierté à Derek. Mais ce temps-là lui semblait à des millénaires, et le spectre vers lequel il s'avança à l'aurore n'avait pas beaucoup en commun avec l'aspirant qu'il avait connu.
Il ne réagit à sa présence que quand Wilfrid ne fut qu'à une poignée de mètres de lui, et se redressa pour se mettre en garde avec une souplesse impossible pour un corps si malmené.
Le maître en arts martiaux choisit la voie de la prudence, et commença par des passes douces et des échanges rapides et prudents, pour tester son adversaire, qui lui rendait coup sur coup avec vivacité, malgré l'air absent sur son visage. Wilfrid s'attendait à le voir fléchir sous la fatigue d'une seconde à l'autre, mais rien ne se produisit. Au bout de huit minutes d'échanges infructueux, il saisit l'ampleur de son erreur : Derek ne fatiguait tout simplement pas. Il se maintenait à un régime bas, mais sans jamais en changer, comme à un seuil minimum impossible à franchir. Il était déjà bien au-delà du stade de la simple fatigue.
Dès qu'il saisit les nouvelles règles du combat, le moine des grues pressa les attaques pour prendre son adversaire de vitesse, mais, contrairement à son ennemi, son énergie était loin d'être inépuisable. Il dut aller jusqu'au bout de ses talents et recourir à l'intégralité de son vaste panel de techniques pour faire enfin chuter le Derek que le douzième sanctuaire avait forgé.
Aucun des combattants à venir ne réitérerait l'exploit.
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Le nouveau Derek était plus violent, c'était évident. Si l'incroyable maîtrise martiale de Wilfrid lui avait permis d'y échapper, ce ne fut pas le cas de son malheureux successeur. Annie n'avait jamais été une combattante de premier rang, et brillait principalement au sein de l'ordre par ses capacités de perception. Elle n'esquiva le premier coup de pied que pour mieux recevoir le second en pleine tempe, et un uppercut cruel dans le foie faillit la faire chuter de la montagne, crachant du sang.
Cette relative inaptitude au combat s'avéra en fait une bénédiction, comme put en témoigner le moine qui lui succéda. Fabien était un artiste martial parfaitement aguerri dans son domaine, ce qui lui permit de prendre un bref avantage, et de pousser Derek jusqu'au bord de la falaise, en le zonant, profitant de son avantage de taille. Les mouvements secs et saccadés du cadavre ne lui permirent d'abord pas de contrer les puissants coups de pieds qui l'assaillaient, et, un instant, il faillit tomber de la falaise. Son ennemi, euphorique, laissa une légère ouverture dans sa garde, dont son adversaire, animé d'une soudaine poussée de vigueur, profita pour lui agripper la jambe. Lorsque Derek relâcha sa prise, le corps de Fabien avait perdu tout dynamisme, et gagné une demie-douzaine de fractures.
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Trente moines accompagnaient le combattant qui parut le douzième jour. Parmi eux, les chefs de chaque sanctuaire, Chaozu inclus. Jade était là elle aussi.
Le sort avait désigné pour le combat un jeune homme au teint pâle chez qui des cheveux blonds presque incolores et de grands yeux délavés trahissaient une forme d'albinisme. Lorsqu'il dut quitter le groupe pour s'avancer seul vers Derek qui se redressait déjà avec toute la froideur mécanique d'une guillotine, il ne put contrôler une vague de frisson qui s'empara de son corps.
Les autres moines s'étaient placés en arc de cercle pour assister à l'étape finale de cette ascension fulgurante. Le candidat, dont la nervosité était à présent palpable, transpirait malgré le vent glacé qui battait dans son kimono. Il adopta une garde défensive et resta à distance, manifestement déterminé à ne livrer qu'un combat symbolique avant d'abandonner. Derek, lui, ne se tenait même pas en position. Il vacillait, les bras ballants, le regard perdu sur quelque point au-delà de celui qu'on avait envoyé le combattre. Ils se dévisagèrent de longues secondes, dans un silence de plus en plus oppressant. Déterminé à réagir aux attaques du spectre vacillant, le jeune condamné bougeait lentement, tout en conservant sa distance.
Face à l'air froid et sec, il fut forcé de battre des yeux. Le mouvement n'était pas terminé qu'il comprenait déjà son erreur. Il ne recouvrit la vue que pour la perdre immédiatement, encaissant en plein visage une gigantesque droite d'un Derek qui s'était semble-t-il téléporté face à lui. Il rejoignit le sol avec une brutalité incroyable, creusant un trou de plus dans les dalles du sanctuaire. S'en suivit une avalanche de coups de pied et de poing qui pulvérisèrent ses maigres forces, alors que son kimono virait du banc au rouge. Lorsqu'il ne resta plus de chair à martyriser sur le dos, une prise du pied le releva, et le déluge exécutoire reprit de plus belle, les frappes verticales suffisant à elles seules à le maintenir en hauteur.
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Le carnage n'avait duré que quatre secondes, et Chaozu comprit que le martyr ne survivrait pas à deux de plus. Ses mains s'élevèrent pour stopper la machine à tuer incontrôlable qu'était devenu Derek, mais, alors que le mouvement s''initiait, il réalisa qu'il était trop tard. Il avait suffisamment d'expérience en combat pour reconnaître la cible que l'arc formé par ses doigts repliés en griffe allaient frapper. Il allait le décapiter. Une vague de honte se pointa à l'horizon de la conscience de Chaozu : il n'avait pas anticipé une telle poussée de violence chez son disciple, et sa télékinésie ne serait pas assez rapide. Du coin de l’œil il vit Jade et les deux autres moines du treizième sanctuaire se jeter sur Derek, entourés de l'aura rouge du kaïoken. Ils n'arriveraient pas à temps non plus.
Merde.
Le corps ensanglanté s'effondra, éclaboussant ce qui restait du dallage de sang gluant. Il ne restait guère plus qu'un point intact à la surface du charnier qu'était devenu son corps.
Sa gorge.
Le corps tremblant, débordant de fureur de Derek se convulsait, retenu par la poigne inamovible refermée autours de son avant-bras. Surgit ne nulle part, sans que qui que ce soit ne l'ait senti approcher, Tien Shin Han s'était matérialisé pour empêcher le drame. La force phénoménale de Derek ne parvenait même pas à faire vaciller son bras. Les moines qui avaient tenté d'intervenir reculèrent à une distance prudente. L'ire du maître des grues transparaissait sur chaque fibre de son être, et seul le dégoût se mêlait à elle dans le triple regard inquisiteur qui jugeait le chien fou qu'il retenait.
Derek tenta un coup de pied au visage du maître, mais celui-ci fut paré juste avant que le plus puissant crochet qu'il ait jamais encaissé ne le sèche instantanément. Alors seulement, la main de Tien Shin Han se desserra, envoyant le bourreau rejoindre sa victime au sol du sanctuaire, inconscient.
Sous les yeux de l'assistance, toujours médusée par cette démonstration de force, il fouilla dans sa poche, et en sortit une petite bourse d'où il prit deux haricots. Il lui fallut aider le moine albinos à l'avaler, mais lorsqu'il y parvint, celui-ci, instantanément régénéré, alla rapidement rejoindre le groupe, le plus loin possible de Derek.
Le senzu effaça chez ce dernier toute trace des privations subies au cours des douze derniers jours. Mais son air horrifié confirma bien que son esprit en avait gardé chaque fragment en mémoire. Il passa un long moment à regarder successivement ses mains ensanglantées, l'état lamentable du sanctuaire, Jade, Tien Shin Han, et le jeune homme qu'il avait faillit tuer une minute auparavant.
Seul le dos du maître des grues s'offrait à la vue de Derek, alors qu'il s'en retournait vers la foule des spectateurs sans lui accorder un mot ni un regard. Une rafale siffla entre les pics glacés, et les autres moines, détournèrent le regard pour emboîter le pas de Tien.
Les mots n'étaient pas nécessaires. : il avait échoué. Mais pas seulement à l'épreuve du douzième sanctuaire. Il avait échoué en tant que moine des grues, en tant que pratiquant des arts martiaux. Son esprit avait faillit et son corps s'était déchaîné sans discipline.
*******
Les yeux dans le vague, sur la neige éblouissante, Derek mit du temps à réaliser pleinement ce qui venait de lui arriver. Jade ne le quittait pas, autant pour tenter de comprendre, de l'aider, que pour l'empêcher d'agir de manière inconsidérée. Elle ne savait plus ce dont il pouvait être capable.
Sa présence eut l'effet inverse de celui escompté : Ses trois yeux, son crâne rasé et sa toge de clairvoyante ne rappelaient que trop Tien Shin Han. Seuls sur ce pic montagneux dépourvu de végétation, dans ce sanctuaire dévasté cerné d'une mer de nuages et dominé par le seul soleil, ils auraient pu se croire au sommet du monde, n'eut été l'ombre du treizième sanctuaire, de Tien Shin Han, l'autorité à laquelle même eux devaient se soumettre.
Jade risqua une main se voulant réconfortante sur l'épaule de Derek. Ce fut l'étincelle révélatrice.
- Allez tous vous faire foutre.
Il avait à peine murmuré, mais son ton était sans appel, lassé, libéré. Le geste de Jade s'arrêta à mi-chemin. Elle n'eut pas le temps de penser à une réponse qu'il enchaînait déjà, se relevant péniblement.
- Bande d'abrutis... Vous vous complaisez dans votre pseudo-sagesse et votre force ridicule alors que le monde grouille littéralement de types mille fois plus forts que vous... Vous n'êtes même pas des insectes pour eux...
- Ce sont des sayens, tu le sais très bi...
- Et nous alors ??? La coupa Derek. Nous sommes humains peut-être ? Trois yeux, quatre bras, t'as combien de seins sous ta robe ? On vole, bordel. Et on trouve ça normal !
Des putain de Dieux. Voilà ce qu'on est. Et qu'est-ce qu'on en fait ?
Jade vivait coupée du monde depuis plus de vingt ans. Ce genre de considérations lui étaient devenu étranger. Elle n'avait quitté le sanctuaire qu'à une seule occasion, lorsque la traque d'un criminel de niveau international sur tout un pays avait requis la vigilance de cinquante moines en plus de tous les sayens disponibles. Sa voix perdait en assurance.
- De quoi est-ce que tu parles ? Le temple fait tout son possible... Et... Enfin, ce n'est pas parfait mais il n'y a plus eu de guerres depuis la fondation...
Ceci ne lui arracha qu'un rire sec et condescendant.
- Et vous avez ma bénédiction pour ça. Quels crétins. Tant de possibilités et vous restez les bras croisés. Tien est le plus complaisant du lot, et vous restez là à l'adorer. Tu m'étonnes qu'on en soit là.
Sans plus d'explications, il se redressa de toute sa taille. Le soleil matinal projetant sur le sol défoncé du douzième sanctuaire l'ombre démesurée de sa personne. Son regard plus dur que jamais tourné vers le ciel, il s'éleva, puis pris de la vitesse en partant vers l'est, où la lumière du jour naissant l'ôta rapidement au regard de son aînée.
*******
- C'est de ma faute. J'aurais dû me renseigner sur lui, mais je ne voyais que son talent.
Krilin et Tien venaient juste de neutraliser une demie-douzaine de patrouilleurs, avant que ceux-ci ne puissent donner l'alarme. De petites brutes sans envergure, mais équipées d'armes volées dernier cri. Suffisant pour menacer l'armée royale, mais parfaitement obsolète face à la puissance des deux maîtres.
Tien vérifia qu'ils étaient bien inconscients avant de répondre à son collègue.
- C'est du passé, tout ça.
Il scruta encore les corps étendus sur le sentier montagneux. Le quartier général du nouveau ruban rouge était à la merci de leur attaque. Tout cela était ridiculement simple.
- C'est absurde. Qu'est-ce qu'il cherche au juste ? Il ne ne gagnera pas et il le sait très bien.
Un rugissement se fit soudain entendre dans la direction de la forteresse, et un nuage de missiles longue portées s'en échappèrent, pour fuser vers l'ouest. Les deux maîtres mirent quelque secondes à tenter de saisir les tenants et les aboutissants de cet événement soudain, quand Tien écarquilla brusquement les yeux, alors qu'il réalisait l'évidente destination des explosifs : Les sanctuaires de la grue.
Il décolla dans la seconde à pleine vitesse pour les intercepter, laissant sur place son collègue.
Krilin n'eut pas le temps de jurer avant qu'une voix trop familière ne retentisse dans son dos.
- Inutile d'être si discret, vous êtes sur la liste des invités.
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Quelques mois à peine après son exil, il devint évident que, même si il tentait de rester discret, Derek était revenu à ce que les recherches avaient révélé être ses origines.
Avec la chute du ruban rouge, de Piccolo, de Cell, de Babidi, le monde s'était pacifié. Ces effroyables menaces avaient trempé tous les humains dans la même baquet de peur et de désespoir, et ils en étaient ressortis unis par une nouvelle fraternité. Le gouvernement central tentait avec succès de limiter les tensions dans les zones les plus difficiles, alors qu'internet et les moyens de communication toujours plus efficaces et faciles d'accès avaient réduit l'incompréhension et la haine qui en découlait à peau de chagrin. L'armée royale n'avait plus qu'un rôle symbolique, et, même si une crise d'ampleur pouvait se présenter, elle était toujours vite étouffée dans des circonstances floues accompagnées de rapports visuels de combattants dorés. La terre était devenue ce qui se rapprocherait le plus d'une utopie. Avec une exception.
Si toutes les villes minières avaient réussi leurs reconversions, avec plus ou moins d'aide extérieure, une série de petits désastres avait frappé Gagto, la privant du projet d'autoroute et de voie ferrée qui aurait dû la desservir. Tornades, tremblements de terre, attaques d'indépendantistes, épidémies, faune et flore exceptionnellement invasives... C'était comme si le destin avait cherché à conserver un îlot de brutalité dans ce monde de civils.
Lentement mais sûrement, la société à Gagto avait pourri sur pied. Les infrastructures étaient toujours présentes, mais l'absence de communications avait renvoyé les humains dans une époque antérieure. On ne chauffait au charbon de bois, récolté dans d'anciennes mines rouvertes aux risques et périls des mineurs. L'autorité en place s'était corrompue, puis armée, puis effondrée. Une sorte de syndicat cupide et violent l'avait remplacé, plus proche d'une mafia que d'un véritable gouvernement, imposant sa loi par une milice armée au sein de laquelle les coups d'état faisaient changer la ville de tyran tous les ans environs. L'isolement avait fait de Gagto une jungle : les forts faisaient la loi et les faibles la subissaient.
La violence, les combats perpétuels, la misère et l'injustice toujours ne firent que croître au fur et à mesure que le reste du monde prospérait. Et lorsque cette petite graine de haine et de vice eut fini de se condenser au sein d'un monde gouverné par l'entente et l'amour, était né un germe du nom de Derek.
*******
Avec le recul, certains penseurs affirmeraient que la société s'était ramollie. Que l'absence de conflits avait rendue les gens faibles et peu réactifs. D'autres accuseraient le manque de performance des forces de l'ordre, qui n'avaient jamais eu affaire à plus qu'une mafia peu menaçante et mal organisée. Enfin, il s'en trouverait pour déclarer que les politiques s'étaient voilés la face, et que leur déni de la menace avait permis ce désastre.
La vérité était qu'aucun de ces facteurs n'avait joué le moindre rôle. Cela faisait bien longtemps que le destin de la terre et de ses habitants n'était plus entre les mains des simples humains.
L'organisation simultanée de la plupart des organisations criminelles mondiales, aurait encore pu être jugulée, mais pas avec le vol systématique des stocks d'armes royaux. La transformation soudaine de la milice de Gagto en une armée d'invasion aurait pu être écrasée, mais pas avec la destruction des casernes, ni l'apparition soudaine des stocks d'armes entre les mains des insurgés, et la coopération des mafias qui leur ouvrirent le chemin.
En quelques mois, la nouvelle armée du ruban rouge et son terrible chef avaient conquis plus de territoire que l'ancienne en une décennie. Derek, seule cible valable de cette organisation restait introuvable, camouflé comme seul les meilleurs moines des grues pouvaient l'être. Aucun sayen ne parvenait à cacher son ki démentiel assez pour ne pas se trahir, et les moines envoyés à sa recherche étaient retrouvés tabassés dans une allée sombre quand ils ne rentraient pas tout simplement bredouille. Il devint évident qu'il revenait au maître qui l'avait formé de mettre un point final à l'histoire de Derek.
Il était par contre plus délicat de déterminer de quel maître il s'agirait.
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Lorsque la porte de la forteresse vola en éclats, ce fut un véritable déluge de balles, de missiles et de lasers qui fusèrent vers l'entrée. L'enceinte était remplie de soldats surarmés, d'exo-armures, de chars et de pièces d'artillerie. Il était inconcevable que même une chose capable de vaincre la colonne de tanks, la centaine de fantassins et les hélicoptères qui attendaient à l'extérieur puisse s'en sortir indemne. Et pourtant. Quand le vacarme des armes se tut et que les soldats confiants essayèrent de distinguer entre les nuages de fumée ce qui restait de l'envahisseur, force fut de constater que Jade se tenait toujours sur ses deux jambes, recouverte de poussière, les vêtements partiellement déchirés, mais indemne et bouillante de fureur.
Par respect pour les deux anciens, elle avait d'abord prévu de les laisser se charger du renégat, mais la fuite incompréhensible de Tien Shin Han avait laissé Krilin seul pour constater à quel point l'élève avait dépassé le maître. Le maître des tortues avait subi une sacrée correction, à en juger par ce qu'elle distinguait de son ki. Derek ne fuyait plus, maintenant. Et c'était à elle de l'affronter. Elle avait laissé sa toge derrière elle, et opté pour un un kimono blanc crème sans manches marqué du symbole de l'école et des sandales, paraissant ridiculement frêle et sous-armée face à la horde.
La clairvoyante s'élança seule à une vitesse folle vers l'armée désemparée. Quand elle les atteignit, elle était quatre, et ce fut la débâcle. Impossible à suivre, impossible à cibler, elle était partout à la fois. Les armures volaient en éclat sous ses poings, et elle disparaissait avant que les débris ne touchent le sol ; les tanks se démantelaient, et leurs conducteurs s'écrasaient lamentablement au sol, la mâchoire brisée. L'infanterie ne connaissait pas un meilleur sort, et les pilotes des hélicoptères, trop difficiles à épargner, brûlaient en même temps que leur appareil dans l'explosion des dodompas.
Le ballet mortel ne dura qu'une vingtaine de secondes avant que le ruban rouge ne commence à tomber à court de soldats. Il n'en restait plus qu'une trentaine debout quand l'une des Jade traversa la forteresse pour s'encastrer dans un mur, à l'opposée. Les trois autres versions se tournèrent à l'unisson vers la créature qui venait d'entrer en jeu. Un énorme robot chromé à la cuirasse recouverte d’impacts en forme de poing, sur lequel le logo du ruban rouge avait été récemment peint. L'engin devait mesure environ deux mètres et boitait de la jambe gauche. Jade n'était pas trompée par son apparence, néanmoins : elle avait parfaitement évalué la puissance phénoménale de la machine à partir du coup qu'elle venait d'encaisser. Elle se réunit sagement en un seul avatar moins vulnérable, alors que les derniers soldats prenaient leurs jambes à leur cou.
Son attention fut brusquement détournée par l'apparition qui vint la toiser. Derek avait changé depuis le matin où il avait quitté le temple, hagard, pâle et ébouriffé. Tel qu'elle le voyait, accoudé au balcon de son poste de commandement, en pantalon de treillis, accoutré d'un simple débardeur noir et de son képi écarlate, il était comme rené de ses cendres. Ses cheveux châtain étaient coupés très court, il avait énormément bronzé, et s'était rasé de près. Ses yeux rieurs, bleu vif, cependant, brillaient toujours du même éclat où il était difficile de distinguer le génie de la folie. La voix qui l'apostropha était chaude, pleine d'un orgueil qu'il contenait encore lors de son ascension des sanctuaires.
- C'est fou ce qu'on trouve en fouillant un peu dans la résidence Brief, non ?
Jade buta sur la remarque. Avait-il vraiment été si intrépide ? Se risquer dans la maison d'un sayen... Cela aurait été incroyablement stupide, si le résultat avait été d'un échec retentissant, mais Derek avait semble-t-il réussi...
Plus inquiétant était ce qu'impliquait sa tirade : si cette machine était bien un pantin d'entraînement des Briefs, les marques sur sa cuirasse vraisemblablement été causées par des poings sayens, et son état de fonctionnement sous-entendait une résistance affolante. Elle risquait de ne même pas pouvoir l’abîmer sous cette forme.
Le robot de capsule corp se précipita sur Jade avec une agilité surprenante pour sa taille et son aspect massif. Il aurait été bien assez rapide pour la saisir, mais sa trajectoire droite et prévisible ne lui offrait pas l'ombre d'une chance. Elle l'esquiva d'un unique pas sur le côté qui la positionna idéalement pour envoyer un monumental coup de talon directement dans l'articulation du cou de l'homme de métal. Il ne vacilla presque pas, et riposta d'un balayage du bras si affreusement prévisible qu'il rata sa cible de plusieurs mètres. L'engin avait une force et une résistance hallucinante, mais ses réflexes étaient clairement à revoir.
Lui porter un coup capable de le détruire ne serait pas une mince affaire, et c'était très clairement au-delà de ses capacités en l'état. Cela en disait long sur la force physique que les sayens pouvaient déployer pour avoir défoncé ainsi le plastron du pantin. Beaucoup plus que ce même un clairvoyant pouvait générer dans son état normal. Sous kaïoken, en revanche... L'opération semblait plus réaliste.
L'aura rouge caractéristique enveloppa Jade alors que sa puissance décuplait. L'esquive des mouvements grossiers de son adversaire passa soudainement de facile à élémentaire. Il était toujours aussi résistant, cependant. Il lui fallut tournoyer à une distance dangereuse de l'engin pendant plusieurs longues secondes tout en mitraillant ses articulations pour obtenir le moindre résultat .
Tout le long, elle surveillait du coin de l’œil une attaque surprise de la part de Derek. Cela aurait été logique. Il avait beau être redoutable, elle était elle aussi une génie du combat, et son aînée de près de vingt-cinq ans. Selon toute logique, il aurait dû l'attaquer avec l'aide du robot, provoquant une situation très difficile à tenir pour Jade. Mais rien. Il ne vint pas au secours de la machine qui finit par tomber en morceaux lorsqu'une énième rafale d'atémis atteignit un de ses point sensibles.
*******
Cette démonstration de puissance avait affaibli Jade, mais elle restait parfaitement confiante dans sa capacité à écraser Derek. Le kaïoken était un avantage trop formidable pour pouvoir être contrebalancé par quoi que ce soit.
Le kaïoken...
Il n'y avait pas qu'un seul Derek, elle ne le réalisa qu'alors. Ils étaient seize copies à l'observer aux quatre coins de la base. Observer n'était pas le mot exact. Leurs yeux minutieux disséquaient chacun de ses plus infimes mouvements, et nul doute que son ki était lui aussi passé au scanner. Elle haleta encore deux secondes, dans son brasier rougeoyant, avant qu'un large sourire carnassier de Derek ne lui fasse saisir ce qui se tramait.
Jade se rua à pleine vitesse vers le Derek du balcon, qui était devenu le seul, les autres s'étant évaporés pour le rejoindre.
*******
Tien Shin Han avait bien senti la défaite de Krilin et le combat dans lequel Jade venait de s'engager, mais il avait plus urgent à faire que d'aider ses deux amis. Partout dans le monde, il sentait les kis des moines, des élèves de Krilin et des sayens se manifester. Probablement une attaque coordonnée d'une ampleur sans précédent de la part du ruban rouge. Quel que soit le plan de Derek, il en était à la phase finale, mais, peu importe comment il retournait la situation dans sa tête, il ne saisissait pas quelle issue pourrait bien être favorable à son ancien élève.
Il n'avait pas le temps pour ce genre de considérations, néanmoins, et accélérait tant qu'il faillit se cogner avec Piccolo qui lévitait sur la trajectoire des missiles. Sa main tendue encore fumante. Le namek n'avait cessé de progresser depuis le bon vieux temps, à un rythme lent mais régulier. Les premières rides qui apparaissaient sur son visage plus adulte ajoutaient un air sagesse assurée à son charisme déjà impressionnant.
On pouvait voir les débris des fusées du ruban rouge s'abîmer vers l'océan en contrebas.
Tien remercia Piccolo d'un signe de tête et se prépara à se téléporter à nouveau vers l'action quand ce dernier l'apostropha.
- Ce n'était que des leurres.
Le maître des grues dévisagea l'ancien démon jusqu'à ce que celui-ci explicite.
- Les missiles ne contenaient pas d'explosif. Il n'a jamais cherché à détruire tes sanctuaires.
*******
Impossible ! Il lui avait fallu un an, à elle, pour maîtriser cette technique. Il n'avait pas pu se contenter de l'observer une minute et...
Le choc fut d'une brutalité hallucinante. La panique avait poussé Jade à donner tout ce qu'elle avait. Toute la partie supérieure du bâtiment avait été soufflée, mais Derek n'avait accusé qu'un recul de quelque dizaines de mètres. Ils flottaient en l'air réciproquement immobilisés dans une prise à quatre bras chacun. Jade, à la fois furieuse de s'être laissée piéger et sidérée par le tour de force auquel elle venait d'assister. L'aura du kaïoken émanait autant de Derek que d'elle, à présent, et la difficulté évidente qu'il avait à maintenir un niveau encore très inférieur au sien ne changeait rien à son sentiment de défaite. Elle allait devoir le tuer. Elle n'avait plus le choix.
Jade gagerait ce combat-ci, sans le moindre doute. La différence de niveau entre eux deux était bien trop large. Même si son adversaires conservait un as dans sa manche (et elle ne doutait pas qu'il le faisait), et que celui-ci était susceptible de renverser cette situation désespérée pour lui, elle gardait une botte secrète à même de lui assurer la victoire. Mais qu'en serait-il de leur prochaine rencontre ? Tel qu'elle le connaissait, Derek aurait parfaitement maîtrisé le kaïoken, et qui savait si, alors, si même sa dernière carte suffirait à l'arrêter ?
Il fallait en finir maintenant. Et c'était à elle de le faire.
Elle s'apprêtait à briser la prise quand l'arrivée d'une puissance immense à une vitesse vertigineuse dans leur direction les interrompit. Un éclair doré passa devant Jade pour lui arracher Derek des bras, manquant de peu de les lui briser par la même occasion. Quasi-simultanément à ses yeux, un énorme pan de forêt explosa dans un nuage de terre, de roche et d'arbres déchiquetés. Un rapide sondage lui indiqua que Derek avait survécu à l'attaque de la sayenne, quoique dans un état lamentable.
Tous les sayens étaient naturellement doués pour le combat, mais même dans ce milieu de surdoués, Kyra passait pour une force de la nature. Les éclairs qui parcouraient son corps attestaient qu'elle avait, à vingt-deux ans seulement, atteint le second niveau de sa transformation. Aucune maîtrise dans cette énergie infinie ; Jade pouvait sentir la tornade bouillonnante de ki qui rageait dans son corps. C'était bien au-delà de ce qu'un millier de clairvoyants pourrait fournir...
Bien que plus petite que lui d'une bonne tête, elle était sur le point d'écraser Derek. Encore un coup, un choc, une bousculade trop brusque de la part de cet être d'un autre monde, et ce serait la fin du jeune prodige. Kyra ne semblait pas en complète possession de ses esprits : la rage des super sayens faisait bouillir son sang, et elle risquait de le tuer d'une seconde à l'autre. Jade hésitait sur le mode d'intervention à adopter. Vu son état instable, il était impossible de prédire sa réaction si elle voyait quelqu'un approcher. Et elle n'avait aucune envie d'être désintégrée.
Ces conditions n'auraient même pas dû l'effleurer : elle venait juste de prendre la décision d'en finir définitivement avec Derek ; et pourtant, elle ne pouvait pas accepter l'idée que la sayenne s'en charge à sa place.
Il y eut un moment d'hésitation, où l'on parvenait à peine à entendre les halètements furieux de Kyra par-dessus les crépitements de son aura. Jade restait pétrifiée, guettant un éclat salvateur de lucidité dans les yeux de la jeune fille, et Derek consacrait sûrement le peu de conscience qu'il lui restait à dénombrer ses os encore intacts. Lentement, sous le regard horrifié de la clairvoyante, Kyra arma son bras, tremblante sous le coup de la colère. Elle allait vraiment le tuer.
- Kyra ! Calme-toi tout de suite !
Avant même que l'injonction n'ait atteint les oreilles de Kyra, un élément bien plus rapide venait contrer son poing et interrompre l'homicide en cours. Goujin, transformé en un instant, ne perdait jamais une seule occasion d'utiliser sa force. Elle parut prête à engager le combat contre l'interrupteur (ce à quoi ni Jade ni Derek n'aurait survécu), mais la voix de Boo la calma immédiatement. Ses cheveux reprirent la teinte d'ébène qu'on leur connaissait, et elle s'éloigna brusquement de son frère de race, qui reprit lui aussi son aspect classique.
Un mot du Dieu avait volatilisé la violence ambiante. L'assistance se tourna alors vers le corps brisé de Derek, interdite. Un crépitement dans l'air accompagna l'arrivée de Tien et Piccolo, qui prirent place avec eux, tout aussi incapables d'énoncer un jugement. Krilin se libéra des débris de la forteresse, et les rejoignit en boitant, refusant avec entêtement l'aide des deux autres sayens et de C17 qui venaient tout juste d'arriver. D'autres moines commencèrent à affluer, avec d'autres sayens et maîtres en arts martiaux non affiliés aux grues.
Le rassemblement de combattants se fit de plus en plus dense autours du corps immobile, parodiant la scène de résurrection ayant eu lieu il y a plusieurs mois, au douzième sanctuaire. Mais il paraissait évident que Derek ne se relèverait pas, cette fois. Boo, cependant, au lieu de l'aider, restait immobile dans sa contemplation, et personne n'osait outrepasser son autorité en prenant soi-même l'initiative de l'aider. La plupart se demandaient si cela était seulement souhaitable. Le dernier geste de merci à son égard s'était soldé par un désastre sans précédent. Ne serait-il pas préférable pour tous de le laisser mourir ici ?
Boo ne bougeait toujours pas. Allait-il vraiment laisser un être humain, aussi dangereux soit-il, périr sous ses yeux ? Certains commençaient à s'inquiéter de cette poussée de cruauté inattendue chez le Dieu de la terre.
Et puis, soudainement, il y eut un mouvement. Pas chez Boo, cependant. Chez Derek. Sous sa peau, pour être précis. Quelque chose bougea dans un bruit de craquement organique. Les os se mouvaient, les muscles se réorganisaient en une configuration plus viable. Les moines des grues étaient déjà familiers de cette technique, pour l'avoir vue pratiquée par les rares élus à avoir passé le dixième sanctuaire. Mais si la voire utilisée pour faire pousser de nouveaux membres était une chose, son usage comme technique de chirurgie d'urgence pratiquée sur soi-même en était une autre. Les moines ayant tenté de franchir le dixième sanctuaire réalisaient pleinement l'insurmontable martyr auquel ils assistaient. Comment pouvait-il conserver sa concentration tout en s'auto-infligeant cette abomination ?
Au bout du énième craquement, la nuque de Derek reprit une inclinaison normale, et il se redressa de toute sa taille, tremblant encore sous l'effort impossible qu'il venait de fournir. Un sourire épuisé se dessina sur son visage épuisé, au centre des décombres de son armée défaite, et encerclé par une horde d'ennemis invincibles.
Et il riait, victorieux.
Piccolo l'interrompit dans ce qui s'apparentait de plus en plus à de la démence.
Derek prit le temps de ménager son effet en dévisageant un maximum de personnes dans la foule, à commencer par le namek qui l'avait interrogé.
- Pourquoi ? Mais pour le pouvoir, allons. Tout a toujours été une question de pouvoir.
- Alors savoure bien ce que tu as eu. Ton règne est terminé.
Le sourire de Derek ne fit que s'élargir.
- Le mien ? J'espère bien, oui. Le vôtre, en revanche, vient juste de commencer !
*******
Sur le coup, Lin n'avait pas pensé aux conséquences. La mère de Kyra venait de démanteler personnellement les dizaines de tanks qui s'étaient engouffrés dans la capitale, menaçant la vie des civils. Au moindre obus, ç'aurait été la catastrophe, et elle avait dû mobiliser toute sa force et sa vigilance pour intervenir sans dommages collatéraux. Et elle y était arrivé. Sa propre performance la surprenait, et il avait été étonnamment agréable d'enfin tester ses limites.
Elle en venait à comprendre les entraînements de sa fille. C'était libérateur. Un peu trop libérateur, cependant, et elle avait gaffé.
Elle venait d'extraire l'officier responsable de l'attaque de son char de commandement, et de le secouer comme un prunier, parvenant avec succès à calmer sa rage de super-sayenne et à ne pas le tuer. Lorsqu'elle avait finalement perdu sa transformation et cessé de malmener sa victime pour jeter un regard aux alentours, elle n'avait rencontré que les dos des téléphones portables pointés vers elle, immortalisant déjà la scène à travers internet. Le summum de la panique avait été atteint à l'entente de son nom, crié par un collègue de travail.
Les super-sayens n'étaient plus une légende urbaine.
Le monde savait.
*******
- Vous avez toujours eu le pouvoir en main, vous refusiez de vous l'avouer, et de prendre la place qui vous revenait de droit ! Voilà pour votre ingérence ! Gagto, et une horde de malfrats qui tenaient le monde entier en otage. Vous auriez dû être là ! Vous auriez dû tuer le mal dans l’œuf, mais vous l'avez laissé prospérer.
Je vous donne une chance de tout reprendre à zéro. J'ai concentré cette pourriture, je l'ai faite remonter à la surface pour que vous l'écrasiez. Maintenant, saisissez votre chance, et construisez l'utopie que la terre aurait toujours dû être.
*******
- Mais je le reconnais ! C'est l'héritier des Brief !
- Ah mais oui, c'est lui ! Zakriel Brief !
- Comprendre quoi !!!??? Ils avaient des bazookas et ça ne lui a rien fait !
- Ils étaient si forts que ça ?
- C'est comme ça qu'ils sont devenus riches, si ça se trouve...
« Et merde. »
Les mots parvenaient aux oreilles du super-sayen, diffus. Il n'avait qu'une trentaine d'années, mais il rayonnait déjà de plus de respect et d'autorité que n'importe lequel des hommes politique occupé à murmurer dans le fond de la pièce. Que ce soit dans son port de tête fier, dans son regard gris qui semblait percer jusqu'au plus profond de l'âme de ses interlocuteurs, dans son physique puissant et svelte à la fois, ou même dans l'assurance de sa voix, il y avait en lui une chose qui rappelait la royauté du peuple disparu des sayens. Ses vêtements taillés sur mesure avaient été partiellement déchirés et calcinés aux endroits où les balles et les missiles l'avaient frappé, mais restaient miraculeusement en état.
Le dispositif mains-libres accroché à son oreille gauche sonna, et une voix féminine lui annonça que les capitales sud et est avaient été sécurisées. Il confirma l'état de la capitale de l'ouest, et, une vingtaine de minutes plus tard, il fut annoncé que la menace du ruban rouge avait été effacée du globe terrestre pour de bon.
Le gouverneur de l'ouest était allongé au sol, à ses pieds, sa grosse moustache ne cachait même pas les tremblements de ses lèvres face à l'ange libérateur qui venait de balayer d'un revers de main la menace que le gouvernement avait lamentablement échoué à gérer.
Zakriel réalisa alors seulement qu'il se tenait exactement là où le fauteuil du vieil homme aurait dû se trouver. L'élimination des putschistes l'avait trop concentré pour qu'il fasse attention à ce genre de détails, mais l'objectif de la caméra à laquelle le politiciens devait s'adresser était à présent braqué sur lui. La déclaration d'abdication forcée avait beau avoir été interrompue, il était toujours en direct, et le public avait dû pouvoir profiter du spectacle.
Évaluant la situation, le milliardaire reprit lentement son souffle. Autant jouer franc-jeu, à présent. Son regard se braqua sur l'objectif, défiant le regard de millions de citoyens à travers le monde, et il raconta tout.
*******
Le treizième sanctuaire était terriblement dénué de luxe et de décorations. Les plus puissants moines des grues devaient méditer à même le sol, en tailleur, le sommeil était devenu pour eux un luxe dispensable. Des fresques et des estampes abstraites décoraient le plafond et les murs, leurs courbes harmonieuses et leurs tourbillons perdaient le regard des observateurs, les rapprochant un peu de l'illumination. Pas de fenêtre pour empêcher le vent glacial et sec de transpercer le bâtiment de part en part, mais les clairvoyants n'y prêtaient même pas attention. Ces quatre-là semblaient vraiment au-dessus de tout. Impassibles et inébranlables, ils restaient droits, dévisageant celui qui aurait pu être l'un des leurs, et qu'ils allaient à présent neutraliser pour toujours.
Derek, à genoux, assommé à la fois par l'effort phénoménal fourni lors de sa reconstruction et par le manque d'oxygène dû à l'altitude, était fermement tenu par deux d'entre eux.
À sa droite, Jade, dont les yeux vert sombre trop inexpressifs trahissaient sans le vouloir sa détresse intérieure. À sa gauche, Soman. Ce colosse était la seconde personne à avoir triomphé du douzième sanctuaire. Sa musculature, sa stature et son air inquisiteur étaient comme une couche de verni sur sa réputation d'invincibilité : Second meilleur combattant de l'ordre derrière Tien Shin Han, il passait même pour le surpasser en matière de ki, et était couramment présenté comme « le plus puissant homme sur terre ». Loin d'être une brute sans cervelle, il avait été une épine dans le pied de Derek durant ses mois de fuite : L'affronter aurait été hors de question, et il n'avait dû à de nombreuses reprises son échappatoire qu'à la chance.
Mais à présent que la poigne du géant lui pressait l'épaule, s'enfuir était impossible. Il avait encore du chemin à parcourir avant de s'élever au niveau des clairvoyants. Sans parler du plus puissant d'entre eux.
Plus à droite, les bras croisés, se tenait Erik, le troisième clairvoyant intronisé. Derek n'avait trouvé aucune source fiable sur ses origines, mais son visage et les tatouages visibles sur sa peau laissaient supposer les îles tropicales de l'état sud. N'eut été Derek, il aurait été celui ayant traversé le plus rapidement les douze sanctuaires successifs, et le manque de données sur ses actions en tant que moine trahissait une efficacité minutieuse lorsqu'il s'agissait de masquer ses traces.
Enfin, tout à gauche, Sahane, la première et plus sage des clairvoyants, respectée comme porte-parole de l'ordre au même titre que Tien et Chaozu. La petite femme ne payait pas de mine, frêle et mince dans son vêtement trop large, mais on percevait dans ses yeux une intelligence et une force à même de faire reculer toutes les ténèbres du monde.
Et face à eux, Tien. Leur maître à tous. Celui qui avait tout commencé, et à qui il revenait de finir. Lentement, il posa au sol un antique autocuiseur au métal terni, dont les bords gravés d'estampes relataient des combats d'un autre temps. Il mit quelques secondes à retrouver l'incantation du Mafuba, et tendit les bras vers un Derek agenouillé, qui ne le quitta pas des yeux jusqu'à ce que le tourbillon l'ait définitivement scellé.
Le vent ne cessa pas de souffler, après que le couvercle se soit refermé sur le prodige. Il reprit au contraire de plus belle, claquant dans les amples toges des clairvoyant, et glaçant même leur chair surentraînée jusqu'aux os. Plus brûlant encore était le souvenir des yeux de Derek, qui restaient imprimés dans l'esprit de Tien.
« Je reviendrai. », disaient ils. « Je reviendrai, et cette fois-ci, tu ne m'arrêteras pas. »