Puisque je suis en grève et que j'ai donc un peu de temps aujourd'hui, un petit retour sur l'intéressant jugement du tribunal de grande instance de Tours du 20 août 2015 dont vous trouverez la copie ici :
http://www.pitcho.fr/site/wp-content/uploads/2015/10/Cliquez-ici-pour-la-d%C3%A9cision-du-TGI-Tours-20-ao%C3%BBt-2015.pdfUne personne née avec une ambiguïté sexuelle que le temps n'a jamais permis de lever a obtenu la rectification de son acte de naissance et la substitution de la mention "
sexe masculin » par la mention «
sexe neutre ». Il s'agit, si j'en crois la presse, d'une décision unique en Europe.
Cette mention d'un sexe masculin sur l'acte de naissance de l'intéressé s'explique par les dispositions de l'article 57 du Code civil qui précisent que "
l'acte de naissance énoncera [...]
le sexe de l'enfant".
Les parents du demandeur au procès avaient obtenu que le sexe mentionné soit masculin. Néanmoins, la personne concernée n'a jamais subi de traitement pour qu'elle puisse être physiquement considérée comme homme ou femme et a entendu faire reconnaitre cette réalité biologique qu'une fiction juridique niait.
Et comme souvent, le salut est venu de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme (CESDH) et de son article 8:
«
Droit au respect de la vie privée et familiale
1.Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2.Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Vous ne voyez pas où l'on parle du sexe des individus dans cet article ?
Normal, la Cour Européenne des Droits de l'Homme elle-même s'est affranchie depuis belle lurette d'une interprétation littérale au profit d'une interprétation téléologique des textes, afin de leur garantir une meilleure effectivité et de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires mais concrets et effectifs. Les juridictions nationales peuvent donc être amenées, lorsque les textes nationaux sont insuffisants ou inexistants, à faire de même.
Et c'est ce qu'a fait le juge ici en constatant que l'article 57 du Code civil mentionnait qu'il fallait porter la mention du sexe sur l'acte de naissance mais que ce texte restait mué en cas d'ambiguïté sexuelle.
Le sexe assigné est alors apparu au juges du TGI de TOURS comme une pure fiction qui aurait été imposée au demandeur pendant toute son existence sans que jamais il n'ait pu exprimer son sentiment profond, ce qui contrevient à l'article 8 de la CESDH.
Vous noterez également que cette ingérence étatique qui a obligé à la mention d'un genre sur l'acte de naissance ne constitue en aucun cas une mesure qui, dans une société démocratique, est "
nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui".
L'affaire est néanmoins loin d'être terminée puisque le parquet a interjeté appel de cette décision, estimant que le juge n'avait pas à se substituer au législateur pour créer la loi et a trouvé souhaitable que d’autres juridictions, et sans doute à terme la Cour de cassation, se prononcent sur cette question afin de dégager une solution claire et faisant autorité.
Je ne peux que me ranger à cet avis malgré mon grand intérêt pour cette décision. On ne peut pas traiter légèrement ce genre de questions et l'avis de la plus haute juridiction ne sera pas superflu.
Je salue également le travail des magistrats de Tours et de l'avocate qui est intervenue pour cette personne tant un tel procès pouvait paraître, je suppose, perdu d'avance. Un grand bravo !