Je comptais écrire un pavé, mais tout est résumé dans ce texte, que je quote, du coup :
Chère équipe de France,
D'abord, merci. Merci pour jeudi soir, de m'avoir jeté dans le camp de ceux qui ont eu tort de ne pas croire en toi. C'était beau, c'était bien.
Merci aussi, pour avoir su faire oublier qu'il y a six ans de ça, tu n'étais qu'un champ de ruine, au milieu du gué, entre un bus duquel tes ouailles ne sont pas descendu et une insulte d'un joueur stupide à un sélectionneur dépassé. Détesté, rejetée, stigmatisée, il a fallu un Président puis un Capitaine pour te sortir de l'impasse morale et sportive.
Merci aussi pour avoir enterré en deux trois mouvements un sombre affaire de cul, mal filmée et mal vendue, qu'on a voulu enrober d'un torchon de xénophobie patente. Il fallait être solide pour faire fi d'autant de malveillance, et tu l'as été, bravo.
Merci pour la Roumanie, l'Albanie, la Suisse, l'Eire, l'Islande, l'Allemagne, pour Payet, Griezmann, Giroud, Pogba, Coman, Lloris, Umtiti, Kanté, Matuidi, tout ceux qui se sont mis en lumière en ton sein et qui nous on donné du plaisir. Qu'il soit en 4 4 2, 4 2 3 1, 4 4 3, on s'en fout, te dis-je, tant qu'on vibre pour toi, et tous on a vibré. Les pisse-froids et les peine-à-jouir diront le contraire, ça nous permettra de faire le tri des cons au moment de faire les invitations pour ton mariage.
C'est ni plus ni moins que ça qui t'attend ce dimanche : ta noce avec le pays. Je ne veux pas te mettre la pression, ma grande fille, mais l'enjeu est immense. Dans la famille, on parle encore des cérémonies de 1984, 1998 et 2000, on en fait des soirées autour du feu à évoquer Platini, Zidane, ou Trezeguet, et on voit des enfants les yeux ouverts, grand comme des ballons, qui boivent les paroles d'un papa, d'un tonton qui narrent un coup-franc relâché, un corner bien tiré, une volée bien équilibrée qui plongea tout un pays en transe et en extase. Il existe des « générations 84 » ou 98, place à la tienne, fruit de tes épousailles avec la coupe et la France.
Alors ce sera celle de Griezmann, peut-être, si le garçon se décide à poursuivre sa rayonnante ascension, celle de Lloris, s'il nous sort un péno d'un grand gominé, ou de Pogba, s'il se décide enfin à marcher sur tout le monde comme son physique et son sens du ballon l'y promet. Que ce soit moche ou pas, on s'en fout : on veut pleurer de joie vers 23h00. On pleure tous à un mariage, surtout quand un père amène sa fille devant le mère ou le curé.
Ma chère équipe de France, soit convaincue que tu es belle, belle à en pleurer et que tu vas entrer dans l'immensité des mémoires collectives françaises.
Pour cela, il va falloir que tu te débarrasses du Portugal, et ce ne sera pas chose aisée, plus compliquée même que ce que tu as du faire face aux allemands jeudi. Page 4567 ici même, je te parlais malédiction, désenvoûtement, destin... Autant te dire que niveau maraboutage, en face de toi tu auras des experts. Eux, ils ont 1984 et surtout 2000 en travers de la gorge, et la mimine d'Abel Xavier au coin d'une surface pour un but en or d'un Zizou aussi doué que cruel. Y a bien des grecs, laids comme des poux, qui leur ont fait très mal aussi en 2004, mais ça compte pas, ils nous avait aussi retourné comme des crêpes en ¼ de finale. « Onladenlos » c'est le seul mot hellène qu'on connaît, du coup.
Ces Portugais, qui ne nous ont pas battu dans un match à élimination directe, ils sont là, prêts à faire ce que tu as accompli : renverser le destin. Pour cela ils sont armés d'une volonté sans faille et d'un Ronaldo, poison certes individualiste, narcissique et insupportable, mais soliste aussi dangereux qu'il est déterminé. Je vais te le dire tout net parce que je suis un garçon honnête : le voir triompher debout sur ton corps encore chaud me ferait beaucoup de mal. Dans une société qui crève d'individualisme, voir une des plus belles icônes du nombrilisme emporter une compétition aussi importante ne me plairait pas. Considération personnelle et contestable, j'en conviens.
Ensuite, ce Portugal-là n'a volé personne pour en arriver là, mais n'a pas joué un football chatoyant et enjoué. Alors bon, toi non plus, les pensum suisses et roumains n'étaient pas du bel effet, le 1/8 contre l'Eire ne fut pas du meilleur tonneau, et tu as réussi à nous faire peur face à l'Albanie. Mais tu as donné du beau, voir du génial sur certaines actions, et on a eu plein de petits Payet sur tous les terrains de France à nous tenter des frappes magiques. C'est pour ça qu'on aime le football, parce que des gestes font rêver et qu'on se voit les refaire dans nos songes les plus fous. Et ça, pardon Portugal, mais tu ne nous l'a pas donné.
Du coup, chère équipe de France, ce serait bien que tu gardes ces braves gens sous ton éteignoir, tu sais, celui du milieu, ou Pogba, Matuidi, Sissoko, ou Kanté, ou Cabaye même s'ingénient à être pénibles. Histoire qu'on soit joyeux dans 24 heures...
De la joie, voilà ce qu'on te demande. Et de cette jubilatoire réjouissance d'être championne d'Europe, tu feras encore un peu plus oublier les blessures sportives ou autres d'un pays qui n'attend qu'une vingtaine de héros pour lui faire du bien.
Y a des papas et des mamans qui attendent de voir leurs rejetons émus et heureux, histoire qu'ils connaissent eux aussi ces petits plaisirs simples qui font que le football est universel. Parce que eux aussi l'ont connu, on veut transmettre cette joie simple mais marquante à vie. Parce que ces enfants eux-même ont envie de vivre ce qu'on leur raconte, d'un plaisir intense autour d'un but, d'un drapeau, d'un coup de klaxon dans la rue, d'une grande émotion nationale autour d'un patriotisme sain et pacifique.
A l'écrire, là, tu vois, je me suis furtivement dit que si ça n'arrive pas aux français, ce sera aux portugais, et que ce sera bien aussi, pour eux, s'ils sont champions.
Mais je me reprends, et je te demande de bien vouloir faire de nous autres cédéfistes des gens heureux.
Qui s'engueulent, certes, mais heureux.