CHAPITRE 47
Enfer et damnation
Sasuke était perdu dans le temps et l'espace.
L'explosion de Raditz lui paraissait lointaine. Et il ne comptait pas en jours.
Non, son cerveau avait l'impression que ces événements s'étaient produits des années plus tôt – et même plus d'une décennie. En fait, cela devait faire précisément treize ans que Sasuke avait été tué par Raditz.
Pourquoi treize ans ? Parce qu'aujourd'hui, c'était son anniversaire. Et parce qu'il venait de revivre l'intégralité de sa vie, depuis sa naissance.
Mais son cerveau était perdu. Son horloge interne n'était pas du tout réglée ainsi. Seuls quelques jours semblaient s'être écoulés, et il était toujours un enfant. Cela ne pouvait donc pas être son vingt-sixième anniversaire.
Revivre toute sa vie devait être la chose douloureuse précédant la mort. On disait souvent qu'au moment de mourir, le défunt la voyait défiler.
C'était probablement ce qu'il venait de se passer pour le jeune Uchiha. Et au final, plus que cet enfer dans lequel il évoluait, cette sensation était vraiment atroce, car il avait revécu toutes les pires horreurs de sa vie.
Parmi elles, il avait encore fraîchement en mémoire les événements terriblement douloureux du massacre de tout son clan. C'était d'autant plus déchirant qu'il avait également retrouvé les bons moments passés avec chacun d'eux, et notamment l'amour de ses parents.
Mais il avait été impuissant, de nouveau, comme spectateur du terrible destin qui devait frapper son existence.
De ses yeux écarlates pulsait une énergie sombre. Sa haine était terrible. Où qu'il soit, il le retrouverait. Son frère, Itachi Uchiha, payerait.
Il fronça les sourcils et analysa son environnement. Il se trouvait au sein d'un désolant décor rempli de cadavres à peine discernables – et il était seul.
Un sourire presque démoniaque se dessina sur ses lèvres.
Il devait être en Enfer. Et ce n'était pas si terrible... !
Mais surtout, son frère devait s'y trouver lui aussi !
Cette pensée alimentait son Sharingan. Il allait le retrouver. Il allait se venger. Il allait lui faire oublier jusqu'à l'Enfer. Car même la mort ne le sauverait pas.
Il poursuivit sa route ainsi quand soudain, il ressentit une sensation ardente dans sa tête. Quelque chose pulsait en lui, quelque chose dont la douleur était telle qu'il se sentit brutalement perdre connaissance sans même que ses yeux écarlates ne se fermassent.
Dans son état d'inconscience, ses iris brunirent de nouveau et il se réveilla lentement.
Il se releva péniblement et reprit sa route ; il ne savait pas encore où aller. Alors que cette question commençait à le tarauder, une silhouette se dessina devant lui.
Il fronça les sourcils. C'était une fille de son âge. Elle le fixait de ses grands yeux blancs qui contrastaient avec le crépuscule ombrageant les ruines qui les entouraient.
Au premier abord, il n'était pas certain de la reconnaître. En fait, plus que ses yeux remarquables, c'était son regard qui déroutait le plus Sasuke. Il avait changé.
Mais surtout, la présence de cette fille amenait l'Uchiha à une conclusion évidente : son hypothèse initiale était fausse. Car la dernière personne qui pouvait se trouver en Enfer, c'était bien Hinata Hyūga.
Surpris, Sasuke analysa son Chakra. Rien ne trahissait un quelconque piège. De toute évidence, c'était bel et bien elle.
– Tu devrais me suivre, murmura-t-elle alors.
Sa voix avait cette douceur d'antan, mais elle ne semblait pas spécialement intimidée. Quelque chose avait définitivement changé en elle.
L'Uchiha fronça les sourcils.
– Pourquoi je ferais ça ?Sharingan et Byakugan se fixèrent dans un immobilisme total. Étonnamment, la jeune fille ne se démontait pas. En temps normal, elle n'aurait jamais soutenu son regard.
Après quelques secondes de silence, Sasuke remarqua une nouvelle expression sur le visage de la jeune Hyūga : de la tristesse. Perturbé, il regarda ailleurs.
– C'est... murmura elle.
C'est un conseil.Elle semblait réellement sincère. Sasuke hésitait toujours, mais sa curiosité l'emporta soudain et il finit par acquiescer d'un signe de tête. De toute manière, il n'avait nulle part où aller – ou ne savait par où commencer – et semblait ignorer de nombreuses choses.
Alors il la suivit tandis qu'elle se mettait à sauter entre les ruines qui les entouraient. L'Uchiha ne l'avait jamais remarqué jusqu'alors, mais Hinata évoluait avec bonne agilité. Il n'eut cependant pas de mal à la suivre jusqu'à ce qu'un bâtiment plus grand que les autres ruines n’attirât son attention. L'édifice était en fait simplement en meilleur état que les autres – bien qu'amoché –, et était entouré de nombreux gravats qui recouvraient le sol jusqu'à plusieurs mètres de hauteur.
Hinata fit un bond important et passa avec précision par la seule ouverture d'une fenêtre en hauteur, dont la vitre n'était plus. Sasuke fit de même mais s'arrêta un bref instant sur son rebord, s'assurant par réflexe d'un dernier coup d’œil qu'ils n'avaient pas été suivis.
Alors, il les vit : surplombant ce village en ruines dont elles étaient les derniers vestiges : les statues des quatre Hokage.
Son cœur palpita fortement. Ils étaient à Konoha, ou ce qu'il en restait...
Il ferma les yeux. Il aurait dû s'en douter, mais semblait l'avoir refusé. Son village avait été anéanti.
Il resta immobile un instant, perdu dans ses pensées, mais remarqua alors que de nombreux yeux le fixaient, en bas, dans le vaste dojo duquel il masquait la seule source de lumière crépusculaire.
Alors il bondit et atterrit devant le tatami. Celui-ci accueillait une douzaine d'individus.
Certains étaient assis, d'autres allongés. Il en remarqua deux ou trois apparemment malades, ou blessés.
Hinata était occupée à les réconforter, même si un coup d’œil rapide du Sharingan du jeune Uchiha lui fit comprendre que leurs chances de survie étaient minces.
Un autre – un vieil homme – presque intégralement recouvert d'un tissu blanc, était totalement dépourvu de Chakra, et Sasuke comprit qu'il était mort. Il le reconnut, car il s'agissait d'une personne autrefois influente dans les choix du village. C'était le père du chef Hyūga – et donc le grand-père d'Hinata.
– Il s'est éteint la nuit dernière, murmura un individu se tenant au milieu du tatami et qui le fixait d'un regard particulièrement dur.
Sasuke le reconnut aussitôt.
– Neji...Il remarqua alors que tous ceux présents étaient porteurs du Byakugan. En dehors de lui-même, il n'y avait que des Hyūga.
– J'ai cru que t'allais jamais arrêter de pleurnicher, poursuivit Neji avec mépris en croisant les bras.
– Qu'est-ce que t'as dit ? répliqua aussitôt l'Uchiha, surpris et piqué au vif par cette réplique cinglante et totalement gratuite.
– Pendant que tu te morfondais, là dehors, tu nous as tous mis en danger. T'as de la chance qu'Hinata soit venue te chercher, car si ça n'avait tenu qu'à moi, tu serais déjà m...
– Ça suffit, Neji, répliqua un individu dont Sasuke n'avait même pas remarqué la présence.
Il se tenait à l'autre bout de la salle et leur tournait le dos. Il était assis à genoux, devant un appareil qui émettait de multiples sons. C'était une radio.
Intrigué, Sasuke en oublia presque Neji qui eut un bref rictus en le voyant s'éloigner et rejoindre le chef des Hyūga – car même de dos, il n'y avait plus aucun doute sur son identité.
– Bienvenue, Sasuke, murmura-t-il sans se retourner.
Ce dernier fronça les sourcils.
– Que faîtes-vous ?
– J'écoute les actualités du monde Shinobi... Ou de ce qu'il en reste.
– Ce qu'il en reste ? Que voulez-vous dire ?
– L'ignores-tu... ?Hiashi poussa un profond soupir.
– Le Saiya-jin a anéanti de nombreuses villes après Konoha.Sasuke fronça les sourcils.
– Qu'en est-il des autres villages cachés ?
– Il est déjà parvenu à s'emparer du village de Kiri.Sasuke ouvrit grand les yeux, choqué.
* Il... Il a mis à terre un deuxième des cinq villages cachés... ?! *
– La Mizukage était absente, expliqua le chef Hyūga,
et le village n'était pas en ses temps les plus forts. Au moment où ce monstre est arrivé, la résistance était loin d'être optimale. De plus, en l'absence de leur chef, le moral des troupes était déjà terriblement atteint.Il soupira.
– Cela fait donc encore trois villages cachés pour le vaincre, poursuivit l'Uchiha.
– Deux, corrigea sombrement Hiashi.
Suna s'est rendu. Qui pourrait leur en vouloir ? Après la défaite de Konoha et celle de Kiri dans la même semaine, et en l'absence de leur Kage et de leur Jinchūriki, presque tous les Shinobi ont refusé le combat.Son regard était fixé sur le poste de radio. Un bref instant, des veines apparurent au niveau de ses tempes.
– Cela n'a pas empêché Raditz d'en exterminer les habitants.Il ferma les yeux, semblant tout faire pour garder son calme.
– Il ne reste donc que deux villages cachés capables d'opposer une quelconque résistance au Saiya-jin : Iwa et Kumo. Si ces deux derniers piliers s'écroulaient...Il ne termina pas sa phrase mais Sasuke en comprit parfaitement la suite. Si les cinq Grandes Nations venaient à perdre, alors le Système Shinobi serait définitivement perdu, à l'image de ce qu'il restait de Konoha aujourd'hui.
Mais se cacher comme le faisaient les Hyūga n'était vraiment pas au goût de l'Uchiha. Il ne cessait de se rappeler les paroles que lui avait adressé son frère, après qu'il eût massacré tout son clan.
* Fuis, fuis ! Accroche-toi à la vie... *
– Écoutez, fit l'Uchiha.
Je ne sais pas ce qui se passe ici, mais je n'ai pas l'intention de m'éterniser.
– Alors tu mourras, intervint Neji à haute voix.
Hiashi se retourna enfin et fixa son neveu d'un regard dur, avant de croiser le celui de Sasuke.
– Je comprends ta réaction. Mais Neji a raison, et je n'ai pas l'intention de te laisser mourir. Je ne te forcerai pas, mais je te le demande... Reste, s'il-te-plaît. Reste au moins le temps d'avoir les armes pour survivre dans ce monde.
– Comme si j'avais besoin de vous... grogna Sasuke.
Et cet homme, qui est mort, n'était-il pas votre père ? Pourquoi cherchez-vous à me protéger, moi ? Je suis presque un inconnu pour vous. Occupez-vous de votre famille. Je ne sais pas pourquoi je suis venu ici. Je m'en vais.Il commença à s'éloigner, mais Neji s'interposa.
– Que les choses soient claires, Uchiha. Si tu ressors, je te tue.Sasuke eut à son tour un rictus.
– Essaye.Il le fixait cependant avec sérieux. Et tandis que Byakugan et Sharingan se toisaient violemment, Hinata soupira au loin.
Hiashi s'avança alors et se plaça entre les deux garçons.
– Non, Neji. Mais, Sasuke, si tu ressors, devras t'éloigner rapidement du village. Sinon, tu nous mets tous en danger.Sa remarque attisa la curiosité du jeune Uchiha.
– Tu te trouvais dans le Temple Naka, je suppose ? poursuivit le chef Hyūga.
– Comment... ?! s'exclama garçon, totalement surpris.
Effectivement, avant d'errer au milieu des décombres d'un village qui n'en portait plus que le nom, Sasuke avait eu l'étrange surprise d'être réveillé par la douce lumière des torches illuminant la stèle héritée de son clan, laquelle se trouvait bien cachée par ses membres au cœur du temple Naka. Et, à sa connaissance, même des utilisateurs du Byakugan n'auraient su pénétrer de tels secrets...
– Je croyais que tu comptais partir ? sourit son interlocuteur.
Sasuke le fixa froidement, puis il lui tourna le dos et bondit sur le rebord de la fenêtre.
– Mais avant, poursuivit Hiashi,
laisse-moi au moins t'expliquer pourquoi je souhaite tant ta survie, Sasuke.Le concerné resta immobile et silencieux, sur le rebord de la fenêtre.
– J'ai fait une promesse, poursuivit l'Hyūga.
Sasuke tourna un bref instant la tête, surpris.
– As-tu déjà entendu parler de mes coéquipiers, reprit alors Hiashi,
du temps de ma promotion en tant que Genin ?Sasuke mit ses mains dans les poches tandis que ses yeux fixaient les statues de pierre.
– Ouais, vous étiez dans l'équipe du Yondaime Hokage.Le chef Hyūga acquiesça d'un signe de tête, mais son regard sembla briller l'espace d'une fraction de seconde.
– C'est tout ? Je vois... Elle ne t'a donc pas parlé de son passé...L'Uchiha fronça les sourcils, sans comprendre.
– Mais tu as raison, reprit Hiashi,
et notre maître était le Sannin Jiraiya. Nous formions une belle équipe. Je crois que dans l'histoire de Konoha, nous sommes même les seuls à être parvenus à dérober les clochettes de notre Sensei. Nul ne se serait attendu à ce que le destin réunisse de tels prodiges dans une même équipe. Je crois même que nous étions en bonne passe de devenir, d'une certaine manière, les trois nouveaux Sannin...Sasuke soupira.
– Je m'en fous. J'y vais.
– Trois génies... poursuivit Hiashi, perdu dans ses songes.
Minato Namikaze, Yondaime Hokage... Hiashi Hyūga, chef du clan... Et...Le jeune homme ne sut pourquoi, mais il attendit la fin.
– Mikoto Uchiha, acheva son interlocuteur.
Ta mère...À l'ouïe de ce nom, les yeux de Sasuke – fixant la statue du Yondaime Hokage – rougirent et se brouillèrent avant de rapidement s'emplir de larmes.