Bon allez, j'espère que je ne vais pas me faire lyncher...
Avant toutes choses, quelques définitions pour savoir de quoi on parle.
Le viol est défini ainsi par l'article 222-23 du Code pénal :"
Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol".
La peine normalement encourue de 15 ans de réclusion criminelle est augmentée, notamment par l'âge de la victime lorsque celle-ci a moins de 15 ans.
Dans l'affaire qui nous occupe, ce n'est cependant pas la qualification de viol qui a été retenue par le parquet, lequel a préféré se baser sur l'article 227-25 du même Code, lequel dispose que "
le fait, par un majeur, d'exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de quinze ans est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende".
Ce texte sert à réprimer les relations sexuelles "consenties"; ou en tous cas sans violences, contrainte, etc... avec un mineur
de 15 ans (Coucou Foenidis !).
Premier point Axaca, que ce soit pour les cas de viols sur mineur ou d'atteinte sexuelle, le délai de prescription court jusqu'aux 20 ans qui suivent la majorité de la victime, soit ses 38 ans. Une commission codirigée par l'animatrice Flavie Flament -laquelle, âgée de 42 ans, dit avoir été violée étant mineure - propose d'augmenter ce délai de 10 ans mais pour l'instant, il n'y a pas eu de suites à cette proposition.
Alors voyons ce qui s'est passé dans cette affaire, en essayant de nous départir de notre empathie pour la victime et de notre crédulité et en ne prenant en compte que ce qui semble acquis, et pas ce que disent les parties (auteur présumé ou victime). Bref, en pensant comme un froid juriste.
Les faits remonteraient au 24 avril 2017, date à laquelle, un homme de 28 ans aurait eu des relations sexuelles avec une jeune fille de 11 ans dans des conditions nébuleuses.
Le parquet est informé de cela et comme il se doit, une enquête est menée sous son autorité. Manifestement, il n'y a pas eu d'instruction dans ce dossier (une instruction dure souvent des années or, ici, en quelques mois, l'affaire a déjà été renvoyée devant le tribunal correctionnel pour être jugée). Une instruction est en quelque sorte une super-enquête confiée à un magistrat indépendant de tout pouvoir politique faisant partie du "siège" (les magistrats qui jugent). Les instructions sont obligatoires en matière criminelle et facultatives en matière délictuelle. C'est alors le "parquet" (le magistrat qui poursuit) qui décide si le dossier est suffisamment complexe pour qu'il devienne nécessaire de le confier à un juge d'instruction.
On voit donc que la qualification des faits a une grande importance lorsqu'ils peuvent être envisagés comme étant constitutifs de deux infractions.
- Soit le parquet reste maître de sa procédure s'il retient un délit et on part vers un jugement par le tribunal correctionnel.
- Soit il estime que c'est un crime et je juge d'instruction prend le relai avec un possible renvoi vers la Cour d'assises.
Revenons-en à notre parquet. Pourquoi celui-ci n'a pas renvoyé l'affaire au juge d'instruction ? Car s'il a manifestement retenu l'existence d'une relation sexuelle entre cet homme et cette jeune fille, il a estimé qu'il n'y avait pas eu de contrainte, menaces, violences, etc... (Pas de manière active en tous cas, via des coups, des menaces prononcées...).
J'en reviens à ce que je disais en préambule, départissez vous de de tous vos a priori, vous verrez que ce que vous pourrez lire dans la presse et qui évoque une contrainte, menace, etc. ne sont que les affirmations de la victime ou de la famille. Cela ne veut pas dire que c'est faux, mais cela ne veut pas dire non plus que c'est prouvé.
Or, si on part aux assises sur une qualification de viol, avec un dossier lacunaire, ne permettant pas de démontrer la contrainte, on risque d'avoir un acquittement. Et il n'y a pas de deuxième chance. On ne peut pas poursuivre de nouveau pour les mêmes faits, même sous une autre qualification (viol puis atteinte sexuelle ici). Cf:
https://www.legifrance.gouv.fr/affichCo ... 0006576330Reste donc l'état de sidération de la jeune fille dont parle son avocat et qui pourrait permettre de poursuivre pour viol. En effet, il ne peut pas y avoir de consentement si on est tellement choqué par un évènement que l'on ne peut que le subir. On peut alors estimer qu'il existe une certaine forme de contrainte.
Cependant, là encore, n'oublions pas que nous n'avons pas accès au dossier, que cet état de sidération n'est peut-être pas démontré.
Et même si c'était plus ou moins le cas, faire partir le dossier aux assises n'est pas forcément une garantie de succès. Imaginons que la victime soit particulièrement précoce et qu’elle ressemble effectivement à une jeune fille de 16 ans comme le prétend le prévenu. Que le prévenu de 28 ans parait effectivement 10 ans de moins. Supposons qu'il ait un avocat particulièrement retord. Celui-ci aura beau-jeu de mettre en charpie des allégations faiblement étayées d'un état de sidération.
Je rappelle également que la Cour d'assises est composée de trois magistrats professionnels et 6 jurés populaires tirés au sort. Et contrairement à ce que tu prétends Axaca, tout le monde ne considère pas forcément -malheureusement - que les victimes de viol ne l'ont pas un peu cherché ou qu'un tel état de sidération soit, ne serait-ce que possible. C’est ce qu'on appelle la "culture du viol" et je ne suis pas aussi affirmatif que toi pour dire que nous en sommes sortis.
Bref, il est donc également possible que malgré quelques éléments, le parquet se soit engagé dans la voie de la correctionnalisation d'un crime. Il s'agit d'une pratique, tout-à-fait illégale (contrairement à ce que tu pensais Rebel O'Conner) mais qui en général est mise en place car elle arrange bien tout le monde.
Imaginons par exemple que vous décidiez d'aller braquer la supérette du coin avec votre pote un peu débile et armés de pistolets en plastique. Vous vous faites chasser par l'épicier à coups de balai, non sans avoir glorieusement emporté 2 sucettes et 3 paquets de granola. Et bien vous dépendez logiquement des assises et encourrez 30 ans de réclusion criminelle (cf.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070719&idArticle=LEGIARTI000006418145), l'usage d'une arme factice étant assimilé à l'usage d'un vrai pistolet. Seulement, la correctionnalisation va arranger tout le monde.
- le parquet qui ne va pas engager de moyens considérables pour faire juger deux pieds nickelés.
- L'auteur car il risque moins devant le tribunal correctionnel qu'aux assises.
- La victime qui va pouvoir obtenir un jugement dans un délai raisonnable et qui sait bien que de toute manière, Chapi et Chapo seront condamnés à une peine sans commune mesure avec ce qu'il encourrent devant les assises.
On va donc oublier les circonstances aggravantes et le tribunal correctionnel tranchera sur un simple délit.
Revenons à présent à notre affaire et mettons-nous à la place du parquetier en charge du dossier. Il a un dossier manifestement insuffisant et peux prendre deux décisions:
- soit ils s'en départi pour le juge d'instruction en espérant un renvoi aux assises avec tout l'aléa que ça comporte, outre la difficulté pour une victime si jeune de subir cela ( cf. Liens d'Axaca et de Zhatan ).
- soit il envoie cela au tribunal correctionnel, où l'homme sera jugé par des magistrats professionnels qui se verront limités dans la peine à infliger mais auxquels le parquet fais plus confiance pour condamner. Parce que oui, certains parquetiers se méfient des jurés populaires et de leurs décisions imprédictibles. En revanche, ils connaissent leur président de tribunal correctionnel et savent parfaitement comment il est susceptible de juger.
Voilà pourquoi, chaque année, des centaines de dossiers se font correctionnaliser, parce que les viols, ce ne sont généralement pas des faits bien établis avec un inconnu qui vous attrape dans la rue et vous agresse mais avec un proche qui, par diverses pressions, parfois difficiles à prouver, arrive à ses fins. Le parquetier a donc peut-être bien agit dans l'intérêt de la jeune fille, en choisissant parmi 2 options insatisfaisantes la moins pire des deux.
J'ajoute néanmoins que la correctionnalisation ne peut s'appliquer que parce que tout le monde joue le jeu. La partie civile notamment peut estimer que le tribunal correctionnel est incompétent pour trancher une affaire car il s'agit d'un crime relevant des assises. Ici l'avocat de la jeune fille se plaint dans la presse du renvoi de l'affaire au tribunal correctionnel mais a t-il soulevé son incompétence ? Je n'ai pas trouvé d'informations à ce sujet et ne sais pas si ça a été fait et si non, pourquoi ?
Il reste enfin à déterminer si cette situation insatisfaisante pourrait être réglée à l'avenir par la modification de la loi comme certains l'appellent de leurs vœux. Deux possibilités sont évoquées. Il s'agirait de dire que la contrainte est présumée, de manière simple ou irréfragable, en cas de relations sexuelles entre un adulte et un mineur de moins d'un certain âge.
Une présomption simple signifie que l'on renverse la charge de la preuve. Ce n'est plus à l'accusation de prouver la contrainte, c'est à la défense de prouver qu'il n'y en a pas. C'est déjà diablement important car si personne ne peut rien prouver, l'accusation "gagne" en quelque sorte.
La présomption irréfragable quant à elle revient à interdire à l'accusé de démontrer qu'il n'y a pas eu de contrainte, dès lors qu'il a eu des relations sexuelles avec un mineur. Autant vous dire que les présomptions irréfragables ne courent pas les pages de nos codes de lois...
On peut quand même voir plusieurs inconvénients à une telle modification de la loi. Tout d'abord, et comme l'a relevé Antarka, un mineur, même assez jeune, peut malheureusement être relativement consentant pour avoir une relation sexuelle avec un adulte. Dès lors, où devrait-on mettre la limite ? À 10 ans ? 12 ? 14 ?
Une limite trop basse n'aurait aucune réelle conséquence car en pratique, les juges considèrent déjà que lorsque la victime est vraiment très jeune, elle ne peut pas avoir librement consenti (je suppose, Rebel O'Conner, que tu fais référence de manière ironique à la pratique jurisprudentielle quand tu dis qu'en France, on ne considère qu'il y a obligatoirement viol que si le mineur a moins de 5 ans.). Une limite trop haute pose aussi problème car il y a toujours des enfants un peu plus précoces que d'autres sur ces questions. Les présumer non consentants sera dans quelques rares cas une fiction juridique qui ne correspondra pas à la réalité. Et puis n'oublions pas que les fait son choquants ici en raison du fort écart d'âge. Mais la loi est d'application générale. Elle ne distingue pas les cas particuliers dans son énoncé. Aussi, quid du grand benêt immature de 18 ans qui aura une relation sexuelle consentie de part et d'autre avec une jeune fille de 14 ans un peu en avance sur son âge ? Les assises et 20 ans de réclusion criminelle pour lui aussi ?
L'autre problème est juridique. Si on présume que vous êtes coupable de viol car vous avez couché avec un mineur de moins de X années, on bat en brèche le principe constitutionnel et européen de la présomption d'innocence. Or, on ne touche pas aussi facilement que cela à un tel principe. Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs déjà précisé en 1999 que les présomptions irréfragables ne pouvaient pas s'appliquer en droit pénal. On ne peut pas vous empêcher de prouver votre innocence.
Concernant les présomptions simples, c'est plus nébuleux. Saisi sur un texte qui faisait présumer que l'auteur de certaines contraventions routières était le titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule, le Conseil constitutionnel a indiqué que les présomptions simples pouvaient s'appliquer
à titre exceptionnel et
notamment en matière de contravention (infractions de faible gravité ).
Ce "notamment" et à mon sens synonyme de "principalement". On comprend bien qu'un amoindrissement de la présomption d'innocence puisse s'appliquer quand vous risquez une faible amende. C'est plus délicat si on jette la présomption d'innocence aux oubliettes et que vous encourez 15 ans de réclusion criminelle en plus.
Au final cette idée de présomption a donc de sacrés contre-arguments à surmonter pour trouver à s'appliquer.
En conclusion, on ne peut donc pas dire, Rebel O'Conner, qu'il y aurait une régression dans les droits des femmes et/ou des mineurs en France dans la mesure où cette situation, aussi exceptionnelle qu'elle soit, n'est pas nouvelle et ne fait pas suite à une situation juridique antérieure qui aurait été plus favorable aux victimes. La solution serait peut-être d'aggraver au maximum les peines encourues dans les cas d'atteinte sexuelle sans violence ni contraintes (10 ans en matière de délit). Ça permettrait de redonner une latitude au juge dans les cas borderline comme celui-ci, sans preuve véritable mais avec des faits choquants, et notamment une différence d'âge importante.
On entre plus dans les considérations et interprétations juridiques qu'une différence entre les deux sexes, je déplace, du coup.