Partie 1 :
Londres, 07 août 2017. Il était un peu moins de minuit, et Jack, commis depuis 2 mois et demi dans un restaurant français, venait de terminer sa journée. Lui et son ami espagnol Dany, également commis, mangeaient la traditionnelle glace que volaient les commis quand ils faisaient la fermeture du restaurant.
« - Vous faites quoi les mecs ?
C’était la voix de Sarah, fraichement devenue serveuse après avoir été commis, à l’instar de Jack et Dany, mais pendant une bien plus longue période, alors que ces deux derniers n’avaient commencé qu’en mai. C’était une italienne d’origine marocaine, que Jack n’avait pas souvent vu finalement, car elle était repartie en Italie pendant au moins un bon mois pour passer ses examens d’université.
- On a pris de la glace dans la cuisine, t’en veux ? répondit Jack.
- Ouais, y a quoi comme parfums ?
Jack se dit qu’elle était censée le savoir, puisqu’elle était serveuse et qu’elle travaillait ici depuis bien plus longtemps que lui. Elle était vraiment une banane !
- Fraise, chocolat et citron.
- Fraise et citron, alors ! » fut la réponse de Sarah.
Cela n’étonna pas Jack et le fit même sourire. Ce n’était pas parce qu’elle prenait des glaces aux fruits qu’elle allait devenir moins grasse qu’elle ne l’était déjà !
Jack revint 5 minutes plus tard, avec la fameuse glace, et la donna à Sarah un genou sur le sol, comme s’il lui faisait une demande en mariage :
« Pour vous, ma reine. »
Bien sûr, c’était pour rigoler. Jack ne s’était jamais posé la question de savoir si cette fille était jolie ou non, il ne s’était jamais intéressé à elle en tout cas. Mais en s’asseyant à côté d’elle, il la trouva jolie, très jolie même, mais ça n’allait pas plus loin. Jack ne tombait pas facilement amoureux.
Les trois - surtout Jack et Sarah en fait, car Dany parlait moins bien anglais – discutèrent de tout et de rien. Puis, Jack raconta une anecdote qui lui était arrivée en cuisine, une énième bêtise qu’il avait faite étant débutant. Cela fit rire Sarah :
« - T’es vraiment une banane !
- Oh, ta gueule ! »
Jack n’était évidemment pas vexé par cette insulte, et Sarah par sa réponse. Elle le poussa alors, avant de mettre sa tête sur l’épaule de Jack. Ce dernier n’avait pas l’habitude de ce genre de comportement, sa première réaction fut donc de lui gratter la tête, comme si elle était un animal. Ce magnifique moment d’affection fit tomber Jack amoureux pour la première fois depuis la seconde.
Partie 2 :
Le lendemain, 15h30. Jack avait terminé sa journée à 15h et était resté au restaurant pour manger le repas qu’avaient droit les employés pendant leurs pauses ou après avoir travaillé. Il avait commandé du poulet, des tomates et de la soupe, et s’était installé à côté du bar du restaurant, bien qu’il était censé aller dans la salle arrière, avec les autres employés, surtout des serveurs, qui mangeaient. Il préférait manger là, car il pouvait au moins voir les autres travailler et parler avec les commis et les managers, qu’il connaissait un peu mieux que les serveurs.
C’est à cette heure-ci que Sarah entra dans le restaurant. Elle était étonnamment bien en avance. Elle fit alors le tour du restaurant pour dire bonjour à tout le monde, avant de s’asseoir en face de Jack.
« Mais qu’est-ce qu’elle fout ? pensa-t-il, il y a genre 5 serveurs de l’autre côté qu’elle connait mieux que moi, et elle vient m’emmerder alors que je bouffe. »
En réalité, Jack n’était pas si énervé que cela, il voulait seulement se le persuader pour ne pas paraitre « trop amoureux » en face de Sarah. Celle-ci lui piqua alors une tomate.
« Mais qu’est-ce que tu fous ? »
En réalité, Jack n’était pas si énervé que cela, il trouvait cela mignon, parce que c’était Sarah, évidemment, et celle-ci le devinait très bien. Elle se dirigea alors au bar pour prendre une grosse cuillère. Jack avait bien compris le plan : elle voulait lui voler de la soupe !
« - Est-ce que je peux te demander une faveur, Jack ? commença Sarah.
- Ouais, c’est bon, prends de la soupe. » répondit Jack d’un ton faussement sévère.
Les deux se partagèrent la soupe. Ce fut un moment bien agréable pour Jack, même s’il s’était du coup fait voler sa bouffe. Est-ce que ça en valait la peine ? Il ne le savait pas encore.
À partir de ce jour-là, Jack pensa jour et nuit à Sarah. Elle était si belle ! Cependant, le hasard faisait qu’ils ne travaillaient jamais en même temps, et ne se virent que deux fois en dix jours. Et il se n’ésait rien passé de spécial, surtout que Jack avait l’impression d’être surveillé par la manager. Il était un peu paranoïaque parfois.
Un beau jour de 19 août 2017, l’après-midi de nouveau, c’était donc l’heure creuse du restaurant, mais Jack avait tous les verres et couverts du service du midi à nettoyer, et d’autres trucs de commis à faire, genre nettoyer les toilettes.
« SERVICE ! »
Quand le chef gueulait « SERVICE ! », le commis devait monter à l’étage pour donner les plats au serveur, car la cuisine était un niveau en-dessous. À l’étage travaillait Sarah, et elle attendait « son meilleur commis français » comme elle disait, même si ça ne voulait rien dire. Elle interpella Jack :
« Tu veux partager une Pavlova avec moi ? »
La Pavlova était le dessert spécial du mois. C’était un excellent dessert avec de la meringue au-dessus, des tranches de pêche et de pomme, ainsi que du coulis de fruits rouges en-dessous, et Jack adorait les fruits. Il fut abasourdi par la proposition de Sarah et accepta sans hésiter une seconde.
Il apprit alors qu’elle avait gagné cette Pavlova car elle en avait fait le plus de ventes dans la semaine. Cela lui fit d’autant plus plaisir que Sarah partageait avec lui le fruit d’un dur labeur.
Partie 3 :
Le lendemain, Jack et Sarah partageaient les mêmes horaires : tous deux commençaient à 12h et terminaient à 22h. C’était une plutôt petite journée, étant donné qu’ils auraient deux heures de pause l’après-midi. Ils ne travailleraient donc que 8h. De plus, même emploi du temps oblige, Jack et Sarah auraient leurs pauses au même moment. Jack prévit alors d’en profiter pour partager un de ces instants romantiques en compagnie de sa bien-aimée autour d’une tarte au citron.
Finalement, après quatre petites heures de travail, les deux tourtereaux pouvaient commencer leurs pauses. Jack, commis, avait besoin d’un serveur ou d’une manager pour pouvoir prendre à manger. Il se tourna donc naturellement vers Sarah :
« - Sarah, tu peux me faire une faveur ?
Elle savait très bien ce qu’il voulait lui demander et posa son merveilleux index droit sur le côté de la machine, pour pouvoir faire une reconnaissance digitale, avant de demander :
- Poulet, frites et soupe ? »
Le personnel du restaurant n’avait pas beaucoup de choix concernant les plats qu’ils pouvaient commander. Mais c’était gratuit, alors ils n’allaient pas en plus se plaindre.
Jack hocha de la tête, remercia Sarah et s’installa dans la salle à l’arrière, car il y avait des clients aux tables à côté du bar. Là-bas, il y avait Cheriki (il n’avait aucune idée de comment cela s’écrivait), un des deux plongeurs, avec qui Jack s’entendait très bien. Il y avait aussi une autre personne qu’il n’avait jamais vu. C’était un ancien chef du restaurant, un Tunisien qui s’appelait Yassine.
Il avait déjà entendu ce nom. En effet, on lui avait déjà raconté qu’un chef prénommé Yassine était aussi tombé amoureux de Sarah dans le passé. À première vue, Jack comprenait pourquoi cet amour n’était pas réciproque : ce Yassine, qui avait facilement la trentaine, avait un air assez stupide, et son physique ne l’arrangeait guère. Mais il était probablement très sympathique et drôle.
Sarah arriva à la table et ne cacha pas sa joie de voir Yassine. Elle lui sauta dans les bras comme s’ils ne s’étaient pas vu depuis des lustres et commencèrent à discuter en arabe, et Cheriki se joignit à la conversation. Tout naturellement, Jack ne comprenait absolument rien et les regardait tout en souriant. Cela dura une bonne demi-heure, durant laquelle il en avait profité pour un peu étudié du mandarin, chose qu’il avait un peu abandonnée depuis que Sarah occupait la totalité de ses pensées.
Finalement, la conversation s’acheva en anglais, avec Yassine qui félicitait Sarah et lui disait qu’il était fier d’elle et « hyper content ». Jack était particulièrement effacé pendant tout ce temps, mais il avait carrément envie de disparaître dorénavant. Bien qu’abasourdi par la nouvelle, il se sentit plus stupide que malheureux pour le coup. Quelle raison aurait-il d’être malheureux, quand la personne qu’il aimait vivait ses plus beaux jours et connaitrait les joies du mariage ?
Cinq minutes plus tard, Cheriki et Yassine s’en allèrent, laissant les deux collègues seuls. Jack, ne sachant que dire, demanda bêtement :
« - Alors, tu vas te marier ?
- Oui, répondit nonchalamment Sarah.
- Ah, okay. »
Il n’avait aucun autre sujet de conversation, et puis Sarah était sur son smartphone, n’ayant visiblement pas envie de lui parler. La pause s’achevait dans dix minutes, mais Jack se leva quand même de la table pour se préparer :
« Allez, au boulot ! »
Elle ne lui répondit pas. Jack n’attendait pas spécialement de réponse de toute façon. Il la regarda une dernière fois et souffla du nez, pensant qu’il avait vraiment été stupide tout ce temps. En allant en cuisine pour recommencer son service, Jack apprit que ses deux collègues ne viendraient pas, ce qui signifiait qu’il devait faire le travail de trois personnes à lui seul.
« Ça me fera une bonne expérience », se dit-il.
Il travaillait mieux quand il était sous pression, de toute manière. Il fit un excellent service : la manager lui annonça qu’ils avaient fait 118 couverts. C’était un chiffre relativement impressionnant, et en particulier pour un seul commis à gérer. Ça lui aura fait oublier Sarah en plus pour quelques heures en plus.
Les jours suivants furent des plus productifs : Jack passait sa journée à alterner travail et études. Il ne perdait plus de temps à fantasmer et rêver de choses qu’il savait n’arriveraient jamais. La situation actuelle était dorénavant bien meilleure : il étudiait plus et travaillait bien mieux au restaurant. À partir de septembre, il serait serveur, seulement quatre mois après avoir commencé en tant que commis. On n’avait aucun soucis à se faire pour Jack.