CHAPITRE 78
Le fermier
C'était un homme normal, banal.
Fermier de profession, il était occupé à ramasser du foin qu'il envoyait dans son pick-up à l'aide de sa fourche. Cette habilité à jouer avec d'importantes masses de fourrage à longueur de journée était d'ailleurs impressionnante pour un homme d'âge et de physique moyens.
Mieux valait ne pas déranger ce gaillard.
Et c'est sans doute ce que découvriraient bien vite les deux jeunes hommes qui approchaient avec assurance, intriguant les grands oiseaux qui picoraient à même les vastes étendues du propriétaire des lieux. Les sourires mauvais dessinés sur le visages des deux intrus en disaient long sur la nature de leurs intentions. Et ils ne semblaient absolument pas inquiets à l'idée d'être repérés.
Il fallait dire que l'un d'eux portait un couteau particulièrement aiguisé dans sa main droite...
Et ils s'avançaient vers le fermier, qui avait bien remarqué l'agitation de ses oiseaux.
L'homme s'était aussitôt interrompu dans sa tâche et faisait face aux deux jeunes. Son regard déterminé sous son chapeau de paille fut suffisant pour légèrement estomper les sourires goguenards des indésirables.
– C'est une propriété privée ici, déclara-t-il de sa voix grave et menaçante.
Hors de mes terres !
– Tes terres ? répliqua son interlocuteur blond – celui qui portait le couteau.
Vieil homme, je crois que t'as pas bien compris dans quel monde on vit...
– Depuis l'avènement du nouveau roi, ajouta son brun d'ami dont le sourire s'élargit de nouveau,
y'a plus de flicaille ! Et les villes, c'est un beau bordel, tu sais ? Alors on s'est dit que ça serait bien si on te piquait ton terrain et tes poulets un moment.
– Je n'ai pas besoin de police pour me défendre de racailles dans votre genre. Vous voulez un toit et de la nourriture ? J'accepte, à condition que vous m'assistiez dans mes travaux. Et...
– Bordel ! s'énerva son interlocuteur armé.
T'as cru qu'on était venu jouer les pecnots à ton service ? On vit dans une nouvelle ère le vieux ! Les règles du roi...
– Qu'importent les désirs du démon ! coupa le fermier en haussant la voix.
Acceptez mon offre ou quittez les lieux !
– Je t'avais dit que ce genre de vieux cons étaient prêts à mourir pour leur coin paumé, grommela le brun à son acolyte.
– On voulait pas en arriver là, fit ce dernier en levant son couteau.
Le fermier arma sa fourche, prêt au combat.
– Fais pas l'con ! s'exclama le brun qui se décala.
Tu crois que ton outil de campagne va suffire contre nous ?Il s'abaissa et lui jeta un mélange de terre et de paille dans le visage.
Momentanément aveuglé, le fermier se frotta les yeux de sa main libre. Le jeune au couteau profita de cette inattention pour se jeter sur lui. Son visage dévoilait sa farouche volonté de tuer quand il se rua sur le corps du pauvre homme.
Mais un violent coup lui bloqua la respiration et le plaqua au sol. Il venait de se prendre le manche de la fourche de celui qu'il agressait. Qu'il s'agît de chance ou d'une forme d'ultra instinct, le fait était que le fermier avait tapé juste.
La force de l'impact lui avait cependant fait perdre sa fourche et l'homme retrouvait à peine la vue qu'il voyait l'autre jeune armer son poing. Saisi d'un intense mal de dos, le fermier se plia sous la douleur, évitant la droite qui tapa dans le vide.
Profitant de l'ouverture inespérée qui s'offrait à lui, il se jeta de toute sa masse contre son agresseur qu'il plaqua violemment au sol. Surpris et partiellement écrasé, l'autre se releva plus lentement en même temps que son acolyte et tous deux se jetèrent en direction du fermier.
Celui-ci parvint toutefois de justesse à atteindre sa voiture dans laquelle il s'empara d'un fusil qu'il pointa en direction de ses agresseurs.
– ÇA SUFFIT MAINTENANT ! tonna-t-il en les tenant en joug.
DÉGUERPISSEZ !Il tira un coup en l'air, ôtant tout doute de bluff ou d'arme factice.
Les deux jeunes reculèrent d'un pas en levant les mains, tremblants et paniqués, puis tournèrent les talons et s'enfuirent à la vitesse maximale autorisée par leurs jambes affaiblies.
– ET CE NE SONT PAS DES POULETS ! hurla le fermier victorieux à leur adresse.
CE SONT DES PHATHIONIDAE !Épuisé par son combat, il s'accorda une brève pause, appuyé contre son véhicule. Après avoir sorti une paire de lunettes de Soleil pour mieux observer ses terres qu'il avait vaillamment défendues, il se paya même le luxe de s'allumer un cigare.
Et un sourire empli de fierté de dessina sur son visage.
Personne ne s'attaquait à ses terres sans conséquences.
À peine son cigare terminé, l'homme regarda une dernière fois ses terres, prêt à se remettre au travail.
Mais quelque chose n'était pas normal. Les cieux se moquaient-ils de lui ?
Il retira ses lunettes de Soleil pour mieux constater la forme noire qui traversait le ciel azuréen...
– Eh ?! s'exclama-t-il, envahi par la surprise.
Il remarqua que cet objet atterrissait lentement.
– Qu... ?! bégaya-t-il en réalisant qu'il allait se poser sur ses terres.
HAAA !Et l'engin finit sa course sur l'herbe fraîche du champ.
– C'est un OVNI ! s'exclama le fermier, terrifié.
En tout cas, ce n'était assurément pas un météore, étant donnée l'étonnante douceur avec laquelle il s'était posé sur son champ. Même ses Phathionidae n'en semblaient guère perturbés...
Malgré la peur, le courageux fermier n'hésita pas et se jeta dans son pick-up qu'il démarra.
– Je dois voir !Tandis qu'il approchait, il remarquait se dessiner la forme en pointe d'un vaisseau d'un noir de jais qui contrastait fortement avec la nature. Il poursuivit cependant sa route jusqu'à s'arrêter à quelques dizaines de mètres du vaisseau. Puis il sortit de son véhicule, armé de son fusil, et s'approcha de quelques pas timides.
La porte du vaisseau s'ouvrit alors légèrement, et une silhouette en bondit pour atterrir sur le sol herbeux du champ.
– Enfin de l'air ! s'exclama le nouvel arrivant en s'étirant.
On était obligé de rester aussi longtemps dans l'espace ?Il se jeta à même le sol en se transformant à moitié en une flaque d'eau, sous le regard stupéfait du fermier.
– C'était le souhait du maître, répliqua alors une autre voix qui fit sursauter le propriétaire des lieux.
Il n'avait même pas remarqué qu'un adolescent aux cheveux roux se tenait à présent aux côtés du premier arrivé. Il réalisa avec surprise qu'un de ses Phathionidae – le plus proche – se dirigeait dans sa direction sans aucune peur.
Le rouquin caressa l'oiseau, le regard perdu dans le vague.
Le fermier tourna alors son regard en direction du vaisseau et remarqua qu'une série de marches séparait son ouverture de la terre ferme, et sur laquelle trois autres jeunes descendaient calmement.
Il fronça les sourcils.
Ils avaient tous l'air plutôt humains, avec toutefois quelques caractéristiques surprenantes et un style vestimentaire totalement inconnu. Peut-être venaient-ils simplement d'un autre région...
Partiellement rassuré, le fermier ne put que s'en vouloir de s'être ainsi laissé guider par la peur.
Mais ce sentiment refit brutalement surface – avec une intensité accrue – lorsque ses yeux croisèrent ceux qui brillaient dans l'ombre du vaisseau...
Cette seule vue n'avait rien de naturel ou de terrestre ; il en était sûr. Ses poils se hérissèrent sur sa nuque tandis que descendait le dernier envahisseur. Figé par la peur, le fermier le regardait progresser, marche après marche, avec une souplesse telle qu'il semblait aussi léger que l'air...
Il retrouva ses esprits au moment où le terrible mage-ninja posait pied à terre.
Au même moment, l'oiseau qui s'était laissé caresser se sauva, comme si ses sens percevaient un grand danger. C'était sans doute cela, le malaise profond que ressentait le propriétaire des lieux.
Mais il ne pouvait se résoudre à simplement fuir. Il s'était trop éloigné de sa voiture.
Et après tout, comme il l'avait prouvé plus tôt, personne ne s'attaquait à ses terres sans conséquences...
Et tandis que l'être inquiétant au regard reptilien s'avançait lentement vers lui, le fermier pointa son fusil dans sa direction.
– ST-STOP ! bafouilla-t-il.
À sa grande surprise, le mystérieux individu marqua un temps d'arrêt.
– Qui êtes-vous ? interrogea alors le fermier.
– Qui je suis ?
– Maître, murmura à ses côtés un adolescent aux cheveux blancs.
Ne vous abaissez pas à ce faible...
– Penser ainsi est ton erreur, Kimimaro, répliqua froidement l'interpellé avant de retourner son regard si terrifiant vers le fermier qui tremblait tellement que le seul fait de maintenir son arme s'apparentait à un effort surhumain.
Tu peux m’appeler Ororef.
* Ah... pensa Suigetsu,
finalement il s'est donné un nom... *
– Et quel est ton nom ? reprit Ororef.
L'autre resta bouche-bée, incapable de répondre dans l'immédiat.
– Nick ? murmura alors son interlocuteur tandis qu'un sourire se dessinait sur son visage.
Mais le fermier n'avait pas prononcé mot. Et Ororef avait pourtant deviné son nom.
– Eh bien, Nick... fit alors le mage-ninja en s'avançant de nouveau.
– Restez loin ! parvint alors à prononcer son interlocuteur en serrant les dents.
Je vous préviens !Mais cette fois-ci, Ororef l'ignora et s'avança à distance bien trop proche pour le fermier qui ferma les yeux et – pour la première fois de sa vie – ne se contenta pas de menacer avec son arme.
Il tira.
Le coup de feu fit fuir les oiseaux encore un peu proches.
Rouvrant les paupières, le fermier constata avec horreur que les cheveux de l'individu face à lui s'étaient animés. Semblables à des serpents de fumée noire, ils s'agitaient autour de sa face en lui donnant une apparence déraisonnablement terrifiante.
Pétrifié sur place, le fermier réalisa que l'un des reptiles tenait en sa gueule la balle de son arme qui sembla prendre la même texture avant de s'évaporer.
– AAAH ! hurla le pauvre homme en reculant, impuissant.
NOOON !
– Tu as peur de mourir ? murmura avec perspicacité le sinistre mage-ninja.
N'aie crainte. Les ambitions que j'ai te concernant dépassent de loin ce concept...***
Haut, très haut dans le ciel, le palais de celui qui veillait sur ce monde était une nouvelle fois animé d'intenses combats. À Krilin et Tenshinhan s'étaient depuis joints Yamcha et Chaozu, eux aussi venus se renforcer suite au discours du démon, quelques jours auparavant.
En dépit des incroyables danses aériennes qui animaient les cieux, ce n'était toutefois pas dans leur direction que se posait le regard du protecteur du monde.
Le vieil être observait le sol, des kilomètres plus bas, des lieues plus loin. Il venait d'assister en direct à ce surprenant échange entre le mystérieux envahisseur et le banal fermier.
Tel une sentinelle, il tentait d'analyser cet obscure opération. L'énergie sombre de l'inconnu n'avait rien de commun avec ce qu'il connaissait. Ses sens devaient le tromper, au moins partiellement, du fait de son grand âge... Mais tout lui indiquait néanmoins que l'inividu représentait une menace indescriptible.
Ce n'était cependant vraiment pas le moment, avec les temps particulièrement sombres instaurés par Piccolo. À bien y réfléchir, l'ère actuelle était bien la pire qu'eût connu ce monde depuis plusieurs siècles, du temps du Daimao...
À peine Kami s'évadait-il dans de sombres pensées qu'il fut brutalement ramené à la réalité par un détail totalement inattendu. L’œil en forme de fente du mystérieux individu avait changé de direction.
Il le fixait, lui, Kami.
Cela n'avait duré qu'une fraction de seconde, mais le corps du gardien de ce monde se recouvrit de sueur tandis qu'il effectuait quelques pas de surprise en arrière, s'appuyant sur sa canne.
– Kami-sama ? s'inquiéta son associé qui se précipita vers lui.
– Imp... Impossible...Mais il n'ajouta rien de suite, trop occupé à jeter un nouveau coup d’œil en direction de la terre ferme. Il retrouva le sinistre individu, dont le regard n'était toutefois plus tourné dans sa direction.
Il s'agissait peut-être d'un simple hasard...
Néanmoins, le cœur battant de l'auto-proclamé dieu ne cessait de lui rappeler le bref et intense sentiment de terreur qui l'avait traversé.
– Je vais bien, Popo, fit alors Kami d'un ton rassurant.
* Quel dessein sert cet être maléfique... ? ****
– On s'en va, annonça alors Ororef dans un murmure amusé qui fut toutefois perçut comme un ordre direct par tous ses associés.
* Déjà ? s'étonna Suigetsu.
*
– Retour en orbite ! s'exclama depuis le vaisseau l'oiseau humanoïde.
Une fois tout le monde à l'intérieur et son sas refermé, l'engin décolla gracieusement avant de disparaître dans les cieux, ne laissant derrière lui que le fermier.
C'était un homme normal, banal.
Mais ça, c'était avant.