par Lalilalo le Jeu Avr 22, 2021 17:38
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L'analyse des juges d'appel dans le dossier Sandra MULLER ci-dessous.
L'arrêt est anonymisé.
A B = Eric BRION.
Y Z = Sandra MULLER.
La société ABSM est l'éditrice du compte Twitter.
F G = Harvey WEINSTEIN.
"A B fait en particulier valoir que sa vie a été détruite pour quelques mots grossiers, prononcés cinq ans avant le tweet vengeur, lesquels ne sont même pas ceux dénoncés faussement par Y Z, et pour lesquels il s’était excusé dès le lendemain matin par SMS, que si dénoncer des comportements sexistes sur les réseaux sociaux peut être utile pour bousculer les consciences, comme le mouvement Me Too, appeler à la délation nominative sur Twitter, c’est gravement critiquable et le faire de mauvaise foi, comme en l’espèce, c’est attenter à la cause de toutes les femmes. Il prétend que dans le contexte des tweets appelant au témoignage des personnes ayant subi un harcèlement sexuel au travail, Y Z l’accuse d’avoir eu un tel comportement à son égard, et lui impute la commission d’une grave infraction pénale ou, à tout le moins, d’un comportement moralement répréhensible.
Les appelantes principales soutiennent notamment à cet égard que Y Z n’a en aucun cas imputé à A B le délit de harcèlement sexuel, mais qu’elle s’est bornée à dénoncer aux mots près des propos déplacés, à connotation sexuelle, tenus à son égard et que l’emploi du mot 'harcèlement’ ne l’était qu’au sens commun du terme, en montrant le caractère systématique de ce genre de comportement envers les femmes dans le cadre d’un débat public et général, et en agissant également comme lanceuse d’alerte.
En l’occurrence, il appartient à la cour de tenir compte du contexte d’actualité relaté dans la presse et
également de la chronologie des nombreux tweets postés par Y Z sur le compte @LettreAudio -d’autant que chacun des messages publiés sur ce support ne peut comporter qu’un nombre de caractères limités-, afin de déterminer comment l’internaute moyen est amené à comprendre le sens du tweet incriminé et quelle imputation diffamatoire peut être contenue dans les propos poursuivis.
A cet égard, il y a lieu de constater que :
— Y Z fait manifestement allusion à l’affaire G qu’elle évoque elle-même dans d’autres tweets ;
— les conseils de la société ABSM et de Y Z font à juste titre valoir qu’avant de faire état de 'harcèlement sexuel', cette dernière avait tweeté 1 h 30 plus tôt : 'Et si nous Aussi on donnait les noms des prédateurs sexuels qui nous ont 1 : manqué de respect verbalement 2/ tenté des tripotages. Qui '' (certes sans ajouter le mot dièse #balancetonporc) ;
— elle crée ensuite le #balancetonporc en demandant de raconter un harcèlement sexuel connu 'dans ton boulot', puis environ 4 heures plus tard elle donne un exemple personnel en citant A B et la phrase qui lui est prêtée entre guillemets ;
— moins d’une heure après, elle écrit '95% des femmes qui dénoncent des violences perdent leur emploi. La peur doit changer de camp. #balancetonporc Pas de délation juste la vérité', en reprenant le tweet d’un autre internaute : 'Affaire G : effet boule de neige, les abus sexuels du quotidien dénoncés avec les hashtags #myharveyWeinstein #BeBrave #Balancetonporc'.
De ces éléments et du contexte litigieux, il résulte clairement qu’avec son hashtag #balancetonporc, Y Z, qui n’est pas juriste de profession, ne demande pas aux femmes de dénoncer seulement des faits de la gravité de ceux reprochés à F G par de nombreuses femmes, ni uniquement ceux qui seraient précisément constitutifs d’un harcèlement sexuel au travail au sens de l’article L.1153-1 du code du travail ou du délit de harcèlement sexuel, prévu et réprimé par l’article 222-33 du code pénal (d’autant que la définition de ce délit a évolué, l’ancien texte ayant été abrogé à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel du 4 mai 2012, pour être remplacé par une nouvelle définition plus précise et restrictive avec la loi du 6 août 2012), et ce, même si elle reproduit ces textes dans son livre publié ultérieurement.
En effet, elle mentionne également le manque de respect verbal et la tentative de 'tripotage’ parmi les faits à dénoncer, et confirme la portée de son hashtag en utilisant aussi le terme de 'violences' en lien avec 'les abus sexuels du quotidien', de sorte que les internautes sont à même de comprendre que le #balancetonporc vise à dénoncer le harcèlement sexuel au sens général et commun, dans un cadre professionnel mais sans nécessité d’un lien de subordination, à savoir tous les comportements à connotation sexuelle, par paroles ou actes, non consentis et de nature à porter atteinte à la dignité des femmes.
C’est donc ce fait que Y Z impute à A B, désigné par ses prénom et nom, ainsi que par son ancienne fonction dans le tweet poursuivi ' 'Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit’ A B ex patron de Equidia #balancetonporc'. Il s’agit d’un fait précis pouvant faire l’objet d’un débat sur la preuve de sa vérité, d’autant plus que la phrase prêtée à A B est reproduite dans le message. Dans le contexte en cause, le lecteur des tweets comprend que Y Z 'balance' A B comme 'porc' pour lui avoir tenu ces seuls propos reproduits dans le tweet incriminé et que celui-ci, seul poursuivi, ne lui impute aucun autre fait qui aurait pu être commis par ailleurs sur Y Z ou sur d’autres femmes. Ce fait de harcèlement sexuel au sens commun est attentatoire à l’honneur ou à la considération, même s’il n’est pas forcément pénalement répréhensible (le propos prêté à A B n’étant pas pénalement réprimé à la date du tweet), mais dans la mesure où il est contraire aux règles morales communément admises dans la société française actuelle.
[…]
Si les juridictions ne doivent pas cautionner les débordements qui peuvent survenir sur les réseaux sociaux, elles ne peuvent statuer que sur les faits qui leur sont soumis. Même si A B a pu souffrir d’être le premier homme dénoncé sous le #balancetonporc, le bénéfice de la bonne foi doit être reconnu à Y Z, dès lors que son tweet ' 'Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit.' A B ex patron de Equidia #balancetonporc' ne contenait pas l’imputation d’avoir commis un délit pénal et qu’il a été publié dans le cadre d’un débat d’intérêt général sur la libération de la parole des femmes, avec une base factuelle suffisante quant à la teneur des propos attribués à A B.
Dans de telles conditions, le prononcé d’une condamnation, même seulement civile, porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et serait de nature à emporter un effet dissuasif pour l’exercice de cette liberté".
C'est en voyant un moustique se poser sur ses testicules qu'on réalise qu'on ne peut pas régler tous les problèmes par la violence.