J'écoute
Running up that hill au moins trente-six fois par jour... Cette scène est vraiment extraordinaire : elle a tout. D'abord, un personnage en situation de totale faiblesse : une enfant sans défense face un monstre qui a l'air adulte et qui l'est bel et bien ; monstre qui, à ce stade de l'histoire, a tué sans faillir et sans montrer de point faible. Ensuite, un danger à la fois physique (la mort) et mental : non seulement l'horreur du surnaturel, mais aussi les démons intérieurs qui nous rongent et qui font le jeu du démon extérieur. Ce n'est pas vraiment dit tel quel, mais l'enjeu est de perdre son âme et de sombrer à jamais. Et au moment où tout semble perdu, le salut : les amis, qui sans se démonter ont tous fait de leur mieux. Le pouvoir de l'amitié qui triomphe des forces du mal, et c'est même pas gnangnan ! Et ce ne sont pas eux qui la sauvent bêtement : tous leurs efforts combinés ne font que lui donner une chance. Ils lui renvoient une vision positive d'elle-même, opposée à la vision déformée que lui imposait Vecna. Au final, c'est Max qui choisit : c'est elle qui se ressaisit, elle qui finit par juger que non, sa place n'est pas avec Vecna, mais avec sa bande. Elle qui choisit de les écouter eux plutôt que son persécuteur, d'espérer plutôt que de désespérer, de tenter de vivre plutôt que de se morfondre.
Il y a un passage assez similaire dans
Le Seigneur des Anneaux (le livre) : à la fin de
La Communauté de l'Anneau, Frodo, qui a passé l'Anneau à son doigt pour échapper à Boromir, se trouve en danger d'être repéré par Sauron, et son réflexe est de se recroqueviller. À ce moment, une "voix" (en fait, celle de Gandalf) s'élève dans son esprit et lui crie de retirer l'Anneau. Puis, pendant un instant, Frodo, "ni l'Œil ni la Voix" se retrouve simplement lui-même, libre de choisir - et il choisit de retirer l'Anneau.
D'ailleurs, Tolkien a créé un mot pour les passages de ce genre : l'eucatastrophe. Chez Tolkien, il n'y a pas de happy end. Mais le pire, que l'on pouvait croire inéluctable, est tout de même évité, ce qui procure un sentiment de soulagement chez le lecteur/spectateur.
Vecna de
Stranger Things se rapproche aussi pas mal de Ca de Stephen King : un monstre qui se "nourrit" de la terreur des enfants, qu'il suscite lui-même en partie, mais qu'il va en réalité chercher au plus profond d'eux-mêmes afin de l'amplifier. Et quand il se trouve poussé dans ses derniers retranchements, le monstre joue son ultime carte : il prend l'apparence des membres de la famille des enfants. Dont le petit frère décédé d'un des héros, qui s'estime coupable de sa mort...
Et à propos de la musique, un commentaire YouTube que j'avais trouvé intéressant (comme quoi ça existe) :
I’ve been wondering why this particular song was Max’s favorite and now I get it. She wanted to swap places with Billy. She would’ve rather died than see him dead in that moment and relive that experience over and over in her head. Honestly heartbreaking if you think about it.
“And if I only could
I’d make a deal with god
and get him to swap our places”
On peut voir cette scène comme une métaphore de quelqu'un qui parvient à surmonter le deuil pathologique, la dépression, et le sentiment de culpabilité qui en découle.