Le chapitre suivant continue un peu sur les problématiques que tu as soulevées.
Bonne lecture à tous.
Chapitre 135: Il n'y a pas de vie heureuse 1/2
Planète Ice 183
Elle ouvrit lentement les yeux. La lumière matinale était filtrée avec douceur par la paroi, baignant sa chambre d'une atmosphère irréelle...
Elle se leva d'un coup, comme un ressort. Et c'est comme un automate qu'elle se prépara pour ce jour fatidique, quittant sa pièce de nuit pour les autres lieux de sa demeure.
Encore un jour encore un combat. Son dernier.
Une voix la fit sortir de sa non-pensée.
-Nidji...
Pfiouuu... Ça l'exaspérait quand il se pointait comme ça chez elle.
Ses apparitions inopinées avaient failli mettre un terme prématuré à leur collaboration.
Mais il ne l'avais pas compromise, ce qu'il aurait pu faire aisément avec de telles facultés de dissimulation.
Le séjour était encore dans la pénombre. Trop éloigné des baies extérieures, le couloir restait sombre sans un éclairage conséquent. C'était là qu'il se tenait, à n'en point douter.
-Tu dois réussir, tu ne dois pas flancher. Rappelle-toi pour quoi tu te bas.
-...
-Aujourd'hui sera l'avènement de la juste et sainte rév...
-Pas de blabla avec moi Dok'r. Tu me prends encore pour une de ces stupides fanatiques ? Je connais les tenants et les aboutissants de mes actions, lui répondit-elle d'une voix forte.
Voix qui contrastait avec son corps tout entier, qu'elle ne pouvait s’empêcher de sentir frissonner.
Dok'r garda le silence. Avant de déclarer avec une étonnante franchise de sa part :
-Les plus courageuses ne sont pas celles qui n'ont pas peur,
Car les plus anxieuses accomplissant leur devoir, celles là sont les vraies héroïnes.
La belohnienne et son invisible interlocuteur laissèrent les dernières sonorités de la sentence en suspens, comme pour mieux s'imprégner de leur force intemporelle.
La voix perdit une partie de son mystère quand deux fines mains velues émergèrent de la pénombre.
Des mains qui tenaient deux coupes de cristal de Dévéria remplies, l'une d'une liqueur à la couleur chaude, l'autre d'une substance à l'aspect plus métallique.
Nidji s'approcha et prit la coupe orangée avec ses mains avant de la porter à son bec. Elle n'avait pas la chance d'avoir des doigts aussi longs, agiles et solides que Dok'r. Le premier breuvage était, comme suggéré par son aspect, agréable et fruité. Cela fut aussi vrai pour le second calice, que son amertume ne l’empêcha pas de boire jusqu’à la lie.
La main poilue la débarrassa de son « fardeau » alors qu'elle attendait une suite qui ne venait pas.
-Et le reste ? fit-elle en face des ténèbres où se tapissait probablement le visage de Dok'r.
-Il vous sera donné au moment adéquat, ne vous en faites pas. Par contre vous aurez besoin de ce détecteur pour déclencher l'activation.
Elle effleura la main chaude en prenant et fixant l'appareil à son oreille gauche.
Doksos marqua une légère pause avant de conclure.
-Si tout se passe comme prévu, c'est la dernière fois que nous nous voyons, Nidji...
Ce fut un honneur.
-...On se reverra au teklné'koss. Je doute que vous puissiez finir autre part.
Les secondes s’égrenèrent sans que le livrain ne réponde.
Un infime mouvement d'air en provenance de fond du couloir... Nidji sut que Doksos avait pris congé, repartant comme il était arrivé. Sans bruit. Goujat jusqu'à la fin, même s'il avait fait l’effort de la saluer.
Nidji retourna dans sa chambre et termina de revêtir son armure de fonction ainsi que sa cape.
Elle avait un peu de mal avec les nouveaux modèles, aux angles plus acérés. Les couleurs dominantes, blanc, brun et gris n'avaient pas changé au moins.
Elle se rendit sur sa plate forme et hésita à se rendre au central par ses propres moyens, pour sentir une dernière fois la ville et sa rumeur. Elle se ravisa et se dirigea vers son planeur de service.
Mieux valait ne pas changer ses bonnes vieilles habitudes.
Le vaisseau de poche s'envola rapidement. La ville défilait sans qu'elle s'en aperçoive réellement, perdue qu'elle était dans ses pensées. Des gardes mobiles flottants, en nombre bien plus important qu'en temps ordinaires, quadrillaient la cité à la pulsation enflée.
Nidji scruta son propre reflet, nettement visible sur la glace courbée du pod.
Sa tête brune semblait garder des traces de sa période juvénile, terminée il y avait bien des années de cela. Sa carapace crânienne luisait encore comme celle d'une jeune fille à peine entrée dans l'âge adulte. Les yeux verts intense qui se fixaient se détournèrent brusquement.
Il était loin le temps de Cooler 33, planète sur laquelle elle avait fait ses premières armes dans la sécurité planétaire. Qui aurait pu croire à l'époque que ça la mènerait aussi loin ?
Certainement pas elle dans sa jeunesse, dépitée qu'elle fût à cette époque de n'avoir pu intégrer l'armée régulière de la seigneuresse Cooler. Les potentiels insuffisants pour rejoindre les forces armées des Colds ne pouvaient accéder qu'aux forces de police et de maintien de l'ordre public des mondes déjà occupés et colonisés. C'était là la voie toute tracée de traitement des rebuts impériaux, risée de la véritable armée.
La jeune belohnienne qu'elle était à l'époque avait maudit son infériorité congénitale ainsi que son échec personnel à améliorer ses performances. Les forces territoriales de Cooler 33 étaient vouées à devenir la benne dans laquelle le sous-déchet qu'elle était moisirait avant de disparaître de cet Univers.
L'âge et l’expérience aidant, la moins jeune agent de la paix fut secouée par l'annonce de la défaite de la seigneuresse Freezer, la sœur de sa « leader bien aimée ». Puis l'impensable était advenu, avec la disparition définitive des trois seigneuresses de l'Univers et la guerre civile qui s'ensuivit.
Guerre qui fit voler en éclat et décima la soi-disant « invincible armada ».
La capitaine de secteur vit avec perplexité et inquiétude , mais aussi avec une pointe de soulagement, le plus puissants corps d'élites se faire tailler en pièces de toutes parts. Elle avait beau avoir eu plus de temps pour « mûrir », améliorer grandement sa force de combat et ses capacités martiales au contact de toute la racaille planétaire, elle aurait difficilement survécu à tout ce déferlement de batailles puis de terrorisme nihiliste.
La restauration de l'Empereur Bojack, aventurier qui avait accomplit l'exploit de réunifier les anciens territoires des Colds, fut de courte durée.
L'expérimentée commandante des forces de sécurité du troisième district d'Ice 14 assista, impuissante, à la destruction de sa planète natale. Destruction à laquelle elle ne réchappa que de justesse. Pas tout ce qu'elle avait construis là-bas. Pas celles qui comptaient le plus pour elle.
Pas la mission dont elle avait la charge, dont elle s'était investi au fil du passage des années : maintenir l'ordre et la sûreté publique...
L’atterrissage du pod sur le toit du central la sortit de ses ruminations. La portière s'ouvrit et acheva de lui faire prendre pleinement conscience de l’effervescence imprégnant la cité.
Les holos géants, projetés par tous les immeubles du secteur, saturaient sa vision proche et lointaine. Les annonces des Galactic Games, avec force images et sons, étaient impossibles à éviter.
Une plantonne en faction la salua d'un hochement de ses doubles têtes. Elle lui répondit en le dépassant rapidement, pénétrant dans le sas qui la coupa avec ravissement de l'agitation extérieure. L'ascenseur l’amena à son étage, lui aussi siège d'une activité frénétique, celle de ses subordonnées.
-Commandante Nidji !
-Bonjour Foïs.
-Commandante Nidji, nous vous attendions.
-Foïs, toutes les invitées sont là ?
-Le gouverneur La'hèrr est en chemin, tous les autres sont présents.
-Bien. Prévenez-moi quand il arrive.
-Oui commandante.
Nidji croisa des apôtres de la révélation, ainsi que les infortunées « modifiées », en nombre plus important que d'habitude. Les fanatiques mériteraient leur sort. Mais les autres, celles qui tentaient de s'en sortir comme elle. Et les lavées du cerveau... Tant pis... Malheureusement pour elles, la Galaxie étaient plus importante...
La belohnienne consulta rapidement les événements liés au préparatifs de la réception des jeunes seigneuresses. Elle donna quelques ordres à ses assistantes pour terminer ce qui ne l'était pas encore. Tout dans son comportement devait démontrer la normalité d'une fonctionnaire terrorisée par la venue des mains de la Guide Suprême.
La jeune maîtresse Mesh, accompagnée de quelques une de ses sœurs, devait visiter Ice 183 aujourd'hui. Pour superviser les préparatifs finaux avant la phase éliminatoire du Secteur, qui allait avoir lieu ici-même. Les plus hautes autorités du monde et de la capitale, dont elle faisait partie, allaient devoir les accueillir pour préparer au mieux l’événement.
Un événement qui allait voir la venue de la Guide très bientôt.
Un événement qui condamnerait ce monde si les « performances » de ses participantes n'étaient pas jugées suffisantes.
Un appel retenti de son terminal.
-Nidji, j'écoute.
-Commandante Nidji, le gouverneur et le général sont là. La navette du seigneur Mesh devrait atterrir sous peu.
-Très bien, dîtes leur que j'arrive. Nous partirons dans la foulée, préparez les pods.
La dernière ligne droite.
Elle se leva et quitta son bureau. Elle jeta un dernier coup d’œil nostalgique avant que la porte ne coulisse et se ferme. Elle aurait bien voulu remonter le temps et dire à son jeune moi qu'elle avait quand même « réussi ». Au prix de son âme ? Probablement. Mais il était temps de rectifier cela.
La belohnienne traversa tranquillement « la ruche », comme toutes celles et ceux qui travaillaient ici l'appelaient. Elle fut de nouveau sur les sections hautes du bâtiment, réservées aux pods les plus luxueux. Les autres huiles l'attendaient là. Il y avait La'hèrr, gouverneur planétaire plus insubmersible que douillet. À se demander comment il avait survécu jusqu'à maintenant.
Le général Gelk, responsable de la garnison planétaire, se tenait droit dans son plastron de cérémonie. Le trio était complété par l'officier en charge des renseignements planétaire. Ixoss porta sa main à son museau quand il la vit approcher. Chacun d'entre eux était accompagné de leurs secondes ou assistantes, mais elle n'avait jamais pris le temps ni la peine de retenir leurs noms. C'était un peu tard pour le faire.
-Gouverneur La'hèrr , Général Gelk, Monsieur Ixoss.
-Commandante Nidji, la salua le gouverneur, le seul qu'elle n'avait pas encore vu.
-Le vaisseau de la maîtresse Mesh est proche. Je vous propose de nous rendre de ce pas au spatioport pour l’accueillir elle et sa suite. Après vous, déclara-t-elle en invitant la petite assemblée à la suivre et à pénétrer dans leur transport.
Le pod, sorte de cigare doré effilé, accueillit sans problèmes la petite troupes qu'elles étaient.
Il décolla silencieusement et fila vers le spatioport accompagné de deux autres appareils du même type.
-J'ignorais que les forces territoriales disposaient d'embarcations aussi confortables commandante, remarqua le gouverneur grassouillet, maintenant confortablement installé.
Le siège qu'il semblait tant apprécier terminait de s'ajuster à la morphologie fluide du pasrono au corps ovoïde et aux tentacules graciles.
Elle se serait sentie offusquée en d'autres temps. Il les prenait pour qui, les dernières ailes du vaisseau ? C'était fini cette époque-là. En même temps, elle avait cessé de faire attention à l'aisance qui l’entourait, c'était devenu normal, presque un dû.
Aujourd'hui, ce genre de considérations matérielles lui paissait franchement par dessus la tête.
Non pas que ce ne soit pas important. Le conditions matérielles d’existence déterminaient grandement la place qu'on avait dans une société, ainsi que la vision du monde qu'on développait ou les intérêts qu'on défendait. Tout le monde savait aussi l'importance de la qualité et de la quantité des repas chez les êtres soumis, dans leurs fonctions, à une probabilité plus élevée de mort violente.
Son moi plus jeune aurait été ébahie par ses actuelles conditions plus que correctes d’existence, par son ascension sociale, par son embourgeoisement même. Étonnant, la facilité avec laquelle on s'habituait à des nouvelles situations, qu'on tenait rapidement pour acquises...
Elle avait survécu avec peine à la destruction d'Ice 14, errant quelques temps sans but dans un Espace sans dessus-dessous. Avec les flots de réfugiées planétaires qui fuyaient d'étoiles en étoiles, de mondes en mondes, de lunes en astéroïdes, acceptées parfois, rejetées souvent. Des milliards avaient péries, ne pouvant assurer de quoi subvenir à leurs besoins de base, ou perdus dans l'espace à jamais, dans des vaisseaux spatiaux délabrés, rackettés par des mafieuses sans scrupules qui les entassaient dans de véritables cercueils flottants se désagrégeant à la moindre secousse.
Elle même n'avait pas été des plus à plaindre malgré son unique repas tous les deux jours au plus fort de la crise. Puis elle avait fait ce qu'elle avait appris à faire : rétablir l'ordre et la sûreté dans ces camps et sur ces vaisseaux de la honte.
Le retour au plus haut niveau fut encore plus rapide que sa première ascension.
Son moi plus jeune aurait vomi de dégoût, de mépris aussi probablement, mais les chamboulements et les disparitions étaient des opportunités pour les survivantes. L'opportunité de voir sa carrière progresser plus encore quand elle retrouva ses anciennes amies, collègues et camarades éparpillées un peu partout dans l'Espace.
L'intégration des forces désorganisées de maintien de l'ordre de l'Empire lui permis de s'imposer sur un monde qu'elle jugea sûre à l'époque, enfin, pas trop chamboulé. En tant que commandante planétaire, pouvant discuter presque d'égale à égale avec une gouverneure mondial. Pour y rétablir l'ordre, la paix et la sûreté civile, comme elle savait si bien le faire maintenant. Puis les restes de l'Empire avaient été absorbés par le « Domaine » de Cell, leur « Guide Suprême ».
La vainqueur de Bojack. La destructrice d'Ice 14. L'exterminatrice de tout ce qu'elle avait de plus précieux.
-Commandante Nidji...
Les dirigeantes de l'Empire, s'étaient trop rapidement succédées ces dix dernières années.
Les empereurs, les rois, les guides allaient et venaient. Eux resteraient. C'est ce que tout le monde croyait quand Cell s'était imposée à le tête du chaos. Croyance balayée après l'annonce des « Galactic Games ».
Rétablir l'ordre ? Assurer la paix civile ? Pour sagement attendre de se faire amener à l'abattoir ?
Elle n'était pas née de la dernière neige, ni les Colds ni Bojack n'étaient des parangons de vertu. Leur colère avait été terrible parfois, mais les mondes qui reconnaissaient leur autorité étaient protégés au moins.
Combien de temps encore aurait-elle pu continuer à vivre comme cela ?
Combien de temps encore aurait-elle pu continuer à maintenir une « sécurité » à laquelle elle-même ne croyait plus vraiment ?
Combien de temps encore aurait-elle pu continuer à évoluer dans un système aux contradictions si béantes qu'elle ne le supportait plus du tout ?
Sa vie, elle ressemblait à ces soldates sans armes, qu'on avait habillées pour un autre destin.
À quoi pouvait servir de se lever le matin. Pour se retrouver au soir désœuvrée incertaine ?
Maudire ses maux, sa vie, et retenir sa rage ?
-Commandante Nidji ?
Ce satané pasrono ne pouvait-il pas la laisser tranquille un moment ?!
-Les standards de confort des forces de sécurité sont les meilleurs possibles. Mes femmes n'ont pas à se soucier de basses considérations matérielles alors que nous leurs demandons de fournir le meilleur d'elles-mêmes.
-Je ne mettais pas en doute votre professionnalisme ni celui de vos gens. Vous me sembliez vraiment préoccupée, commandante.
-Qui ne le serait pas ? L’accueil des jeunes maîtresse doit être parfait. Aucune erreur ne nous sera tolérée ni pardonnée, vous le savez aussi bien que moi gouverneur La'hèrr.
-Surtout si le seigneur Kawsak est du voyage.
-Pardon ? Kawsak la désaxée ? se retourna-t-elle vers le chef de la sécurité.
-Je me suis laissé dire qu'il ferait lui aussi partie de la délégation du seigneur Mesh. Rien d'officiel cependant.
Nidji s'en réjouit intimement. Elle avait beau être la plus faible des enfants de Cell, elle n'en n'était pas moins une des plus dangereuses. Les personnes qui avaient eu le malheur de la contrarier avaient été frappées d'une terrifiante malédiction. Quand elles ne disparaissaient pas purement et simplement. Ce serait un bon débarras.
-Raison de plus pour que tout soit parfait.
-Ne vous en faîtes pas, s'agita le gouverneur. Notre monde a le meilleur potentiel du secteur. Quant aux autres motifs de préoccupation, aucun trouble-fête ne viendra perturber notre bel accueil des seigneurs. Nous avons passé au peigne fin les milieux suspects habituels. Aucun terroriste ne pointera le bout de ses tentacules !
-Le présence probable du jeune maître Kawsak va liquéfier mêmes les plus déterminés, fu hu hu ! sourit dans sa barbe le maître espion.
Le gouverneur et lui eurent le temps de s'échanger quelques banalités avant qu'ils n'arrivent au spatioport. Elles le traversèrent rapidement pour atteindre le hall d’accueil des personnalités et y attendre l'arrivée des jeunes maîtresses, avec les responsables du spatioport. Le lieu était tout ce qu'il y avait de plus luxueusement banal : haie d'honneur d'officielles en tenue de cérémonie, rafraîchissements, buffets et musique d'ambiance passe-partout. La'hèrr et Ixoss s'assirent dans des sofas moelleux. Elle choisit de rester debout, devant la baie vitrée qui offrait un panoramique des pistes d'atterrissages, à observer le ballet gracieux des navettes et des vaisseaux.
-Hu-hum. Madame la commandante...
Nidji se tourna vers la majordome courbée qui lui tendait une coupe de liquide ambré à la main.
-Merci ma brave mais je n'ai pas soif.
-J'insiste. Sans cela...
La thendérienne releva la tête et la fixa droit dans les yeux.
Sa détermination et sa gravité ne lui laissèrent aucun doute.
-Merci, fit-elle en saisissant le verre et en l'avalant d'un trait.
Le breuvage, chaud, spiritueux et astringent, lui fit monter des larmes qu'elle refréna pendant que la servante s'éclipsait, comme il était de rigueur pour le petit personnel.
Ça y est. Le dernier fil de son destin était tissé.
Elle aurait vraisemblablement dis à son jeune moi que c'était normal d'être déçue, qu'il n'y avait pas de vie heureuse. C'était la canaille de tous les milieux, de tous les peuples et de toutes les factions qui lui avait appris cela. Car il n'y avait pas de vie qui ne soit douleur, il n'y avait pas de vie dont on ne sortait meurtrie. Mais c'était leur lot à toutes.
Un nombre indéterminé de minutes passa avant le prochain mouvement.
La chef du spatioport, une zkunta émacié, se dirigea vers elle
-Commandante Nidji, maître Mesh et sa délégation devraient atterrir d'ici cinq minutes tout au plus d'après les contrôleurs orbitaux. Nous pouvons dors et déjà nous diriger vers le tapis d'honneur.
Elle le suivit dans un état second, marchant à la suite de leur comité d’accueil comme une marionnette animée par une force indépendante de sa volonté. Ils débouchèrent sur l'aire d'atterrissage de la navette. Elle était agrémentée d'un tapis mauve aux bords duquel une haie d'honneur avait été formée. Le gouverneur, le chef des renseignement, la chef du spatioport, le général et elle se placèrent devant l'extrémité du tapis, qu'ils remonteraient derrière leur dirigeante quand elle serait là.
L'attente semblait s'étirer, et après ce qu'elle perçut comme une éternité, une petite étoile naquit dans le ciel lumineux de la planète. La faible lueur gagnât rapidement en intensité à mesure que sa forme se précisait. Celle d'une minuscule lentille qui grossissait trop rapidement.
Elle avait connu des galères et un départ difficile mais elle s'en était bien tirée finalement.
Que ce serait-il passé si les siens avaient survécu au désastre d'Ice 14 ?
Aurait-elle eu le même parcours ? Aurait-elle été prête à commettre l'irréversible ? Sûrement pas...
La vrombissement de la navette parvint à leur ouïe à tous, alors qu'elle occupait maintenant une portion notable du ciel.
Elle ne regrettait pas sa décision, seulement de s'être retenue trop longtemps dans sa vie.
Pour enfin être ce qu'elle aimait durant si peu de temps...
Le tonnerre hurlant de la soucoupe, stabilisée une cinquantaine de mètres au dessus de leur position, se déchaînait. Le vaisseau entama sa descente finale après une courte phase de vol stationnaire.
Le temps d'apprendre à vivre, il était déjà trop tard...
Les pattes d'atterrissage se déployèrent et touchèrent le revêtement gris avec leur « Klang » caractéristique. La « musique » des propulseurs passa progressivement de notes aiguës et sifflantes à des vibrations de plus en plus graves. Une dernière décompression de gaz marqua l'arrêt des moteurs. Puis la plate-forme d'embarquement s'abaissa lentement. Des ombres, qu'on distinguait imparfaitement dans le couloir intérieur du vaisseau, s'avancèrent.
Nidji et ses pairs se raidirent.
Les formes se dévoilèrent à plein jour. Ce n'étaient que de quelconques officiers, la commandante ne les avait jamais vu. Les quatre « gardes » s'envolèrent et complétèrent la haie d'honneur en s'agenouillant.
Puis Mesh apparut, suivie de ses jeunes sœurs, Hiwass et Kerber.
La haie d'honneur des guerriers d'Ice 183 s'agenouilla à son tour, comme elles toutes.
Nidji releva discrètement le regard vers les jeunes maîtresses.
Mesh, en plus de son élégant buste aux épaulettes qui suivaient la courbe naturelle de ses épaules, arborait une cape parfaitement ajustée à son gabarit. Ses jeunes sœurs ne portaient rien sur leurs corps naturellement renforcés aux points névralgiques, tel une armure de combat vivante.
Elles atterrirent à moins d'un mètre d'eux, une cour d'une dizaine de personnes à leurs basques en retrait.
Ixoss s'était trompé. La désaxée ne semblait pas présente.
Le gouverneur La'hèrr prit la parole en se levant mais en restant courbé, comme il se devait dans ce genre de situation. Elle n'écouta que d'une oreille, rompue à ce genre de protocole.
-Seigneur Mesh, seigneur Hiwass, seigneur Kerber, au nom du peuple d'Ice 183, je vous souhaite la bienvenue. Nous sommes très honorés de...
Ne pas flancher. Ne pas se trahir à la dernière minute malgré la boule au ventre et le début de malaise qui envahissait tout ses membres.
-Merci Gouverneur La'hèrr. Tout s'est bien passé. Je m'réjouis de pouvoir terminer les préparatifs avec vous...
La petite de Cell répondait d'une voix jeune, presque enfantine, pourtant pleine d'assurance.
Elles babilla encore quelques mots avant de reporter son attention vers Ixoss et elle.
À mon tour, pensa-t-elle.
Elle se releva et se rapprocha de plus près des terreurs de l'univers dans une attitude respectueuse. Elle constata au sourire froid de Mesh que cette dernière attendait qu'elle lui présente ses hommages. Les deux autres, exsudant une malice plus ou moins contenue, se délectaient avec ravissement de la situation. Elle obtempéra.
-Maîtresse Mesh, maîtresse Hiwass maîtresse Kerber, je suis là pour vous servir.
-Bien.... commandante Nidji, répondit la chef des jeunes terreurs.
Il allait s'interesser à Ixoss mais elle parla à nouveau, au grand dam de ce dernier et du gouverneur.
-Je n'ai pas fini, désolé Gouverneur. 34 45 acte.
Son détecteur bipa deux fois avant d'émettre un flash d'une puissance telle qu'il aveugla tout ceux présents pendant de longues secondes.
-Argh !
-Kyaa !!
-Gouh !!
L'harmonie dissonante des gémissements, auquel il avait apporté une« contribution » pas des plus modeste, se termina enfin.
-Shrik ! Gouverneur La'hèrr
-Quoi Ixoss !? glapit-il en terminant de se frotter les yeux.
La vue lui revint en même temps que la cause du haussement de voix furieux du maître espion :
les seigneurs Mesh, Hiwass et Kerber avaient disparus.
-Où-Où sont-ils ? Commandante Nidji, où...
Le gouverneur resta interdit. La commandante de la police planétaire avait disparu elle aussi.
-Ixoss ! Nidji...
-Oui j'ai vu. Il faut absolument les retrouver. Sinon...
Ixoss n'avait pas besoin de terminer sa phrase. S'ils ne remettaient pas rapidement la main sur les envoyés du Guide, nul besoin d'être voyant pour savoir le terrible sort qui les attendait tous...