Au premier plan, un bassin naturel vaguement circulaire où se déverse une cascade tranquille. Sur la surface, calme, un homme habillé de lin et coiffé d'un nón lá mène une barque, debout à l'arrière de son embarcation dans lequel il a placé des paquets blancs - sans qu'on puisse en dire plus depuis notre rive moussue jonchée de racines et de pierres cerclées de graminées. Le calme du lieu, en ce moment, contraste avec l'arrière plan qui raconte une toute autre histoire, révolue mais encore vivace : le bassin est encaissé entre deux coteaux et, dans la vaste vallée qui s'ouvre entre les deux, s'égrènent d'énormes troncs de pierre autour desquels s'enroulent des escaliers ; ces piliers s'abouchent à des plate-formes circulaires destinées à dieu-sait-quoi auxquelles on accède par les colimaçons. On devine que ces piliers, fort distants les uns des autres, prennent pied sur des dalles - des parvis ? - dont l'une surplombe le bassin. Néanmoins, ces structures gigantesques ont été englouties par la végétation au cours d'une lutte longue et âpre mais sans espoir. Les coulées vertes et vives descendues des collines ont submergé les constructions et laissent désormais pendre leurs longues branches pleureuses, à l'image de ces panthères dont les pattes sont - aussi bien - des instruments irréfragables que de longs membres qu'une fois repues elles balancent dans le vide, nonchalamment, depuis un promontoire ; cependant, ici, point d'animaux car la faune même laisse la flore à son orgueil. Des traces de cette violence immobile se discernent d'ailleurs encore dans le paysage puisque des troncs rompus et bagarreurs, prêts encore à tomber avec fracas, témoignent des poussées formidables exercées contre l'artifice ; des lianes partent encore à l'assaut des restes d'architecture tandis que seule l'eau paisible met un arrêt aux fougères conquérantes. Qu'on ne s'y trompe pas, toutefois : l'eau est duplice. C'est elle que l'on retrouve dans l'air qu'elle sature d'humidité. Elle est tout aussi bien l'alliée de cette profusion végétale et si l'on distingue avec peine le fond chargé de la vallée, c'est parce que l'air bleuté est nébuleux par cette eau même qui semblait diplomate ; à tel point qu'on ne sait guère où commence le ciel, complice lui aussi car bien qu'encore assez clair il amène ses nuages gros de pluie qui assombrissent l'atmosphère. Cette touffeur qui monte du sol, esclave de la jungle, l'homme qui rame et qui, à bien y regarder, ne se hâte pas de rentrer, la connaît bien : la gigantomachie de l'arbre et de la pierre ne s'arrêtera qu'à l'effondrement de toute marque de civilisation, mais les gigantomachies concernent les géants et lui, à bien y regarder, porte juste ses paquets.