Bon, bon.
Les plus perspicaces d'entre vous l'auront devinés, nous sommes dimanche, et par conséquent, je viens vous livrer le fin mot de l'histoire. Oui, la fin de CGS, ça fait bizarre, surtout pour nous.
Mais d'abord, les réponses aux commentaires. (aucun de nous ne sait prendre les compliments, on a été servis).
Voici donc, l'ultime chapitre. Allons y.
— Tu sais, il y a quelque chose que je ne t'ai pas dit jusqu'ici.
— …
— Ne m'en veux pas. Si je te l'avais dit je n'aurais pas pu venir te tenir compagnie ici, côte à côte ; parce que tu aurais tout fait pour me tuer si tu avais su. Donc j'ai gardé ça pour moi, le temps que tu… t'envoles. J'aurais pu te le dire quand même mais alors je ne serais pas resté dans le coin ; j'aurais gardé mes distances. On serait donc morts chacun dans son coin, dans la solitude la plus absolue…
— …
— On est d'accord, tu préfères mourir ignorant que seul ?
— …
— On est d'accord.
— …
— Remarque, toi, tu es parti le premier, au bout du compte. Tu n'es pas mort seul. Je ne pourrais apparemment pas en dire autant. Le plus chanceux de l'histoire, entre toi et moi, finalement, c'est toi.
— …
— Tu n'es pas d'accord ?
— …
— Ah oui, la chose que je t'ai cachée, excuse-moi, je m'égare. Donc… tu vas voir, ce n'est pas compliqué : en arrivant au Kaioshinkaï j'ai eu le temps de faire un peu de tourisme.
— …
— Voilà. Je ne te fais pas de dessin pour le reste. Si tu pensais que le dragon à tête de carpe avait déserté par impatience, alors tu t'es trompé. Il a disparu du paysage tout simplement parce que le troisième et dernier vœu a été formulé. Par moi-même.
— …
— Tu ne me crois pas ?
— …
— Eh bien regarde. Je vais te le prouver tout de suite…, souffla Gero, en se redressant enfin, laborieusement.Lorsque Hiéronimus cessa enfin de parler dans le vide et fut totalement détaché du “menhir”, le corps du démon — qui jusqu'ici tenait en appui sur l'épaule du vieil homme — tomba aussitôt dans la poussière. Gero s'étonna quant à lui d'avoir repéré, dans le même temps, une série de gravures qu'il n'avait pas pu remarquer jusque-là puisqu'étant inscrites précisément dans la frange du rocher sur laquelle Démigra faisait jusqu'ici reposer son dos. Hiéronimus — longtemps hésitant et méfiant — laissa finalement la curiosité l'emporter — une fois de plus — et s'approcha un peu plus près du menhir, pour déchiffrer ce qui était écrit dessus, apparemment dans sa langue.
“Il y a un tatouage sur mon bras gauche, observe-le bien et imprime-le dans ta tête.”Gero — qui s'était penché vers l'avant pour lire — se redressa une fois fait. Il se posa alors la question de la réaction à tenir… pour se rendre compte qu'il ne savait absolument pas comment réagir. Il y avait bien un tatouage, sur le bras du démon. Difficile de passer à côté, la marque s'étendait quasiment de l'épaule au coude. Oui, il y avait bien un tatouage, mais Gero ne s'attarda absolument pas dessus, comme le commandait la gravure. Premièrement parce qu'il n'était pas né de la dernière pluie et deuxièmement parce que sa mémoire photographique avait de toute façon déjà fait des siennes et imprimé, contre sa volonté, l'image cabalistique tatouée sur le bras relativement musclé du démon désormais passé de vie à trépas. Hiéronimus passa lui-même à autre chose et s'en retourna à ses moutons laissés en plan.
Il entama alors sa marche boiteuse vers un certain monticule de terre, dressé non loin de là. Et tandis qu'il mettait encore prudemment un pied devant l'autre, l'ouïe de Gero s'attardait sur les grésillements — de plus en plus prononcés et réguliers — provenant de sa combinaison noircie par les flammes de la guerre. Laquelle combinaison ne pouvait déjà plus lui servir de protection contre rien ; encore moins de gage d'invisibilité ; mais aucune de ces fonctions ne lui était plus utile maintenant, de toute façon.
Tout ce qui lui était éminemment utile à cette minute précise c'était ses deux jambes ; ces deux échasses brinquebalantes qu'il encourageait de toutes ses forces ; qu'il suppliait de ne surtout pas le lâcher maintenant ; pas avant qu'il ait atteint le monticule au sommet duquel Démigra avait planté son bâton. Bâton sur lequel Gero avait d'ailleurs pris la précaution de placer un mouchard, lorsqu'il l'avait localisé la première fois. Un mouchard connecté au radar intégré au gant blindant la main droite du roboticien.
Avant de placer ledit mouchard, Hiéronimus avait naturellement tenté d'arracher le bâton, mais s'était vite rendu compte qu'il lui faudrait beaucoup plus que la force d'un homme, et même plus que la force d'un surhomme, pour retirer ce mythique bout de bois. Et c'était ce même “plus” que le roboticien à la retraite était précisément allé se dégoter, en s'arrogeant les services du dragon à tête de carpe, pour ensuite revenir sur ses pas, fort de ses acquis.
Et tandis qu'il avançait, Hiéronimus détaillait d'un regard curieux la “progression” du bâton, dans le monticule de terre. Le bout de bois était fiché aux 9/10e de sa longueur totale. Il semblait en stand-by absolu, mais c'était trompeur dans la mesure où tout se passait en réalité sous terre.
Gero était donc parfaitement conscient du fait que la fin des temps pouvait survenir absolument n'importe quand. D'une seconde à l'autre, sans préavis. L'octogénaire ne pressa pourtant pas le pas.
Pas besoin, dans la mesure où le troisième vœu accordé par le dragon Shenron assurait ses arrières. Troisième vœu tenant à la capacité — à usage unique — de ramener n'importe quelle personne où objet à l'état dans lequel il ou elle se trouvait à une minute donnée, sur une fourchette de 10 minutes maximum, dans le passé. Gero avait formulé ce vœu en s'inspirant des sauvegardes système qu'il avait coutume d'opérer très fréquemment. Lequel vœu était à l'origine censé lui permettre de recréer Gordon en contournant l'impossibilité de le ressusciter. Mais Gero n'avait plus l'intention d'utiliser cette capacité “reset” pour ramener Gordon. Premièrement parce que c'était désormais trop tard dans la mesure où Gordon était mort depuis plus de 10 minutes maintenant. Mais surtout parce qu'Hiéronimus avait fini par se rendre à l'évidence déchirante que récréer n'est pas ramener. Philosophiquement et pragmatiquement parlant.
Sous le regard parfaitement indifférent du retraité, le bâton s'enfonça sans crier gare aux 10/10e de sa longueur, donc totalement, tandis que Gero n'était même pas encore arrivé à mi-parcours. Le Kaioshinkaï commença à trembler, et le ciel à se déchirer comme du papier, mais Gero tua dans l'œuf la fin des temps, en activant rapidement son joker. Rapidement mais pas aussitôt, Hiéronimus ayant été curieux de voir à quoi pourrait bien ressembler la fin des temps. Il en avait eu un aperçu, l'espace d'une poignée de secondes, avant de ravaler sa curiosité pour ensuite faire usage de son joker. Les cieux s'apaisèrent immédiatement, le bâton étant revenu à la position qu'il avait eue dix minutes plus tôt, donc enfoncé de moitié seulement dans le monticule. Ce qui laissait à Gero tout le temps d'arriver à destination sans pression. Ce qui fut d'ailleurs le cas.
Gero arriva au pied du monticule, sans encombre. Et si la motte de terre ne lui arrivait qu'au genou… le bâton, lui, se hissait bien à hauteur de son visage. Hiéronimus s'en saisit d'une seule main, sans trembler. Il ne tira pas dessus ; l'arracher n'était pas son but. Par contre, il devait faire très vite. Le chien, le super sayen, l'enfant rose à crête ou quelque autre indésirable pouvaient très bien débarquer ici à l'improviste et tout faire capoter.
Autant le Kaioshinkaï avait-il été rendu à moins que ce fameux bar du Sud après une soirée bien arrosée : dévasté et jonché de corps inanimés. Autant Gero était-il pour ainsi dire affairé en cuisines, dans les coulisses du bar ; croisant les doigts pour que la petite bagarre des Tout-Puissants, sur Terre, ne s'invite pas sur son lieu de travail.
Des Tout-Puissants, oui. Tous ces crétins qui se saluaient avec les poings ne valaient pas mieux que cette appellation, péjorative dans la bouche de Gero. Oui, trois fois oui ; ça avait commencé comme ça, avec Son Goku, et ça finissait avec ces énormités qui tartinaient encore impunément la face de la Terre. Toute sa vie, toutes ses décisions, en sa qualité de père ou de citoyen, avaient été prises en fonction de l’humeur de ces monstres-là ; ces monstres qui faisaient tourner le monde.
Stop.
Stop, la course folle à la puissance.
Stop les
super ceci et les
mega cela.
Stop, la surenchère. Stop, l'escalade infinie.
Et surtout… surtout… : stop, les gens capables de faire sauter une planète.
Cette possibilité-là était totalement ridicule et devait disparaître immédiatement.
Et ce n'était pas le chauvinisme qui parlait, cette fois. Non, ce “stop” n'était pas celui d'un chauvin aigri mais le stop désincarné d'un homme qui avait des erreurs à réparer. Et qui avait désormais les moyens de le faire. Des moyens gracieusement mis à sa disposition par sept boules de cristal disproportionnées.
Oui, tout semblait désormais clair comme du cristal, aux yeux de Gero.
L'illusion ne prenait plus, chez lui. L'arbre ne pouvait plus lui cacher la forêt.
Depuis le début, depuis le tout début, ce n’était pas Démigra qu’il aurait fallu traquer.
Démigra n'était qu'une victime dans l'histoire. Victime de sa propre puissance.
Il n'était pas l'arbre, il n'était qu'un fruit. Un fruit pourri… mais un simple fruit quand même.
Les règles du “jeu” étaient mal faites. Vraiment mal faites. Si elles avaient permis l'existence de personnes capables de vaporiser une planète sur commande… alors les règles de l'univers ne pouvaient qu'être mal faites. Ne pas s'étonner ensuite de voir débarquer un jour quelque malade surpuissant qui ne se suffit plus de faire sauter des planètes… et vise beaucoup plus haut. Non, rien d'étonnant. Tout cela n'était que l'aboutissement logique et totalement prévisible des choses.
La main de Gero se fit plus ferme sur le bâton, tandis qu'il rabattait ses paupières, pour ne faire plus qu'un avec ce bout de bois incassable, forgé il y avait des milliers d’années de cela, dans le rituel le plus sanglant qu'eurent jamais pratiqué les plus anciennes tribus Melchior. Et lui, le vieux citadin, avait appris à s’en servir grâce à sept boules orangées qui heureusement n'étaient plus en circulation. Il les aurait détruites, autrement ; tout comme il avait l'intention de détruire les fondations du système actuel.
Gero, en posant la main sur le bâton, réalisa que ce dernier était chargé pour plusieurs millions de tgcm, peut-être même des milliards. Il fallait au moins ça pour atteindre et détruire le cœur du Kaioshinkaï, mais Hiéronimus avait bien l'intention de détourner ces milliards-là, pour les investir dans une toute autre cause que la destruction totale de l'Omnivers. Il avait l'intention de les investir dans un projet qui n'aurait pas pu être réalisé en temps normal, car les lois de l'univers ne l'auraient pas permis. Mais les lois de l'univers étaient déjà quasiment toutes effacées à cette minute précise, et Gero avait bien l'intention d'en profiter.
Il acheva d'ailleurs de localiser en esprit tout ce dont il avait besoin pour mener à bien son office. À savoir : une dimension parallèle vierge et l'adolescente fagotée en justicière de comics. Voilà les deux seuls ingrédients dont Gero avait besoin pour réécrire l'histoire à sa sauce et faire advenir le Nouveau-Monde. Un monde où chacun serait à sa place. Les forts avec les forts. Les faibles avec les faibles. Et interdiction totale de se mélanger entre eux. Pour en arriver à ce résultat fantasmagorique, Hiéronimus Gero devait logiquement faire le tri. Un tri bien ordonné. Ce qu'il n'eut aucun mal à accomplir, lui qui était capable — à cette seconde — de visualiser chacun des esprits de l’Omnivers.
Non, pas visualiser : sentir ; être ; incarner.
Démigra aurait été impressionné, si présent.
Gero utilisait le bâton mieux que lui-même.
Ce qui n'empêcha pas un certain filet de sang de bientôt s'écouler du nez du vieil homme.
L'épreuve était rude. Son cerveau, aussi performant soit-il, allait passer à la casserole cette fois.
Tant pis.
Si la folie était le prix à payer, alors soit.
Il fallait au moins ça, d'ailleurs, pour se racheter.
Gero visualisa encore tout ce qu’il voulait faire. Puis força.
Rien ne se passa.
Non, rien ne se passa. Le tri était pourtant déjà fait, ne restait plus qu'à faire chavirer le premier “domino” pour que toute la chaîne se mette en branle. Autrement dit : ne restait plus qu'à retirer le bâton de la motte de terre. Mais le problème était là, justement. Gero n'avait même plus la force de retirer ce bâton qu'un enfant de cinq ans saurait déloger d'une main. Il essayait… mais rien. Il n'avait désormais plus rien dans les bras. Même pas de quoi soulever un verre d'eau. La première étape de l'opération l'avait totalement vidé, au sens métaphysique du terme. Il ne manquait plus qu'un coup de vent pour le faire chuter. Il avait présumé de ses forces. Cette opération aurait dû être tentée après une bonne sieste suivie d'un gros repas. Pas à moitié mourant avec rien d'autre dans l'estomac que du café.
Et voilà.
Et voilà.
Encore une fois, il faisait tout foirer bêtement.
Sauf que c'était la connerie de trop et Gero était cette fois bien décidé à se casser la gueule à coups de poing avec toute la haine qu'une personne pouvait se porter à elle-même.
Se casser la figure… il n'en aurait techniquement pas eu les moyens. Il n'eut même pas le temps d'essayer…
Hiéronimus reçut subitement un choc — pour la dernière fois de la journée — et lâcha prise, roulant de tout son long dans la poussière.
Il lui fallut une bonne minute pour seulement revenir à lui et se redresser sur les coudes ; puis — avant même d'avoir relevé les yeux — le retraité pesta contre ce satané pouvoir de l’amitié qui ne se montrait pas quand on avait besoin de lui ; lui qui aurait sans nul doute rendu “l'opération sacrifice” de Gero si facile s'il avait été question d'un dessin animé. Hiéronimus pesta donc, et tenta ensuite d’identifier son agresseur, appréhendant le retour d'un certain démon roux, en débardeur, roulant des mécaniques.
Gero avait perdu pour le débardeur mais gagné pour les mécaniques.
C-F.
Ou ce qu'il en restait.
Le robot — visiblement bon pour la casse — avait télékinétiquement agrippé le bâton magique le plus puissant de l'Omnivers ; C-F adressa bientôt un clin d’œil à son premier maître ; clin d'œil suivi d’un sourire. Le même sourire qu’il avait arboré toutes ces années durant, en sa qualité de majordome de luxe.
— Bonsoir, docteur…Sa voix hachée, grésillante et terne — sans doute un dysfonctionnement technique dû aux multiples passages à tabac que le robot n'avait certainement pas manqué de recevoir — réveilla Hiéronimus, qui se laissait déjà sombrer dans l'inconscience ; le viel homme réagit pourtant à la voix de C-F et se redressa enfin, complètement ; accordant alors au robot un premier contact visuel.
— … Pourquoi ? Pourquoi tu m'as bousculé ? Pourquoi tu prends ma place comme ça ? Qu'est-ce que tu fous encore comme connerie C-F ? Déconne pas…… déconne pas…, termina Gero en serrant les poings tandis qu'un défilé de larmes - qu'il croyait taries à jamais - trouvait enfin le chemin de son visage rivé vers le nihilien ; nihilien dont il redoutait d'entendre les prochains mots… qu'il devinait déjà plus ou moins, génie oblige.
— Désolé. Merci.
— Déconne… pas… crétinus…. ! scanda Gero en orientant immédiatement le visage vers le sol pour dissimuler un nouvel arrivage de larmes.
— Désolé. Merci.Forcément. Quoi d'autre sinon ? Rien. C’était tout ce qu’il y avait à dire. Et à redire. Désolé. De ne pas avoir été à la hauteur. Pour avoir perdu Gordon. Pour avoir échoué à stopper Démigra. Merci. Pour sa création ? La création d'un robot qui n'en était plus vraiment un ? Non, il n’était plus une machine. Non plus ce nihilien sanguinaire dont il avait pourtant encore un parfait souvenir. Il avait conscience d’avoir été les deux, d'avoir été soumis à son égo… puis à un programme ; programme qu'il venait d'ailleurs de bafouer sciemment sachant qu'il n’avait pas le droit de se suicider, en tant que machine.
Or, ce qu’il s'apprêtait à faire signait son arrêt de mort. Quiconque retirerait désormais le bâton en mourrait, c'était le prix à payer ; et Gero s'était préparé à payer ce prix. Par contre il ne s'était pas du tout préparé à voir quelqu'un d'autre le payer pour lui, encore moins par gratitude ou par sympathie. Et l'Enfer n'aura jamais autant été pavé de bonnes intentions, car en voulant retirer le bâton en lieu et place de Gero, C-F retirait purement et simplement au retraité sa toute dernière chance de racheter ses
péchés.
— Ne fais pas ça ! Tu ne comprends rien ! Tu ne m'aides pas du tout en faisant ça… au contraire, tu me rends débiteur quand tout ce que je veux actuellement c'est précisément effacer toutes mes dettes avant de partir !
— Vous ne me devez rien, docteur. Vous ne me devrez rien non plus, après ça. Et vous ne partirez pas aujourd'hui.
— Si tu retires ce bâton, si ! Je t'en devrais une, quoi que tu en dises ! Et si tu retires ce bâton, alors tu me voles ma dernière chance de réparer mes erreurs ! Si tu retires ce bâton, tu me condamnes à passer tout le reste de mon existence dans l'amertume et dans la culpabilisation !
— Le chemin vers le pardon de soi est sinueux… et difficile. Mais c'est un chemin que je ne vous permettrai pas de fuir par la facilité de la mort. Bonne chance docteur, votre route vers vous-même est encore longue, et mon seul regret sera de ne plus être là pour vous aider à vous relever quand vous tombez.
— C… Conneries ! A… arrête-toi tout de suite C-F, ceci est un ordre ! Cell est mort ! Donc je redeviens ton maître officiel, et je t'ordonne de t'éloigner de ce bâton tout de suite ! Pour toute réponse, C-F orienta la main en direction de son créateur et décocha soudain une balle au rayonnement solaire qui fusa immédiatement en direction de sa cible ; laquelle cible ne se trouva pas les réflexes qu'il fallait pour esquiver. La balle d'or s'infiltra alors dans sa poitrine ; et — aussitôt — une aura vive et étincelante enveloppa le corps de Gero — de la tête aux pieds — sous son regard aussi impuissant que catastrophé.
— Qu… Qu'est-ce que… tu m'as fait ?
— J'ai “entendu” vos pensées tout à l'heure. Vous avez configuré le bâton pour vous assurer que toute personne ayant un niveau supérieur à celui de la jeune fille - que vous avez vue tout à l'heure à la télévision - soit transvasée dans la dimension vierge que vous avez déjà sélectionnée… pour y déporter tous les “super” ; afin qu'il puissent y bâtir leur nouveau-monde rien qu'à eux. Un monde dans lequel ils pourront s'amuser à progresser infiniment et tout casser sans déranger personne sinon eux-mêmes.
— Oui. Et alors ?
— Alors je vous ai fait perdre dix ans. Votre condition physique n'est plus celle d'un vieillard de 80 ans mais celle d'un vieillard de 70 ans. Il vous faudra au moins ça pour avoir l'ombre d'une chance de survivre dans le “nouveau-monde”. Et vous avez désormais en vous le niveau de puissance brut de Radditz. Mais vous ne saurez pas l'utiliser. Ça suffira néanmoins pour faire illusion et dissuader le premier quidam basse classe venu de vous attaquer, pour peu qu'il perçoive la puissance brute en vous et vous prenne pour un combattant aguerri.
— Tu… tu n'as pas… !
— Ça ne durera pas. L'énergie vitale que je vous ai transmise est périssable et inutilisable pour attaquer ou se défendre. Elle ne saura vous servir que d'épouvantail. Et vous allez finir par retrouver vos attendrissantes 2 unités, au fil du temps. Mais avant que ça n'arrive, ce bâton vous aura déjà identifié comme l'un des “super” que vous ambitionnez de bannir dans une autre dimension où tout est à refaire.
— Dé… déconne pas ! Déconne pas !!
— Pardonnez-moi. C'était ça ou vous laisser mourir ici. Personne ne viendra vous chercher au Kaioshinkaï… et je n'ai malheureusement pas les moyens de vous ramener sur Terre. J'ai bien compris que vous ne demandez qu'à mourir ici mais je n'ai pas l'intention de vous faire ce cadeau. Bonne chance pour vos premiers pas dans le nouveau monde. Je prie pour que vous sachiez vous entourer des bonnes personnes, là-bas. S'il vous plait… ne m'oubliez pas.
Aussitôt dit, C-F retira enfin le bâton et se déchira, instantanément, littéralement. Son corps fut intégralement réduit en poussière puis aspiré par le bâton, si rapidement que les yeux épuisés de Gero n’eurent rien eu le temps de suivre. Resta tout juste un écho persistant, qui se grava dans les oreilles du retraité, comme une litanie jamais célébrée :
“Je suis mon propre maître, docteur.” Et la lumière s'éteignit au Kaioshinkaï, tandis qu'un chapelet de gouffres de la taille de pays entiers poussait désormais sur toute la surface de la planète sacrée, comme une invasion de champignons, et ce à la seconde-même où le bâton fut retiré du monticule. Gero n'avait plus aucune échappatoire ; il ne pouvait absolument plus rien faire, sinon attendre que le sol s'ouvre sous ses pieds et lui fasse quitter ce navire pour un autre, cette vie pour une autre, dont il ne savait rien, sinon que quelqu'un, quelque part, l'y attendrait. Oui, ce timbré de Démigra n'avait rien laissé au hasard ; et Gero comprenait maintenant que le tatouage dont le démon lui avait intimé mémorisation allait en fait servir de carte de visite au vieil indolent qu'il était, une fois dans le nouveau monde. Une carte de visite à présenter à la connaissance de Démigra… qui saurait alors la reconnaître et prendre Gero sous son aile ; car les amis de Démigra seront les amis de cette connaissance, que Gero devinait être le seul et unique immortel ayant survécu à la récente descente chez Shinki ; cet immortel dont avait vaguement parlé Cell.
Oui, Démigra savait. C'était évident désormais, aux yeux de Gero. Démigra savait par avance comment toute cette histoire allait finir ; dans le détail. Peut-être même le savait-il bien avant d'avoir lancé l'opération de la fusion des univers, tout en l'ayant quand même lancée en toute connaissance de cause. Oui, il était fort probable que l'Archidémon eut su dès le premier épisode qu'il allait perdre la partie ; que cette histoire allait se terminer comme ça ; que Gero serait à l'origine d'une révolution dont il n'était d'ailleurs pas censé réchapper puisque servant de catalyseur. Mais L'Archidémon devait certainement savoir que Gero en réchapperait, in fine ; autant qu'il savait C-F toujours vivant, juste invisible et volontairement porté disparu, mais traînant en réalité dans les environs depuis tout ce temps, en quête d'ouverture, pensant s'être totalement fait oublier.
Démigra ne l'avait pas oublié. Il l'ignorait simplement.
Il savait, bien avant que ça n'arrive, que C-F se sacrifierait à la place de Gero. Il savait que Gero serait embarqué dans une nouvelle aventure, sans armes pour se défendre, dans un nouvel océan inconnu, infesté de requins plus gros et surpuissants les uns que les autres. Et c'est parce qu'il savait tout ça que l'Archidémon s'était débrouillé pour armer Gero. Pour lui donner de quoi nouer au moins un premier lien de l'autre côté du miroir ; le mettre en contact avec quelqu'un qui serait prêt à l'héberger, au moins le temps qu'il se fasse à sa nouvelle vie ; qu'il prenne un peu ses marques ; l'héberger, le protéger, le nourrir, le blanchir, le commissionner à l'occasion, lui faire voir, à leurs heures perdues, des choses de la vie…
Gero repensa à tous les événements de la journée…… et craqua enfin. Il renifla. Fort. Il voulut sourire à la mémoire de tous ces gens… ces amis… ces fils… ces frères… ces inconnus… ces rencontres… qui semblaient voir en lui il ne savait quel explorateur promis à il ne savait quelle découverte dans il ne savait quel nouveau monde inconnu. Bravant les ténèbres, Hiéronimus chercha à tâtons le bouton pour s'arracher un sourire et lever haut le poing, comme une promesse d'essayer… mais le sol s'était déjà ouvert sous ses pieds ; et le noir s'était définitivement abattu sur les terres profanées du Kaioshinkaï.
À des années-lumière de là, l'apocalypse générale — dont on pensait qu'elle avait depuis longtemps atteint son plafond théorique insurpassable — repoussa une dernière fois le curseur du chaos, à des niveaux au delà de l'imaginable. De Nappa à Végéto en passant par Cold, tout ce qui affichait plus de 1000 unités et des poussières — le niveau d'énergie actuel de Kaleen — s'enveloppa d'Éther avant d'être immédiatement aspiré vers l'espace, à la vitesse de révolution des planètes et autres corps célestes. Les livres d'histoire racontent encore la scène, dans le détail ; ils racontent que tout fils d'Adam ayant levé les yeux au ciel ce soir-là put assister à une pluie d'étoiles filantes de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel ; chacune de ces étoiles correspondant à l'une de ces personnes qui seront, longtemps encore, appelées : “les super”.
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Trois ans plus tard… ♪♫♪♫♪♫
— Nous avons tous autant que nous sommes traversé des moments impossibles à oublier. On y était tous. Petits et grands. Hommes et femmes. Aux premières loges. Et c'est un bien triste anniversaire que nous célébrons aujourd'hui. Mais c'est aussi l'occasion de nous rappeler que nous ne formons plus qu'une grande famille recomposée, unie par les liens d'une même folle aventure vécue le même jour.La marée humaine compacte observait silencieusement l'écran géant surplombant l'estrade, tandis que le discours du mémorial annuel débutait, en plein cœur d'un Satan-city en tête de liste des priorités de reconstruction, depuis trois ans.
— La communauté scientifique est, à ce jour encore, indécise quant aux causes. Mais les conséquences, elles, sont patentes : notre vie à toutes et à tous a été réécrite. Et la barbarie qui a eu lieu ne renaîtra jamais plus de ses cendres. Nous ferons tout pour, n'est-ce pas ? Ne sommes-nous pas tous vaccinés ?Le public s’agita pendant quelques secondes ; les têtes des uns et des autres sifflaient encore, trois ans plus tard, du bruit des explosions cataclysmiques ; des cris d'enfants ; des horribles gémissements de Dame-Nature.
— Nous avons TOUS perdu quelqu’un qui nous était cher. Vous aurez remarqué que j'insiste beaucoup sur le mot “tous” depuis le début… et vous savez pourquoi. Si nous ratons cette occasion-là, alors nos espèces ne méritent décidément pas cette planète. Oui, je le répèterai autant de fois que nécessaire, nous avons tous perdu quelqu’un que l’on ne connaissait pas ; que l’on aurait voulu connaître. Et maintenant, j’en appelle à l’union du peu qui reste. J'en appelle, sinon à l'amour, à l'amitié. Sinon à l'amitié… à la compréhension. Sinon à la compréhension… à l'intelligence. Sinon à l'intelligence… au bon sens.Le public retint son souffle, pendu aux lèvres roses habillées de gloss les plus célèbres de tout l'univers.
— Y a-t-il des gens de l'univers n°4 ici ! lança la présidente, complètement au hasard.Une partie de la foule commença à hurler.
— Vous êtes ici chez vous ! La foule hurle de plus belle, électrisée.
— Y a-t-il des gens de l'univers n°11 ici ! lança la dernière des “super”, encore une fois au hasard.La foule part en vrille, elle s'enflamme, le sol tremble.
— Vous êtes ici chez vous !Les grondements se font tonnerres d'applaudissement.
— Mais moi je viens du fameux univers n°6, menti pieusement l'oratrice. Alors, j'aimerais savoir : y a-t-il des gens de l'univers n°6 ici ?Le tôlé double, si tant est que ce soit possible.
— Ah, je vous vois maintenant ! Alors dit-moi, univers 6, sera-t-il murmuré au coin des bars tard la nuit que tu ne sais pas recevoir tes invités d'honneur ?
— Jamais !! finissent par hurler en boucle tous ceux à qui s'était adressée cette question, autrement dit 60% de la foule.
— Nous avons tout un monde à reconstruire. Cela ne prendra pas trois ans. Cela ne prendra pas dix ans. Alors profitons justement du fait qu'il faut tout réécrire… pour instaurer un tout nouveau paradigme. Combien avaient désespéré de changer les règles du jeu, avant, prétextant que la bataille était perdue d'avance, que le fer n'était plus chaud, que les institutions étaient trop enracinées ? Nous n'avons plus d'excuse désormais. Tout est possible maintenant que toutes lesdites institutions sont tombées. Alors faisons-en sorte que nos petits-enfants rient à gorge déployée en entendant nos histoires de vieux sur la manière dont tournait notre monde avant !De nouveaux hurlements.
— Que dis-je, notre monde. Nos mondes ! lança l'oratrice, en levant solennellement le nez au ciel… qui n'accueillait plus seulement le soleil et la lune mais tant d'autres planètes en instance d'être occupées et édifiées. Le public, tout feu tout flamme, scande à présent le nom de celle qui n'avait plus rien d'une héroïne du dimanche, autoproclamée et vivant dans ses fantasmes de comics. Le fantasme était devenu réalité sans son concours. Elle était littéralement devenue cette super-héroïne authentique, la dernière d'une civilisation.
Kaleen prit discrètement son envol de la scène, par derrière, sous les acclamations d'une foule hurlant son nom, tandis qu'un hologramme plus vrai que nature avait déjà pris sa place sur l'estrade, ni vu ni connu, poursuivant, à la place de l'originale, ce discours qu'elle n'avait de toute façon même pas écrit elle-même ; elle n'avait pas la verve pour, du haut de ses vingt ans. Ses plus proches conseillers en communication en avaient fait leur affaire.
Kaleen plane désormais haut dans le ciel, bien loin de la ville échafaudée de partout, travaux de reconstruction oblige. D'immenses draps avaient cela dit été exceptionnellement jetés sur toutes les installations techniques trop moches, pour ce jour spécialement. Rouge comme une tomate, Kaleen laisse bientôt tomber l'oreillette qui diffuse encore ce discours qu'elle avait eu tant de mal à prononcer sans en mourir de honte ; elle qui n'avait rien d'une oratrice ; elle qui dans son monde d’origine, avait plus souvent gaffé qu’autre chose. Elle qui se laisse bientôt paisiblement planer, sur le dos… histoire d'avoir en visuel toutes ces planètes désormais voisines de la Terre. Toutes ces planètes qu'avaient déjà investi les sayens rescapés, les dathrukis rescapés, et tant d'autres peuples en quête d'un vrai chez eux.
Kaleen soupira. Le
“chacun pour soi dieu pour tous” avait apparemment encore voix au chapitre. Elle croisait néanmoins les doigts pour que les rapports de bon voisinage entre les futurs mondes de l'Orangeraie — et au-delà — soient plus une règle qu'une exception. Seul l'avenir le dirait. Elle avait été contente de voir des sayens mêlés à la foule du mémorial. C'était un bon début ; comme quoi… il y en avait de bonne volonté, apparemment. Ou du moins d'assez intelligents pour comprendre que cette ultime chance que le Destin avait offerte à la Vie était la toute dernière. Toute personne encore vivante aujourd'hui devait se voir comme tel : un miraculé, un élu du Destin, un bêta-testeur de la dernière “map” viable du jeu.
Kaleen en tout cas se voyait comme tel, depuis ce soir où elle s’était réveillée au beau milieu d’un champ de bataille dévasté, une fesse a l’air, déchaussée ; depuis ce soir où elle avait senti s'éteindre en rafale toutes les grandes puissances sévissant de par le vaste Monde. Oui, à la surface de tout l’univers, tous les combattants au dessus du niveau de Radditz avaient soudain disparu de la circulation. Il restait bien des gens oscillant entre 1 et 1000 unités : des sayens… des aliens, solitaires ou pas ; voire certains groupements d'intérêts qui par la force du nombre, parvenaient à tutoyer les 4000 unités. Même des humains… comme Tao Pai Pai… qui du haut de ses 200 petites unités avait échappé à l'aspiration du Bâton de Démigra… et figurait désormais dans la très courte liste d'êtres les plus puissants de l'univers. Ce même Tao Pai Pai qui avait déjà à son compteur 87 tentatives d'assassinat sur Kaleen, en trois ans. 87 tentatives mises en déroute, soit par la logistique implacable du conseil ministériel couvrant la présidente, soit par cette dernière elle-même, lorsque Tao parvenait à l'approcher de suffisamment près. Ce même Tao qui, de guerre lasse, avait fini par accepter la proposition que Kaleen lui avait déjà faite à chacune de leur rencontre : devenir son garde du corps personnel.
La jeune fille redoutait d'ailleurs déjà de se présenter au congrès interplanétaire de ce soir ; congrès en outre honorifiquement présidé par la seule figure dont on s'était rendu compte qu'elle était étonnement connue de tous, à travers tous les univers, du n°1 au n°12 ; cette figure qui était apparemment le seul visage qui pouvait parler à tout le monde… et donc logiquement le seul assez emblématique pour donner le ton symbolique du rassemblement : Hercule Satan.
Quant à Kaleen, sa petite fugue en plein discours — avec la complicité des techniciens du mémorial — n'allait assurément pas plaire au Grand Conseil… ni à Tao, qui prenait son job très au sérieux. Kaleen évitait d'ailleurs tant que faire se pouvait de lui rappeler qu'elle avait moins besoin de ses services que de sa compagnie. Elle qui s'était réveillée trois ans plus tôt avec rien de plus que 1000 unités dans les jambes… mais qui pouvait aujourd'hui monter beaucoup plus haut que ça. Plusieurs millions certainement, difficile de savoir puisqu'il n'y avait pas encore de détecteurs en circulation ; bien qu'un premier arrivage eut été promis par la communauté Tsufful, pour l'année prochaine. Du reste, Kaleen n'avait jamais fait mesurer sa force, dans son univers d'origine. Pas plus qu'elle n'aimait se peser dans la douche.
Toujours était-il que la jeune fille avait servi sans le savoir de référentiel au bâton de Démigra ; mais cette référence était biaisée, dans la mesure où les 1000 unités calculées par le bâton ne correspondaient pas à la puissance maximale de Kaleen, mais tout juste à ce qu'il lui restait après avoir été passée à tabac par Buu et El Diablo. Lequel biais faisait maintenant d'elle une véritable anomalie ; elle qui — trois jours après l'apocalypse — s'en était allée avaler un haricot magique chez maître Karin, dont elle avait d'ailleurs aussitôt pris congé avant qu'il ne vienne au chat l'idée de la proposer à Popo comme nouveau Kami-sama, depuis la disparition de Dendé.
Oui, une anomalie, dans un univers où posséder 50 unités revenait dorénavant à être pris pour Dieu lui-même. Une anomalie, dans un univers où quiconque — sauf elle — ayant désormais le malheur de dépasser les 1200 unités, se verrait ipso facto aspiré par un certain bâton perdu au beau milieu de nulle part. Aspiré à la vitesse de la lumière, pour être déporté ailleurs, dans le nouveau monde, sans aucun espoir de retour. Lequel risque de déportation ne concernait pas Kaleen puisque la jeune fille représentait le point mort du bâton ; point mort précisément programmé par le dernier utilisateur dudit bâton.
En tout cas, anomalie ou pas, Kaleen était contente de faire partie des très rares — à l'échelle de l'Omnivers — survivants de l'apocalypse. Elle mesurait pleinement toute la chance qu'elle avait d'être encore en vie. Oui, elle la mesurait très bien… sans se douter que cette vie, elle la devait en réalité au fait tout bête que l'appellation “Celloken” avait fait sourire un certain quelqu'un… qui n'était désormais plus de ce monde. Ce même quelqu'un qui avait sondé l'âme de Kaleen — parmi tant d'autres — et avait aussi été amusé par la formule “Ankh uhlé” ; laquelle formule ne pouvait décidément appartenir qu'à une personne ayant bon fond. Une personne qui avait tout pour être la femme de la situation. Oui, Kaleen devait la vie au simple fait que sa pureté et sa candeur avaient touché un certain quelqu'un, qui en était l'antithèse-même. Elle devait son statut de Présidente à cette même personne, pour les mêmes raisons. Elle n'en savait rien… mais il est des choses qu'il n'est pas utile de savoir.
Durant ces trois années post-apocalyptiques, la justicière avait recommencé à faire ce qu’elle avait toujours fait : Rétablir l’ordre en aidant la police. Mais à plus grande échelle désormais. Elle avait été reconnue publiquement ; massivement ; par la force des choses et sans l'avoir cherché une seconde, puisque dans sa tête à elle — et ce depuis toute petite — un vrai héros est un anonyme. Malheureusement elle n'avait pas eu le talent stratégique pour conserver son anonymat ; lequel anonymat avait tôt fait de sauter.
Le peuple ne lui avait alors plus vraiment laissé le choix. Le peuple… les peuples… l’avaient automatiquement prise pour celle qui les avait tous sauvés des démons ; des “super”. C’était peut-être vrai ? Elle ne s’en souvenait pas. Certains témoins auraient, disait-on, vu les poids lourds disparaître sous leurs yeux, que ce soit les aberrations roses ou celles aux trop longs cheveux dorés. Mais le pourquoi du comment resterait probablement à jamais irrésolu. Pour une fois, Hercule Satan avait fait en sorte de tuer dans l'œuf toutes les tentatives de lui attribuer la paternité de la chose. Sa fille unique avait probablement dû l'y contraindre. Au final, il était très peu probable que personne ait jamais le fin mot de l’histoire.
Et tandis que la brise froide lui chatouille encore la pointe du nez ; et tandis qu'un oiseau se pose sur son ventre plat, chauffé par le soleil du petit matin ; Kaleen, future Archichancelière de la suprême cour galactique, se demande simplement si les oreilles de chat qu'elle avaient vues exposées à travers la vitrine d'un magasin ce matin… iraient avec son futur costume et suffiraient à le rendre moins austère.
Son sourire enfantin éclaire son visage tandis qu’elle se laisse glisser entre les hautes montagnes qui la saluent au passage ; elle plane sur le dos à faible vitesse, volant bientôt aux cotés d'une bande d'oiseaux sauvages qui l'approchaient sans crainte aucune ; l'œil droit de la jeune fille est alors attiré par une boule brillante ; une boule orangée, flanquée d'une étoile éclatante et lovée dans un nid, entre deux œufs tachetés de bleu-gris.
La jeune femme ferme les yeux et reprend sa balade, portée par le vent.
Parfois, il valait mieux se demander si on préférait les fraises, ou le chocolat.