Quoi ?
Vous n’avez pas lu le projet de loi relatif au renseignement ?
http://www.legifrance.gouv.fr/Droit-fra ... 3-2015-pjlBon, c’est difficile de vous blâmer tant le texte est chi**t à lire.
Je pense quand même qu’il serait intéressant d’en dire deux mots.
Suite aux attentats de janvier dernier à Charlie Hebdo puis dans l’Hyper Casher, la France s’est brutalement rendue compte qu’elle pouvait être victime du terrorisme.
S’en sont suivi des manifestations sans précédent dans lesquelles nombre de nos compatriotes ont précisé que le terrorisme n’aurait pas raison de la liberté d’expression.
Et le gouvernement a quant à lui rédigé un projet de loi qui aura sans doute pour conséquence de limiter nos libertés et notamment la liberté d’expression (sic !).
Le texte est examiné en ce moment et part en effet très mal puisque d’entrée de jeu, sous prétexte de lutter contre le terrorisme, il précise que : «
Les services spécialisés de renseignement peuvent, dans l’exercice de leurs missions, être autorisés à recourir [aux nouvelles techniques prévues par la future loi (voir infra)] pour le recueil des renseignements relatifs aux intérêts publics suivants :
1° La sécurité nationale ;
2° Les intérêts essentiels de la politique étrangère et l’exécution des engagements européens et internationaux de la France ;
3° Les intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France ;
4° La prévention du terrorisme ;
5° La prévention de la reconstitution ou du maintien de groupement dissous […] ;
6° La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ;
7° La prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ».
Voilà, on voit bien que cette future loi sensée lutter contre le terrorisme permettra également de protéger « Les intérêts essentiels de la politique étrangère et l’exécution des engagements européens et internationaux de la France » ou encore « Les intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France ». On s’éloigne déjà de la légitime lutte contre le terrorisme, avec l'utilisation de termes, qui plus est, extrêmement vagues.
Alors cette nouvelle loi, que permet-elle ? Le projet de loi sur le renseignement veut mettre en place un cadre légal sur des pratiques des services de renseignement qui existent apparemment déjà à en croire les spécialistes mais sont illégales. Depuis la loi de lutte contre le terrorisme de 2006, ils pouvaient déjà procéder à des écoutes des communications dites “administratives”, c’est-à-dire uniquement du ressort du Premier ministre.
Cette nouvelle loi autoriserait les services de renseignement à faire des écoutes bien plus intrusives. Ils pourraient utiliser des « IMSI-catchers », un dispositif qui permet d’écouter toutes les communications (téléphoniques comme électroniques) dans un rayon de 500 mètres à un kilomètre. Seraient donc touchés les simples passants se trouvant près d’un terroriste potentiel.
Une des mesures les plus contestées est la suivante : le renseignement serait désormais autorisé à récupérer les “métadonnées” des échanges électroniques, c’est-à-dire les informations qui entourent une conversation : Qui est l’expéditeur du message, quelle heure d’envoi, la taille du message, etc. Ces métadonnées sont donc différentes du contenu en lui-même des messages. Par ailleurs, internet pourrait être espionné à la source, chez les fournisseurs d'accès et hébergeurs, à l’aide de "boîtes noires".
Ces boîtes noires auront comme objectif de détecter des comportements suspects en analysant les comportements des utilisateurs sur la toile. La détection se fera au moyen d’un algorithme mis en place automatiquement par des machines. Si ce type de comportement est remarqué, une alerte sera envoyée aux services de renseignement. Ils pourront alors mettre en place une surveillance plus personnalisée. A ce stade, ce ne seront plus des machines qui analyseront les données mais une surveillance humaine se mettra alors en branle.
Le gouvernement assure qu’il ne s’agit pas d’une surveillance de masse et que l'anonymat des utilisateurs sera préservé. On peut noter le paradoxe de données anonymes permettant de découvrir l'identité d'une personne lorsqu'un risque de terrorisme est détecté…
Comment ces nouveaux pouvoirs des services de renseignement seront-ils encadrés ? Le projet prévoit la mise en place d’une Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement (CNCTR). Celle-ci sera composée de 4 parlementaires, 4 hauts magistrats et un expert (les magistrats seront donc en infériorité).
Concrètement, quand un comportement potentiellement terroriste sera identifié (via les boites noires), les services de renseignement feront une demande motivée au Premier ministre pour utiliser un moyen de surveillance plus personnalisé. Cette demande sera examinée par la CNCTR qui rendra un avis.
Mais en cas d’urgence, aucun avis ne sera requis, et aucun contrôle sur la surveillance mise en place ne sera possible pendant 48 heures.
Après 48h, si la surveillance est jugée infondée, les données devront être effacées. Il n’en reste pas moins que les services de renseignement auront eu connaissance de ce qu’ils ont espionné.
La CNTCR a une autre mission puisque tout citoyen pourra saisir le Conseil d'Etat, via la CNCTR, s'il estime faire l'objet d'une surveillance illégale.
Alors quelles conséquences sur la liberté d’expression ? Et bien nous risquons tout simplement de tous nous limiter dans nos déclarations sur le net si nous savons qu’elles peuvent potentiellement nous exposer à une enquête, par essence secrète, des services de renseignement.
Que penser de cette loi ? Chacun est libre bien évidemment de se faire son opinion. Pour ce qui me concerne, je regrette qu’encore une fois, les juges soient écartés au profit des politiques. Car donner un tel pouvoir de surveillance à l’Etat revient à dire que celui-ci agit nécessairement pour le bien commun. C’est avoir à mon sens une bien trop grande confiance en nos hommes et femmes politiques.
Je ne suis pas très fan des théories du complot et je ne pense pas que si le FN arrive au pouvoir, il aura ainsi tous les moyens légaux pour espionner les gens et mettre en place le IV Reich... Mais je me rappelle simplement qu’il n’y a pas si longtemps, le pouvoir socialiste n’a pas hésité à utiliser les services de renseignement pour simplement cacher l’existence de l’enfant naturel du Président de la République de l’époque.
Très prosaïquement, on pourrait envisager une surveillance plus que contestable d’opposants politiques au pouvoir en place sous un prétexte plus ou moins fallacieux. Je vous rappelle que cette loi vise notamment à protéger "Les intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France". Le barrage de Sivens par exemple, est-ce que ça rentre dans cette catégorie ?
Pour autant, faut-il ne rien faire ? Certainement pas. Nous sommes vulnérables au terrorisme et le seront encore même si cette loi était adoptée en l’état, mais il n’en reste pas moins que les services de renseignement ont pour mission de nous protéger autant que faire se peut.
Je regrette simplement l’éviction quasi-totale du judiciaire et le fait que l’on n’envisage apparemment pas de recruter plus d’agents de renseignement pour faire au moins fonctionner convenablement ce qui existait déjà.