D’abord, il ne s’agit pas de « besoins primitifs » qui vont se manifester dans la culture. Mais plutôt de faits biologiques établis, concernant la différence hommes-femmes. Pour reprendre tes termes, c’est « descriptif ». Mais pas forcément « normatif », parce-que ce qui explique en partie la grande diversité des cultures, c’est les différences de conditions de vies auxquelles les peuples ont été exposés. Une contrainte impliquant une certaine solution. Ca n’empêche pas parfois de créer trois sexes sociaux. Mais je vois ça plus comme un artifice nécessaire pour gérer telle ou telle situation.
Si c'était le cas, on aurait pas des cultures voisines si différentes, à l'inverse des cultures éloignées avec des climats ou des environnements similaires devraient se comporter globalement de la même manière, or ce n'est pas le cas. Et je ne vois pas du tout quel type de contrainte pourrait engendrer trois sexes sociaux. C'est pourquoi quand tu dis "nécessaire" je tique. Bien entendu des esquimaux vont devoir se protéger du froid, mais rien n'oblige à ce qu'ils déclarent sacrés le phoque et n'en mangent pas, ou l'ours polaire ou je ne sais quoi, par exemple, la preuve c'est que des peuplades très proches vont faire des tabous différents, et des vêtures différentes d'ailleurs. J'explique :
Ensuite, je ne vois pas trop ce que tu veux dire quand tu expliques que la dualité homme/femme ne serait que la conséquence de nos schèmes mentaux, de notre esprit qui conceptualise cette dichotomie… Tu sous-entends donc que cette dichotomie serait en quelque sorte une facilité de notre esprit à classer les choses que l’on observe dans une perspective d’objectivation du monde ? Autrement dit, il s’agirait d’un ordre symbolique… Mais en réalité, ce classement ne serait qu’une facilité de l’esprit et ne serait pas pertinent dans la réalité afin de prendre en compte toutes les situations ?
Non, pas forcément un ordre symbolique. Les mécanismes de l'évolution (par exemple) ne sont pas d'ordre symbolique et pourtant ils ne conduisent pas nécessairement à l'apparition de telle ou telle espèce. Mais les mécanismes de l'évolution sont extrêmement utiles pour décrire l'évolution des espèces. Et ce n'est pas parce que je prends cet exemple que je dis que les cultures émergent de cette façon (un tel type de programme de recherche a été fait, il s'agit de la problématique des mèmes culturels (pour faire écho à gène) mais ça ne marche pas très bien parce qu'on n'arrive pas à définir de manière non triviale ce qu'est un mème). Je t'invite à prendre ma comparaison avec le dé à 100 faces : les lois de la physique vont l'obliger à choisir une face quand il sera lancé, et la façon dont il est configuré fait qu'il tombera la plupart du temps sur un nombre inférieur ou égal à 99 (dichotomie homme/femme) mais il est tout à fait possible qu'il tombe sur 100.
En fait mon objectif est double : qu'on arrête avec cette ambition des fondements (qu'est-ce qui serait originaire : la société matriarcale ? La société patriarcale ? Comment a-t-on dévié ?) ; qu'on prenne en compte la diversité des cultures et des modes d'organisations sociaux pour dégager des structures anthropologiques (schèmes généraux d'objectivation comme je disais). Pour avancer sur un terrain glissant (parce que je le connais pas) par exemple : un tel programme aurait à terme pour but de répondre à la question de savoir pourquoi (mais "pourquoi" ça ne veut pas dire répondre par un truisme en forme de "tout le monde a besoin de se rassurer sur le monde qui l'entoure", "pourquoi" ça veut dire "cause" mais pas au sens mécaniste, comme pour les "lois" de l'évolution) toutes les cultures ont des mythes.
Bon et là où je n'étais peut être pas clair : si tu veux c'est une question de facilité de notre esprit (de la même manière, si tu veux, qu'il est plus facile pour nous de marcher droit que de côté, à l'inverse des crabes) et donc cela se ressent dans nos catégories mentales MAIS ce n'est pas du symbolique, c'est la "structure" du symbolique, ce sont (je ne sais pas comment le dire) les formes a priori de nos modes d'organisation symboliques, c'est donc à un niveau infra-symbolique que ça se situe. Ce serait l'équivalent des formes a priori de la sensibilité chez Kant, l'espace et le temps. A part qu'il ne s'agirait pas des formes a priori de la sensibilité mais plutôt des formes a priori de l'objectivation de soi et d'autrui (et par autrui j'entends aussi les non-humains), et à part, bien sûr, que Kant s'est planté à ce niveau là. Et pour donner un exemple : de tels schèmes généraux se ressentent quand on regarde la conception du temps justement : de tout ce qu'on a pu observer, il n'y en a que quatre types possible.
De tels schèmes permettraient de mettre de l'ordre dans l'infini des possibles culturels tout en évitant une grosse dichotomie dégueulasse entre nature et culture. Cela permettrait non pas de dire ce qui n'est pas possible mais sous quelles lois ça a été possible (comme l'évolution : on ne peut pas prévoir toutes les espèces qui viendront à naître sur terre).
Et pour revenir tout à fait à notre sujet : ça permettrait de sortir du débat nature/culture dès lors qu'on parle des hommes et des femmes et passer à un niveau conceptuel plutôt que descriptivo-normatif (c'est pourquoi je te reprochais je ne sais plus quoi). En gros faire de la philo (dans mon esprit) au lieu de faire de la pseudo biologie et de la pseudo anthropologie. Bon, et comme souvent en anthropologie, et en sciences humaines/sociales, on avance en forgeant des concepts plus adéquats, c'est pourquoi j'essaye d'en forger qui soient plus intéressants.
Bon j'espère que je ne suis pas trop confus.