Un Belge en version originale
Divock Origi, buteur avec Lille lors de son premier match en Ligue 1 en février à dix-sept ans, se distingue par sa puissance hors norme et son humilité affichée.
SON REGARD s’est dirigé instinctivement vers la tribune présidentielle. Les yeux d’un fils cherchaient les yeux d’un père. C’était une manière pour Divock Origi de rendre le premier hommage de sa carrière naissante à Mike, son papa. Le duo n’a pas oublié cette soirée du 2 février 2013. Pour ses débuts en pro, le gamin, âgé de dix-sept ans et neuf mois, a égalisé pour le LOSC contre Troyes (1-1, 23e journée de L1) d’un coup de tête à bout portant. Il était rentré six minutes plus tôt. Après le but, leurs pupilles se sont croisées. Mike : « Je m’en souviendrai jusqu’à ma mort. Ce fut une émotion invraisemblable. » Rien ne sera plus comme avant.
Ils peuvent décrire avec minutie ces instants qui ont tout changé. Origi (1,90 m, 80 kg), attaquant de formation, entend encore les mots de Rudi Garcia, son entraîneur, lui sommant de revenir près du banc après son échauffement. Il revoit ce sprint, cette balle dans les pieds de Dimitri Payet sur le côté gauche. Ce dernier qui centre dans sa direction. « Et ensuite… », glisse-t-il. Ensuite, il a pensé à son père, footballeur lui aussi, venu de son Kenya natal, à vingt-quatre ans, chercher la réussite sportive dans la partie néerlandophone de la Belgique, décrochant le titre de champion en 1999 avec le Racing Genk. Divock a pensé à ces conseils paternels si souvent répétés et... « j’ai visé le sol avec ma tête comme il me le disait ».
Dans la seconde qui a suivi, Origi senior envoie un SMS à sa femme restée dans leur maison en Belgique auprès de ses deux filles. L'excitation se propage au-delà de la frontière. « C’était la première fois que je découvrais le Grand Stade, j’étais impressionné… J’avais été dans le groupe pro en Coupe de France contre Plabennec (CFA) (16es de finale, 3-1, 24 janvier 2013), mais je n’étais pas entré, souligne le joueur. Là, le coach m’a dit de me lâcher et j’ai pris du plaisir. Mais avec mon père, quand on s’est regardés, ça a été un moment très spécial… » On pense à Yannick et Zacharie Noah après la finale de Roland-Garros 1983. L’émotion ne dépend pas toujours du prestige des compétitions. Que pouvait-il donc espérer de plus que ce magnifique baptême ? Divock n’a même pas eu à payer la pizza, le gage attendu des buteurs néophytes… Nolan Mbemba, son grand ami au centre de formation, se marre : « Et pourtant, la tête, ce n’est pas son point fort. On l’a bien chambré quand il est revenu. »
Divock, qui entend plus tard les sanglots de sa maman au bout du fil, découvre la célébrité instantanée. Ses demandes d’amis sur Facebook se multiplient (de 400 à 500 dans la foulée), le téléphone sonne sans interruption dans une nuit qui s’étire jusqu’au petit matin devant du foot anglais. Avec le papa, ils savourent, revoient cette égalisation qui ressemble au lancement d’une carrière XXL. L’enfant envoyé à Lille à quinze ans parfaire son éducation sportive après un apprentissage à Genk entre de plain-pied dans le monde de ses rêves.
Il sourit comme souvent, parle d’une voix posée, rappelle les bases de son éducation. « Mon père a réussi grâce à sa discipline. Il me dit toujours : “ Reste sérieux, avec le talent, ça peut faire un bon mix.” » Mike prolonge l’enseignement hors du terrain, pousse le fiston à décrocher le bac belge. « Il a toujours été bon élève à l’école, note ce dernier. Et l’éducation à la fin d’une vie, c’est important. Le foot, ce n’est pas tout. »
Il parle le français, le néerlandais, l’anglais et le swahili
Une autre preuve ? Origi se présente en s’excusant de sa maîtrise imparfaite du français qu’il ne connaissait pas avant de rejoindre le LOSC. Cette précaution oratoire apparaît aujourd’hui comme une coquetterie de vieille dame tant il parle quasiment sans accent notre langue, tout comme le néerlandais, l’anglais et le swahili. Les parents tenaient à ce lien indéfectible avec la terre de ses ancêtres. « À la maison, on ne parle que swahili, sa grand-mère doit pouvoir communiquer avec lui quand il vient au pays », insiste Mike.
Ce but pouvait-il donc changer la mentalité du gamin ? Au club, évidemment, la crainte d’un emballement s’insinue. On le détourne de la presse, on le couve. Protection rapprochée. Origi conserve ses habitudes au centre, ne porte pas de maillot floqué à son nom et écume toujours les installations des jeunes. Seul. Il ne les quitte que pour rejoindre les pros avant de partir à l’entraînement. « Et il ne disait rien, souligne Jean-Michel Vandamme, le conseiller du président Michel Seydoux et ancien directeur du centre de formation. Car il est très intelligent et extrêmement bien éduqué, mais c’est un jeune, donc il a besoin d’être fortement encadré. Il a un peu tout pour lui, du talent, un physique qui ne laisse pas indifférent, il faut donc toujours faire attention. »
Kalou : « Il a du Kluivert en lui »
Un tour d’horizon du vestiaire lillois dépeint un garçon talentueux, correct, à l’écoute. Difficile de trouver, même en off, des critiques sur son comportement. Origi se rapproche ainsi des anciens, de Salomon Kalou notamment, lui demande des conseils. Kalou se revoit plus jeune questionnant Didier Drogba ou Nicolas Anelka, ses ex-partenaires à Chelsea.
« C’est vraiment un bon petit comme on dit chez nous, note l’Ivoirien. Il est très respectueux, aime apprendre. Parfois, à cet âge, certains pensent tout connaître, lui c’est le contraire. Il t’interroge sur les déplacements quand on est à deux devant, sur les placements d’un attaquant devant le but, etc. Il a du Kluivert (Patrick, ancien international néerlandais) en lui, dans ses gestes. Et, cette année, il peut vraiment surprendre. »
Kalou le voit aller très haut s’il conserve cette attitude irréprochable. Il n’est pas le seul en interne à parier gros sur le nouveau Belge à fort potentiel de la maison lilloise après Eden Hazard. Une fois ses débuts consommés, il est quand même entré lors de neuf rencontres de L 1 comme récompense de son investissement et de son potentiel (161 minutes en tout). Le changement d’entraîneur n’a fait que confirmer son statut d’espoir du cru. Origi est devenu pour René Girard une option lors des matches de préparation dans un 4-4-2 avec Kalou devant. Il pourrait débuter contre Lorient, le 10 août, à l’occasion de la première journée de la saison 2013-2014.
Ce serait un succès pour ce garçon qui s’abreuve de vidéos d’Ibrahimovic, de Ronaldo le Brésilien, qui a regardé en boucle les dribbles d’Hazard sur des DVD ou sur YouTube, cet indispensable compagnon de route de la jeune génération. Lors des mises au vert, l’an passé, il partageait sa chambre avec Idrissa Gueye. Le Sénégalais en dresse un portrait flatteur. Son seul vrai défaut ? « C’est un gros gros ronfleur ! » Sinon, il décrit un garçon au lit à 23 heures, ne zappant jamais un petit déjeuner « même quand ce n’était pas obligatoire ».
Comme ses partenaires, Gueye loue aussi ses qualités sportives : frappes lourdes, déclenchement ultra-rapide, vitesse et puissance phénoménale. Pendant la préparation, ses duels avec Soualiho Meïté, dix-neuf ans, autre costaud, ont froissé certains muscles. Gueye rigole : « Ce sont des bons combats entre eux. Ils se disent : “Je t’ai gainé !” Ils se lancent des défis. Pour l’instant, je dirais qu’il y a match nul… »
Approché par le Kenya, après son but, cet international belge moins de 19 ans a pour l’instant repoussé un changement de continent. Il dit prendre son temps pour choisir, son père se montre plus catégorique. « Il est né en Belgique, a appris le foot en Belgique, le premier choix sera toujours la Belgique. » Et le LOSC, club dont il pourrait devenir une tête de gondole.
René Girard, ancien sélectionneur des Espoirs en France (2004-2008), a illico détecté le potentiel. « C’est un pur-sang qui est encore brut de brut. Il dégage une puissance et une agilité énormes devant le but, mais il ne faut pas aller trop vite. C’est le danger de le mettre sur un piédestal, il ne faut pas s’enflammer. » Origi, qui vient de prendre son appartement, se sent protégé de ce syndrome par la présence de sa famille. Il prône même la patience, pas l’emballement. « Ce but a changé beaucoup de choses pour moi, mais je ne dois pas m’arrêter sur ça. J’essaie de m’imposer étape par étape, de ne pas aller trop vite. Tout le monde veut jouer mais, d’abord, je veux écouter le coach. Je sais que je peux y arriver. Je me sens d’ailleurs mieux intégré que l’an passé, plus à l’aise et dans le jeu, ça s’en ressent. »
Une saison pleine d’espoirs débute avec un numéro 27 sur le dos et une place dans le vestiaire pro. La vie de ses rêves d’enfant. « Je voulais le numéro 26 mais c’était celui d’Eden, donc je ne préférais pas. Après, j’aime le 7, il était pris comme le 17… Et j’ai enfin des maillots à mon nom. Je pourrai en donner à ma famille et à mes amis qui les refusaient l’an passé car ils n’étaient pas floqués ! » Il rigole, se revoit débutant. C’était hier, contre Troyes. « J’ai senti que les gens ne savaient pas qui j’étais, on m’appelait Welbeck (attaquant de Manchester United) ou Adebayor (buteur de Tottenham). On me connaît un peu plus maintenant… » On le connaîtra peut-être beaucoup plus en mai prochain, à la fin de la prochaine saison.
À Lille jusqu’en 2016
DIVOCK ORIGI a connu une semaine légèrement agitée après son fameux but contre Troyes (notre photo). Il a été renvoyé avec la réserve le temps de quelques entraînements en raison d’un désaccord autour de son futur contrat. Lui n’avait pas grand-chose à voir d’ailleurs dans cette histoire. L’affaire a finalement été assez vite réglée. Beaucoup de clubs étaient à l’affût, mais il n’était pas question pour sa famille de partir.
Mike, le père, explique : « Il y a des tentations dans le foot et, à quinze ans, des gros clubs le voulaient déjà mais j’ai préféré le modèle français. Le problème qu’il y a eu avec le LOSC n’était pas un gros problème. On voulait de toute façon qu’il reste ici. Sur le coup, les dirigeants n’ont pas aimé notre proposition et ont envoyé Divock en réserve. Mais tout s’est réglé vite. On s’est assis autour de la table. Lille est un très bon club pour lui. Il doit se concentrer sur le LOSC pendant quelques années, il doit y réussir quelque chose. Après, il pourra aller dans une grande équipe si ça marche. Mais il faut d’abord gagner sa place de titulaire à Lille. Je ne voulais pas qu’il aille quelque part pour être un jeune sur le banc. Une carrière se construit. »
Divock Origi a donc resigné jusqu’en 2016. «Mon père m’a toujours dit de ne pas prendre en compte l’argent mais le projet sportif et, à Lille, je ne peux que progresser, dit-il. Hazard en est d’ailleurs un parfait exemple. »
HERVÉ PENOT (L'Equipe)