J'ai déja expliqué comment fonctionne le privé(concurrence entre établissements,choix du consommateur).
Après peut-tu m'expliquer en quoi le public c'est mieux que le privé.Dans la plupart des arguments que j'ai lu vous n'êtes même pas vraiment capable de l'expliquer.
OK, je vais essayer.
I. La concurrence, c'est génial, mais c'est pas bon pour toutDéjà, penser qu'entre le public et le privé, l'un soit meilleur que l'autre dans l'absolu, ça n'a pas de sens. Ça revient à rendre le monde noir ou blanc, alors qu'il existe des dizaines de nuances entre les deux.
Comme tu le sous-entends, le système privé apporte la diversité par l'efficience économique, ce qui est profitable dans de nombreux cas, notamment en termes de progrès. Dans d'autres, il l'est moins, car par définition-même, le domaine privé recherche le profit.
Il devient donc d'intérêt public quand le "consommateur" (note que dans notre cas, le terme que j'utiliserai par la suite sera "parent") est effectivement amené à opérer un choix de manière éclairée. Il l'est également quand il n'y a pas inadéquation entre intérêt public et intérêt privé.
Or, il est actuellement deux domaines qui sont confiés au privé et qui sont manifestement une aberration, à savoir la recherche médicale et la création monétaire. J'ai déjà développé le second point, et pour le premier, il suffit de comprendre qu'il est plus rentable pour une société pharmaceutique de soigner le cancer du sein de manière traditionnelle que de le défoncer allégrement, comme on en est techniquement capable depuis 20 ans, pour voir où se situe le GROS problème. En l'occurrence, 2 millions de femmes mortes inutilement en 20 ans, tout ça parce que du point de vue des mecs qui détiennent le brevet, c'est plus rentable.
Pour pousser le bouchon, tu imagines le plongeon de toute la recherche sur le cancer si on trouvait un remède? C'est comme les banques qui sont désormais "too big to fail": tout simplement économiquement impensable. Dans ce genre de domaines, le privé, ben c'est juste la merde. Ceux qui ici bossent dans la recherche pourront te confirmer à quel point la concurrence est malsaine pour le développement commun : espionnage, rétentions d'informations, méfiance permanente, exploitation des novices, c'est un GROS, ENORME problème.
Cela pour dire que bien que la loi de l'offre et de la demande soit fantastique sur le papier et un vecteur de progrès dans plein de domaines, elle ne devrait pas pouvoir s'appliquer partout et qu'elle peut même avoir des résultats contre-productif. Tout n'est pas un produit.
II. La concurrence dans l'enseignementDonc pour le cas qui nous occupe:
Le problème, c'est qu'en ce qui concerne l'école, il est tout simplement impossible pour les parents de faire ce choix de manière éclairée. Sérieusement, sur quel critère vont-ils décider de l'école dans laquelle inscrire leur enfant ? C'est pas comme si tu découvrais soudain que le machin que t'as acheté, ben il est tout pourri et que tu vas soudain boycotter la marque. Les dégâts sur leur gosse sont deja faits.
Alors dans le public aussi, me diras-tu: certes, mais au moins, y a pas un connard qui s'est fait du fric sur le dos de votre gosse et on ne vous a rien "vendu". Personne n'avait rien à "gagner". Au niveau humain, c'est déjà hyper important.
Un des gros problème, déjà, c'est la volatilité de la clientèle: les gens ne fréquentent une école que X années. En général 5, maximum. Alors oui, une très mauvaise école va souvent couler. Mais une école moyenne? Une simplement bonne école? Une très bonne? Comment faire la différence? Comment évaluer la qualité du service? Ma future école offre les meilleurs résultats de romandie à la matu (=bac) et pourtant c'est une des moins chères… On vient de découvrir que la "meilleure" école de Lausanne souffrait d'énormes problèmes de gestion depuis 20 ans sans que personne ne s'en soit vraiment rendu compte. Ça fait sûrement 10 ans que les gens se font arnaquer et paient plus chers qu'ils ne le devraient. Même celles qui vont afficher d'excellents résultats aux examens le font souvent par leur processus de sélection préalable. Pour dire, l'école dont je cause avait une astuce juridique qui lui permettait de virer ses étudiants à quelques semaines des examens en toute légalité afin de maintenir des taux de réussite artificiellement hauts.
L'autre gros souci dans la branche, c'est la volatilité des profs, alors qu'au final, c'est EUX qui font une école, et pas l'école elle-même (≠ aux domaines où la concurrence fonctionne bien). Là, je parle pour la situation actuelle, mais soyons clairs: on manque de profs. Partout. Pas en Sciences humaines, évidemment, mais dès que tu touches aux langues ou aux sciences, c'est 10% des besoins qui manquent. Il y a entre 20 et 25% des profs qui ont des formations insuffisantes et du coup, ce sont souvent des mecs qui vont être motivés et enseigner quelques années avant de passer à autres choses.
Ça revient à dire que même si une école a bien tourné pendant X années, le difficile équilibre humain qui sous-tend toute le processus de faire réussir un élève ne va pas forcément fonctionner l'année d'après à cause du changement de 2-3 éléments. Pire: les profs eux-même évoluent. Un excellent prof qui est moteur en salle des maîtres qui traverse une mauvaise passe, c'est toute la qualité du système qui est remis en cause. Enfin, la matière sur laquelle on bosse, c'est des humains. Chaque élève est différent. Le contact qui va s'établir entre un élève et un groupe classe/une team d'enseignants est donc différent pour tous.
Tu n'imagines pas le nombre de menteurs, de beaux parleurs et d'incompétents dans le milieu.
Et là où ça devient moche, c'est que les principales victimes, c'est évidemment les gens les plus vulnérables, ceux dont les enfants ont déjà le plus besoin d'aide/d'encadrement parce qu'ils sont eux-même déjà tellement dépassés qu'ils ne savent plus vers qui se tourner.
Alors voilà: au moins, dans un système public, ces gens peuvent être accompagnés par des intervenants qui, même s'ils sont imparfaits, vont quand même les épauler. Dans le privé, ça donne simplement des gosses qui passent d'école en école année après année (et bon dieu j'en ai vus…) et pour qui l'école rate complètement sa vocation inclusive qui doit permettre à chacun de trouver sa place dans un groupe.
Bref, la concurrence en matière d'éducation, ça n'a juste aucune chance de fonctionner de manière généralisée. Ça ne peut marcher que si els écoles ont l'obligation de faire mieux qu'un référentiel commun, à savoir l'école publique. Et LÀ on a un coup à jouer, parce que notre meilleur atout, c'est des classes à petits effectifs et un encadrement accru. C'est le SEUL avantage qu'on a. Parce que malgré les coûts abusés des écoles privées, ça coûte un saladier, une école, ne serait-ce qu'en équipement.
Voilà. J'espère avoir amené de l'eau à ton moulin et à ta réflexion. Tu noteras que je me suis abstenu de toute réflexion à nos différences politiques et nos a priori. Comme quoi, même un prof peut faire ça. C'est même normal.
Évidemment que les écoles privées c'est bien: je me prépare à en racheter une et à faire mes soixante heures par semaine pour l'équivalent du smic, c'est clair que si j'y croyais pas, je ne me lancerais pas là-dedans. Mais crois-moi: ce n'est un système efficace que dans la mesure où il existe une école publique efficace, qu'il faut certes réformer, mais pas n'importe comment, et en renforçant sa force (à savoir des moyens importants dus à leurs effectifs et une certaine "normalité"), pas en essayant d'émuler ce qui fonctionne dans l'industrie, car ni les "consommateurs" ni les "produits" ne sont comparables à ce qu'on peut trouver ailleurs.