Lalilalo a écrit:Et tu te sens pas de vulgariser un peu ? (ici ou sur le topic du droit).
Je fais un peu de droit des étrangers et ça m'intéresserait de voir comment ça fonctionne chez vous.
Je peux essayer.
La première chose que la Suisse décide quand quelqu'un demande l'asile, c'est si sa demande sera étudiée ou non. Une demande d'asile n'est pas étudiée et est automatiquement refusée quand on se trouve dans un "cas Dublin". Avant, il y avait d'autres critères de refus automatique ou de "non entrée en matière" (NEM) comme on les appelle. Sont considérés comme "cas Dublin", tous ceux qui ont déjà déposé une demande d'asile dans un pays signataire des Accords Dublin. Ils sont censés être renvoyés dans le pays où ils ont déposé leur demande. Maintenant, le simple fait d'avoir laissé une trace administrative (contrôle d'identité par exemple) peut être considéré comme un cas Dublin, même si aucune demande d'asile n'a été déposée. J'ai même entendu parler de cas de NEM juste parce que le requérant a admis être passé par un pays signataire de ces accords.
S'il ne s'agit pas d'un cas NEM, le temps que l'étude de la demande soit faite, la personne obtient un permis de séjour provisoire, appelé livret N, renouvelable indéfiniment tous les trois mois. Ce livret permet de travailler (mais n'est pas très séduisant pour les employeurs vu que la personne peut partir du jour au lendemain en trois mois), d'étudier, d'obtenir certaines aides sociales, mais pas le regroupement familial. Certaines personnes gardent ce permis des années, pour d'autres, c'est plus rapide. On vient de voter une loi pour l'accélération des procédures. On verra ce que cela donne.
Plusieurs critères entrent en ligne de compte:
- sûreté du pays d'origine (pour donner une idée de la largesse de cette définition, le Mali ou le Nigeria sont régulièrement présents sur la liste des pays sûrs - plus trop le Nigeria, ces derniers temps, mais ça dépend des régions);
- sûreté d'un pays de transit entre le pays d'origine et la Suisse (ils pourraient demander l'asile dans un pays de transit);
- possession ou non d'une pièce d'identité (si ce n'est pas le cas, en donner la raison et la prouver: si un passeur ou un douanier vous a volé votre pièce d'identité, il faut le prouver);
- si la vie ou l'intégrité physique de la personne était directement menacée (vivre dans une région de conflit n'entre pas dans cette catégorie tant que notre vie n'a pas été immédiatement menacée, de même qu'avoir un membre de sa famille assassiné, ni l'enrôlement de force dans une armée nationale);
- si la personne a pris toutes les mesures nécessaires pour se protéger dans son pays d'origine;
- la capacité à prouver ses dires.
Une large marge de manoeuvre existe pour les décideurs pour statuer sur un dossier. Généralement, cette marge semble être utilisée pour refuser (avis personnel), parce qu'encourager les réfugiés à venir, c'est pas ce veut la confédération. Ainsi, on trouve bel et bien des réfugiés qui viennent pour cause de leur orientation sexuelle, car ils vivent dans un pays dans lequel l'homosexualité est illégale, mais d'un autre côté, je connais un requérant tanzanien homosexuel qui s'est vu refuser sa demande, car il n'a pas pu prouver son homosexualité et le cas échéant, il n'a pas non plus démontré avoir pris toutes les mesures nécessaires pour se cacher.
Ceux qui se voient recevoir une décision positive, obtiennent ce qu'on appelle le permis B. (Permis B également attribué aux travailleurs étrangers habitant depuis moins de cinq ans en Suisse, aux étudiants et aux personnes mariées à des Suisses ou des détenteurs de permis C ou B. Ce permis de séjour est donc subdivisé en plusieurs catégories.) Ce permis permet de travailler, d'étudier, d'avoir accès à certaines aides sociales dans la limite de certains délais, de trouver un appart' et le regroupement familial. La plupart des Srilankais obtiennent le permis B réfugié, par exemple. À noter qu'après cinq ans avec ce permis, il peut se muer en permis C (le permis le plus confortable), sous réserve de correspondre à certains critères.
Si on a pas les critères pour obtenir le permis B, il est alors évalué si le fait d'avoir quitté son pays met la vie ou l'intégrité physique de la personne en danger en cas de retour. On obtient alors le statut de réfugié, avec un livret F politique. C'est ce qu'obtiennent la plupart des Érythréens (à voir si ça reste le cas, puisque la Suisse est actuellement en débat pour renvoyer les Érythréens dans leur pays). Ce permis a cela de différent avec le permis B qu'il est toujours considéré comme un permis provisoire (si la situation du pays d'origine change, on peut se voir retirer son permis), et qu'il est donc plus difficile de trouver du travail avec (en plus la population suisse ne connaît très souvent pas ce permis), de plus il ne permet pas le regroupement familial. Il est renouvelable tous les ans et après cinq ans, il peut se muer en permis B sous réserve de certains critères.
Enfin, si les conditions dans le pays d'origine ne permettent pas de garantir l'intégrité physique de la personne, la personne obtient aussi un livret F. Par exemple, si la personne vient d'un pays en situation de conflit ouvert ou qu'une maladie invalidante ou mettant sa vie en danger ne puisse être traitée dans son pays (ce point laisse encore une très grande marge de manoeuvre aux décideurs). Elle obtient alors aussi le livret F, mais dans ce cas, la personne n'a pas le statut officiel de réfugié et on le nomme livret F humanitaire. C'est ce qu'obtiennent la plupart des Syriens. Pour tout te dire, je ne comprends pas trop la différence avec le livret F politique... Hormis le changement de statut de réfugié à celui de simple requérant d'asile, et du fait que les F humanitaires sont de la responsabilité de mon institution (qui s'occupe aussi des livrets N) et les F politiques sont du ressort d'une autre institution (qui s'occupe aussi des permis B réfugiés).
Maintenant qu'arrive-t-il à ceux qui sont NEM ou qui voient leurs demandes refusées ? Ils ne sont pas systématiquement renvoyés. Parce qu'on ne connaît pas leur pays d'origine, parce que leur pays d'origine ou de renvoi refuse de les reprendre, parce qu'on a pas l'argent ou pas le temps ou je ne sais quoi, pour s'occuper de leur renvoi. Je ne sais pas. Il y a plein de raisons et tout ne m'apparaît pas très clair, je dois dire. Quoi qu'il en soit, ils n'ont alors pas de permis de séjour, mais reçoivent un papier A4 signé et tamponné par une administration suisse responsable de ça, qui certifie que cette personne est en attente de renvoi. Ce papier est renouvelable tous les quinze jours indéfiniment (bien qu'en théorie, cela ne devrait pas être le cas), parfois moins de temps, parfois BEAUCOUP moins. Ce papier permet aux requérants de se rendre à l'institution responsable et d'obtenir deux fois par jour, soit l'équivalent d'un repas en nature, soit un bon, soit une somme d'argent équivalent à la moitié de la valeur d'un de mes repas quand je veux économiser. Autrement, ils n'ont pas le droit de travailler, pas le droit d'étudier (sauf les mineurs depuis quelques années, mais une fois devenus majeurs, fini, à part parfois de petits dérogations d'un an pour finir une formation), pas le droit de se marier, pas le droit aux aides sociales usuelles, pas le droit de signer un contrat quel qu'il soit. Ils vivent soit en abri de protection civil (avec ceux qui viennent d'arriver), soit en détention (mais pour une courte durée, normalement, en tout cas une courte durée à la suite, mais ils peuvent être détenus pour la même durée plusieurs fois). On leur paie quand même les soins médicaux. C'est ce qu'on appelle l'aide d'urgence, ou ce que les requérants nomment eux-mêmes le papier blanc.
Pour les NEMs, s'ils ne sont pas renvoyés dans le pays dans les six mois, ils peuvent alors représenter leur dossier qui sera alors étudié. Cependant, s'ils disparaissent de la nature, le compteur est stoppé, et reprend uniquement à leur réapparition. Donc, par exemple, si un NEM reste à disposition des autorités durant deux mois, puis disparaît quatre mois avant de réapparaître, alors seuls les deux premiers mois sont pris en compte.
Pour les autres « papiers blancs », leur demande pourra être réétudiée, s'ils sont présents sur le territoire suisse depuis au moins cinq ans (oui, c'est possible, certains vivent avec ce statut pendant dix ans). Cela dit, plus ils sont présents en Suisse depuis longtemps, plus il y a de chances qu'on essaie quand même de leur trouver des apparts ou des studios soit en colloque soit seuls, ou encore qu'ils bénéficient d'une mesure sociale quelconque (pas d'aide financière ou autre truc de ce genre), mais plutôt des mesures d'occupation. Enfin, dans mon canton, mais je crois que c'est le seul qui fait ça.
En l'occurrence, les deux élèves que j'ai croisés ont, l'un (le Pakistanais) le "papier blanc" et l'autre (la Chinoise), le livret N depuis plus d'un an et demi.