Donc la nouvelle mode c'est de balancer des impressions désagréables à la face des gens sans prendre la peine d'argumenter. C'est bien. D'un autre côté ça évite de répondre des tartines. Mais ça fait un peu aveux d'échec.
Supaman : tu fais 200 pompes par jour ?
L'argument selon lequel on victimiserait les femmes revient souvent, il est revenu notamment pour metoo. Il est revenu dans la discussion et il est revenu sous le clavier de Nucleus dans l'autre topic. Je crois que c'est vraiment un faux procès et un mauvais argument :
Reconnaître le statut de victime ce n'est pas s'y complaire. Mais si on considère, comme c'est mon cas, qu'il y a des structures de domination, alors la question n'est pas individuelle mais collective, du coup il s'agit de reconnaître qu'on n'est pas responsable d'une situation qui a des causes qui dépassent notre simple pouvoir individuel, ça permet de ne pas s'enfermer dans sa culpabilité et de reconnaître que ce qui n'est pas normal c'est de ne pas supporter mais au contraire de supporter. Et en fait c'est tout l'intérêt de mouvement comme metoo : des expériences individuelles sont agrégées et on se rend compte que ce qui m'arrive n'est pas le simple effet de mon inadaptation mais le fait de l'iniquité de la société. C'est pas moi qui me fait harceler parce que je suis une chaudière, c'est la société qui autorise les hommes à profiter de ma présence et de mon corps. Reconnaître ça c'est reconnaître que c'est pas moi qui ait un problème mais la société. C'est pour ça que les discours sur le fait que les victimes ont une part de responsabilité sont odieux : bien sûr que les femmes ont une marge de manoeuvre, mais elle est serrée. Par exemple quand vous avez des enfants et que vous êtes une femme battue, qu'est-ce que vous faites ? La question se pose de protéger les enfants, et on ne compte plus les récits de femmes qui étaient presque contentes de se faire frapper parce qu'elles avaient l'impression de rouler leur mari et de détourner son attention. Donc, il faut effectivement être attentif aux faits que les femmes ne sont pas des objets passifs qui ne font rien (c'est très clair dans la prostitution, ça a été superbement illustré par l'affaire Usul aussi). D'ailleurs quand un homme est tué par sa femme, dans un nombre important de cas, la femme a subi des violences conjugales. Par contre il faut reconnaître que l'homme qui bat sa femme n'est pas "juste en colère" et arrêter de minimiser sous prétexte qu'elle aurait cherché. Ces discours sont vraiment dangereux car ils refusent de reconnaître la responsabilité des hommes dans l'histoire.
Mais donc reconnaître qu'il y a un problème à portée générale c'est autoriser les femmes à se donner de la force et à agir : non c'est pas toi qui as un problème, c'est ton mari, ton harceleur, ton violeur. Et c'est très clair dans les groupes de conscience féministes (mais ce serait vrai pour les noirs) : on raconte son histoire personnelle et elle résonne chez les autres, et le fait de savoir qu'on n'est pas seul donne de la force. Très loin donc de rester dans le statut de victime, cela permet au contraire de réagir. Raison aussi pour laquelle ce n'est pas pareil de dire #blacklivesmatter ou #alllivematter. Evidemment que toutes les vies se valent sur le papier, sauf qu'en réalité ce n'est PAS le cas, par conséquent il faut reconnaître le statut dominé, opprimé de la population considéré pour que l'on n'en reste pas à des généralités vagues et sans intérêt sur "la nature humaine" qui sont en fait autant de freins à l'action (mais qui arrangent bien les dominants évidemment) avec des arguments de mauvaise foi du genre "non mais il faut prendre en compte la souffrance des hommes et des blancs et des machins". Mais la souffrance n'est pas en soi un critère politique, et on ne parle pas de morale ici : l'homophobe dont le fils ou la fille se révèle homo souffre beaucoup, certainement. Mais ça n'a pas d'importance en l'espèce car ce n'est pas lui qui est empêché de vivre.
Question difficile du coup : est-ce qu'il ne faut pas prendre en compte les cas où les blancs souffrent, où les hommes souffrent ? Bien sûr, mais ici deux arguments (très généraux évidemment) :
- D'abord les problèmes des dominants ne sont pas minorés (et on ne les perçoit pas comme des "victimes" d'ailleurs, ou en tout cas ça n'a pas la connotation infamante que ça a pour les autres, qui doivent être forts et relever la tête alors même que c'est eux qui en ont le moins les moyens). Quand un patron a "du mal à licencier" on en fait tout un plat, quand un ouvrier "est privilégié" alors là c'est terrible. Quand un cadre se fait déchirer sa chemise, c'est terrible, quand des salariés se suicident sur leur lieu de travail, ils avaient des "problèmes personnels". Quand un noir se fait abattre froidement, il avait déjà fait de la prison ou c'était un récidiviste, quand un blanc il est arrêté proprement. Quand une femme se fait violer elle avait une mini-jupe ou elle se baladait seule le soir, quand un homme viole c'était une erreur de jeunesse, c'était un cadre dynamique, cela dévaste sa famille... etc. Bref, il y a un double standard perpétuel et c'est parce que les situations ne sont pas symétriques que l'on n'écrit pas #alllivesmatter, parce que de fait ce n'est pas vrai. Il s'agit donc d'aller au-delà de l'égalité formelle qui cache des inégalités bien réelles que le droit seul ne règle pas (ce qui ne veut pas dire que le droit n'a aucune utilité, mais appliquer les mêmes règles à tout le monde ne garantit pas à soi seul l'égalité réelle : exemple classique des USA où le crack, drogue de pauvre, est très pénalisé et la coke très peu, formellement tous ceux qui détiennent du crack courent les mêmes risques, mais dans les faits... bon d'autant qu'en réalité, l'appartenance sociale ou ethnique/raciale n'a pas aucune incidence sur le procès).
- Les souffrances des dominants (du moins quand on les met en regard des dominés, évidemment que quelqu'un) sont des souffrances secondes. En général, un homme qui souffre parce que c'est un homme souffre parce qu'il se comporte comme une femme. Du reste, les situations d'inconfort voire d'injustice n'ont pas la même portée : certainement que tu peux te faire traiter de tous les noms en tant que blanc dans certains cas et certains environnement, mais dès lors que tu sors de cet environnement, la société te garantit des droits et des protections qu'elle accorde bien moins volontiers à des noirs et des arabes. Exemple que je prends tout le temps : je n'ai jamais été contrôlé par la police sauf une fois... où j'étais avec des femmes voilées. Coïncidence ? Bah je ne crois pas. Tous les rappeurs couronnés par les victoires de la musique... sont blancs, alors que c'est typiquement une musique faite par des noirs au départ. On en revient à l'aspect structurel de la domination et donc à son caractère politique. Tu peux être aussi policé que tu veux, ce n'est pas toi qui décide des codes et de gagner aux victoires de la musique, et si tu fais de la musique de "blanc", bah justement tu fais pas ta musique, donc tu dois accepter d'être jugé selon des codes qui ne sont pas les tiens parce que les tiens sont dévalués.
La masculinité a bien ses contraintes qui font souffrir des hommes qui ne sont pas capables de s'y conformer mais cela n'empêche que se conformer à cet idéal te rapporte quelque chose en prestige symbolique alors que pour la féminité, bien souvent l'avantage n'est pas évident. Être féminine, c'est aussi être une chaudasse et se faire siffler dans la rue. Les dominés perdent à tous les coups ou en tout cas sont sur une mince crête et on ne leur pardonnera pas soit de n'être pas assez français soit de renier ses origines. Il y a un écartèlement entre les racines ou ce qu'on a envie d'être et ce qu'on te demande d'être. Exemple : http://www.mirionmalle.com/2016/09/limpunite-des-hommes-celebres.html
Bien sûr, je brosse à gros traits (comment l'éviter). Mais je crois que c'est intéressant d'avoir ça en tête. Et bien sûr, on peut avoir des situations complexes : un ouvrier noir n'a pas les mêmes contraintes qu'une bourgeoise blanche. Le croisement des oppressions (de race, de classe, de genre essentiellement) appelle ce que l'on nomme "intersectionnalité".
Voilà pour préciser un peu le problème de la victimisation et les raisons pour lesquelles 1/ ce n'est pas du tout enfermer les gens dans ce statut que de parler de victimes, 2/ la dimension collective et systémique fonde le caractère politique de la lutte, dont on ne peut pas sortir par des appels à l'éducation individuelle qui en gros consiste à attendre que les dominants veulent bien consentir à changer.
PS : oula petit pavé