Bonjour et bonne semaine
Diablo (PC, 1996)
Type de jeu
Lente descente aux enfers à grands coups d’épée dans la chair de démon, mais descente aux enfers aussi dans la tête du joueur.
Premier contact
Aïe, aïe, aïe, je me souviens comme si c’était hier de cette fois où je suis entré chez mon meilleur pote, alors qu’il jouait à Diablo. Je ne lui en ai pas voulu longtemps de ne pas s’être levé de sa chaise quand j’ai sonné à la porte. Comme lui, j’ai été happé par ce jeu dans lequel un personnage s’enfonce de plus en plus profond sous terre, dans un décor de plus en plus oppressant, forcé de combattre des monstres de plus en plus effrayants. Beaucoup de gens ont sonné dans le vide, ce jour-là. Comme mon copain, j'étais incapable de détourner les yeux de cette légende vidéoludique, encore moins d'aller ouvrir la porte.
Retour sur expérience
Dans cet univers sombre et anxiogène, notre personnage est seul contre tous, à quelques villageois près. On a vite fait de se mettre à sa place, redoutant de tomber sur un démon surpuissant derrière chaque mur (en plus, ça arrive toutes les deux minutes). On jubile lorsque l’on ramasse une nouvelle pièce d’armure magique qui nous permettra peut-être de ne pas mourir au niveau suivant… le genre Hack’n Slash était né (note : ce constat reste contesté par certains historiens du dixième art, mais on s’en tape). Jamais je n’avais vu de personnalisation si poussée de notre avatar, puisqu’à chaque niveau d’expérience gagné, on pouvait choisir où dépenser chaque point de caractéristique, sans parler des centaines de propriétés magiques associées aux centaines d’armes, casques et boucliers qu’on trouvait par terre, sur les cadavres de nos victimes. Jouissif, vertigineux, complètement addictif.
Flashback spécial ambiance
Ah bah oui… cette ambiance, bordel ! Sans elle, Diablo aurait été un très bon jeu. Grâce à elle, c’est devenu une merveille ultra cultissime, dont on ne peut pas se passer avant d’avoir détruit trois ou quatre souris, à force de cliquer comme un demeuré. Le monde déchu dans lequel le personnage évolue est constamment enveloppé d’un brouillard de déprime. On discute avec les habitants désabusés de Tristram, le hameau maudit dans lequel tout a commencé, le temps de récupérer entre deux massacres de créatures sanguinaires… Rien de mieux pour se construire dans notre société capitaliste, et faire de préados comme nous de futures personnes respectables. Au final, ce genre de titre permet de garder les pieds sur terre de manière plus efficace que, disons… d’autres programmes en apparence mignons mais bien plus traumatisants en réalité (on en parle du plombier qui désosse des tortues et leur vole leur argent ? Ou du gentil petit elfe qui assassine tout ce qui bouge, y compris des poules, juste par obsession de ramasser des cristaux ?). Plus j’ai joué à Diablo, plus j’ai aimé la vie réelle, plus je l’ai remerciée de ne pas être remplie de démons qui cherchent à m’égorger ou me posséder à tous les coins de rue.

Réécoute de la bande-son
Si le gameplay était jouissif et les décors ragoûtants au possible, la musique allait plus loin encore. L’OST de Diablo est un pur chef d’œuvre, du morceau faussement rassurant qui accompagne le village, aux titres mille fois tourmentés qui magnifient la terreur inspirée par les donjons et autres cavernes horribles. Elle s’émancipe des carcans du jeu vidéo et peut s’écouter à tout moment, sans avoir à trancher des zombies et des chèvres garou pendant des heures pour s’y attacher. Dès que j’ai un petit coup de blues, je me remets le morceau des catacombes hantées et aussitôt, j’aime la vie de nouveau.
Moment Nostalgie
J’avais rarement le droit de rester dormir chez mon meilleur pote. Je n’ai jamais su pourquoi ses parents étaient récalcitrants à cette idée. Un jour, pris d’un accès de magnanimité, ils m’ont donné l’autorisation de venir pioncer dans la chambre de mon super copain. On a joué plusieurs heures à Diablo avant de se coucher, bien sûr. Au milieu de la nuit, le gars s’est mis à parler tout seul, en citant des noms de monstres tirés du jeu, effrayé à l’idée qu’ils soient en train de monter l’escalier menant à nos petits êtres sans défense. J’ai tenté de le raisonner mais il ne répondait pas, comme possédé par son propre cauchemar. J’ai toujours soupçonné qu’il faisait l’idiot et qu’il était parfaitement réveillé. Mais n’empêche, au bout d’un moment, je voyais des ombres bizarres se mouvoir dans les marches. Des années plus tard, on a reparlé de cette fameuse nuit :”Ma mère devait sûrement ranger du linge”, a-t-il alors déclaré, les yeux dans le vague. Mais, ranger du linge à deux heures du matin ? Sans faire le moindre bruit ? Ce mystère restera non résolu. Peut-être est-ce une piste à creuser, afin de comprendre pourquoi ses parents refusaient si souvent de faire dormir des invités. Tout le monde n’est pas réceptif aux rituels satanistes, enfin je crois.

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Dragon’s Fury (Megadrive, 1992)
Type de jeu
Meilleure alternative aux bars en cas de crise sanitaire mondiale. Le Covid-19 a juste eu trente ans de retard.
Premier contact
Comme beaucoup de pépites vidéoludiques, celle-ci appartenait à mes voisins super cool, qui me l’ont prêté par pure sympathie envers moi. Si je me souviens bien, je leur ai toujours rendu leurs jeux, sauf celui-là ! En tout cas, je l’ai gardé un paquet de temps, impossible de m’en défaire ! Bon, ils ont fini par s’en rendre compte, hein. Mais je crois qu’ils ont fait semblant d’avoir oublié qu’il était chez moi. Vraiment gentils, ces voisins.
Retour sur expérience
Né trop tard pour connaître l'époque où les flippers tenaient les jeunes occupés pendant des heures lors de leurs sorties, je suis tombé en plein dans l’ère de leurs homologues virtuels. J’en avais déjà testé un pas terrible sur le vieux PC 486 de mon père, mais avec Dragon’s Fury, j’ai découvert tout le potentiel du concept. Un tableau principal s’étalant sur trois écrans de télé, six niveaux secrets (même sept, d’ailleurs. Je l’ai découvert en faisant des recherches, je ne l’ai jamais débloqué étant gamin), une myriade d’éléments interactifs, changeants et mobiles, des passages secrets… sans oublier la balle qui changeait de couleur pour donner des bonus de points. Aucun flipper réel n’aurait pu arriver à la cheville de ce bijou. Déjà à sept ans, j’avais décidé que les bars serviraient exclusivement à me saouler, et rien d’autre !
Flashback spécial ambiance
Non content de repousser les limites des machines à billes, Dragon’s Fury se pare d’un habillage sombre, sataniste et délirant, flirtant avec l’érotico-SM en de rares occasions (ça me perturbait déjà un peu, toutes ces succubes lascives planquées dans les décors). Le plateau central arbore le visage d’une femme qui se change petit-à-petit en dragon (et pas de manière mignonne, hein), un grand nombre de squelettes se baladent à travers les niveaux (mention spéciale au crâne géant qui se marre quand on perd une vie), et divers démons essaient de vous compliquer la vie, dans des environnements crades et lugubres. À chaque fois que je jouais, un cocktail de peur et d’admiration me prenait aux tripes. Si j’avais cédé à la tentation de virer métalleux gothique à l’adolescence, mes parents auraient pu intenter un procès aux développeurs de ce jeu.
Réécoute de la bande-son
Selon les morceaux, la musique emprunte plus au disco qu’au thrash metal, même si on sent les efforts fournis par le compositeur pour enrober l’ensemble d’une vibe lugubre. De toute façon, qui suis-je pour prétendre savoir à quoi ressemble de la musique de flipper, hein ? N’importe quoi aurait pu me convenir, surtout à cet âge. Tant que c'était estampillé OST de jeu vidéo, je pouvais adorer le plus nullissime des morceaux. Le thème du plateau principal ne semble pas très accessible au premier abord, mais une fois apprivoisé, difficile de s'en passer ! Quant aux stages spéciaux, plus on approche des derniers, plus la musique sonne morbide et torturée. Magnifique !
Moment Nostalgie
Dragon's Fury s'appréciait mieux en solitaire qu'à plusieurs. Si jamais on y jouait à deux, il fallait attendre que l'autre perde pour récupérer la manette. Et vu le nombre d’options disponibles permettant de protéger notre bille du gouffre fatal, ça pouvait durer longtemps ! Quand j'allumais la console et que je voyais le nom de ma sœur tout en haut du classement des meilleurs scores, je passais dans un état second. Je ne trouvais le repos qu'une fois repassé devant elle. Je crois que je privilégiais toutefois les créneaux en journées ensoleillées. Le jeu me faisait un petit peu trop peur pour le lancer le soir.