par niicfromlozane le Dim Juil 17, 2016 19:25
Quand je gagnai enfin le pont, le ciel était noir.
L'épaisse couche nuageuse qui surplombait notre caravelle laissait présager qu'avant que l'accostage ne fût terminé, nous n'aurions plus de sec que notre esprit, pour les plus endurcis d'entre nous. Quant aux autres, la voûte céleste leur promettait la plus belle averse de leur vie. J'hésitai un instant à me soustraire à la corvée de la manœuvre pour trouver refuge dans les cales, et pus voir sur le visage de mes compagnons que je n'étais pas le seul à qui cette idée avait traversé l'esprit ; il est dans la nature humaine de chercher à se reposer sur les autres quand la tâche s'annonce aussi désagréable qu'ardue.
Mais pourtant, aucun de nous ne céda à la tentation d'une évasion discrète et chacun s'attela à l'effort : qui retendait les voiles, qui s'armait de grappins, et pas une seule âme ne broncha quand les premières gouttes s'abattirent pesamment sur le pont, avec fracas. Il ne fallut pas une minute pour qu'on distinguât avec peine nos propres voisins de corvée, tant le rideau du déluge se fit épais, dense, nous séparant les uns des autres tant par la vision que par le cœur. Fallait-il que la traversée eût endurci ces hommes pour que malgré l'assaut farouche des éléments, ils trouvassent le chemin du salut, sous la forme d'un ultime effort : tous, nous tirions aux corde tandis que sur le quai, quelque courageux inconnu nous assistait dans la tâche de fixer solidement le ponton entre la caravelle et le port.
Bientôt, mes chausses se posèrent avec un soulagement non dissimulé sur ce que les anciens avaient nommé le Nouveau-Monde. À l'instant même, mes angoisses s'évanouirent. Ni la fureur des éléments qui coulaient sur mes vêtements détrempés, ni la terreur véhémente que suscitait ce monde inconnu n'auraient su bouleverser la chaleur profonde qui s'échappa du sol, remonta le long de mes jambes avant d'aspirer mon corps dans un ouragan de confiance, telle une armure impénétrable qui repoussait les ténèbres de son halo doré.
C'est là, sous une pluie torrentielle, tandis qu'autour de moi mes compagnons disparaissaient à la recherche d'un abri de fortune, que je levai les yeux au ciel pour hurler ma joie, comme un défi lancé à une nature hostile qui, jusqu'ici, ne m'avait jamais épargné -mais l'existence avait-elle jamais épargné personne ?
Puis, quand mon cri cessa sa quête inutile d'une substitution au vacarme du déluge, je saisis mon bagage dégoulinant et m'enfonçai dans les ruelles sombres, pas tant en quête d'un refuge que d'aventure et de surprises.
Dernière édition par
niicfromlozane le Dim Juil 17, 2016 21:02, édité 1 fois.