Chapitre spécial. Comment tu t'appelles ? COMMENT TU T'APPELLES ?!
L'eau du ciel se déversait sur le museau de la chatte au poil roux. Elle essayait tant bien que mal de se trouver un abri mais les habitants ne cessaient de la chasser.
Elle avait très tôt été catégorisée comme un démon à cause de la couleur de son poil couplé à sa capacité à donner forme à son énergie vitale et à la projeter. Ce n'était évidemment pas assez puissant pour tuer quelqu'un mais c'était un argument suffisant pour les villageois pour la considérer comme une menace.
La chatte arriva près des toilettes publiques où elle put s'abriter en agitant son poil et ses larges vêtements noirs troués. Elle se mit en boule pour se protéger du froid.
La chatte s'endormit et deux heures passèrent. La pluie s'était arrêtée à son réveil.
Elle marcha dans la rue pour essayer de mendier quelques pommes mais cela fut laborieux avant qu'elle n'arrive finalement à chiper quelques fruits au marcher. Elle monta sur une grosse branche d'arbre et se dépêcha de tout avaler avant que quelqu'un ne la voit.
En mangeant, elle entendait des bouts de discussion, qu'elle s'amusait à coller bout à bout pour essayer de savoir ce qu'il se passait dans le village. Elle avait compris que le sujet du moment était le meurtre de plusieurs animaux de compagnie dans tous les coins du village, cela l'attristait un peu de voir des enfants pleurer leur mort.
Elle décida de ne plus y penser pour ne pas se déprimer et partit rejoindre sa grotte en escaladant la montagne à un kilomètre de la ville. Mais quelque chose clochait. Des traces de pas se dirigeaient vers sa grotte. Elle sentit comme une douche froide dans son dos. Et si quelqu'un avait découvert son habitat ? Elle préférait ne pas y penser.
La chatte courut de toute la force de ses quatre pattes et arriva à l'antre de son habitat. Il y avait bien quelqu'un, un jeune garçon humain. Il était assis sur une de ses nombreuses caisses d'armes, qu'elle s'amusait à fabriquer elle-même.
Ses cheveux blonds lui tombaient sur les épaules, et lorsqu'il se retourna, elle put voir que ses yeux bleus illuminait son visage. Il n'avait pas l'air méchant. Elle entra timidement dans sa grotte sans lui parler, en baissant la tête et ses petites oreilles.
« Alors c'est vrai ? dit le petit garçon. Tu vis vraiment dans une grotte à l'extérieur de la ville ? »
La chatte sentit des larmes lui monter aux yeux. Elle savait ce que ça voulait dire, il fallait qu'elle déménage avant que les villageois ne se décident de la chasser.
Tout en retenant ses larmes, elle partit s'asseoir dans un coin pour terminer l'arc qu'elle avait commencé à fabriquer. Ça la déstressait.
« Oh génial !! s'écria le garçon. C'est un arc ! Tu as d'autres armes comme ça ? »
Elle hocha timidement la tête en pointant son doigt griffu vers la caisse sur laquelle le garçon était assis.
Il se leva, ouvrit la caisse et sembla émerveillé devant toutes les armures, les boucliers, les lances, les arcs, les épées et les flèches.
« Tu as fait tout ça toute seule ?! »
Elle acquiesça.
« Tu es vraiment talentueuse, c'est génial ! Comment tu t'appelles ? »
Quelqu'un s'intéressait à elle sans un semblant de mépris dans la voix. Elle retint un sourire.
« U...Uzume...
- Trop fun Uzume ! Je m'appelle Emuzu, c'est un anagramme on dirait !
- O... oui »
Cela ne se voyait pas sous ses poils roux mais Uzume rougissait.
« Ne t'inquiète pas ! C'est une rumeur le fait que tu vives dans une grotte mais personne ne sait où c'est... J'ai cherché parce que je t'observais et tu avais l'air triste. »
Elle ne répondit rien, peu habituée à parler aux gens. Emuzu sortit deux épées et en lança une vers Uzume.
« On joue ? »
Uzume ne sut pas comment réagir mais elle hocha doucement la tête. Les deux enfants commencèrent à taper l'un sur l'épée de l'autre mais Uzume, beaucoup plus habile, fit voler l'épée de son compagnon de jeu, puis elle tendit son épée devant son nez pour signifier sa victoire. Elle avait toujours rêvé de faire ça, mais très vite elle comprit qu'elle était en train de le menacer.
« J... je suis désolée...
- Mais non ! s’enthousiasma le garçon. On rejouera ensemble demain, t'es d'accord ? Je reviendrai !
- O...oui... Emuzu... » dit-elle en ayant presque du mal à respirer.
Les semaines défilèrent et Uzume profitait de chaque moments avec son ami. Elle commençait à prendre confiance en elle.
Un jour, où les enfants jouaient dans la grotte.
« Seigneur Emuzu, dit la chatonne en ployant le genou. Je jure sur l'honneur que je servirai le royaume jusqu'à la mort...
- Bien Uzume... La loyauté est très importante. Maintenant, ramenez-moi du gibier, j'ai grande faim.
- Tout ce que vous voudrez. »
Uzume sortit doucement de la grotte, ralentie par sa lourde armure de fer, avec une lance à la main.
Quelques minutes plus tard, elle revint avec un cadavre de sanglier qu'elle déposa aux pieds d'Emuzu. Depuis qu'Uzume avait confiance en elle, elle s'était mise à chasser, ce qui était bien plus pratique. Nul besoin de se rendre au village et d'affronter les regards des autres.
« La pêche a été bonne, seigneur... »
Mais l'enfant coupa le jeu en se mettant à rire bruyamment.
« AH AH AH AH ! Uzume pouce !
- Hein ? Dit-elle avec un sourire gêné.
- Tu me ramènes un sanglier et tu me parles de pêche ! T'es trop drôle !
- Mais... C'est une expression !
- AH AH AH AH ! Oui c'est ça une expression !
- C'est la vérité !
- Mais oui ! AH AH AH AH ! »
Uzume planta sa lance sur le sol et se mit à bouder en croisant les bras.
« Puisque c'est comme ça je suis plus à ton service... »
Emuzu essuya ses larmes, se calma et vint coller son front à celui d'Uzume.
« Tu ne le penses pas... La loyauté est très importante et tu es la personne la plus loyale que je connaisse. »
Elle s'arrêta de bouder et se mit à rire avant de le gratifier d'un sourire sincère.
« Oui, à votre service seigneur Emuzu !
- Hé ! Hé ! Mais pas aujourd'hui, je dois rentrer mes parents vont s'inquiéter ! Vous avez le droit à un temps de pause capitaine de mes armées !
- Oui ! »
Emuzu caressa la tête de son amie.
« On se voit demain au village.
- Au village ? T... tu veux dire que tu vas... rester près de moi... devant tout le monde... ?
- Oui, nous nous verrons au village, ils vont t'adorer !
- J... j'en suis pas certaine...
- Mais si, je serai là pour faire en sorte que ce soit le cas ! Fais-moi confiance.
- D... d'accord. »
Emuzu quitta la grotte et laissa Uzume rejoindre son matelas en sautillant de joie. Ses paupières lui paraissaient trop légères pour qu'elle n'arrive à les fermer, trop impatiente et stressée d'être demain. Elle imaginait déjà Emuzu réaliser son rêve, la faire accepter auprès des humains du village, qui n'avaient jamais voulu apprendre à la connaître. Elle s'imaginait déjà dans une maison avec des amis qui viennent lui rendre visite. Et ces sur ces pensées qu'elle s'endormit.
Le lendemain, Uzume fut réveiller par un grand bruit. Un coup de feu. Elle s'inquiéta. Il ne fallait pas que quiconque trouve l'emplacement de la grotte.
Elle sauta de son matelas et courut à l'extérieur pour voir ce qu'il se passait, mais à peine fut elle deux pas à l'extérieur de la grotte qu'elle sentit quelque chose de lourd... Très lourd lui taper dans l'arrière du crâne. Et puis à leur tour, ses paupières, ainsi que tous ses membres devinrent beaucoup trop lourds.
Uzume se réveilla au milieu d'une foule de villageois. Elle ne comprenait pas ce qu'il se passait mais ils n'avaient pas l'air aussi agressifs qu'auparavant. Une vieille dame lui attrapa la patte et l'embrassa.
« Nous sommes tellement désolés de t'avoir traitée ainsi petite Uzume... Emuzu nous a tout raconté... Ce que nous avons fait est ignoble ! Mais nous étions persuadée que tu étais un démon !
- C... c'est pas grave... répondit-elle en souriant, très gênée. »
Un homme s'accroupit devant la chatte en souriant.
« Emuzu nous a raconté ton histoire... Le fait que tes parents soient morts pendant la guerre et que tu aies dû vivre toute seule pendant tout ce temps... »
Uzume sourit puis se rendit compte de quelque chose d'anormal. Elle se leva et tenta de s'éloigner de la foule mais il y avait trop de monde pour passer.
« Où vas-tu petite Uzume ? Demanda la vieille dame.
- J... je n'ai jamais dit à Emuzu que mes parents étaient morts pendant la guerre... »
Soudain, la foule se mit à changer de ton, à proférer des insultes. Sale démon, crève en Enfer, petite salope !
Tout se brouilla autour d'Uzume, puis tout devint noir. Uzume se rendit compte qu'elle n'avait pas ouvert les yeux.
Lorsqu'elle les ouvrit finalement, il faisait nuit. Elle n'eut pas le temps de se demander combien de temps elle avait dormi, trop impressionnée par la foule de villageois qui la regardaient avec de la haine dans les yeux. Elle voulut bouger et courir mais des cordes la retenaient. Uzume étaient attachée à un poteau, sur une estrade, avec de gros bâtons de bois empilés comme lorsque l'on faisait un barbecue. Mais cette fois Uzume se trouvait au centre du barbecue. Comme lorsqu'elle faisait griller des sangliers et toutes sortes d'animaux.
Elle essaya tant bien que mal de se libérer mais elle n'y parvint pas. Un homme encapuchonné tenait une torche à la main. La foule criait de plus en plus fort.
« Ce démon est accusé d'avoir tué tous les animaux de compagnie du village... Elle est également accusée d'avoir construit des armes dans le but de se révolter contre le village ! hurla l'homme.
- N...n...n...non... C...c...c'est faux... je n'ai pas...
- Silence démon ! Ton poil de la couleur du diable hurle que tu ouvres la bouche pour mentir !
- Tuez-là ! hurla un homme dans la foule.
- Brûlez la ! »
Uzume sentait son corps l'abandonner. Elle perdait toutes ses forces au même rythme que la disparition de ses espoirs de vivre une vie normale.
« As-tu une dernière volonté démon ?
- J... je veux voir Emuzu... une dernière fois.
- Qui ? Connais pas.
- M... mais c'est un villageo...
- AH AH AH AH ! Oui c'est bon je vois de qui tu parles. Viens mon garçon. »
Le petit garçon s'avança sur l'estrade, la tête baissée, le regard triste. Uzume sourit.
« J... je suis désolée Emuzu... je pourrai pas jouer avec toi aujourd'hui... »
Emuzu baissa la tête encore plus bas puis il se mit à trembler. Uzume sentit un frisson, cela lui faisait mal de le voir pleurer. La seule personne à avoir été son ami.
Mais Emuzu releva la tête, pris d'un puissant rire qui effaça tous les autres cris dans l'esprit de la chatte. Ses pupilles se dilatèrent. Pourquoi ? Pourquoi riait-il alors qu'elle se trouvait attachée à un bûcher ?
Le petit garçon regarda Uzume en souriant.
« Je t'avais dit qu'ils allaient t'adorer. Ils vont adorer t'entendre crier, brûlée par les flammes que tu affectionnes certainement, démon...
- Emuz...
- Brûlez la maintenant ! »
L'homme encapuchonné fit flamber les bûches autour d'Uzume tandis qu'elle voyait son seul ami s'éloigner et descendre les marches de l'estrade. Des larmes coulèrent de ses yeux. Elle se mit à trembler.
L'horizon s'effaçait tandis que le temps semblait s'effacer. Les flammes détruisait le corps d'Uzume tandis qu'elle criait de toutes ses forces, ne sachant plus ce qui lui faisait le plus mal entre sa peau et son cœur.
Ses habits entièrement brûlées, sa peau avait fondue. Uzume perdit presque connaissance quand soudain...
Elle ne pouvait pas mourir comme ça. Une explosion fit voler les bûches dans tous les sens, les villageois se mirent à crier mais plus de haine ou de joie : de peur. La foule sembla reculer d'un mètre quand...
Ils virent sur l'estrade ce qu'ils craignaient depuis des années : un démon au corps entièrement fondu dont la chair avait remplacée la peau. Ses yeux gris semblaient être devenus rouges, la vision du diable leur apparaissait. Diable qu'ils avaient créé.
Uzume, entourée des flammes marcha vers les villageois avec un sourire malsain sur les lèvres. Ses dents blanches faisaient froid dans le dos malgré la chaleur qu'avait provoqué le feu.
_ _ _ _ _
Uzume se retrouva au milieu d'un mer de cadavres. Elle les enjamba un à un et se dirigea vers Emuzu, le seul qu'elle avait épargné jusque là.
La vision de Uzume semblait avoir littéralement virée au rouge, elle jeta un regard vers les étoiles, y vit un ciel ensanglanté et une lune de feu.
Elle s'accroupit devant le petit garçon qui tremblait, recroquevillé sur le sol, tremblotant.
« Alors Emuzu ? Comment tu t'appelles vraiment ? Anagramme... Anagramme... Tu t'es vraiment foutu de ma gueule ! »
Le garçon ne répondit rien, la gorge nouée par les nombreuses larmes qu'il pleurait depuis le début du massacre, depuis qu'Uzume avait massacré ses parents.
Uzume l'attrapa par les épaules et le plaqua sur le sol en le secouant.
« Comment tu t'appelles ?! COMMENT TU T'APPELLES ?! »
Il pleurait.
« COMMENT TU T'APPELLES ?! COMMENT TU T'APPELLES ?! COMMENT TU T'APPELLES ?! COMMENT TU T'APPELLES ?! ESPECE DE CONNARD ! ORDURE ! C'EST TOI LE DEMON ! C'EST TOI CE CONNARD DE DEMON ! »
Uzume sentit sa gorge se nouer, elle se laissa tomber sur le petit garçon en pleurant de toutes ses forces, sentant sa peau brûlée se coller à celle du garçon.
« C... ce connard de démon... C...e putain de démon de merde... »
Uzume resta une minute à pleurer contre l'enfant traumatisé. Tremblotante, elle se releva et pointa son museau vers son visage, les yeux rougis de larmes, entourés par sa peau calcinée.
« Rien ne serait arrivé si tu m'avais pas trahie... »
L'enfant recula de deux mètres et cria en touchant la main d'un cadavre. Uzume resta un éternel instant à regarder celui qu'elle avait encore du mal à ne pas considérer comme un ami.
Soudain, une voix s'entendit derrière Uzume, elle sursauta et se mit en garde.
« Oh... Du calme. Je ne suis pas un villageois. »
C'était un grand homme aux cheveux blonds et aux yeux rouges, sa carrure laissait entendre qu'il était un guerrier.
« Je disais donc... Tu vas le tuer oui ou non ?
- L... le tuer ? »
Elle regarda le jeune garçon dans les yeux. Il était terrorisé. Elle s'approcha de lui et sortit ses griffes qu'elles planta sur sa joue, le gamin se mit à crier de toutes ces forces.
« Ca fait mal hein ? Comment tu imagines que ça fait de se faire brûler la peau ?
- T... tue-moi Uzume... Tu as tué toute ma famille... T... TU AS DETRUIT MA VIE ! TUE-MOI ! »
Cette fois, la vue de son visage déformé par la détresse, l'amusa. Elle fit descendre ses griffes jusqu'à son menton et de délecta de la douleur de l'enfant.
« Te tuer ? Non... La loyauté est très importante seigneur Emuzu... Je pars... Je pars de ce village pourri.
- Bah en même temps tu l'a complètement massacré ton village, dit le grand homme aux cheveux jaunes. Donc c'est la meilleur chose à faire. Mais c'était un beau spectacle. Si tu veux tu peux me rejoindre. Tu n'as nulle part où aller et j'ai besoin d'une capitaine des armées et après une bonne formation tu pourrais être parfaite.
- Une capitaine des armées ? »
L'homme lui sourit, comme s'il savait que c'était la façon de la faire accepter. Uzume retira ses griffes de l'enfant et se releva pour faire face à l'homme et se remémora ses jeux de rôle en tant que capitaine des armées.
« Je suis Uzume... J'accepte.
- Alors bienvenue, je m'appelle Orak. Si tu veux, une fois à Terratenshi, tu pourras prendre des fruits qui soigneront tes brûlures, tu n'auras même plus de cicatrices.
- Des fruits ? »
Elle regarda son corps avec dégoût mais secoua la tête.
« Non... Je veux garder ces cicatrices pour me rappeler que la loyauté est très importante.
- Quand l'adrénaline redescendra, on verra si tu tiens le même discours. Mais comme tu veux.
- Tu as parlé de Terratenshi ? La terre des anges ? Es-tu sûr de vouloir accepter un démon ?
- Tu te considères vraiment comme un démon ?
- J... je ne sais plus...
- Là-bas tu seras ce que tu veux être. »