Absolument tout est tracé. Tout. Du moindre caca des résidents (mou ou dur) au moindre paracetamol donné jusqu'aux plaintes/demandes du personnel. Ça m'étonnerait qu'il y ait d'autres corps de métier avec autant de traçabilité que les nôtres.
Rien que pour les patients/residents c'est très simple, si c'est pas tracé, c'est considéré comme non-fait (valeur nulle par défaut dans la plupart de nos logiciels).
Tout est procedifié (ça existe ça ?). On a un classeur de 600 pages rien que pour les actes aides-soignants (ce qu'on peut être amené à faire dans une journée type), qui varie selon les structures ou services, le tout encadré par nos moults agences de soin. Je parle d'un classeur dédié, mais on en a un autre pour les soins partagés (infirmier/AS) et les toubibs en ont une grosse dizaine.
La plupart du temps le moindre soin résulte de la décision de plusieurs intervenants (accord du médecin toujours, mais sur avis d'une infirmière qui se fait aussi le relais des aides soignantes, agents de soin et ASH). Parce que la santé d'une personne est évolutive, non figée, et qu'on doit toujours s'adapter ensemble.
Après tout ça c'est en partie théorique.
Car ne tient pas compte du manque de personnel et de moyens en général. Perso je suis dans une structure de rééducation assez chouette et on est deux aide soignants pour 10 patients (en continue), ça laisse la possibilité de bien bosser. En maison de retraite on était plutôt à 4 aides soignants pour 100 résidents (dont 2 la nuit). La c'est impossible de faire du bon taff même en y mettant toute la bonne volonté et l'organisation du monde. Au mieux ça entraîne des atteintes à la dignité des residents/patients (on va les doucher en 5 minutes plutôt que juste les aider. On va leur coller des couches pendant 8h pour pas les amener trop aux WCs. On va les coller devant la télé en groupe pour pouvoir les surveiller tous d'un coup. On va en coucher 80% avant 19h30 parce que pas le temps après. On va leur faire manger du mixé parce qu'ils sont trop lents à mâcher. On va leur filer direct un Xanax plutôt que d'écouter leurs angoisses). Sans compter les atteintes aux protocoles pour gagner du temps (typiquement sur l'hygiène des mains. La désinfection de 30 secondes avant et après chaque mise de gants passe souvent à la trappe, quand elles mettent des gants). Pas mal deviennent maltraitants dans ces conditions, et pas mal d'autres se barrent.
Ça c'est vraiment le "au mieux".
Et aussi parce que nos lanceurs d'alerte se font évincer. Même les toubibs se font virer quand ils dénoncent ce qu'ils ont le DEVOIR de dénoncer (
https://www.marianne.net/societe/chu-de ... eplorables ), alors des aides soignantes et infirmières, on est moins que de la poussière pour eux. Et quand on se fait virer pour ça, on a beau gagner le procès qui suivra (quelques milliers d'euros), n'empêche qu'on ne trouve plus JAMAIS de travail dans ce domaine ensuite.
Et je précise que je parle de ce que je connais surtout. À savoir pas mal de choses mais j'ai souvent une vision limitée dans le temps. Genre la psy j'y ait passé 4 mois y'a 5 ans quoi, et deux fois 2 mois (stagiaire en secteur fermé, puis embaucher dans un centre d'accueil d'urgence).
La plupart du temps je suis assez choqué par ces articles. Je me reconnais dans certains mais pour Rouvray perso je trouve que c'est pas grand chose. Si j'avais du noter toutes les morts qu'on aurait pu éviter si un collègue avait été remplacé correctement, en 12 ans dans le soin, j'en serais à des centaines. Au fait Rouvray continue ici :
https://www.infirmiers.com/votre-carrie ... lises.htmlEt pendant les 4 mois ou j'étais en psy, on a perdu une infirmière psy (étranglée), et on a eu deux AES (crachat de sang volontaire dans les yeux, ou plantage avec une aiguille souillée). Moi on m'avait cassé le pouce (j'ai paré nonchallement un coup que j'aurais du prendre au sérieux, j avais eu que 2 semaines d'arrêt sinon ça validait pas mon stage).
J'ai détesté la psy en secteur fermée pour exactement toutes les raisons que le gars cite dans l'article.
Par contre le gamin de 9 ans je pige pas trop ce qu'il foutait la. Mais j'en ait vu un de 15 ans en isolement une fois. Ça m'a pas autant choqué que les octogénaires en isolement (je précise que pour ça, faut obligatoirement un avis médical hein, ça se fait pas sur décision de l'infirmier). Ou le gami' de 16 ans qui vient chercher son subutex (palliatif à l'héroïne, ptetre encore pire que l'héritage) a 6h du matin, qui me reconnaît pas à 18h dans la rue en civil et me propose du subu pour 40€ (il lui en reste une, on lui en avait filé 3).
Les centres d'accueil bah on masse 15-20 familles parlant pas où peu la langue dans une résidence pourrie. La plupart totalement traumatisés de leur voyage (j'ai entendu des trucs de fou, de partout), et on est genre 3-4 à essayer de les gérer (y compris l'agressivité des parents souvent) , de les diriger, les pousser à s'insérer dans cette société alors que la plupart sont encore en deuil, et on essaie de faire la navette entre eux et diverses associations ou structures d'accueil spécialisées. Et pas mal font vraiment n'importe quoi (les tentatives d'immolation à l'huile de tournesol froide, j'ai vu ça que la bas).
J'ai pas aimé non plus. J'ai ressenti la même chose qu'un ado qui voudrait devenir vétérinaire pour soigner les animaux et se retrouverait à piquer des chats et des pandas roux toute la journée.
Les services de réanimation, j'y ait passé 10 semaines, j'ai appris plein de choses et la aussi j'ai été détruit (j'étais stagiaire, et les infirmières étaient méchantes). La je peux pas dire, je trouvais ça incroyable malgré tout, tout le monde était incroyablement doué, on était hyper équipé, la seule chose que je trouvais scandaleuse c'était le salaire des infirmières (ma tutrice, bonne trentaine, mere célibataire, 15 ans d'XP dont 2 aux urgences et 7 en rea, 45h/semaine jour et nuit, ne reste JAMAIS plus de 30 secondes à rien faire et tient littéralement la vie de ses patients au quotidien entre ses doigts, pour 1700€ net, une prime annuelle de 400€, et 25 jours par an de cp parce que la convention des cadres dans la fonction publique s'applique pas ici m'voyez).
Ce que je voyais, c'était des soignants se sacrifier corps et âmes pour leurs patients pour quasi rien en retour. Et quelque part c'est ça que l'imaginaire collectif attend des soignants. Sans penser qu'une infirmiere de ce niveau à un bac +4, des dizaines de mini formations complémentaires, et aimerait parfois partir en vacances, voir ses gosses, ne pas faire fuir les mecs. Pouvoir être féminine (grande source de souffrance pour pas mal de femmes qui ont pas le droit de mettre du vernis ou des bijoux, et portent une Charlotte sur la tête la moitié de la journée).
Pas pour moi non plus la réa. J'aime aider mon prochain, mais pas me sacrifier. J'ai des rêves de voyage et de découverte du monde déjà pas très compatibles avec un travail dans le soin, mais bosser là dedans les scellerait a jamais. Et je serais pu la même personne après 15 ans dans ce genre de services (et sans être parfait, je m'aime bien).
Et je suis absolument pas au niveau. Je suis incapable d'être vraiment au taquet (pleine stimulation physique et intellectuelle en continue, sans même le réconfort d'une routine) pendant 8 ou 10h comme elles (ma limite est à 1h30 en continue puis j'ai besoin de ralentir :/ et dans la journée j'ai vraiment du mal à réfléchir intensément et à être en stress plus de 4-5h). Et je suis pas sur de vouloir l'être.
Sans compter ce que j'appelle le "temps de récupération" à la débauche. Quand j'etais dans le bâtiment (à 19 ans), j'étais débauché depuis 2 minutes que déjà je pensais pu au boulot. Dans le soin c'pas pareil. On remue, on cogite, on a l'impression de sentir les produits d'hygiène ou les matières fécales même une fois douché. En réanimation je décrochais pu perso (à part les 3-4h ou j'arrivais à dormir). Et j'étais profondément malheureux.
Voila, si je devais laisser parler mon cœur en dehors de toute réalité économique, je dirais qu'il faudrait enlever une journée de boulot par semaine aux infirmières de réa, les augmenter très très largement (actuellement ça va de 1400 en début de carrière à 2500 en fin, faudrait doubler ça).
Et si vous croisez une infirmière, faites lui un compliment.
Et donc là je suis en SSR depuis 2 semaines. Je peux pas trop dire, j'aime bien pour l'instant, même si les patients sont dans un état lamentable (j'ai deux lock-in syndrome, Aka mon pire cauchemar) même si je suis payé 1280€ net par mois quoi. Alors que j'ai eu mon ancienneté.
Et je me suis fait mal voir des collègues parce qu'elles ont déduit de mes horaires que j'étais en taux plein. Hors sur mon service, y'a donc 2 aides soignants à taux plein (dont moi le petit nouveau), 4 qui ont un 70% et 4 autres qui ont un 50%. Sont jalouses, je les comprend. À priori y'en a qui demandent à passer à plein temps depuis des années. Et vu mon salaire à 100%, je sais pas comment elles se démerdent dans la vie. Moi j'en chie avec ce genre de salaires, même si j'ai conscience que je pourrais encore économiser 80€ par mois en arrêtant totalement la clope (déjà bien ralenti) et la fumette récréative déjà très occasionnelle. J'ai largement profité de ma nana (dans le même mood et aussi pauvre que moi) pour financer mon petit camion pour mes vacances (2000€ chacun, le fruit de 5-6 ans de dur travail, et dire qu'on visait cet objectif séparément avant de se rencontrer), mais suis profondément frustré de pas avoir davantage accès au reste du monde. Et je suis à taux plein donc. Et j'ai pas de gosse.
J'ai pu de voiture non plus, elle a pas survécu longtemps au derniers devis. Parfois je prend le camion (pas prévu pour ça) mais en général je me tape les 16 km pour aller au boulot en VTC. À 32 ans je devrais être au top de ma forme mais en fait j'ai mal aux jambes, ça me gonfle de pédaler, et de trimer tout le temps. Et en même temps je me force parce que chaque mois ça me fait économiser 30€ d'assurance et 30-40 de gasoil. Et que je veux désespérément deux semaines de congés (sans soldes donc besoin d'un peu de marge) en juillet. Mais ça me gonfle.
Et curieusement je le ressens d'autant plus violement que dans ma vie privée je vole sur de petits nuages. Le contraste me fait un mal de chien.
Dans notre société, j'estime qu'un travailleur motivé, qui se défonce au boulot, a le droit de pouvoir se poser plus de 5 semaines par an en fait. Et surtout d'avoir les moyens d'en profiter un peu. Surtout vu le nombre de gens payés à être non productif ou les taux de chômage actuels.
Dans le soin ce qui est bizzare c'est qu'on investi des sommes folles dans la sensibilisation continue du personnel à des trucs comme le burn-out, la maltraitance au travail ou le fait d'être solidaire entre collègues (rapport à notre taux de suicide).
Alors que bon, si on était moins sous pression, ça passerait crème. La plupart d'entre nous ont choisi ces métiers pour des raisons qui se valent et sont très compétents. Faudrait aussi revoir tout ce qui est fin de vie aussi, j'attend de voir ce que va faire Macron.
Et pourtant on est en majorité très frustré sur plein de niveaux à la fois. En très grosse majorité. Et sans cesse on nous demande de tirer occasionnellement (tu parles, à chaque fois c'est un nouveau pallier de tension), et chaque fois on s'adapte sans rien en retour, et on en chie un peu plus, et on concède la où on peut.
L'effet que ça produit sur un jeune stagiaire qui débarque dansant comme un pantin dirigé par les fils tenus de ses illusions, il est assez désastreux souvent.
Bref. Et là je me plaint moi. Mais on est nombreux dans le soin. Rien qu'à Niort (60 000hab en gros) on a un hôpital avec 2200 soignants. Une clinique un chouilla plus petite. 7 maisons de retraite intra muros (une trentaine de soignants dans la mienne). Je sais pas combien de résidences et de foyer logement. Deux centres de rééducation super balaises (on est ptetre 1000 la ou je bosse). Bon on est pas tous malheureux sur les mêmes points (Internes en médecine, infirmières ou aides soignants, médecins ou kiné, tous ont des revendications sur le système global, mais aussi propres à leurs spécificités).
Et on a un taux de syndiqué largement en dessous des 1%. On doit être au dessus en structure publique mais sûrement pas dans le privé.
Bref Supaman, tout ça pour dire que tout les problèmes du soin découlent du manque de moyens et de personnels. Pas de notre organisation.
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Bref sinon...
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Lockhee ... ghtning_IIJe viens de tomber sur ça. Pour ceux qui ont la flemme de cliquer, il s'agit de la page d'un avion de combat encore en développement et connaissant pas mal de déboires. Conçu en 1996.
À ce jour, il a coûté 406 milliards de dollars et le budget estimé depasse les 1000 milliards de Dollars.
Je savais que les budgets dédiés à l'armée étaient énormes, mais ça m'offusquait pas tant que ça jusque là. Apres tout je considère qu'une armée est nécessaire encore dans notre monde, et des soldats bah ça s'entraîne, ça s'équipe et ça s'entretient (parce que c'est totalement non-productif en temps de paix quoi).
Mais des sommes pareilles pour un seul type d'appareil ? C'est la moitié du PIB annuel Français.
C'est ça qu'on finance avec la dette française ?
C'est un θ, il croyait qu'il était τ, mais en fait il est θ.