II
Chapitre 12
Feu de forêt
*
La disparition soudaine et inexpliquée de Shibito avait jeté le désarroi sur toute l'oasis. Même parmi ceux qui ignoraient quelle place il tenait dans l'Univers, il représentait une lueur d'espoir car on savait qu'il avait amené avec lui des informations précieuses. Le choc était plus fort encore chez Gohan et ses compagnons, eux savaient à quel point il aurait été un allié de choix. Gohan était cependant convaincu que, si la lueur d'espoir allumée par le Kaio Shin avait tremblé, il fallait la faire vivre et persister dans leur projet. Shibito s'était évaporé mais ils ne pouvaient rien y faire et ils devaient suivre leur seule piste. Végéta et Gohan faisaient toujours partie de l'expédition mais puisqu'une place s'était libérée, Videl avait insisté pour les accompagner. Elle laissait Pan entre de bonnes mains : « avec ton père, ton frère, Piccolo, Krilin, Trunks et ta mère pour s'occuper d'elle... Je ne m'inquiète pas » avait-elle rétorqué à son mari qui n'avait su quoi répondre. La petite métis n'avait pas pleuré mais restait collée à sa grand-mère alors qu'elle observait ses parents préparer leur départ qui devait se faire dès l'aube, alors qu'elle avait catégoriquement refusé de dormir pour rester avec tous les autres qui ne s'étaient pas couchés non plus.
Aux premières lueurs du jour, on avait chargé les bagages, provisions et marchandises sur le chariot et tous s'étaient rassemblés autour pour accompagner son départ.
— Comme je vous l'ai dit, on ne pourra pas faire le trajet en une seule fois, annonça Koko. Heureusement, notre cher ami Horace a été assez généreux pour nous faire don de... Ceci, dit-il en tirant un drap qui protégeait des ballots de laine. On va s'en servir pour échanger des provisions, les oasis regorgent de fruits mais la laine c'est beaucoup plus rare. Les autres oasis seront heureuses de s'en procurer.
L'âne de Koko, blessé par les hommes de Norohov, regardait l'attroupement qui partirai sans lui : il aurait pu faire le voyage mais le marchand n'avait pas voulu risquer de le voir s'effondrer sous l'effort au milieu du désert. Un autre âne attendait tranquillement l'heure du départ en chassant les mouches avec sa queue. Gohan et Videl embrassèrent leur fille avant de la mettre dans les bras de Chichi ; Végéta passa sa main dans les cheveux de Bra et glissa quelques mots à son fils avant de monter à l'arrière du chariot en compagnie de Gohan, alors que Videl s'installait à l'avant avec Koko. Les visages étaient tendus et inquiets et ils regardèrent en silence la charrette s'ébranler et s'éloigner, jusqu'à disparaître au loin.
Le voyage était long et pénible. Il n'y avait rien à voir, le paysage était aussi sec et brûlé que ce que Gohan et Videl avaient traversé lorsqu'ils erraient avec Pan. De la terre, de la poussière, de la roche, des arbres morts et desséchés parfois, c'est tout ce qu'ils avaient croisé jusqu'ici. Le ciel était noir ou rouge, boursouflé par nuages grisâtres et une fois seulement ils avaient repéré une poignée d'oiseaux voler vers l'horizon. Koko ignorait à quoi ces oiseaux ressemblaient ou de quoi ils se nourrissaient. En fait, de son propre aveu, il n'en savait que très peu sur ce monde, lui qui pourtant le connaissait mieux qu'eux : « à mon avis, c'est surtout qu'il n'y a rien à savoir parce qu'il n'y a rien du tout ici » disait-il. Le voyage se faisait donc en silence, Végéta restant obstinément muet et Gohan n'essayant pas de lui parler. Koko avait cependant pu leur en dire en peu plus sur leur destination : selon lui, toutes les oasis se ressemblaient plus ou moins mais celle-ci était plus grandes et surtout plus dangereuse. Lui-même n'y était allé qu'une seule fois et refusait d'y retourner car il avait failli ne jamais en ressortir, même s'il refusait de raconter ce qui lui était arrivé.
La torpeur et l'ennui s'étendirent rapidement sur eux et au milieu du deuxième jour, Végéta n'en tint plus et sauta du chariot pour le suivre à pied. La nuit tombée, ils dressaient un campement sommaire et mangeaient en s'efforçant d'économiser leurs provisions. Le voyage se déroula ainsi pendant près d'une semaine jusqu'à ce qu'ils atteignent la première oasis sur leur parcours : assez semblable à celle qu'ils avaient quitté, comme l'avait dit Koko, ils y passèrent la nuit et échangèrent une partie de leur laine contre des provisions. Videl s'inquiéta du voyage retour quand elle remarqua que leur réserve de laine avait sévèrement diminué dès leur première étape :
— C'est prévu, la rassura Koko. On reprendra le même chemin, alors je laisse ce qu'il faut pour qu'ils nous fournissent aussi au retour. Comme ça on est moins chargés.
Le voyage continua sans encombres. Ils restaient discrets sur leur destination et de toute façon, on ne leur posait aucune question. Gohan réfléchissait en silence : il avait beau tourner et retourner la question, il n'avait aucune idée de la manière dont ils allaient atteindre l'arbre à senzus et encore moins comment le ramener. Était-ce nécessaire de le ramener d'ailleurs ? Peut-être pouvaient-ils acheter quelques fruits ? Combien ? Végéta n'était d'aucune utilité, silencieux la plupart du temps et favorable à la manière forte quand il ouvrait la bouche, et Videl n'était pas plus avancée que lui. Toute la difficulté reposait sur le fait qu'ils ignoraient tout ou presque de l'oasis : Koko ne connaissait que le chemin qui y menait et sa maigre expérience de l'intérieur n'était d'aucun secours. Alors quand au bout de trois semaines de voyage, au terme d'un parcours mouvementé au milieu d'un véritable champ de collines, le marchand arrêta enfin le chariot au pied d'une petite bute, ils n'avaient toujours aucun plan.
— Voilà, passez la colline et l'oasis se trouve derrière. Moi je ne vais pas plus loin, je ne veux pas que quelqu'un me voit.
Végéta, Gohan et Videl descendirent du chariot.
— Je vous attendrai derrière les collines, je dois pouvoir tenir au moins deux ou trois jours avant de devoir partir me réapprovisionner. D'ici là, venez me rejoindre si vous le pouvez et on se mettra d'accord sur la suite.
Il fit faire demi-tour à l'âne et s'éloigna, les laissant seuls. Ils échangèrent un regard et escaladèrent le tertre. L'oasis était encore éloignée mais le paysage était plat et désertique, et ils pouvaient déjà voir leur destination. Comme l'avait dit Koko, elle n'avait rien à voir avec celles qu'ils avaient pu voir jusqu'ici : elle était plus grande et semblait s'étendre de tous les côtés, sans ordre ni discipline, et n'était protégée par aucun mur. Au centre, comme un noyau, de grands murs s'élevaient pour cacher ce qui se trouvait derrière ; Gohan aurait parié que c'est là que se trouvait l'arbre à senzus. Tout autour s'agglutinaient des habitations grossières, de petites pièces qui s'ajoutaient à d'autres pour former un labyrinthe de bois pourri et de tissu déchiré. On distinguait des rues étroites et des rues plus larges qui tenaient lieu d'avenues, et sûrement qu'il y avait des passages cachés qu'on ne pouvait voir de si loin. Après un moment de silence et d'observation, Gohan prit la parole :
— On rentre. On fait profil bas. Il n'y a personne là-bas qu'on ne puisse battre mais nous ne sommes que trois, inutile de chercher inutilement les ennuis. Pour l'instant, on se renseigne, c'est tout. Ensuite... Je sais pas, on avise.
Les deux autres ne dirent rien. Ils savaient à quel point la situation était délicate : ce n'était pas la première fois qu'ils se mettaient en danger mais cette fois-ci, ils n'avaient ni vitesse ni force surhumaine. Il allait leur falloir agir discrètement, se cacher. C'est sans doute ce qui expliquait l'appréhension muette du trio alors qu'ils descendaient la colline. Ils marchèrent en silence un moment avant d'approcher des frontières de l'oasis où ils croisèrent les premières tentes : à en croire les bribes de discussion qu'ils pouvaient entendre, c'est là que restaient les nouveaux arrivants, ceux qui espéraient gagner assez d'argent pour pouvoir s'installer dans l'oasis même. Ils traversèrent l'immense campement sans que personne ne s'intéresse à eux avant de pénétrer dans l'oasis même. La densité de la population s'était soudainement multipliée et il était maintenant impossible d'avancer sans bousculer quelqu'un. Les discussions étaient couvertes par les innombrables marchands qui criaient sur les enfants voleurs et des ivrognes qui se battaient entre eux. Ils avançaient dans les allées, au milieu des étals couverts de nourriture étrange et d'étoffes multicolores. Même Végéta semblait absorbé dans l'observation de cette véritable ville grouillante et mouvante. C'était fascinant mais ils gardaient leur mission à l'esprit et malheureusement ils ignoraient toujours par où commencer : ils n'avaient pas imaginé que l'oasis serait si grande, si dense.
Ils déambulaient toujours lorsque des cris perçants attirèrent leur attention, presque couverts par le brouhaha de la foule : dans une ruelle perpendiculaire, enterrée derrière les étals, un enfant tentait d'échapper à trois hommes, grands et menaçants. Végéta leva les yeux au ciel mais Gohan et Videl s'étaient déjà engagés dans la ruelle et en un bond, ils étaient près d'eux. La plus grande et la plus grosse des trois brutes tenait le petit par le col et lui crachait au visage :
— Alors qui c'est qui rigole maintenant, hein ? T'fais plus l'malin, hein ? Ç'fait trop longtemps qu'tu nous prends pour des jambons ! Maint'nant on va t'faire payer la monnaie d'ta pièce !
— Mais j'ai rien fait ! C'est pas moi !
— Ouais, ouais, ouais ! Bien sûr ! On est moins idiots qu'on a l'air ! On sait qu'c'est toi qui pisse dans nos grolles et qui pique not' bouffe !
— Hé toi, lâche-le !
Videl avait fait un pas en avant et les menaçait de ses poings serrés. Ils se retournèrent vers elle et éclatèrent de rire. Gohan pouvait le comprendre : ils étaient quatre hommes grands et forts et ils n'étaient que deux. Bien sûr c'était largement suffisant – Videl seule et les deux bras cassés pouvait les assommer sans s'essouffler mais ça, ils l'ignoraient.
— T'bien mignonne toi poulette, j'suis sûr qu'avec un peu moins d'vêtements, Tô s'f'ra un plaisir d's'occuper d'toi, ricana celui qui semblait être le chef des trois autres qui s'approchaient. Mais on va goûter la marchandise hein ? Faudrait pas qu'on amène d'la mauvaise qualité à not' chef !
Il n'eut pas l'occasion de rire plus longtemps car l'instant d'après ses trois acolytes étaient au sol, suffoquant, les membres brisés. Gohan n'avait pas bougé mais Videl se tenait au milieu d'eux. Pointant le doigt vers le survivant, elle dit la voix vibrante de colère :
— Maintenant dégage, cours ou je te promet que je te fais sauter les dents une par une.
Il ne se le fit pas dire deux fois, fut-ce un éclair de lucidité ou la peur qui le fit tourner aussitôt les talons. Gohan regarda sa femme approcher de l'enfant, médusé, qui avait observé toute la scène : il ne pouvait évidemment pas lui reprocher d'être intervenue, elle avait simplement été plus rapide que lui, mais il ne lui connaissait pas une pareille violence. Sans même parler des os brisés, elle avait frappé à la gorge et il ne savait que trop bien à quel point il était facile de tuer ainsi. Bien sûr, Videl savait mesurer ses coups et il y avait plus urgent à s'occuper mais Gohan ne pouvait s'empêcher de le remarquer. Végéta quant à lui les avait enfin rejoint et faisait des reproches à Videl :
— Tu aurais pu nous en laisser.
Elle ne lui répondit pas et s'accroupit devant l'enfant :
— Ça va ? Tu n'as rien ?
Il hocha la tête et s'apprêtait à dire quelque chose quand de nouveaux cris retentirent : « Par ici, c'est là ! ». En un éclair, l'enfant avait disparu et une seconde plus tard, le trio se retrouvait encerclé par des bandits aussi grands et gros que ceux qui gisaient au sol. « Ah ! » s'exclama Végéta en se frottant les mains mais Gohan posa la main sur son épaule : ils avaient assez d'ennuis comme ça et ils n'étaient pas venus raser la ville, il fallait attendre avant de se battre.
— C'est eux ! Regardez, la poulette les a défoncés en une seconde, c'était dingue !
— J'vois ça, j'vois ça... dit un homme qui était encore plus grand, torse nu et la poitrine couverte de colliers divers. C'très impressionnant ! Moi c'est Botâ et j'suis un lieut'nant d'Tô : y t'connaît pas encore mais y brûle de t'rencontrer, fillette.
— Qui est ce Tô ? demanda Gohan.
— J'te cause à toi ? Non, alors tu la fermes ! Voir mieux, tu dégages.
— Impressionné par mes talents ? intervint Videl. Il est encore plus fort que moi, attention à ce que tu dis mon gros.
— Ah ouais ? Lui aussi ? demanda le géant en désignant Végéta.
— Tu veux voir ? répondit ce dernier.
— Non ça ira, j'vous crois sur parole. Inutile d'gaspiller son énergie, hein ? Tô est not' chef à tous, l'pacha de cette oasis, celui qu'a droit de vie ou de mort sur vous d'puis qu'vous avez posé l'pied ici. 'reus'ment pour vous, y sait aussi s'entourer et j'suis sûr qu'y s'ra intéressé par vos... Talents. Ça vous intéresse ou pas ?
Ils se regardèrent mais la décision était déjà prise. Ils auraient préféré faire autrement mais ils étaient déjà repérés et la confrontation directe ne donnerait rien de bon. Et puis c'était l'occasion rêvée de s'approcher du dénommé Tô et de l'arbre à senzus.
— Ouais, dit Végéta.
— Tant mieux, parce que d'façon on vous laissait pas l'choix. Défoncer trois gars à peine bons pour racketter un chiard c't'une chose, mais là z'auriez eu affaire à la classe au d'ssus. 'fin tant mieux, c'plus facile comme ça.
Ils suivirent donc Botâ hors de la ruelle jusqu'à replonger dans l'effervescence de la rue qu'ils avaient quitté, escortés par les gorilles qui étaient venus avec lui. La rue n'avait pourtant plus rien à voir avec ce qu'elle était quelques minutes auparavant : plus calme, plus ordonnée, les marchands et les clients se serraient sur les côtés pour laisser passer la cohorte de truands. Certains interpellaient Botâ : « bonjour monsieur Botâ, comment allez-vous ? », « monsieur Botâ, quel plaisir de vous voir ici, me feriez-vous l'honneur d'accepter cette bouteille ? C'est gratuit pour vous ! » ou encore « ah ! Monsieur Botâ, quel élégance aujourd'hui, comme d'habitude ! ». Il était visiblement ravi de l'effet qu'il pensait avoir sur le trio, croyant apparaître comme un homme respecté et adoré mais ils n'étaient pas dupes : la peur et l'appréhension se lisaient dans les yeux des flagorneurs et ces flatteries sonnaient fausses. Botâ lui ne s'en souciait pas, à supposer qu'il réalisait l'hypocrisie de ses adorateurs et les menait d'un pas tranquille vers le cœur de l'oasis. Ils marchaient depuis une quinzaine de minutes lorsqu'un grand mur se dressa devant eux, percé d'une porte. Botâ frappa la porte de son poing et elle s'ouvrit aussitôt pour les laisser entrer.
Gohan pensait trouver au-delà de la porte une autre partie de l'oasis à ciel ouvert mais il s'agissait en fait d'une grande pièce avec un comptoir, des tables et des chaises. Ces dernières étaient occupés par d'autres bandits et l'air était saturé de vapeurs d'alcool et de fumée indéterminée. Plusieurs portes parsemaient les portes, certaines fermées et d'autres ouvertes qui laissent entrevoir ce qu'elles devaient cacher : des couloirs, des chambres, des réserves... Une porte en particulier semblait plus grande que les autres et se démarquait surtout par les deux gardes dont elle était flanquée, grands et gros eux aussi. Ils s'en approchèrent et Botâ se retourna vers eux :
— 'tendez là. J'vais parler à Tô et on vous dira quand rentrer. Fermez-la, touchez à rien et cherchez pas la merde.
Végéta leva à nouveau les yeux au ciel alors qu'il disparaissait derrière la porte, sans les laisser voir ce qui se cachait derrière. Même moins expérimenté, il avait toujours su être malin et se taire quand il le fallait mais aujourd'hui l'effort était particulièrement intense : il aurait pu écraser ces insectes avec un seul doigt et pourtant, il devait les laisser croire qu'ils étaient les plus forts et le prendre de haut, lui donner des ordres et le menacer. Observer ses deux compagnons le réconforta : ils étaient contrariés eux aussi. Ils n''eurent à attendre que quelques minutes avant que la porte ne s'ouvre de nouveau et qu'un homme leur fasse signe d'entrer.
Ils découvrirent alors une grande salle aux murs couverts d'étoffes et au milieu de laquelle trônait un homme immense. Tous les truands dont ils avaient croisé le chemin jusqu'ici bénéficiaient d'un physique impressionnant mais lui les dépassait largement. Affalé sur ce qui ressemblait à un trône grossier, il devait mesurer trois mètres ou un peu moins, son torse était nu et ses bras étaient aussi larges que les cuisses de ceux qui l'entouraient. Ses cheveux étaient longs et blonds, sales, tombant sur son visage et une barbe rongeait son visage. Il posa sur eux des yeux clairs alors qu'il mâchait bruyamment ce qui ressemblait à de la viande séchée. Des lampes à huile l'éclairaient, le rendant plus impressionnant encore, et tout autour de lui se trouvaient des coussins et des draps sur lesquels se tenaient des femmes, aux morphologies variées mais toutes brunes et aux bras couverts de bleus. Elles n'étaient pas nues mais couvertes de vêtements fins qui ne cachaient rien ou presque.
À sa droite, une plante grise, tordue, ridée dans un petit pot de terre. L'arbre à senzus.
— Comme j't'ai dit patron, les deux gars j'sais pas c'qu'ils valent mais la fille est très forte et elle dit qu'y sont encore plus forts qu'elle, annonça fièrement Botâ qui se tenait devant son chef.
— Elle a pas l'air, lui c't'un minus, il doit pas être si fort que ça et l'autre a l'air d'une couille molle, dit Tô en désignant tour à tour Végéta et Gohan. V'savez quoi, si vous voulez bosser pour moi, va falloir faire vos preuves les mecs.
— Il dit vrai, nous sommes très forts, répondit Gohan après un instant d'hésitation. Mais nous ne sommes pas venus travailler pour vous : nous sommes venus pour affaire.
— De quoi ? C'est quoi c't'histoire ? aboya Tô alors qu'il se tournait vers son lieutenant qui semblait à la fois furieux et pris de panique. J'fais affaire avec personne, on bosse pour moi et c'pas des minables comme vous qu'allez changer ça. Maint'nant dégagez, j'perd pas mon temps avec les couillons moi.
— On te demande pas ton avis, file-nous l'arbre ! s'impatienta Végéta.
Le silence régna pendant quelques instants avant que toute la salle n'explose de rire. Même les femmes aux côtés de Tô ne pouvaient réprimer un sourire de pitié, alors que les hommes du géant essuyaient leurs larmes.
— T'es un marrant toi, dit Tô en reprenant son souffle. Alors c'est ça qu'vous voulez ? Comment vous savez qu'ça vaut que'qu' chose ? Qui a ouvert sa mouille ici ? rugit-il, mais tous avaient déjà baissé les yeux. Et pourquoi vous l'voulez d'façon ? Vous savez quoi dessus ?
— Rien qui ne soit de tes affaires, répondit Gohan. Écoute, j...
— Non toi écoute, dit Tô d'une voix forte en se penchant vers Gohan. Oublie pas où t'es. J'suis d'venu c'que j'suis en cassant l'cou de ceux qu'étaient sur mon ch'min et ça m'dérange pas d'le refaire. Mais t'sais quoi j'aurais même pas à lever mon cul d'ma chaise, parce qu'à cinquante contre trois z'avez beau êt' balèzes – encore que j'demande à voir – vous allez vous retrouver dans la merde assez rapidement, c'moi qui vous l'dit. C'la dit... J'suis un gars sympa. Vot' copine là, j'la veux. Elle va v'nir avec moi et après j'vous file c'que vous voulez.
— Pardon ? s'exclama Videl.
— Ça ne va pas être possible, répondit Gohan. Trouvez autre chose.
— J'trouve rien du tout, c'est ça le deal. Tu prends ou tu t'casses. En fait non, t'sais quoi, j'te trouve bien impoli : j'fais un effort et toi tu m'le renvoies dans la gueule... Nan t'sais quoi, la fille et le machin vont rester avec moi et vous, bah...
Il fit un signe de la main et le trio se retrouva aussitôt entouré par des colosses.
— Chopez la poulette, l'abîmez pas. Butez les deux autres et vous balancez les corps, ça f'ra un exemple, ça fait longtemps.
— Eh ben voilà, on aurait dû commencer par là, soupira Végéta. Je savais bien que c'était pourri comme plan de toute façon.
Tous trois se mirent en garde. Les truands se massaient autour d'eux, menaçants, ricanants, faisant craquer leurs jointures. À nouveau, c'est Videl qui frappa en première mais elle resta figée dans les airs : l'homme qu'elle avait voulu frapper avait attrapé sa jambe et un sourire s'étirait sur ses lèvres. De l'autre côté, Botâ s'exclama :
— Qu'est-ce que j't'avais dit, p'tite pute ? Les trois guignols de t'à l'heure c'étaient des trouffions, là tu t'attaques à d'vrais mecs, les balèzes parmi les balèzes !
Videl poussa un cri rageur et envoya d'un coup de poing son adversaire s'écraser sur le mur. Gohan et Végéta l'imitèrent, se jetant sur les hommes qui les entouraient mais ils se révélèrent tout aussi habiles et résistants : bien sûr, ils restaient en-dessous du trio mais l'écart n'était pas aussi évident qu'on aurait pu le penser et il était largement compensé par le nombre. Celui qui avait été mis au tapis par Videl était déjà de retour. Le trio frappait fort, il frappait vite mais à plus de cinq contre un, ils ne pouvaient surveiller tous les angles. Végéta venait d'écraser le nez d'un de ses adversaires lorsqu'il se sentit partir en arrière : un des géants l'avait saisi par la cheville et l'avait envoyé voler. Il percuta le mur et renversa une lampe à huile. À peine s'était-il relevé que de nouveaux adversaires se jetaient sur lui en hurlant et lui faisaient traverser la cloison dans un fracas de poussière. Au même moment, Gohan et Videl prenaient le dessus : la surprise des premiers instants s'était estompée et si le surnombre des truands leur donnait un avantage au début, maintenant ils se gênaient et le trio en profitait pour frapper efficacement. Un cri de rage les déconcentra un instant et ils purent s'écarter pour laisser passer le corps d'un gorille, le cou affreusement tordu, qui défonça plusieurs cloisons sur son chemin. La plupart des truands gisaient désormais au sol mais Gohan et Videl se sentirent s'élever alors qu'une poigne puissante leur écrasait la nuque : Tô s'était décidé à intervenir et, à la pression qu'il exerçait sur leurs cervicales, semblait vouloir en terminer rapidement. C'était sans compter Végéta qui revint dans la salle du trône : le visage ruisselant d'un sang qui n'était pas le sien, il trainait derrière lui un individu qui était probablement vivant il y a un instant encore et ses traits étaient tordus par la joie sadique de se retrouver à nouveau au centre d'un combat. Il se jeta sur Tô le pied en avant, l'envoyant percuter son trône et renverser de nouvelles lampes. Le Saiyen s'approcha, le genou écorché, et écarta les bras :
— Alors ? Alors ? Alors pédale, t'abandonnes ? Un petit coup et tu laisses tomber ? Tu me fais pitié ! cria-t-il en crachant sur Tô qui se relevait.
Il n'eut pas le temps d'ajouter autre chose : le colosse l'avait cueilli au creux de l'estomac. Gohan et Videl se relevaient eux aussi, se massant la nuque, et se lancèrent aussitôt dans la mêlée pour abattre les quelques gorilles qui étaient encore debout. Alors qu'ils assommaient le dernier, ils entendirent le bruit assourdissant de la chair contre la chair : Tô avait soulevé Végéta par le col et semblait lui fracasser les os tant ses coups étaient violents. Il sembla s'en lasser pourtant car il lui assena un coup de tête violent avant de lui postillonner au visage :
— Alors c'est qui la pédale maintenant ?
Végéta s'étranglait à moitié et recrachait du sang. Il tentait d'atteindre le visage de Tô avec ses pieds mais le bras de son adversaire était trop grand et sa poigne trop solide pour que le Saiyen arrive à s'en dégager. Heureusement pour lui, Videl et Gohan le frappèrent dans le creux de chaque genou. Alors même que Tô s'effondrait, laissant tomber Végéta au sol, un grand souffle passa sur eux tous : les lampes à huile renversées avaient mit le feu aux étoffes qui couvraient les murs, et les flammes rongeaient maintenant les coussins et les draps, les rideaux et le bois et... L'arbre à senzus. Dans un cri de désespoir, Videl bondit à ses côtés mais il était déjà trop tard : dévoré par le feu, il ne restait plus de l'arbre qu'un petit tas de cendres et des branches noircies et rabougries.
— Non... Non... répétait-elle en fouillant les cendres dans l'espoir de trouver un fruit, une graine, n'importe quoi pour sauver l'arbre.
C'était sans espoir. Tô s'acharnait déjà sur Gohan alors que Végéta peinait à se relever et des hordes de bandits se ruaient à l'intérieur, plus petits et moins imposants mais plus nombreux. Certains tentaient d'éteindre le feu qui s'étendait rapidement, d'autres semblaient vouloir les affronter mais l'exemple de Videl et de Végéta qui envoyèrent une fois de plus leur chef au tapis les en dissuada. Végéta boitait et se tenait le bras mais il fallu que Videl l'empoigne pour qu'il les suive, Gohan et elle :
— Ça ne sert à rien, tout est en train de brûler et l'arbre est perdu, il faut partir, vite !
Ils décampèrent en vitesse : les issues étaient ouvertes, personne ne faisait attention à eux car le feu s'étendait rapidement. Seul un garde qui les avait vu entrer s'interposa mais il ne posa aucun problème : il se retrouva assommé sans même avoir vu partir le coup. Ils couraient dans les rues, bousculant les passants qui regardaient la colonne de fumée grise s'élever de derrière les murs, renversant les étals qui se trouvaient sur leur chemin. En un instant ils se trouvèrent hors de l'oasis et se retournèrent une seconde : elle brûlait, complètement. Le bois sec et l'humidité inexistante nourrissaient les flammes, les gavaient plus que de raison et cette oasis asséchée partait rapidement en cendre. Il n'eurent pas le loisir d'observer davantage la chute du royaume de Tô, ils devaient disparaître avant qu'on se souvienne d'eux et qu'il prenne au truand l'envie de se venger. Ils traversèrent à nouveau le champ de tentes, gravirent les collines qui les séparaient de Koko jusqu'à apercevoir le chariot qui attendait tranquillement. Le marchand, stupéfait de les voir revenir quelques heures seulement après être partis, se vit intimer l'ordre de partir aussitôt, sans plus d'explications. Ils ne lui expliquèrent leur aventure qu'une fois les collines, et l'oasis qui se cachait derrière elles, hors de vue : il n'y avait plus d'arbre, plus d'espoir.
⁂