Mon analyse sur facebook de vendredi dernier:
Le problème grec "pour les nuls":
1. À qui la Grèce doit-elle de l'argent ?
Donc, la Grèce doit 317 milliards d'euros qu'elle ne peut pas rembourser. C'est assez problématique. Enfin, il y a 7 ans, en 2008, ça l'était assez peu, puisqu'elle devait cet argent à des banques privées; or, celles-ci avaient investi cet argent et, comme tout investissement dans une démocratie libérale, elles auraient dû s'attendre à pouvoir perdre cet argent, couvert par d'autres investissements, et la loi du marché se serait appliquée, implacable, à ces naïfs établissements bancaires, comme l'exigent les règles du jeu.
Seulement voilà : durant les 7 dernières années, allez savoir pourquoi, les états européens ont consciencieusement racheté ces dettes aux dites banques, afin que les pertes engendrées en cas de défaut ne soient plus supportées par ces pauvres banquiers, mais plutôt par les contribuables. C'est évidemment parfaitement scandaleux, mais dans le domaine de la finance, on n'en est plus à ça près, finalement, et vu le système absolument absurde dans lequel on évolue, les états n'avaient pas d'autre choix: "too big to fail".
2. Le rapport de force
Durant les sept dernières années, la Grèce était mal: sa politique d'austérité la rendait dépendante du FMI et de la BCE pour se financer et elle se trouvait dans un cercle vicieux qui l'obligeait à d'endetter toujours plus pour faire face à ses obligations. De fait, le gouvernement n'avait pas d'autre choix que de s'incliner respectueusement face à Bruxelles.
Seulement voilà: depuis janvier, les choses ont changé en Grèce, et aujourd'hui, le budget est, chose rare dans l'UE, à l'équilibre, c'est-à-dire que si l'on fait abstraction des intérêts sur la dette, la Grèce engrange plus qu'elle ne dépense. En clair: elle a tout intérêt à envoyer bouler ses créanciers et leur dire de se débrouiller. C'est son droit: cela s'appelle "faire défaut", et quand on a aux commandes de l'économie un type aussi brillant que Varoufakis (n'en déplaise à Philippe Nantermod) qui parvient à équilibrer son budget dans des conditions aussi dramatiques, on a même tout intérêt à le faire, puisque le seul souci serait le financement, et que la Grèce est désormais capable de s'autofinancer.
Par ailleurs, le rapprochement aussi inattendu qu'intelligent avec la Russie (qui préfère de loin s'allier à un pays capable de pressurer Bruxelles que d'entrer dans une guerre thermonucléaire en Ukraine, faut pas déconner) n'est pas pour simplifier la position de l'UE, qui est gentiment en train de se rendre compte qu'elle risque bien de se retrouver dans une sacrée mouise si elle ne change pas son fusil d'épaule, car la Grèce est désormais quasiment autonome et ne dépend plus de Bruxelles.
3. Les options européennes
Du coup, la pression est inversée, et ceux qui ont vraiment peur, ce sont les états européens, pour deux raisons:
• d'abord, si les grecs font défauts, ils vont bel et bien devoir faire supporter la facture à leurs propres contribuables, et visiblement, ça ne les réjouit pas. La France, par exemple, aurait bien voulu arriver à diviser la dette de la Grèce par deux pour ne plus avoir à payer que 34 des 68 milliards d'obligations grecques qu'elle détient désormais. Elle a tout intérêt à trouver un accord pour assumer ces coûts -qu'elle devra de toute manière supporter, car la dette grecque ne sera jamais remboursée, c'est une réalité- sur la durée plutôt que de provoquer une crise qui va laisser l'équivalent d'une année de pertes supplémentaire dans son budget.
• Si la Grèce fait bien défaut, sa situation économique va se redresser. Du coup, il est essentiel pour eux de parvenir à un accord pour éviter de donner de "mauvaises idées" à leurs citoyens, c'est-à-dire remettre entièrement en cause le système bancaire qui soutient leurs campagnes électorales.
Bref, la transformation de cette crise économique en problème géopolitique, en à peine six mois, est le reflet de l'incroyable intelligence stratégique de Tsipras et Varoufakis, que personne n'a visiblement vus venir.
4. La BCE et le FMI
Seulement voilà: il y a encore un autre acteur dans cette histoire, qui échappe à la dimension politique du problème: la BCE et le FMI, c'est-à-dire les agents des banques au niveau international.
Leur stratégie consiste à provoquer par le biais des canaux d'information un étouffement du système bancaire grec en provoquant un bank run. C'est-à-dire que ces irresponsables sont en train de créer, de manière parfaitement artificielle, un bank run en Grèce an alarmant la population à grands coups de déclarations apocalyptiques qui poussent les grecs à anticiper une faillite de leurs banques en retirant leurs économies.
La stratégie est simple: on sait qu'AUCUN système bancaire au monde ne peut survivre à des retraits massifs, cela tient au système de réserves fractionnaires qu'ils ont eux-même généralisé et encouragé dans le monde entier, car le cash ne représente que 5-8% du montant des comptes bancaires. Ainsi, ils étouffent financièrement la Grèce à l'aide des instruments qu'ils ont encouragés et qui sont à l'origine même de cette dette illégitime.
C'est à vomir.
La seule option qu'ils laissent au gouvernement sont les suivantes: se soumettre ou quitter l'euro, ce qui serait bien évidemment dramatique dans l'état actuel des choses.
5. LE BRICS
Et c'est alors que l'inattendu survient: le BRICS.
Le rapprochement entre la Grèce et la Russie s'est visiblement étendu à la Chine, au Brésil, à l'Inde et à l'Afrique du Sud, qui viennent justement (comme le timing est bon!) de financer leur propre FMI et soutiennent désormais ouvertement la Grèce.
Dès lors, le choix qui s'offre ce lundi à Angela Merkel est clair: accepter ENFIN des négociations qui respecteront les engagements électoraux de Tsipras ou accepter le risque de voir la Grèce tourner définitivement le dos à l'Europe en offrant aux puissances émergentes la plus belle vitrine dont elle puisse rêver: accomplir ce que l'Europe et l'Amérique n'ont pas su faire.
MM Varoufakis et Tsipras: encore une fois, bravo. Je suivrai avec passion le dénouement de cet incroyable feuilleton dans les prochains jours.
Suite à ça, ben on a vu le comportement des européens lundi: la fermeté. Ils ont essayé de diviser les soutiens parlementaires de Tsipras pour carrément le faire sauter, en allant jusqu'à refuser les concessions de Syriza, qui sont pourtant calquées sur ce qui se fait au Portugal, en Espagne ou en Italie. Quand on entre dans le détail c'est édifiant de saloperie: en gros, tout ce qui tend à taxer les plus fortunés est refusé, tout ce qui tend à affaiblir encore la base est encouragé. Bref. L'idée, c'est clairement de saboter le gouvernement grec de l'intérieur pour l'affaiblir dans ses négociations avec le BRICS.
Source:
http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2015/06/24/97002-20150624FILWWW00141-grece-tsipras-s-attaque-au-fmi.phpEt puis BOUM. Referendum. Celle-là, je crois que les institutions européennes ne l'avaient pas vue venir. Personne, en fait. C'est qu'ils ont plus trop l'habitude d'inclure la volonté populaire dans leurs calculs politiques…
Et c'est encore une fois la preuve du génie stratégique de Varoufakis et Tsipras, qui étaient visiblement près, puisque l'appareil du parti va monter cette votation en moins d'une semaine, ce qui montre qu'ils ont lancé ça dès lundi dernier, au minimum.

Étonnant qu'il ne propose toujours pas de sortir de l'Euro, en revanche.
Pour mieux comprendre:
http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-alexis-tsipras-convoque-un-referendum-le-5-juillet-487666.html