Du coup j'en profite pour en poster une autre.

Même principe, elle date de l'année dernière aussi.
Les immortels
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Je tombe si vite que j'en ai mal. Je l'entends derrière moi, elle me suit mais elle n'est pas assez rapide pour me rattraper. C'est à cause d'elle que je tombe, parce qu'elle m'a frappé, elle m'a frappé si fort qu'il m'a fallu quelques secondes pour reprendre mes esprits, et maintenant il est trop tard pour me reprendre. Je vois l'eau s'approcher à toute vitesse mais je n'ai plus le temps... Encore une seconde et je suis au fond. Je tombe encore un peu mais l'eau freine ma course. Il faut que je sorte, et je dois le faire vite : je n'ai pas besoin de respirer mais si je reste là, elle va me rejoindre et je n'aime pas me battre sous l'eau. Je vois à peine le soleil au-dessus de l'océan, et tout est noir autour de moi. Une forme plus sombre encore, gigantesque, passe près de moi et je l'entends chanter : elle dépasse tout ce qui vivra après sa disparition, même en cet âge où tout est plus grand. Une petite impulsion, à peine un effort, et je me suis propulsé hors de l'eau jusque dans les airs. Je me trompais : elle ne m'aurait pas attaqué sous l'eau, parce qu'elle est là. Elle m'attend. Elle croise les bras et me dit :
— J'ai cru t'avoir tué, mon amour. Dommage.
Je la regarde manger. Elle est si belle. Je l'aime. Et c'est dire quelque chose quand on mange aussi salement qu'elle. Le soleil n'est pas encore tout à fait levé mais de toute façon, ni elle ni moi n'avons vraiment besoin de dormir. Je veux lui dire de fermer la bouche quand elle mange mais la terre se met à trembler avant que je puisse parler. Des voix, des cris retentissent et la terre tremble plus fort encore.
À travers les arbres, je peux voir une armée s'avancer. Elle est de rouge et de métal et elle marche en rangs serrés, ordonnés. De l'autre côté, une autre armée lui fait face : elle est en désordre et ses soldats ont les cheveux longs, les moustaches tombantes et le visage couvert de peinture. Ils hurlent et lèvent le poing, grands et forts. J'ai une idée, mais cette fois encore je n'ai pas le temps d'ouvrir la bouche :
— Hé... Moi d'un côté, toi de l'autre ?
Je souris. Elle se marre. Elle ne me laisse même pas choisir, elle est déjà en train de se couper les cheveux.
Trouver un barbare isolé n'a pas été facile mais j'ai fini par y arriver. Ils sont tous si excités par l'odeur du sang qu'ils ne me remarquent pas quand je me glisse dans les rangs, et puis je ne suis pas peu fier de mon déguisement. Si on oublie mes cheveux courts et mon visage imberbe, je suis un barbare plus vrai que nature. Je brandis mon épée et je hurle avec les autres. Ah ! La guerre, la guerre ! À la mort ! À la fin du monde ! S'ils savaient... Ce sont des enfants, ils ne connaitront pas la fin de ce monde alors que moi, j'en ai connu plusieurs déjà. Mais peut-être suis-je un peu trop présomptueux... Moi je ne connais pas la mort, eux la connaitront bientôt. Alors qui suis-je pour parler de savoir ? Et puis ce n'est pas le moment. On court déjà, et on hurle de plus belle alors je cours et je hurle moi aussi. Les hommes à mes côtés tombent, transpercés par les flèches qui pleuvent sur nous et alors que je les regarde, je me cogne contre ceux qui sont devant moi. Ils ne courent plus parce qu'ils ont rejoint l'armée d'en face et ils se battent. Bientôt les deux camps ne se font plus face, ils se mélangent et c'est au milieu d'une immense mêlée que je me trouve. Je frappe, je bloque et je tue. Ils sont faibles et lents, comme ils l'ont toujours été mais ils s'améliorent. Bientôt, ce sera amusant.
Et puis enfin, je la vois. Elle est là, dans la mêlée, elle se bat contre mes nouveaux compagnons d'armes. Je m'approche et brandit mon épée, et elle ne m'entend toujours pas. Elle me tourne le dos. Je n'hésite pas : ma lame s'enfonce dans son dos et transperce son cœur. Elle ne peut pas survivre à ça, je suis sûr d'avoir touché son cœur. Je retire ma lame et elle se retourne aussitôt, dans un dernier effort avant de tomber à genoux. Elle me regarde et expire en souriant :
— Saleté, par derrière, tu n'as aucun honne...
Je l'embrasse.
Je ne m'en lasse pas. Ce sont de véritables puits de feu, inépuisables, invincibles... Ils sont loin maintenant mais je les vois toujours aussi bien. Bientôt, nous serons dans les montagnes et peut-être que je la retrouverai là-bas. Je voudrais rester à regarder les colonnes de flammes mais un autre feu se déchaîne soudain sur mes compagnons et moi : on nous tire dessus. J'ai encore laissé mon arme dans la voiture blindée, quel idiot... Je me retourne et je cours vers elle mais quelque chose me coupe dans mon élan. Ça brûle dans mon dos, c'est comme si on forait ma peau avec un engin chauffé à blanc. On m'a tiré dessus. Mes jambes ne me portent plus et je tombe face contre terre. Je l'entend rire derrière moi. C'est elle... Mon amour. Je me mets sur le dos, même si ça me fait mal, pour la voir avant de m'endormir. Elle est toujours plus belle à ce moment là, comme si c'était possible. Elle se penche au-dessus de moi, et je sens ses lèvres se poser sur mon front.
— T'es vraiment nul avec ces trucs, hein... La prochaine fois on retentera les épées, c'est trop facile sinon.
Elle a raison, je préfère les épées. Je n'aime pas les armes à feu. Je la regarde mais elle n'est pas plus belle comme je pensais qu'elle le serait. En fait... Tout est flou. Je n'arrive plus à distinguer la couleur de ses yeux, les imperfections de sa peau... Je ne peux plus voir son sourire, je ne peux plus voir... Pourtant je pense encore. Ce n'est pas comme d'habitude. Je meurs, comme je suis mort dix mille fois déjà, mais ce n'est pas comme d'habitude.
Une fois de trop, peut-être ?