Et bien ce sont des propositions qui sont la suite logique de ce qui semble être la doctrine (à tort ou à raison d'ailleurs) de notre garde des sceaux, à savoir que :"la prison est source de récidive et d'endurcissement des délinquants et qu'elle aggrave plus les problèmes qu'elle ne les résout".
Au cas par cas:
La sortie aux deux tiers de la peine. La situation des personnes condamnées à des peines de moins de 5 ans sera désormais « obligatoirement examinée (…) afin que soit prononcée une mesure de sortie encadrée », explique le texte. La sortie se fera sous la forme d’une semi-liberté (la personne dort en prison), d’un placement sous surveillance électronique (PSE), d’un placement à l’extérieur ou encore, selon les cas, d’une libération conditionnelle. La libération automatique du prisonnier aux deux tiers de la peine devient donc un principe.
Par principe, je n'y suis pas forcément opposé. On sait qu'une sortie sèche de prison est source de récidive. Une sortie de prison, ça doit se travailler dans mon esprit. La prison doit être un moyen de mettre l'individu hors de nuire à la société, mais ça doit également, dans un monde idéal, lui permettre de s'amender et de se responsabiliser pour être apte à réintégrer ladite société. C'est pour ça par exemple que permettre aux détenus d'avoir un emploi est important je pense. La sortie aux deux tiers de la peine participe à cette idée. On responsabilise l'individu car il sait que s'il fait un pas de travers, il peut retourner par la case prison. ça lui permet également de retrouver un emploi (par exemple pour la semi-liberté), bref, ça le prépare à la sortie.
En revanche, cette proposition, combinée à la politique pénale que semble vouloir instaurer Mme Taubira peut être à mon sens source de nouveaux problèmes :
La Gds souhaite que l'emprisonnement devienne l'exception en matière de réponse pénale à une infraction. C'est déjà le cas, mais ça risque de l'être de plus en plus. Ne se retrouveront donc en prison (ça semble être l'idée en tous cas) que les délinquants purs et durs
et les opposants au mariage pour tous. A terme, ce sont donc les pires des délinquants qui seront touchés par cette réforme qui, dans l'esprit, semble au contraire vouloir viser les délinquants pas trop dangereux (condamnés à moins de cinq ans de prison). Pour ces supers délinquants, je ne suis pas certain qu'une libération quasi-automatique aux deux-tiers de la peine soit un très bon signal (même si en pratique, avec les réductions automatiques de peines, rares sont les détenus à purger toute leur peine). Au contraire, cela participe à leur déresponsabilisation.
Là, on touche du doigt les contradictions de la politique pénale, avec une partie de l'opinion publique qui souhaite une réponse pénale forte d'un côté et des études qui démontrent que la prison n'est pas forcément la solution de l'autre. Si on rajoute à cela les problèmes de budget, on comprend aussi à quel point il est dur d'être Gds et je ne jette pas la pierre à Mme Taubira non plus.
Des réductions de peine pour les récidivistes. En matière d’aménagement et de réduction de peines, Christiane Taubira veut calquer le régime des récidivistes sur celui des non-récidivistes. Notre Code pénal prévoit en effet des réductions de peine « pour les condamnés qui manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale« . Pour les récidivistes, cette réduction ne peut excéder deux mois par année de prison ou quatre jours par mois lorsque la peine qui reste à subir est inférieure à un an. Christiane Taubira propose d’aligner ces délais sur ceux des non-récidivistes, à savoir trois mois et sept jours, sauf avis contraire du JAP.
Alors là, je sors un peu de ce qui est écrit et précise qu'il existe deux sortes de réductions de peine.
Premièrement, si le détenu ne fait rien de spécial (ni en bien, ni en mal), il bénéficie automatiquement d'un crédit de réduction de peine calculé sur la durée de la condamnation prononcée à hauteur de trois mois pour la première année, de deux mois pour les années suivantes et, pour une peine de moins d'un an ou pour la partie de peine inférieure à une année pleine, de sept jours par mois.
De plus, s'il fournit des efforts particuliers pour se réintégrer (par exemple, passer un diplôme en prison), il bénéficiera en plus d'une réduction de trois mois par an et sept jours par mois s'il lui reste à effectuer une peine inférieure à 1 an (tu vois donc que les détenus qui sortent aux deux tiers de la peine, ça peut déjà être le cas).
Pour les récidivistes, le même système existe mais les réductions sont revues à la baisse.
A titre personnel, je suis opposé à la réduction automatique des peines. Déjà, leur suppression redonnerait un peu de crédit aux décisions des tribunaux correctionnels et cours d'assises (puisque quand quelqu'un est condamné à 5 ans, il ne les effectuera pas à moins de passer son temps à dealer ou à se battre au sein de la prison). De plus, ça pousserait les détenus à se démener un peu plus pour travailler, passer des diplômes, etc. et ainsi obtenir des réductions de peine au mérite. ça pousserait donc les détenus à se responsabiliser je pense.
Pour en revenir à C. Taubira, je ne suis pas opposé à ce qu'on calque le régime des récidivistes sur celui des primo-délinquants, à condition qu'on supprime la réduction de peine automatique (après tout, il n'y a pas d'âge pour s'amender). Par contre, si on garde les deux systèmes de réduction (et ce sera sans doute le cas), là encore, on envoie un signal de confiance aux délinquants les plus durs. En les traitant comme les autres, on fait peut être un peu d'angélisme et ils risquent d'y percevoir plutôt de la faiblesse.
La peine d’emprisonnement en dernier recours. Lorsque le juge n’inflige pas une une peine de prison avec sursis, et qu’il choisit donc l’emprisonnement ferme, le Code pénal l’oblige à motiver sa décision. Cependant, lorsque la personne est récidiviste, il n’est pas obligé de le faire. Christiane Taubira souhaite faire disparaître cette possibilité.
C'est parfaitement normal. Un juge qui motive sa décision, ça me parait être un strict minimum pour que sa décision soit comprise.
Suppression du mandat de dépôt obligatoire pour les récidivistes. La Chancellerie souhaite supprimer l’article 465-1 du Code de procédure pénale qui dispose : « S’il s’agit d’une récidive légale au sens des articles 132-16-1 et 132-16-4 du Code pénal, le tribunal délivre mandat de dépôt à l’audience, quel que soit le quantum de la peine prononcée, sauf s’il en décide autrement par une décision spécialement motivée.
Bah, si les juges peuvent déjà, par décision spécialement motivée, se passer du mandat de dépôt, la réforme proposée ne devrait pas changer grand chose. Je n'ose croire que des juges souhaitant dispenser un condamné de mandat de dépôt puissent laisser s'appliquer les dispositions automatique de l'article 465-1 du Code de procédure pénale car ils ne prennent pas le temps de motiver leur décision...
Bon sinon, trêve de plaisanteries, on constate un point commun entre les deux dernières réformes proposées. Dans la première, obliger le magistrat à motiver sa décision aura sans doute pour effet de diminuer le nombre d'emprisonnements et dans le seconde, le dispenser de motivation écrite aura le même effet.
Pourquoi ? Parce que la justice pénale est une industrie qui n'a pas les moyens de ses ambitions. Chaque audience correctionnelle voit le jugement de dizaines de prévenus alors qu'il n'existe pas assez de magistrats. Et dans certaines juridictions, les audiences qui durent de 14h à 21h, c'est plusieurs fois par semaine. Du coup, si on impose aux magistrats de rédiger ou non certaines décisions, on a une influence importante sur la politique pénale car les juges doivent faire preuve de pragmatisme et passer le moins de temps possible sur un dossier. Ils se dispenseront donc de motiver si cela est possible.
A titre personnel, je ne veux pas rentrer dans le débat ou transiger sur la question. Que les magistrats n'aient pas le temps de motiver leurs décisions, c'est une honte. Point.
Au lieu d'utiliser ces leviers cachés, je préfèrerai que la Gds annonce le recrutement prochain de centaines de magistrats, ça, ça serait une vraie réforme de la justice pénale.